I / Pas dhumanité sans croyance ?
En général la croyance est connotée de façon
négative, elle est associée à la religion. Ici
notre point de départ cest de considérer que la
croyance nest pas limitée à la sphère religieuse
et de présupposer quil nexiste pas dhumanité
sans croyance. Nous remarquons que lattitude mentale qui amène
au fait de tenir pour vrai nest pas complètement transparente
ni entièrement rationnelle, souvent celle-ci demeure un peu énigmatique
et emprunte de croyances. Pour nous la croyance est un phénomène
universel. Il semble bien que ce qui nous différencie des animaux
ce soit aussi les croyances.
Le culte des morts est le premier signe de la culture humaine chez les
néandertaliens. La croyance accompagne loutil, cest
à dire que lévolution du cerveau et de la main chez
lhomo sapiens-sapiens ne peut se séparer des croyances. Laccès
au symbolique passe par la croyance en des êtres supérieurs
ou des forces supra-naturelles. La croyance en la puissance des idées
a été la base de la mise en extériorité du
savoir faire humain, mais aussi de la loi et de la culture.
La première croyance que nous assumerons cest celle qui énonce
la perfectibilité de lhumain individuellement et collectivement.
Souvent le communisme a été critiqué parce quil
avait un aspect messianique. La réponse des communistes consistait
à rétorquer que ce nétait pas une religion.
Il est exact quil ny avait pas de transcendance divine dans
ce messianisme. Celui-ci venait de la croyance dans le sens de lhistoire,
de la promesse dun avenir radieux dû au progrès et
à la réconciliation de lhumanité avec elle-même
dans la réalisation de la société communiste. Ceci
était conjugué à deux autres croyances : la démocratie
et légalité. Aujourdhui le messianisme communiste
a fait faillite, mais les croyances en politique ne semblent pas avoir
disparu pour autant.
II / Les critiques de la croyance :
Lattitude critique face aux croyances est ancienne, elle fait
face à lopinion et est conjointe de la naissance de la
philosophie en occident. Celle-ci valorise la raison contre ce qui est
admis sans être démontré comme vrai. Mais il ne
sagit pas forcément dune attitude antireligieuse
ou qui dénie toute place à la foi. Les conceptions du
monde de cette époque sont marquées par une vision du
cosmos où Dieu et les dieux ont leur place.
Le problème du rapport entre la croyance et la raison se modifie,
entre autres, avec Averroés et Thomas dAquin. Pour eux la
raison et la foi sont complémentaires. Laction de lhomme
ne contredit pas la création divine et lordre naturel, il
la complète puisque les humains travaillent au service du divin.
La question se déplace encore avec le développement de la
science : Héliocentrisme de Galilée et Copernic, méthode
expérimentale promue par Bacon, revendication du sujet exprimée
par Descartes (« Je pense donc je suis», « lhomme
comme maître et possesseur de la nature »), etc. Le débat
sur lordonnancement du monde implique de repenser la place de Dieu.
Sur le plan politique cest avec Hobbes et Rousseau que le débat
est bouleversé. Le droit naturel est légitime, létat
de nature est une fiction qui permet dimaginer que létat
social na pas toujours été ainsi. Cest une
critique implicite du droit divin qui fondait la royauté.
Sur le plan philosophique Emmanuel Kant montre quil est impossible
en raison de démontrer lexistence de Dieu. Chercher à
démontrer lexistence de Dieu cest outrepasser les limites
de la raison (dans Critique de la raison pure). Il laisse une place à
la foi en posant le postulat de lexistence de Dieu (idées
a priori) et disant que la foi ne contredit pas la raison.
Avec la notion daliénation Ludwig Feuerbach estime quil
existe une liaison entre le fait anthropologique et la théologie.
Selon lui, Dieu est une image idéalisée de lhomme
: « Cest ainsi quen Dieu et à travers Dieu
lhomme na dautre but que lui-même » (dans
Manifestes philosophiques, lEssence du christianisme).
