Avant de décrire la situation actuelle (ndAL : ce texte a été
écrit au début des années 90) de la contraception
et de l'avortement en Belgique, je me devais de faire un retour aux
années 70 qui marquent la résurgence du féminisme,
le néo-féminisme comme on l'a nommé, et le début
de la lutte pour la dépénalisation de l'avortement.
J'ai plongé, pour ce faire, dans les "vrais"
documents, ceux publiés par une maison d'édition ou par
une organisation reconnue, ceux qui, quand ils disent "politique"
citent le plus souvent les partis, qui, quand ils parlent "d'éthique"
nomment généralement les tribunaux et les commissions,
où les propositions de lois ont des noms "propres",
les organisations des initiales avec, parfois, un renvoi en bas de page
pour ceux, celles, qui vraiment ne connaissent rien à rien. Dans
l'interstice des grands noms, en filigrane des dates qui marquent, on
découvre, au passage, l'existence d'un mouvement de femmes jailli
de la montée soixanhuitarde du féminisme, des féministes
qui - ouvrez les guillemets - disent, on! - fermez les guillemets. Pour
retrouver les luttes des femmes pour la dépénalisation
de l'avortement, j'ai fouillé les bulletins et mensuels (ceux
que je possède encore) des groupes de femmes et des Maisons des
femmes, les Et ta soeur... du Front de Libération des Femmes,
le Livre Rouge des Femmes, le Livre Blanc de l'avortement de la Maison
des femmes, puis, après les années '82, les Chronique
féministe de l'Université des femmes, pages où
s'écrivaient nos dires et nos exigences par rapport à
un juste droit: celui de choisir nos maternités. Mais je n'ai
plus retrouvé les tracts que nous distribuions dans les marchés,
devant les gares, pendant les manifestations que nous organisions. Dommage,
car ils étaient riches de colère, d'affirmation de nos
droits et souvent teintés d'humour comme nos calicots multicolores
et nos chansons satiriques. Mon propos n'est pas de nier le déroulement
des événements tels qu'ils sont écrits ailleurs,
ni surtout d'oublier les "travailleurs de la santé"
(médecins, infirmières, psychologues, assistantes sociales...)
qui ont bravé la loi et pratiqué, malgré les poursuites
judiciaires, des avortements dans de bonnes conditions, mais d'introduire
dans l'histoire, comme essentielles et déterminantes, les luttes
des femmes car, sans elles (les femmes et leurs luttes), l'avortement
ne serait jamais entré dans le champ politique, n'aurait pas
divisé les partis ni inquiété les gouvernements
et la loi n'aurait pas été modifiée. S'il est historiquement
important de restituer la vérité simplement parce que
c'est juste, il est surtout indispensable de laisser la trace de nos
luttes aux femmes des générations futures.
Il faut oser le dire, la révolution éthique, culturelle,
sexuelle et politique de ce dernier quart de siècle, avec l'entrée
du domaine "privé" (des femmes) dans le domaine "public"
(des droits de l'Homme?), est l'oeuvre des femmes en lutte. Ainsi, c'est
parce qu'il y a eu ces luttes au nom de notre dignité, de notre
autonomie et de nos droits que l'avortement est devenu un problème
d'un "intérêt public" si général
qu'il a fallu l'inscrire dans l'agenda politique. Il en a été
de même qu'il s'agisse de la contraception, du viol, des violences
sexuelles et aujourd'hui du harcèlement sexuel. Rien ne nous
a été donné et tout peut nous être repris:
l'histoire des femmes est pleine de ces aller-retour. Je terminerai
cette mise en vérité en rappelant que ce sont les femmes
des groupes féministes comme les Dolle Mina en Flandres et les
Marie Mineure en Wallonie, qui furent les premières à
entreprendre des actions publiques pour la dépénalisation
de l'avortement, que les Marie Mineure, bien avant "l'affaire Peers",
ont ouvert le premier centre SOS Avortement en Belgique, que des femmes
avaient déjà manifesté, que des groupes, réunis
plus tard en Groupe A avaient déjà organisé des
réseaux de solidarité pour les femmes qui décidaient
d'avorter.
