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La croyance
par Robert Tremblay, du Cégep du Vieux Montréal


Introduction
La croyance est un terme fondamental de la philosophie classique et de la philosophie contemporaine. Plusieurs autres notions en dépendent: vérité, opinion, foi, connaissance, action. Plusieurs problèmes centraux de la philosophie y sont reliés: le relativisme, le scepticisme, l'opposition de l'opinion et de la connaissance vraie. Il s'agit donc d'un terme aux multiples significations. Nous allons en examiner quelques-unes.

Définitions de la croyance

Au point de départ, la croyance est un état mental. Cet état consiste à considérer qu'une certaine représentation est vraie. Par exemple: croire que le ciel est bleu, ou croire que le Père Noël existe. Il faut cependant immédiatement faire une distinction entre "croire que..." et "croire en". Croire que le ciel est bleu, consiste à penser que cette proposition "le ciel est bleu" décrit correctement une réalité. Mais croire en quelqu'un, signifie qu'on a confiance en lui. Dans les deux cas, un état mental subjectif est impliqué. En effet, celui qui croit se place d'un point de vue qui lui est particulier.

D'un autre point de vue, on doit distinguer les croyances conscientes actuelles et les croyances inconscientes. En effet, je peux penser délibérément que la température est trop froide aujourd'hui, mais je peux aussi, sans y avoir pensé, croire que l'homme n'a pas d'ailes comme les oiseaux. Bien entendu, cette dernière croyance est déduite d'un ensemble de croyances, qu'on peut appeler la sphère des croyances d'une personne. Une croyance peut aussi être inconsciente dans un autre sens, il se peut que je croie, sans le dire, et sans même m'en rendre compte, que monsieur chose est un imbécile ou que les gens qui ont des cheveux roux sont tous agressifs.
Par ailleurs, un aveugle de naissance ne peut pas croire que "le ciel est bleu" de la même manière que le voyant. Il y a donc une deuxième distinction importante à faire: du point de vue de l'état mental, l'aveugle et le voyant qui croient que le ciel est bleu, ne sont pas dans le même état (ils n'ont pas la même représentation), mais du point de vue de la signification de la proposition "le ciel est bleu", les deux ont la même croyance (la phrase qui dit que le ciel est bleu est vraie). La croyance peut donc avoir un sens psychologique ou un sens logique.

Brève histoire du concept de croyance

Traditionnellement, la philosophie distinguait la croyance et la connaissance. La croyance est une simple opinion, la doxa. La connaissance est un savoir vrai. C'est le point de vue de Platon et Aristote par exemple. Chez Descartes, la croyance est un assentiment envers une proposition plus ou moins fondée en raison, alors que la connaissance est une représentation indubitable (dont on ne peut douter). Ils s'opposent. Mais avec Hume, la situation est inversée. La connaissance n'est plus qu'une sorte particulière de croyance: croyance dans les vérités mathématiques ou dans les vérités de l'expérience. À côté de ces formes de croyances rationnellement justifiées, on trouve aussi les propositions du sens commun, qui, sans être pleinement justifiées, ont pour elles le sens pratique et les succès de l'action. Puis toutes ces autres croyances douteuses, comme les propositions métaphysiques ou religieuses. La croyance devient affaire d'habitudes et de traditions culturelles. La croyance se différencie donc par degrés de certitude, alors que le doute est toujours présent. Il réhabilite donc une forme modérée de scepticisme.

Kant pour sa part distingue la simple croyance de la conviction: la simple croyance est subjective (je crois qu'un jugement est vrai), alors que la conviction est objective. Plus précisément, Kant distingue trois degrés de la croyance: (1) l'opinion est une croyance insuffisante; (2) la foi est une croyance satisfaite d'elle-même, mais objectivement insuffisante; (3) la science est une croyance vraie. La science comporte deux aspects: la conviction (pour l'individu) et la certitude (pour tous). Mais loin de régler le problème, ces distinctions introduisent une autre difficulté: celle de savoir quand je peux être justifié d'avoir la conviction. Par exemple, dans le domaine de la morale, Kant n'ira pas plus loin que la foi rationnellement justifiée. Pour la raison pure, il établira des limites au delà desquelles elle ne saurait être tout à fait crédible. À l'inverse, il réaffirmera les privilèges critiques de la raison contre la foi.

