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Génération précaire (déjà en 1993)

Origine : http://www.humanite.presse.fr/journal/1993-11-06/1993-11-06-687758

« C’est incroyable comment réagissent aujourd’hui les jeunes et ça me fait mal », nous confiait, l’autre soir, une amie. « Ma fille, vous savez la première chose qu’elle a faite, l’autre jour, lorsqu’elle a appris qu’elle venait d’être reçue à son diplôme de psychologue ? Elle est allée s’inscrire à l’ANPE ! ».


Cette anecdote sans fête ni champagne est symptomatique de l’horizon bouché de toute une génération. Ils sont nés après que l’homme eut fait ses premiers pas sur la Lune et ils en sont réduits à s’interdire de rêver ! Comment nourriraient-ils en effet des projets, dès lors que 81% d’entre eux voient le chômage inscrit dans leur perspective d’avenir comme un passage obligé, incontournable ? Et alors que, pour l’heure, le taux de chômage des moins de 24 ans a progressé de 14,8% en un an, cependant que plus du quart des jeunes diplômés sont sans emploi, que plus de 27% des chômeurs ont moins de 25 ans dans le Pas-de-Calais, les Ardennes ou la Manche...


Alors, comme si cela ne suffisait pas, voilà que l’INSEE annonce une nouvelle progression de la précarité et révèle que les contrats à durée déterminée constituent plus des deux tiers du total des recrutements ! Question précarité et déconnexion de la vie sociale, cette génération en connaît un rayon. Recordmen toutes catégories des stages bidon et de toutes sortes d’emplois de proximité, ils sont devenus aussi, bien malgré eux, des spécialistes du contrat emploi-solidarité, du contrat insertion, qualification, adaptation, orientation... Les mots manquent pour qualifier le 1,1 million de places de stages ou de contrats aidés, destinés à toujours mieux dégonfler les statistiques du chômage, et prévues au prochain budget 94. Soit 13 milliards de francs contre 7,2 dans le budget précédent...


N’y aurait-il rien à faire ? A peine les salariés d’Air France avaient-ils ouvert la voie à un recul du gouvernement que les étudiants descendaient nombreux dans les rues de plusieurs villes de France pour protester contre le manque de moyens. Et les voilà qui obtenaient, assez rapidement, une volte-face du ministre Fillon, amené à retirer son projet de diminution de l’allocation au logement social.


Un sacré encouragement à poursuivre un mouvement né, aussi, de l’indigne pénurie de salles de cours et de profs. Un sacré encouragement à rejoindre, aujourd’hui, les jeunes qui, à Paris et dans toute la France, avec la JC, l’UNEF, la CGT, le MRAP et S.O.S.-Racisme vont crier « assez » à la politique de ce gouvernement qui frappe les jeunes en premier, mais qui expérimente en fait sur cette génération les graves régressions de civilisation qu’elle veut appliquer à l’ensemble de la société.

Magali Jauffret

Article paru dans l'édition du du journal l'Humanité du 6 novembre 1993.