Quelques faits et dates
Dans cet article, je serai sélective: mon but, je l'ai dit, est
de restituer aux femmes ce qui leur appartient. Pour les mul-tiples
propositions de loi des différents partis, l'attitude des gouvernements
successifs, les dates et lieux des procès, je donnerai, en annexe,
des références de livres et documents où ces matières
se trouvent. Je serai sans doute aussi subjective malgré ma volonté
de rester au plus près de la vérité.
Loi de 1867
Selon cette loi, qui ne sera modifiée qu'en
1990, l'avortement est un crime contre "l'ordre des familles et
de la moralité publique". Il est intéressant de souligner
qu'à la fin du 19ème siècle l'avortement n'est
pas considéré comme un crime contre une personne, tel
l'infanticide (donc que le foetus n'est pas considéré
comme une personne) et que la jurisprudence admet l'avortement pour
sauver la vie de la mère. Il s'agit de l'application de la notion
de l'état de nécessité qui, dans le cas de l'avortement,
estime la vie de la mère plus importante que celle du foetus.
. 1962 .
Création du premier centre de planning familial en
région francophone, La famille heureuse, dont le but est de lutter
contre les avortements clandestins, qui mutilaient des milliers de femmes,
par la diffusion de moyens de contraception et l'avortement médical.
D'autres centres de planning familial vont s'ouvrir dans le pays, et
ceux-ci vont s'unir en une fédération. La position des
centres de planning familial, bien que centrée sur la notion
de santé, est celle que les groupes femmes ont défendues
et que nous pourrions encore revendiquer aujourd'hui et ce, nous le
verrons, malgré la nouvelle loi:
Nous réclamons le dépénalisation totale
de l'interruption volontaire de grossesse, qui doit devenir un acte
médical remboursé par l'INAMI au même titre que
les autres.
La décision d'interrompre ou non une grossesse appartient
à la femme: nous refusons donc les "structures d'accueil"
obligatoires et contraignantes.
Il est indispensable de mettre sur pied une politique active
d'éducation sexuelle et affective et d'information sur la contraception.
Il faut également créer le plus grand nombre possible
de centres où l'avortement serait pratiqué dans de bonnes
conditions médicales et psychologiques et sans esprit de lucre.
11 novembre 1972
Première Journée des Femmes au Passage 44 à Bruxelles.
Cette première Journée des femmes étonnera autant
les organisatrices que toute la population tant par le nombre de participantes
que par la force des propos. La contraception et l'avortement seront
au centre des discussions.
1973
Le 18 janvier 1973, le docteur Willy Peers est placé
en détention préventive pour avoir pratiqué trois
cents avortements à la Maternité Provinciale de Namur.
Cette inculpation provoque la colère de tous les milieux progressistes
(laïcs, socialistes, féministes) qui radicalisent leur position,
mettent en accusation la loi, accusent l'Ordre des Médecins,
la Justice et l'Etat de maintenir le statut-quo. Une vaste manifestation
aura lieu à Namur, 800 femmes déclareront s'être
fait avorter et 200 médecins d'avoir pratiqué des avortements.
Bien qu'à cette date seul le docteur Peers a été
incarcéré, d'autres médecins, comme il y en a toujours
eu, pratiquaient aussi des interruptions de grossesse. A cette période,
le but de ces médecins est de combattre les avortements clandestins
en pratiquant des avortements médicaux. Ils agissaient non pas
parce qu'ils considéraient que les femmes ont le droit de choisir
leur maternité, mais parce qu'il est du devoir des médecins
d'aider les femmes qu'ils estiment en détresse, c'est-à-dire
pas forcément toutes les femmes qui demandaient une interruption
de grossesse. Plus tard, la plupart d'entre eux ralliera le point de
vue du mouvement de femmes. Suite à l'affaire Peers, l'information
sur la contraception est enfin légalisée. Le 6 octobre,
en contestation de l'avantprojet Vanderpoorten, les féministes
organisent une manifestation à Bruxelles. Dans "Et ta soeur",
journal féministe, on peut lire: "Il faut que toutes les
femmes sachent que l'avant-projet Vanderpoorten est une duperie. Il
ne vise qu'à apaiser l'opinion publique et à satisfaire
les compromissions de nos gouvernants. De plus, il est si restrictif
qu'il se situe encore en-deça de ce qui est pratiqué actuellement
dans certains hôpitaux. En outre, soumettre l'autorisation d'avorter
à la décision concerté de deux médecins,
c'est obliger les femmes à comparaître devant un tribunal
qui les "jugera" et les intimidera. Femmes, vous a-t-on jamais
demandé votre avis? vous a-t-on jamais donné la parole?".