La croyance et l'action

Sur un autre axe, on voit facilement que la croyance a un lien direct avec l'action. Je ne désirerai pas une voiture "x", si je ne crois pas qu'elle ait de la valeur. Je ne chercherai pas d'emploi, si je crois qu'il est impossible d'en trouver un. Au contraire, le fanatique religieux ou politique justifiera ses actes terroristes par sa foi dans la valeur de la Cause qu'il sert. Si un consommateur en vient à croire que tel produit lui apportera le bonheur, il désirera s'en procurer à tout prix. C'est exactement ce que Charles S. Peirce veut signifier lorsqu'il écrit: " Nos croyances guident nos désirs et règlent nos actes." ("Comment se fixe la croyance", §14) Mais ce dernier croit que nous devons porter notre attention sur les différentes manières de fixer notre croyance, certaines étant supérieures à d'autres. La "méthode de ténacité" est ferme mais bornée. La "méthode d'autorité" assure la paix dans l'État, mais détruit l'innovation et la découverte. La "méthode a priori" (ou métaphysique) libère l'esprit, mais aboutit à des conclusions gratuites. Enfin, la "méthode scientifique" est plus objective, bien que faillible, mais n'apporte aucun réconfort moral.

La sphère des croyances

En outre, les croyances ne se présentent pas seules. Être catholique, est un état idéologique et pratique qui implique tout un ensemble de croyances reliées entre elles. Le catholique croit que Jésus est le Christ, qu'il faut aller à l'Église le dimanche, que l'avortement est péché, qu'à la mort, il sera jugé, que la "sainte vierge" peut intercéder en sa faveur, etc. Il en est de même du musulman, du communiste ou même du scientifique. Les croyances se tiennent entre elles. Mais il ne faudrait pas en conclure que toutes nos croyances sont reliées de manière logique et cohérente. Faute d'y avoir suffisamment réfléchi, il arrive que nos croyances soient incomplètement reliées ou même incompatibles.

Les degrés de croyance

Évidemment, il y a divers degrés de croyance. Les catholiques ne sont pas tous des fanatiques qui suivent les règles morales édictées par le pape à la lettre. Pas du tout! Les communistes ne sont pas tous prêts à mourir pour la révolution, et les scientifiques ne sont pas toujours rationnels dans leur vie quotidienne! La croyance, surtout celle qui implique un engagement pratique, n'est pas toujours vécue intensément, elle peut souvent être tiède ou simplement extérieure (conformiste). Il se peut aussi qu'une croyance affirmée soit en fait contraire à la croyance intime de quelqu'un!

On conçoit alors que si certaines croyances sont plutôt périphériques, et donc susceptibles d'être changées d'une manière relativement faciles, d'autres sont centrales, et constituent les piliers mêmes de l'identité de quelqu'un. Celles-là sont non seulement plus fermes, mais les contester entraîne généralement une tension agressive, car des états émotifs très forts y sont associés. Julie peut croire que l'Alaska est un pays indépendant, si un livre de géographie lui apprend que c'est un État américain, elle abandonnera facilement sa croyance erronée. Par contre, elle pourrait résister violemment à l'idée que la femme doit se soumettre totalement à son mari, ou qu'il n'y a pas de vie après la mort. On voit que certaines croyances sont périphériques, alors que d'autres sont centrales.

La justification des croyances

Lorsqu'on aborde le sujet des croyances, on en vient inévitablement à poser la question: quand nos croyances sont-elles justifiées et jusqu'à quel point? Considérée sous un autre angle, le problème se pose ainsi: quand est-il raisonnable de douter d'une croyance? Ces questions sont le sujet de toute une branche de la philosophie qu'on appelle l'épistémologie. Nous ne pouvons que les effleurer, mais nous ne pouvons les ignorer tant elles sont importantes. (Pour une introduction passionnante à ce domaine, nous recommandons l'ouvrage de Pierre Blackburn, Connaissance et argumentation, Éditions du renouveau pédagogique, 1992.)

