Parler de lhumanité, cest parler de soi-même.
Dans le procès que lindividu intente perpétuellement
à lhumanité, il est lui-même incriminé
et la seule chose qui puisse le mettre hors de cause est la mort. Il
est significatif quil se trouve constamment sur le banc des accusés,
même quand il est juge. Personne ne peut prétendre que
lhumanité est entrain de pourrir sans, tout dabord,
constater les symptômes de la putréfaction sur lui-même,
sans avoir lui-même commis de mauvaises actions. En ce domaine,
toute observation doit être faite in vivo. Tout être vivant
est prisonnier à perpétuité de lhumanité
et contribue par sa vie, quil veuille ou non, à accroître
ou à amoindrir la part de bonheur et de malheur, de grandeur
et dinfamie, despoir et de désolation, de lhumanité.
Cest pourquoi je puis oser dire que le destin de lhomme
se joue partout et tout le temps et quil est impossible dévaluer
ce quun être humain peut représenter pour un autre.
Je crois que la solidarité, la sympathie et lamour sont
les dernières chemises blanches de lhumanité. Plus
haut que toutes les vertus, je place cette forme que lon appelle
le pardon. Je crois que la soif humaine de pardon est inextinguible,
non pas quil existe un péché originel dorigine
divine ou diabolique mais parce que, dès lorigine, nous
sommes en butte à une impitoyable organisation du monde contre
laquelle nous sommes bien plus désarmés que nous pourrions
le souhaiter.
Or, ce quil y a de tragique dans notre situation cest que,
tout en étant convaincu de lexistence des vertus humaines,
je puis néanmoins nourrir des doutes quant à laptitude
de lhomme à empêcher lanéantissement
du monde que nous redoutons tous. Et ce scepticisme sexplique
par le fait que ce nest pas lhomme qui décide, en
définitive, du sort du monde, mais des blocs, des constellations
de puissances, des groupes dEtats, qui parlent tous une langue
différente de celle de lhomme, à savoir celle du
pouvoir.
Je crois que lennemi héréditaire de lhomme
est la macro-organisation, parce que celle-ci le prive du sentiment,
indispensable à la vie, de sa responsabilité envers ses
semblables, réduit le nombre des occasions quil a de faire
preuve de solidarité et damour, et le transforme au contraire
en co-détenteur dun pouvoir qui, même sil paraît,
sur le moment, dirigé contre les autres, est en fin de compte
dirigé contre lui-même. Car quest-ce que le pouvoir
si ce nest le sentiment de navoir pas à répondre
de ses mauvaises actions sur sa propre vie mais sur celle des autres
?
Si, pour terminer, je devais vous dire ce dont je rêve, comme
la plupart de mes semblables, malgré mon impuissance, je dirais
ceci : je souhaite que le plus grand nombre de gens possible comprennent
quil est de leur devoir de se soustraire à lemprise
de ces blocs, de ces Églises, de ces organisations qui détiennent
un pouvoir hostile à lêtre humain, non pas dans le
but de créer de nouvelles communautés, mais afin de réduire
le potentiel danéantissement dont dispose le pouvoir en
ce monde. Cest peut-être la seule chance quai lêtre
humain de pouvoir un jour se conduire comme un homme parmi les hommes,
de pouvoir redevenir la joie et lami de ses semblables.
Stig Dagerman 1950
Transmis par Alternative Libertaire Belgique à la fin des années
1990 sans aucune mention.
Alternative Libertaire Belgique
Alternative Libertaire Belgique
Les éditions Agone m'ont demandé le 5 Janvier 2005 d'ajouter
ceci :
Publié en 1950 dans les colonnes de l'hebdomadaire Vi (Nous),
organe de presse des coopératives suédoises, cet article
répond à une enquête sur le thème "Croyons-nous
en l'être humain?". Extrait de La Dictature du chagrin, Agone
2001.
Traduit du suédois par Philippe Bouquet
Pour Agone,
Héléna Autexier
Héléna Autexier
Tel. [33 0]4 92 73 08 94
Les Billardes
04300 Forcalquier
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