Lexplication religieuse est battue en brèche par Charles
Darwin. Lévolution des espèces contredit de fait lidée
de création divine. La continuité entre lhomme et
lanimal déplace le contenu du rapport entre la nature et
la culture.
Pour les critiques politiques du XIX° (Proudhon, Marx, Bakounine et
les autres) la religion est une aliénation, une superstructure
idéologique très utile à la domination et lexploitation
de lhomme par lhomme, doù la célèbre
formule « la religion cest lopium du peuple ».
La religion obscurcit lesprit et empêche de voir la réalité
en faisant croire quil existe un ailleurs où le bonheur est
possible. Cest le thème de la lumière de la vérité
qui sinstalle par la critique rationnelle, la raison dévoile.
Avec Friedrich Nietzsche, la critique de la croyance passe par la mise
en évidence du ressentiment qui est utilisé par les prêtres
afin dobtenir la soumission des faibles. La morale nest quun
camouflage pour la réalisation des passions tristes des humains,
cest ce qui empêche le développement de la puissance
humaine véritable. Il questionne la notion de vérité
et dénonce les croyances canoniques et obligatoires : «
les vérités sont des illusions dont on a oublié quelles
le sont » (dans Vérité et mensonges au sens extra-moral).
Il énonce clairement :
« Dieu est mort !» (dans Ainsi parlait Zaratousthra).
Pour la sociologie de Durkheim la croyance en une force impersonnelle
extérieure à lindividu est due à la symbolisation
de la société : « Une société a tout
ce quil faut pour éveiller dans les esprits, par la seule
action quelle exerce sur eux, la sensation du divin ; car elle est
à ses membres ce quun dieu est à ses fidèles.
» (dans Les formes élémentaires de la vie religieuse).
Toute société implique une autorité morale de la
collectivité sur lindividu, elle sexerce par le respect,
que Durkheim décrit comme source du sacré. Il faut également
noter que cet auteur prend le respect du drapeau comme exemple de la présence
du sacré dans notre société.
Pour Sigmund Freud et la psychanalyse, Dieu nest quune figure
symbolique du père et de son autorité, les religions sont
des sublimations sociales du meurtre des frères contre lautorité
du père. Laccès au désir est structuré
par linterdit de linceste et refoulé dans linconscient.
La conscience morale est une sublimation qui trouve son origine dans notre
culpabilité, dans nos désirs impossibles ou indicibles.
Pierre Legendre utilise la psychanalyse pour comprendre le droit et la
reproduction du pouvoir, les titres des certains de ces livres parlent
deux-mêmes : Jouir du pouvoir, Lamour du censeur. Il
a également publié : La fabrique de lhomme occidental
(accessible facilement dans une collection à 10 frs). Eugène
Enriquez se servira aussi des acquis de la psychanalyse pour développer
une sociologie qui intègre les pulsions de vie et de mort, la présence
de la violence, la recherche de la toute puissance dans les fonctionnements
sociaux. Son livre le plus connu sintitule La horde et lEtat,
il a continué ses travaux, notamment, dans La sociologie en analyse
et Les figures du maître. La perspective anti-autoritaire de la
psychanalyse nest pas à négliger.
Les sciences humaines, dont lanthropologie et lethnologie,
constatent que les humains ont créé toutes sortes de dieux.
Les figures multiples de la ou des divinités montrent la relativité
des cultures. Ce qui est commun aux humains cest la mise en scène
religieuse et laccès au symbolique structuré autour
de linterdit de linceste. On peut observer la création
de nouvelles religions ou de nouvelles formes de la vie religieuse, preuve
que Dieu et ses voix sont relatives aux situations et aux cultures, ce
sont des résultats de lactivité humaine. Ce qui donne
raison à Epicure longtemps après. Celui-ci affirmait que
les dieux nont rien à faire des humains, quau contraire
ce sont les humains qui ont besoin des dieux. Si le sacré doit
exister cest pour lhomme et non linverse.