La même année, des femmes dispersées s'organisent
en Groupe A; celui-ci accueille et trouve des solutions pour les femmes
qui désirent interrompre leur grossesse (pression sur les hôpitaux,
distribution de tracts avec les adresses des centres qui, à l'étranger
et en Belgique, pratiquent l'avortement, accompagnements dans les centres
qui pratiquent l'avortement en Hollande, avance de fonds et prise en
charge des femmes les plus démunies...).
1976
Ce 11 novembre, la Journée des Femmes aura
pour thème: "Avortement, les femmes décident".
Les Comités pour la dépénalisation de l'avortement
sont créés ce jour-là dans le but de centraliser
les actions des groupes régionaux et de développer d'autres
groupes de pression. Ils établissent leur plate-forme:
Avortement, les femmes décident.
Dépénalisation de l'avortement.
Refus des structures d'accueil obligatoires et dissuasives.
Remboursement par la mutuelle.
o Information généralisée à la contraception
et éducation sexuelle active.
Développement de la pratique des interruptions volontaires
de grossesse dans des structures hospitalières ou extra-hospitalières
accessibles aux femmes de tous les milieux.
Peu après cette Journée, un groupe de femmes et de médecins
progressistes ouvre le Collectif Contraception, premier centre à
pratiquer ouvertement des interruptions de grossesse. "Il agit
dans le but de provoquer une réaction des pouvoirs publics, du
corps médical et de l'opinion publique, et de faire avancer ainsi
les choses au niveau juridique, tout en aidant le plus de femmes à
avorter dans de bonnes conditions. Le premier centre extra-hospitalier
était né". (GACEHPA, La pratique de l'avortement
en Belgique, 1981).
1977
Le 5 mars, les Comités pour la Dépénalisation
de l'Avortement organise à Bruxelles la première
"grande" manifestation nationale. Elle a réuni plus
de 7.000 personnes. Sur les tracts distribués ce jour-là
par les Comités pour la Dépénalisation de l'Avortement,
on trouve la liste des centres qui pratiquent des avortements (cette
liste sera mise à jour et distribuée à chaque manifestation)
et, dans le bulletin d'avril de la Maison des femmes, parmi les photos
qui sont un bonheur à regarder, des phrases comme celles-ci:
"C'était une fête. Pourquoi pas? N'est-ce pas une
fête d'être aussi nombreuses dans la rue à affirmer
nos droits... Nous avons défilé dans les chants, les fleurs,
les rires, les ballons, les drapeaux... Les milliers de femmes décidées
à décider, la beauté des calicots, des drapeaux,
la chaleur, le plaisir, tout ce par quoi les femmes avaient marqué
la manifestation était totalement absent dans la presse...".
Le gouvernement Tindemans II décide de ne pas décider
et renvoie le problème de l'avortement au Parlement. Il en sera
ainsi, quel que soit le gouvernement, jusqu'en 1986, date à laquelle
la proposition de loi Herman-Michielsen/Lallemand (socialiste/libéral)
pourrait passer au Parlement.
Face à ce "risque", le CVP (Parti social-chrétien
flamand), très réactionnaire sur la question de l'avortement,
en fera une question de gouvernement, quitte à faire sauter celui-ci.
Il faut savoir qu'en Belgique le CVP participe à toutes les coalitions
gouvernementales et qu'il est très puissant en Flandres.
1978
Le 11 février les Comités pour la
Dépénalisation de l'Avortement organise, aux Halles
de Schaerbeek à Bruxelles, 6 Heures pour l'avortement libre,
et, le 4 mars, une manifestation, cette fois-ci à Gand, car la
situation en Flandres est encore plus difficile que dans la région
francophone du pays. En mai, huit centres extra-hospitaliers s'unissent
en Groupe d'Action des Centres Extra-Hospitaliers Pratiquant des Avortements
(GACEHPA). Ils établissent les principes qui seront appliqués
par tous les centres du GACEHPA.
