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LE FÉMINISME DE 1830 À AUJOURD'HUI
Différence sexuelle ou hiérarchie sociale ?
Par MARTINE BULARD


La parité en politique devient un argument de bonne conduite électorale, à défaut d'une réalité tangible. Il reste que les femmes sont de plus en plus courtisées, au nom d'une différence qui les rendrait intrinsèquement plus « concrètes », plus « maternelles », moins « tueuses », moins « ambitieuses »... La panoplie des qualités prêtées au sexe féminin a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. Depuis des années et des années, Christine Delphy, chercheuse au CNRS, s'attache à secouer ces idées toutes faites, parfois véhiculées par les féministes les plus convaincues. Son travail part de ce constat fondamental :

« L'oppression des femmes est spécifique, non parce que les femmes sont spécifiques, mais parce que c'est un type d'oppression unique. »


Penser le genre, le deuxième tome de L'Ennemi principal (1), regroupe une somme unique de textes, d'entretiens et de débats. Certains étaient devenus introuvables, bien qu'ils aient contribué à une vision neuve de la société - pas seulement du féminisme - et qu'ils restent d'une brûlante actualité. On peut citer « Libération des femmes ou droits corporatistes des mères » (1991), qui met en garde contre un mouvement féministe qui « se transforme en combat pour la propriété des enfants ». Ou encore « La réponse de la bergère à Engels » (1985) sur le travail domestique.Mais ce deuxième tome vaut aussi pour sa préface, où Christine Delphy revisite ses propres travaux, leur apportant force et cohérence. Chacun des thèmes est mis en perspective à partir de sa critique du « différencialisme ». « La différence, précise-t-elle, est la façon dont, depuis plus d'un siècle, on justifie l'inégalité entre les groupes - et pas seulement les groupes dits de sexe. » En fait, les « différences ne sont pas seulement des différences mais aussi des hiérarchies », dont la société se sert. Et de montrer que cette « logique de la différence s'impose de plus en plus à ces groupes dominés », qui finissent par s'y enfermer.Ce constat, souvent implacable, l'amène parfois à des conclusions discutables, tel son rejet de la loi sur la parité.
Elle exprime ce refus non pas au nom d'un « universalisme abstrait », qui établit « implicitement un modèle du citoyen, homme et blanc ». Pour elle, seule « l'action [de discrimination] positive » est capable de combattre durablement la hiérarchie sociale entre les sexes (et non la différence).A découvrir également (ou à relire), le magnifique Appel au peuple sur l'affranchissement de la femme, lancé en 1833 par Claire Démar (2). Cette saint-simonienne active cherche alors à étendre la Déclaration des droits de l'homme... à la femme. Ce manifeste est suivi d'un autre texte sur le même thème, Ma loi d'avenir, et d'annexes sur le mouvement saint-simonien et les féministes.

MARTINE BULARD.

(1) L'Ennemi principal. Penser le genre, Syllepse, Paris, 2001, 390 pages, 150 F. Le tome I, Economie politique du patriarcat, est paru en 1998, chez le même éditeur.

(2) Appel au peuple sur l'affranchissement de la femme. Aux origines de la pensée féministe. Textes établis et présentés par Valentin Pelosse. Albin Michel, Paris, 2001, 264 pages, 130 F.

LE MONDE DIPLOMATIQUE, OCTOBRE 2001

Article disponible à l'adresse suivante
http://www.monde-diplomatique.fr/2001/10/BULARD/15691