III / La croyance continue :
Malgré toutes les critiques de Dieu la croyance continue et se
renouvelle. La croyance a un avantage indéniable, elle apporte
de laide aux humains en difficulté, quimporte que
le contenu de la croyance soit vrai ou faux, elle leur apporte bien-être
et réconfort. La croyance procure un état mental rassurant,
ce qui est inestimable. La puissance et lutilité de la
croyance peuvent sévaluer par rapport au secours quelle
apporte dans la résolution des problèmes personnels. En
outre, elle répond à un besoin de sens que la société
du spectacle et de la marchandise ont laissé de coté.
Que ce processus soit explicite et conscient ou implicite et inconscient
na pas dimportance. Avec la croyance lexistentiel
se lie à lêtre dans une cohérence qui a du
sens.
Aujourdhui ce qui est nouveau cest que la critique de la croyance
ne peut plus se faire face à des appareils idéologiques
organisés et dominants, face à la religion comme institution,
comme le faisait Nietzsche ou dautres. La critique ou la prise en
compte de la croyance doit se faire de lintérieur du champ
des activités humaines, dont la politique fait partie. Nous ne
sommes plus face à une ou des églises, mais face à
nous-mêmes humains, qui avons besoin de croyances.
Nos croyances et nos convictions sont fondées sur une foi en lhumain,
nous pensons que légalité et la justice sont possibles.
Généralement cela tombe sous le sens, cest une évidence
que lon ne prend pas la peine dexpliciter. Mais il est nécessaire
dinterroger nos croyances, nos affirmations sur la ou les valeurs
que nos mettons en avant. Le rapport entre lindividu et la communauté,
entre la personne et la collectivité obéit à des
règles, des lois qui nous donnent des références
pour juger du bien et du mal, de lautorisé et de linterdit.
Cet ensemble didées, qui nous sert de référent,
est traversé par les mythes, les croyances, les fictions, la culture
du passé. Nos conceptions du monde ne sont pas faites que de savoirs
vérifiés ou de raison, nous utilisons aussi notre imaginaire,
la culture transmise par la société. Souvent nos jugements
sont influencés par nos désirs ou nos peurs. Comme le remarquait
Spinoza nous affirmons désirer certaines choses parce quelles
sont belles alors quelles sont belles parce que nous les désirons.
La subjectivité humaine est complexe, la conscience et la raison
sont souvent en échec. Le sujet humain conscient et volontaire
de la philosophie classique nexiste pas, cétait une
projection de lhumain mâle blanc qui essayait de légitimer
sa domination sur le monde.
IV / Des exemples de croyances de notre temps :
* La république :
Cest un thème cher à notre gauche française,
cest le résultat de luniversalisme abstrait qui ne
peut pas camoufler la faillite de nos institutions et le développement
de la barbarie capitaliste. La république ainsi conçue
et mise en oeuvre est incapable daccepter légalité
dans la différence et de lutter contre la reproduction de la
domination, pourtant la croyance en la république est largement
répandue.
* La fin justifie les moyens :
Si lutilitarisme, lintérêt sont les seuls horizons
quont les humains, la croyance en cette affirmation est difficilement
contestable. Mais si on utilise cet adage pour agir au nom de lhumanité,
au sens où un progrès humain est possible, il y a souvent
problème. Cest le corollaire de la raison instrumentale
dénoncée par lEcole de Francfort. La mise en oeuvre
de cette idée peut justifier linstrumentalisation des humains
comme de la nature au service dune ou de fins complètement
déraisonnées : la traite négrière, le génocide
arménien, la shoah, Hiroshima, le stalinisme, Pol Pot, etc. Aujourdhui
nous pouvons essayer de faire en sorte que nos moyens ne contredisent
pas nos fins, parce quen eux-mêmes ils sont partie prenante
des fins.