Commençons par nous demander d'où viennent nos croyances? Nous pouvons citer plusieurs sources: nos observations et nos réflexions personnelles, les observations et les réflexions des personnes dans lesquelles nous avons confiance, notre tradition culturelle et familiale, les autorités que nous respectons (scientifiques, religieuses ou autres). Toutes ces sources sont sujettes à l'erreur. Il se peut également que nos capacités intellectuelles soient limitées dans un domaine ou un autre, ou que nous ne disposions pas de l'information nécessaire pour nous faire une opinion éclairée. Chacun d'entre nous se constitue une sphère de croyances, plus ou moins cohérente avec tous ces matériaux. En outre, cette sphère peut être plus ou moins évolutive: nous pouvons être plus ou moins ouverts à la discussion aux nouvelles expériences ou aux influences extérieures. Parmi les facteurs les plus importants, on compte notre éducation et les expériences personnelles les plus marquantes.

La validité des croyances est très variable. Tout dépend de la source d'une croyance et des méthodes utilisées pour la vérifier. Aucune croyance n'est absolument certaine, car toutes dépendent de notre contexte culturel, des informations dont nous disposons. Il y a six siècles, il était raisonnable de penser que la Terre était plate, et il était admis par la plupart des gens que la sorcellerie permet d'envoûter nos ennemis! Nous ne pouvons pas être certains que parmi nos croyances actuelles, certaines ne sembleront pas aussi absurdes aux siècles futurs. Certaines autorités sont valables, d'autres sont douteuses. Enfin, si les méthodes scientifiques sont généralement les plus fiables, elles ne sont pas infaillibles et ne répondent pas à toutes les questions.

L'épistémologie contemporaine définit quelques critères applicables à la connaissance scientifique. Les hypothèses doivent être testables et testées plusieurs fois. Les théories doivent être les plus explicatives possible et les plus reconnues par la communauté des chercheurs, mais demeurent toujours en principe révisables. Les observations doivent être objectives. Mais de larges zones d'ombre demeurent. Et cela spécialement dans les domaines peu accessibles à la réflexion scientifique parfaitement objective, là où des valeurs et des interprétations culturelles interviennent.

Le besoin de croire

Il est clair que les êtres humains ont un grand besoin de croire. Nous voulons croire que le monde est tel et tel: nous voulons savoir. Nous voulons croire que tel Dieu a créé le monde de telle manière, et qu'il nous réserve tel sort: nous voulons avoir une explication transcendante. Nous voulons croire que notre vie aura un sens si nous agissons de telle ou telle manière: nous voulons un code moral. Dans tous les secteurs de notre vie, nous cherchons un ordre, une explication cohérente, des lignes directrices. Certains cherchent plus ou moins par eux-mêmes, d'autres se fient à un prêtre ou à la télévision! Mais tous cherchent ou prétendent savoir. Même les athées et les sceptiques croient en quelque chose. Ainsi, on ne peut pas diviser le monde en croyants et en incroyants, à moins de nous référer à un dogme. Dans le monde, il n'y a que des plus ou moins croyants!

L'inventaire critique des croyances

Beaucoup de nos croyances n'ont jamais été examinées avec soin. Pourtant, les croyances jouent un rôle fondamental dans nos vies, aussi bien au plan psychique qu'au plan pratique. Si Claude croit qu'il n'a pas de valeur, c'est certain qu'il court à sa perte: il sera déprimé et n'entreprendra rien. Inversement, s'il est déprimé et ne fait rien, il en viendra à croire que véritablement, il ne vaut rien. Le contraire est vrai aussi. La confiance entraîne l'estime de soi et l'action positive qui amène le succès et renforce l'estime de soi. Chacun devrait prendre soin de réviser périodiquement ses croyances, celles qui sont explicites, mais aussi celles qui sont implicites. Certaines croyances sont en effet injustes (les croyances racistes), dangereuses (le fanatisme), nocives (les délires religieux) ou procurent un faux sentiment de confiance (la foi aveugle dans la science et la technologie, par exemple). Bref, l'esprit critique doit demeurer en éveil. Mais à l'inverse, un esprit critique exacerbé mène au scepticisme absolu, qui est aussi une forme de dogmatisme.

CVM, 1997

La page d'origine http://www.cvm.qc.ca/encephi/CONTENU/ARTICLES/CROYANCE.HTM