Parmi ceux-ci, citons les points les plus importants:
Libre décision de la femme.
Accueil non-directif et déculpabilisant.
Bonnes conditions médicales et psychologiques.
Information et discussion approfondie à propos de
la contraception.
Les centres existants cherchent à promouvoir la
création de nouveaux centres.
La trêve judiciaire est rompue, les poursuites reprennent, des
médecins et des femmes sont inculpés, mais pas n'importe
quel médecin ni n'importe quelle femme: les poursuites n'ont
lieu que sur dénonciation (petits amis, parents, éducateurs...).
1979
Le 31 mars, la Journée d'Action Internationale
pour la contraception et l'avortement, et contre les stérilisations
forcées réunira plus de 7.000 personnes à Bruxelles.
Le bulletin de la Maison des femmes relate: "... c'était
une victoire pour les femmes des Comités pour la Dépénalisation
de l'Avortement d'avoir obtenu la participation du PSB et des Femmes
Prévoyantes Socialistes (NDLA: seulement! c'est moi qui ajoute)
et d'avoir imposé les slogans "Avortement hors du code pénal"
et "Les femmes décident" ainsi que l'ordre des groupes
dans le cortège: en tête les Comités Avortement,
puis les groupes femmes, enfin les groupes politiques... espérons
qu'il (le PSB) sera conséquent avec lui-même et que dans
les cliniques socialistes les femmes qui le décident pourront
se faire avorter...".
1981
Indigné par l'ouverture du premier procès
d'avortement, la Coordination Nationale pour la Dépénalisation
de l'Avortement répond par une manifestation qui réunira,
le 3 octobre, plus de 6.000 personnes à Bruxelles.
De plus, devant l'attitude du tribunal qui refuse d'entendre certains
témoins qui sont justement des femmes qui ont avorté ou
qui travaillent dans des centres extra-hospitaliers, la Coordination
organise une conférence de presse où des femmes ayant
avorté prennent la parole et décrivent leur expérience.
Après cette manifestation, il faut reconnaître que la voix
des femmes s'est faite de moins en moins entendre. Lassitude des militantes,
peut-être, mais pas seulement. On peut relever d'autres causes
qui ont conduit à cette moindre présence des femmes:
D'abord, une raison "positive": grâce aux centres
extra-hospitaliers (surtout) et à la diffusion des lieux où
l'avortement se pratiquait dans de bonnes conditions, la demande des
femmes était relativement satisfaite et ceci paradoxalement,
puisque la Belgique était un des derniers pays d'Europe à
avoir une loi aussi restrictive.
Dans les centres extra-hospitaliers, les femmes devaient passer
par une structure d'accueil composée généralement
d'une assistante sociale et d'une psychologue; sans doute cette obligation
n'était pas seulement d'ordre idéologique, mais servait
de "couverture" pour justifier la nécessité
d'être en infraction avec la loi. Cependant, cette pratique était
en contradiction avec les exigences du mouvement des femmes pour qui
la décision revient à la femme sans qu'elle ait à
la justifier, sauf si tel est son désir. Mais comment faire pression
sur ces "travailleurs de la santé" que nous avions
en grande estime, qui prenaient des risques et dont nous admirions le
courage et la générosité?
De plus, suite aux perquisitions, inculpations, procès
et condamnations, les médecins inculpés pour faits d'avortement
ont été mis à l'avant scène médiatique,
ce qui était logique. Le rôle des femmes, à ces
moments combien cruciaux pour ceux qui pratiquaient malgré tout
des avortements, a été un rôle de soutien que nous
avons assumé tant bien que mal (à cause des horaires)
par notre présence, lors des procès, devant et dans les
Palais de Justice, mettant une sourdine à nos propres revendications.
Enfin, au fil du temps, le Comité National pour la Dépénalisation
de l'Avortement, pris en main par quelques femmes plus "institutionnelles",
s'est davantage adressé aux parlementaires, préférant
à la radicalité du début du mouvement, les accommodements
avec les partis.
Les années noires de l'avortement .