* Lorganisation :
Elle a lavantage de donner une identité, de remplir la
sphère existentielle, elle rassure car elle a une image protectrice,
même si ceci reste inconscient et non-dit. Lorganisation
(ou le regroupement : association, comité, syndicat, fédération,
groupe, parti, collectif, etc.) organise la vie sociale de ses membres,
elle permet de nouer des liens affectifs, daccéder à
un certain savoir, de se sentir important, utile, davoir une bonne
image de soi. Cest la suite de la famille, elle donne un ou des
rôles à jouer, elle structure lautorité, officiellement
cest le moyen de la volonté politique. On devrait pouvoir
interroger la croyance en la nécessité de lorganisation
ou des organisations, pouvoir questionner leurs fonctionnements et ce
assez régulièrement.
* La vérité :
Cest en son nom que lon transforme en certitude des affirmations
parfois contestables. Elle prend souvent la forme de slogans, ceux-ci
peuvent vite devenir simplistes et réducteurs. Si on prend par
exemple ceux qui énoncent : « Police partout, justice nulle
part ! » et « Pas de justice, pas de paix ! », on
saperçoit quils ne sont pas vrais partout et pas
tout le temps. Leur validité est relative, pourtant ils sont
souvent criés comme des vérités. La solidarité
quils impliquent est toujours relative à une situation,
aux capacités du moment des collectifs humains qui la mette en
oeuvre, aux systèmes relationnels qui la vivent.
Ceci amène à se poser la question de la différence
entre les valeurs et les croyances. La valeur est vécue comme vraie,
authentique et structurante, il faut alors la voir dans son aspect quantitatif
et surtout qualitatif. Les valeurs sont toujours ou presque présentées
comme positives au contraire de croyances qui, elles, sont qualifiées
de façon péjorative et comme un signe de déraison.
Avec les valeurs on se réfère au « bien de lhumanité
», au « bien commun ». Mais il faut remarquer qu'avec
la notion de valeur les humains sengagent, y mettent deux-mêmes,
la présence daffects chaleureux est un signe de la valeur
dun groupe, la notion didentité affleure vite. Cest
ce que constate ladage populaire : « Nous navons pas
les mêmes valeurs ! », ce qui signifie à lautre
: « on ne vit pas dans le même monde », sous-entendu
le mien est bon ou meilleur. Le lien avec lexistentiel est net.
Quand on arrête de militer certaines idées ont moins de valeur,
ce qui démontre la liaison entre la vie pratique et les idées.
Car si on arrête à cause de certains comportements, à
cause de la trop grande différence entre le dire et le faire, du
coup ce sont les idées qui nont plus le même poids
existentiel, on ny croit plus, elles sont dévaluées.
Comme si limperfection humaine vue de face et acceptée amoindrissait
la valeur des idées qui justifiaient lengagement. Dans ce
cadre il est facile de constater que les tribus militantes organisent
la vie au plan existentiel aussi. S'il y a une exclusion, un départ,
un éloignement volontaire ou forcé cela a des implications
pratiques, des conséquences sur les réseaux relationnels,
sur lidentité. Ce phénomène nest peut-être
pas vécu toujours consciemment pour soi sur le moment, mais pour
la qualification que les autres ont de soi il est réel, ce qui
peut faire retour sur soi et sur lappréciation de sa propre
valeur. Ceci explique pourquoi après ce genre de rupture il faut
se reconstruire, lier de nouvelles relations, repenser ses valeurs, imaginer
sa nouvelle vie.
Un autre exemple de ce fonctionnement de croyant-e cest celui qui
affirme sérieusement aujourdhui que « la radicalité
ne se partage pas ! ». La vérité devient un bien magique
que lon doit posséder, le partager revient à sauto-détruire
comme révolutionnaire, ou du moins dans limage que lon
en a.
A notre avis le fait davoir des croyances ou des valeurs nest
pas une difficulté en soi. Ce qui pose problème ce sont
les incohérences proches du grand écart, car pour nous il
existe une liaison entre les valeurs ou les idéaux et leur mise
en oeuvre. La solution la plus simple cest daffirmer «
pas lun sans lautre ! » et dessayer de le vivre.
