La parité en politique devient un argument de bonne conduite
électorale, à défaut d'une réalité
tangible. Il reste que les femmes sont de plus en plus courtisées,
au nom d'une différence qui les rendrait intrinsèquement
plus « concrètes », plus « maternelles »,
moins « tueuses », moins « ambitieuses »...
La panoplie des qualités prêtées au sexe féminin
a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. Depuis des années
et des années, Christine Delphy, chercheuse au CNRS, s'attache
à secouer ces idées toutes faites, parfois véhiculées
par les féministes les plus convaincues. Son travail part de
ce constat fondamental :
« L'oppression des femmes est spécifique, non parce
que les femmes sont spécifiques, mais parce que c'est un type d'oppression
unique. »
Penser le genre, le deuxième tome de L'Ennemi principal (1),
regroupe une somme unique de textes, d'entretiens et de débats.
Certains étaient devenus introuvables, bien qu'ils aient contribué
à une vision neuve de la société - pas seulement
du féminisme - et qu'ils restent d'une brûlante actualité.
On peut citer « Libération des femmes ou droits corporatistes
des mères » (1991), qui met en garde contre un mouvement
féministe qui « se transforme en combat pour la propriété
des enfants ». Ou encore « La réponse de
la bergère à Engels » (1985) sur le travail
domestique.Mais ce deuxième tome vaut aussi pour sa préface,
où Christine Delphy revisite ses propres travaux, leur apportant
force et cohérence. Chacun des thèmes est mis en perspective
à partir de sa critique du « différencialisme ».
« La différence, précise-t-elle, est la façon
dont, depuis plus d'un siècle, on justifie l'inégalité
entre les groupes - et pas seulement les groupes dits de sexe. »
En fait, les « différences ne sont pas seulement des
différences mais aussi des hiérarchies », dont
la société se sert. Et de montrer que cette « logique
de la différence s'impose de plus en plus à ces groupes
dominés », qui finissent par s'y enfermer.Ce constat,
souvent implacable, l'amène parfois à des conclusions
discutables, tel son rejet de la loi sur la parité.
Elle exprime ce refus non pas au nom d'un « universalisme
abstrait », qui établit « implicitement
un modèle du citoyen, homme et blanc ». Pour elle,
seule « l'action [de discrimination] positive »
est capable de combattre durablement la hiérarchie sociale entre
les sexes (et non la différence).A découvrir également
(ou à relire), le magnifique Appel au peuple sur l'affranchissement
de la femme, lancé en 1833 par Claire Démar (2). Cette
saint-simonienne active cherche alors à étendre la Déclaration
des droits de l'homme... à la femme. Ce manifeste est suivi d'un
autre texte sur le même thème, Ma loi d'avenir, et d'annexes
sur le mouvement saint-simonien et les féministes.
MARTINE BULARD.
(1) L'Ennemi principal. Penser le genre, Syllepse, Paris, 2001, 390
pages, 150 F. Le tome I, Economie politique du patriarcat, est paru
en 1998, chez le même éditeur.
(2) Appel au peuple sur l'affranchissement de la femme. Aux origines
de la pensée féministe. Textes établis et présentés
par Valentin Pelosse. Albin Michel, Paris, 2001, 264 pages, 130 F.
LE MONDE DIPLOMATIQUE, OCTOBRE 2001
Article disponible à l'adresse suivante
http://www.monde-diplomatique.fr/2001/10/BULARD/15691
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