Depuis la fin de la trêve judiciaire et davantage encore après
1982, les perquisitions, inculpations, procès, condamnations,
acquittements se poursuivent dans presque tous les arrondissements judiciaires
du pays. Et toujours les "travailleurs de la santé"
condamnés ont affirmé qu'ils continueraient à pratiquer
des avortements dans de bonnes conditions et qu'ils refuseraient de
renvoyer les femmes à l'avortement clandestin. Je ne citerai
pas la très longue liste des noms, le risque est trop grand d'en
oublier certain(e)s. Parmi ces médecins et para-médicaux
qui pratiquaient les interruptions volontaires de grossesse, certains
soutenaient que l'avortement relevait du droit des femmes de choisir
leur maternité, d'autres, qu'ils s'agissait de résoudre
un problème de santé publique, d'autres luttaient contre
l'injustice sociale, puisque seules les femmes les plus aisées
et les mieux informées pouvaient avorter sans risques dans les
pays avoisinants. Mais, quel que soit leur point de vue, tous, toutes
ont pris des risques en ne respectant pas la loi. Ceci est à
inscrire dans l'histoire de notre pays et dans la mémoire des
femmes. Pendant cette même période et jusqu'en 1988 de
nombreuses propositions de loi (j'en ai compté quatorze) concernant
l'avortement ou la suspension des poursuites judiciaires ont été
présentées et refusées au Parlement. En 1987, la
tentative du CVP de faire de l'avortement une affaire de gouvernement
échoue et le 19 avril 1988, la proposition Herman-Michielsens/Lallemand
est acceptée en discussion au Sénat. Il faudra encore
attendre deux ans, et en craignant mille fois qu'elle ne passe pas,
pour que cette proposition, certes amendée, devienne la loi qui
nous régit actuellement.
. La liberté conditionnée .
Le 3 avril 1990, le Parlement vote une loi qui autorise, dans certaines
situations et sous certaines conditions, l'interruption volontaire de
grossesse. C'est-à-dire que l'avortement est toujours pénalisé
"sauf" et qu'il reste encore inscrit, comme en 1867, dans
le chapitre qui concerne les "crimes et délits contre l'ordre
des familles et la moralité publique".
Mais "sauf" quoi? Voici ce que dit l'actuel article
350 du code pénal: "Celui qui, par aliments, breuvages,
médicaments ou tout autre moyen aura fait avorté une femme
qui y aura consenti sera condamné à un emprisonnement
de trois mois à un an et à une amende de cent francs à
500 francs. Toutefois, il n'y aura pas d'infraction lorsque la femme
enceinte que son état place en situation de détresse,
a demandé à un médecin d'interrompre sa grossesse
et que celle-ci est pratiquée dans les conditions suivantes..."
que je résume: l'avortement est autorisé jusqu'à
douze semaines de grossesse à condition qu'il soit pratiqué
dans un établissement de soins où il existe une structure
d'accueil, par un médecin qui, après avoir obligatoirement
informé "des risques résultant de l'interruption
de grossesse" et donné les informations sur "les droits,
aides et avantages garantis par la loi et les décrets aux familles...
ainsi que sur les possibilités offertes par l'adoption de l'enfant
à naître", appréciera, après les six
jours de réflexion obligatoire pour la femme entre le premier
et le deuxième entretien, "la détermination et l'état
de détresse de la femme enceinte". Cette "appréciation
du médecin est souveraine lorsque les conditions au présent
article sont respectés". Il est évident, à
la lecture de ce qui précède, qu'aucune femme ne pourra
demander une interruption de grossesse sans passer devant un tribunal
médico-psycho-social. Une assistante sociale, que j'ai interrogée,
confirme cette interprétation; en effet, depuis l'entrée
en vigueur de la loi elle pose, lors du premier entretien avec la femme
venue pour interrompre une grossesse, une série de questions
qu'elle ne posait pas avant la nouvelle loi. Il faut, dit-elle, avoir
des dossiers "en ordre" si on veut que le centre puisse continuer
à fonctionner et répondre à la demande des femmes.