Lexemple des valeurs dégalité, de liberté
et de solidarité montre bien de quoi il sagit. Sil
manque un terme en théorie ou en pratique il y a quelque chose
qui ne va pas. Si les faits ne suivent pas cest une contradiction
pour lénoncé qui se veut performatif ! La contradiction
nest pas dordre logique, ni théorique, mais dordre
humain, de lordre du sens.
* La raison :
La raison se sait limitée, finie. Cest elle qui peut observer
la croyance ou les croyances, les critiquer. Mais jamais la raison mempêche
la croyance dexister, de continuer ou de prendre de nouvelles
formes. Une des formes de la croyance assez répandue cest
la valorisation de la toute puissance de la raison elle-même.
Nous en concluons régulièrement que nous devons convaincre,
nos idées étant les meilleures. Alors que nous savons
quune partie de nos convictions et de notre engagement sont hors
de la raison. Dune part nous ne pouvons pas tout lire, ni tout
vérifier, il est impossible dintégrer toutes les
critiques, tout le savoir humain ou toute la culture mondiale. Dautre
part nous savons que nous sommes faits de désir, daffectivité,
de folie, de violence, que nous sommes traversé-es par les mythes
et la culture héritée de nos ancêtres.
Une des formes de cette croyance cest la confiance immodérée
dans la science et ses applications. La médecine, le progrès
trouvent des solutions à tout ou presque, parfois ils nous disent
comment vivre. Avec la médecine souvent on croit obtenir la santé
alors que seuls des soins peuvent nous être apportés. Dans
le contexte de la critique post-moderne le progrès est souvent
décrit comme un mythe, cest aussi une croyance dans un avenir
meilleur, dans une promesse. Cest un mythe parce que cest
aussi un récit sur le passé et le sens. Mais la critique
du progrès nest pas acquise de façon majoritaire,
surtout à gauche (extrême gauche comprise) au contraire de
la critique de la religion dans ses formes classiques qui, elle, est admise.
La croyance en la liberté sexuelle est banale, mais la critique
du machisme reste exceptionnelle. Pourtant de façon rationnelle
et raisonnée il est possible et facile de se rendre compte de la
domination du groupe des hommes sur celui des femmes.
Lidée du devenir humain est ici en cause puisque nous sommes
dans un nouvel environnement idéologique et face à un nouvel
horizon mental : celui du relativisme et de lindividualisme qui
côtoient la toute puissance de la raison technique et lomniprésence
de linformation spectaculaire comme sources de la connaissance humaine.
V / Accepter la croyance ?
Oui au sens où nous refusons dasseoir laction politique
sur des lois de lhistoire. Pour nous laction politique est
le résultat dune décision, dun engagement
qui se sait limité et en situation. Nous avons à notre
disposition des appareils critiques pour essayer de comprendre le monde
et les mutations du capitalisme. Mais reconnaître que nous croyons
à lidée libertaire nest pas une faiblesse,
au contraire cest une des conditions de notre force, de notre
puissance. Si nous refusons dadmettre quune partie de nous-mêmes
fonctionne avec de la croyance, ne sommes nous pas obligés dadmettre
que lhistoire a un sens, sens qui prédéterminerait
notre action, et quen conséquence nous devrions obéir
à des lois historiques. Ces lois, Marx les a décrites
comme « scientifiques » avec son « matérialisme
historique ». Si légalité et la justice sont
des choix humains, il sagit dune décision conventionnelle
qui na rien de naturel et quil faut réaffirmer régulièrement.
Nous croyons quil est possible de mettre cela en oeuvre et de
changer le monde dans cette direction. On peut nommer cela un idéal,
un horizon, une idée régulatrice, une utopie. Si nous
refusons de suturer laction politique à la science (au
sens où ce sont deux types de vérités différentes),
nous devons reconnaître que nous sommes tous et toutes des croyant-es.
Si ce constat continue de nous faire horreur nous devrons nous habituer
à rester des marxistes honteux.
