La domination est un concept proche des notions doppression, dexploitation,
de soumission. Il pose la question du pouvoir, il englobe plus de choses
que lexploitation employée par le marxisme, notion qui
concerne la sphère économique. Le concept de domination
permet daborder immédiatement la question politique. On
peut essayer de la définir comme étant le résultat
de laction dune autorité qui, sous la contrainte
violente ou non, oblige un groupe humain ou une personne humaine à
se soumettre. Les modalités de la contrainte sont multiples,
tous les domaines de la vie humaine sont concernés : économie,
politique, militaire, physique, genre, race, intellectuel / manuel,
culture, religion, impérialiste, symbolique, ville / campagne,
... Il existe plusieurs combats contre la domination parce quil
y a de multiples dominations ou types de domination. La domination a
un rapport avec la maîtrise, lautorité, le pouvoir,
mais ces mots ont plusieurs sens. Pour le pouvoir, le contenu est à
la fois la capacité de faire et la relation de pouvoir. Pour
la maîtrise et lautorité, il y a à la fois
la compétence et la place du maître, celle du chef ou des
chefs. La domination concerne les fonctionnements humains où
les personnes ou les groupes ont une place inégale. Les personnes
ou les groupes qui dirigent sont considérées comme les
plus forts, ils donnent des ordres et les font exécuter. La relation
de pouvoir na pas forcément de contact direct, ce sont
les rapports sociaux de domination et de soumission.
Le fonctionnement de la domination est lié à lasymétrie
des places, où une personne ou un groupe commande à lautre.
La domination a souvent été basée sur la force,
la violence. La domination, au cours de lhistoire, a pris la forme
de linstitution, en particulier celle de lEtat. Pour faire
accepter et justifier létat de fait de domination, on a
employé toutes sortes didées ou ensembles didées,
didéologies. Le fonctionnement de la domination a un aspect
« hors soi », qui correspond à lassujettissement
imposé de lextérieur. Les études sur lévolution
de la domination ont montré que pour fonctionner la domination
avait besoin de faire admettre cet ordre des choses afin dobtenir
ladhésion humaine, ce qui explique lintériorisation
de lautorité. Ce phénomène est nommé
par E. Colombo : « la double articulation du symbolique ».
Foucault constate, lui, que lévolution de la domination
a tendance à aller du corps contraint à lesprit
contrôlé. Cest laspect « en soi »
de la domination, laspect interne à lhumain.
Aujourdhui que dire de la domination ? Les anciennes formes sont
presque toutes là : esclavage, sexuée et sexuelle, raciale,
économique, militaire, culturelle, idéologique, ... Mais
ces formes anciennes sont présentes dans une organisation sociale
et politique qui les intègre à ses modalités propres
: le capitalisme avec limportance de la marchandise et du spectacle.
Nous savons maintenant que, si nous parvenons à attaquer le capitalisme,
ce nest pas pour autant que toutes les formes de domination auront
disparu. La domination machiste, par exemple, peut très bien
continuer après un changement social et politique qui bouleverserait
lorganisation de la société. Lévolution
de la société capitaliste invente, réinterprète
les différentes formes de domination et crée de nouvelles
modalités parce quil existe des luttes, parce que le capitalisme
sadapte, quil invente de nouvelles façons dexercer
sa domination. La répression, lemploi de la force violente
ont été toujours liés à lexercice
de la domination, ils existent toujours, la guerre reste une façon
de dominer (cf guerre du Golfe, Kosovo, etc.). Aujourdhui nous
pouvons observer, dans nos pays occidentaux, limportance de lidée
de liberté. La prégnance de lidée de liberté
montre que la force seule nest pas suffisante pour comprendre
la domination contemporaine. La notion de domination mentale et dindividu
peuvent nous aider à avancer. La re-production a pris le pas
sur la production. Lennemi nest plus clairement identifiable,
ni visible. Le combat nest plus aussi frontal que dans le passé.
Le fonctionnement du capitalisme demande une compréhension plus
fine et des hypothèses sur les nouvelles méthodes employées.
Il existe une sorte de nouveau compromis où lindividualisation
est primordiale, où le contrôle et les idées, lidéologie
sont fondamentales. Lutilisation de méthodes moins autoritaires,
lillusion dans la conscience humaine quil existerait un-e
individu-e libre montrent que nous devons ajuster nos analyses. Lhypothèse
de la domination mentale est intéressante à ce titre.
Elle permet de prendre en compte à la fois le rôle du mythe
de lindividu et limportance des techniques de communication
et de diffusion de linformation. La domination mentale explique
pourquoi la domination napparaît pas comme telle, ni comme
anormale. Lidéologie contemporaine, qui allie le «
tout se vaut ! » du relativisme et le différentialisme
culturel, nous présente les choses selon lordre de la normalité.
Pourtant, la normalité de ce monde nest pas du tout évidente
si on se pose la question de légalité et de la justice,
si on pose la question pourquoi ? Les justifications anciennes de la
domination, basées sur la transcendance, la nature ou la raison,
sont disqualifiées, discréditées. Mais, il est
indéniable que la domination continue et étend son emprise.
Le « monde » que lon donne à voir et à
vivre reste un ensemble basé sur la domination. La liberté
contemporaine est liée à la marchandise, au spectacle,
à la démocratie parlementaire. La liberté, du point
de vue libertaire, est une notion indexée à légalité
et à la solidarité, cette liberté là est
encore à venir.
Il reste une question pour les libertaires, celle de la servitude «
non contrainte ». Celle-ci explique pourquoi les personnes dominées
ou les groupes dominés ont un rôle dans le fonctionnement
et la reproduction de la domination. Cette servitude nest pas
consciente ni contrainte, mais elle existe et nous devons essayer den
rendre compte, la domination passe par aussi nous-mêmes. Lhypothèse
de la « servitude volontaire » a été mise
en évidence par La Boétie en 1574. Il demandait : «
Qui garde le tyran quand il dort ? » La reprise de cette question
par Quessada avec la notion didentification permet de comprendre
la structure du phénomène. Le processus fonctionne avec
des images, des symboles, des mythes, des croyances qui sadressent
au regard, aux émotions, aux affects et non pas à la raison.
Le besoin de sens et la nécessité davoir une position
dans lhistoire humaine nous font échanger inconsciemment
notre liberté contre un récit qui donne du sens et une
assignation à une place dans la communauté humaine. Cette
place est liée au nom, à la généalogie,
lappartenance. Ce faisant, en intégrant la loi qui organise
tout cela, nous créons la place du maître.
Deux références pour se documenter :
Dominique Quessada, La société de consommation de soi,
Verticales, Paris, 1999.
Jean-Léon Bauvois, Traité de la servitude libérale,
analyse de la soumission, Dunod, Paris 1994.
Philippe Coutant Nantes le 5 Mars 2001