On peut se demander si la future action des mouvements de femmes qui,
jusqu'ici, ont lutté pour la dépénalisation totale
de l'avortement, ne sera pas d'établir et de distribuer aux femmes
une liste "des détresses" qui, sans problème,
ouvrent le droit à l'avortement! Comme nous l'écrivions
dans la Chronique féministe (n'33, octobre/novembre 1989) quelques
mois avant que la dernière proposition de loi ne devienne loi:
"Cette proposition de loi ne répond pas à nos objectifs:
elle ne met pas l'"avortement hors du code pénal" et
ce ne sont pas "les femmes (qui) décident".
Et pourtant, telle quelle, nous lui apportons notre soutien
parce que nous savons que dans notre pays, en 1989, c'est la seule loi
susceptible d'être adoptée, c'est la seule chance pour
que les femmes puissent avorter et pour que les médecins puissent
pratiquer des interruptions de grossesse dans de bonnes conditions au
moins jusqu'à douze semaines. A la veille d'un possible changement
de loi nous voulons, une fois encore, saluer les médecins, infirmières,
assistantes sociales, psychologues intègres et généreux
qui ont risqué et subi perquisitions, procès, condamnations,
prison, pour avoir pratiqué des avortements dans les mêmes
conditions que ce que prévoit aujourd'hui la proposition de loi.
Mais nous, femmes, bien que nous ayons compris que cette "appréciation
du médecin" est un amendement qui finalement protège
les femmes et l'équipe médicale de toute plainte de géniteur,
petit ami, parent ou autre (comme cela s'est produit trop souvent ces
dernières années), nous avons à nous interroger
sur le détournement de nos exigences et de nos luttes, et sur
la non-reconnaissance de notre responsabilité. Nous devons savoir
que nous serons, par l'effet d'une loi, des mineures sous tutelle médicale
jusqu'à la ménopause. Nous considérons que c'est
nous faire injure que de nous obliger, par une loi, à expliquer
à un médecin les raisons de notre refus d'enfant, injure
de nous infantiliser. Avorter est une décision grave. Mettre
au monde est une décision grave qui engage toute notre vie. Nous
entendons prendre ces décisions nous-mêmes. C'est ce qu'on
nous refuse. Car force nous est de constater que l'insupportable de
l'insupportable n'est pas tant que nous avortions. L'insupportable de
l'insupportable, l'inacceptable de l'inacceptable, l'interdit de l'interdit,
c'est que nous puissions décider nousmêmes de refuser de
porter à terme une grossesse non désirée. On veut
bien nous aider, mais seulement si nous sommes misérables, en
"détresse", ainsi chaque demande d'interruption de
grossesse serait un retour de l'enfantfemme prodigue vers la loi du
père. Et pourtant, si la proposition de loi passe, telle quelle
et sans amendement, ce sera une victoire. Victoire amère, c'est
vrai, notre victoire quand même. Parce que c'est nous, femmes,
qui avons sorti le problème de l'avortement du privé pour
le jeter sur la voie publique et en faire une question politique. Donc,
cette proposition de loi, même si elle n'est pas la dépénalisation
de l'avortement, est née de notre parole collective.
La lutte n'est pas finie, mais ce que nous avons gagné
inscrivons-le dans nos mémoires, transmettons-le à nos
enfants, empêchons que l'Histoire, une fois de plus, s'écrive
sans nous. C'est une condition pour oser d'autres choix de société".
La détresse pourrait un jour avoir du vague à
l'âme .
Rappelons... Nous avons exigé que l'avortement
sorte du code pénal, nous avons affirmé notre droit de
disposer librement de notre corps et la responsabilité de nos
actes. Nous avons dit que mettre un enfant au monde est une décision
grave qui engage notre vie davantage que celui de ne pas en avoir, et
que, même quand nous avons un désir d'enfant, les conditions
de vie ne nous permettent pas toujours de faire ce choix. Nous avons
refusé les structures d'accueil obligatoires pour les femmes
qui désirent interrompre une grossesse, mais, par contre, nous
avons exigé des structures d'accueil pour les enfants que nous
mettons au monde (crèches, garderies, terrains de jeux...). Et
ce passé, malgré la nouvelle loi, qui est une loi d'apitoiement
et non une loi qui confirme un droit, est encore et toujours à
mettre au présent. De plus, par cette loi, l'Etat impose
au corps médical de "déborder" de ses fonctions
en introduisant, dans l'"art de guérir", le devoir
"de juger". Ceci, dans un pays qui s'affirme démocratique,
est une décision très grave. Si on peut comprendre que
certains mé-decins, en leur âme et conscience, refusent
de pratiquer des avortements, la société civile et particulièrement
les femmes sont en droit de se demander au nom de quel droit, de quelle
formation, de quelle philosophie, de quelle éthique le corps
médical usurperait ce droit élémentaire de chaque
citoyenne: choisir ses maternités. Aujourd'hui, au vu de ce qui
se passe dans certaines pays où l'avortement est autorisé
(toujours sous conditions) depuis plus longtemps qu'en Belgique (USA,
France, Pologne...), on est en droit de craindre que notre "détresse"
puisse un jour ne plus peser d'un poids suffisant face aux attaques
des antiavortements de tous bords, intégristes, pape, roi, extrême-droite.