Le communisme libertaire, lanarchie sont des croyances que nous
estimons valables et qui ne manquent pas darguments, mais à
un moment ou à un autre cest un pari, une décision,
un au-delà de la raison, une foi laïque en quelque sorte,
une croyance donc ! Que cette croyance ne sappuie pas sur une transcendance
extra-humaine, cest certain, que nous nayons pas de vision
messianique, ni une visée de rédemption cest également
vrai, mais cest au minimum une croyance dans les potentialités
de lhumanité, en particulier celle de prendre sa vie en main.
La définition de ce qui est humain ou de ce qui ne lest pas
est un questionnement que nous devons assumer, nous serons mieux à
même dy répondre si nous savons que nous vivons en
même temps avec la raison et dans la déraison.
La croyance nest plus une extériorité, cest
le problème des fondements et des référents qui est
posé. Pendant longtemps les humains ont vécu lextériorité
de la loi fondée sur Dieu ou sur une forme de transcendance. Cette
extériorité complétait lautorité et
largument dautorité. Aujourdhui les humains peuvent
savoir que la loi est humaine, cest à dire en nous, dans
lhumanité et dans la culture, dans notre histoire humaine,
collective et individuelle au niveau psychique, mental. On peut en faire
larchéologie, mais jamais trouver son fondement, si ce nest
que de fait sans la loi on nest pas humain et que lon ne peut
pas revenir en arrière, sauf à régresser dans la
barbarie comme cela a déjà eu lieu maintes fois. A la question
« doù vient la loi ? » il est possible de répondre
que cest un résultat, une construction sociale et historique,
une convention non discutée !
La question cest de savoir qui attribue le qualificatif péjoratif
à la croyance. La notion de valeur sappuie sur le débat
entre le positif et le négatif, entre le bien et le mal. Aujourdhui
comme dans dautres domaines on ne peut pas dire que ça vienne
de Dieu ou de lidée en soi, l'extériorité est
hors de propos. La loi est conventionnelle même si les humains nont
pas décidé de son contenu, elle est conventionnelle au sens
où sa relativité est réelle et sans fondement transcendant,
ni immanence. Nous sommes donc dans un cadre mental où nous refusons
Dieu ou les dieux, où nous refusons également le sens de
lhistoire qui inscrirait notre vie dans un schéma prédéterminé.
La place de la liberté humaine en dépend. Aujourdhui
on sait que lorigine est en nous, dans lhumanité et
pas ailleurs. Cette humanité est une humanité construite
et transmise, toujours à la merci de la barbarie.
Nous sommes face à nous-mêmes, face à notre histoire
humaine, à notre histoire culturelle ou plutôt face à
nos histoires culturelles et face à linvention de notre avenir.
Si on pense quil est possible que cela puisse venir de nous-mêmes
et pas de lextérieur, il nous faut accepter la décision,
la convention. De fait cest la croyance en lhumanité
et en ses capacités, cest un débat sur le choix du
contenu de la loi dans une visée dégalité et
de justice. Croire en nous-mêmes, cest croire dans les capacités
de lhumain à dire la loi et à en définir le
contenu, à en débattre et à remettre en discussion
à chaque fois que cela est nécessaire ou demandé.
Le fait quil nexiste pas de fondement cest un acquis
de lhumanité, de lhistoire de la pensée. Ce
nest ni génétique ni transcendantal, ni immanent,
cest dans linterdit et la culture. Il ne reste que lhumanité
en face delle-même, même si nous avons beaucoup plus
de questions que de réponses ! Notre tâche pourrait se résumer
ainsi :
Du fait à la conscience du fait pour arriver à la conscience
du contenu !
Cest pour cela que jaffirme sans honte ni peurs que nous sommes
tous et toutes des croyant-es !
Philippe Coutant Nantes le 12/10/98
Ce texte a été publié dans le journal Alternative
Libertaire Bruxelles Alternative
Libertaire Bruxelles
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