. L'avortement sous surveillance .
De plus, le 13 août 1990, à peine quelques mois après
la nouvelle loi, le Ministère de la Santé publique et
de l'Environnement institue une Commission nationale d'évaluation
chargée d'évaluer l'application des dispositions
relatives à l'interruption de grossesse. Cette commission est
chargée d'établir tous les deux ans un rapport statistique
et un rapport "détaillant et évaluant l'application
et l'évolution de l'application de la loi" ou, "le
cas échéant, des recommandations en vue d'une initiative
législative éventuelle et/ou d'autres mesures susceptibles
de contribuer à réduire le nombre d'interruptions de grossesse
et à améliorer la guidance et l'accueil des femmes en
détresse." ainsi qu'un document d'enregistrement à
compléter par le médecin qui a pratiqué l'avortement
dans lequel il lui est demandé, parmi d'autres questions, "une
description succincte de l'état de détresse invoqué
par la femme, en considération duquel le médecin a pratiqué
l'interruption de grossesse". Cette commission est également
chargée d'établir un document à compléter
par l'établissement de soins qui pratique des avortements. J'en
relève quelques éléments: "Ce rapport mentionne
le nombre de demandes d'interruption de grossesse introduites auprès
de l'établissement ou des médecins attachés à
l'établissement... Le nombre d'interruptions de grossesse pratiquées
par les médecins attachés à l'établissement...
Le nombre de demandes d'interruption de grossesse ayant été
refusées par les médecins attachés par l'établissement
(Moniteur belge). Ainsi, non contente de promulguer une loi qui, bien
que satisfaisante actuellement dans sa pratique, est insuffisante par
rapport au droit des femmes de choisir leur maternité, l'Etat,
par l'intermédiaire d'une Commission d'évaluation, la
met de plus sous surveillance et se donne ainsi le pouvoir de la modifier
quand il voudra s'il l'estime encore trop libérale. Ceci prouve
que, décidément, nos craintes ne relèvent pas du
phantasme et que les femmes doivent encore et toujours rester vigilantes.
Aujourd'hui, en Belgique .
L'avortement continue à se pratiquer dans de bonnes conditions
médicales et psychologiques comme c'était déjà
le cas, au temps de l'illégalité, dans les centres extra-hospitaliers,
certaines cliniques et hôpitaux.
Depuis la nouvelle loi, aucune statistique du nombre des
avortements n'a été établie. Les dernières
statistiques, datant de 1989, indiquaient que quelques 16.000 femmes
habitant la Belgique avaient avorté cette année-là,
dont 4.000 en Hollande, surtout des femmes néerlandophones qui,
vu le manque de centres pratiquant des interruptions volontaires de
grossesse en Flandres, ne trouvaient pas de solution à leur problème
dans leur région. La relève s'avère difficile et
de nombreux médecins des "années noires" de
l'avortement ont choisi de diversifier leur pratique, voire de travailler
dans d'autres domaines de la santé. Si cette situation se maintient,
et malgré la nouvelle loi, il sera de plus en plus difficile
d'avorter dans de bonnes conditions en Belgique.
Fanny Filosof Université des Femmes (début des années
90)
Ce texte est disponible sur le site d'Alternative Libertaire Bruxelles
dans les archives :
http://users.skynet.be/AL/motscle/avorte.htm