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Une si bonne conscience !


La société française affiche un anti-racisme ferme et vigilant. La référence aux « droits de l’homme » est omniprésente. Pourtant si on regarde la réalité du statut des étrangers et étrangères et la vie sociale nous devons admettre que l’autre coté du miroir est moins glorieux.
Les droits sont différents pour la citoyenneté (elle est liée à la nationalité, donc ne peuvent voter que les personnes ayant acquis la nationalité française), pour l’emploi (l’Etat montre l’exemple avec la préférence nationale dans la fonction publique), pour la nationalité (l’enfant né-e en France est français-e dès la naissance si ses parents sont français et est français-e à 16 ans si ses parents sont d’origine étrangère), pour la double peine (prison plus expulsion pour les étrangers lors d’un jugement avec une peine de plus d’un an de prison ferme), pour un certain nombre de droits sociaux.

La justice se montre beaucoup plus sévère pour les jeunes beurs ou blacks que pour des français blancs, et ce pour des délits équivalents. Les sans-papiers et sans-papières sont condamné-es à de lourdes peines pour défaut de titre de séjour. Il est courant maintenant de voir des condamnations à six mois ou un an de prison ferme pour séjour irrégulier ou pour refus d’embarquement lors d’une expulsion. Le refus de leur donner des papiers montre que nous les tolérons, mais en les mettant et les maintenant en situation de précarité extrême.
L’expulsion de St Bernard, les répressions répétées des personnes sans-papiers en lutte, ont montré au monde entier la brutalité avec laquelle nous respections la dignité humaine. Les expulsions se font dans la contrainte, malgré le refus des personnes. L’utilisation des médicaments pour endormir les personnes est une pratique banale, les attacher au siège en les bâillonnant est également une méthode utilisée par la police. Lors des expulsions la séparation des familles n’est pas exceptionnelle. Les conditions de vie dans les zones d’attente sont lamentables et dénoncées régulièrement. Le droit d’asile est devenu un droit formel, où ce qui importe c’est le respect et la rapidité de la procédure. L’Ofpra est devenue une chambre d’enregistrements des refus de l’asile en France. La suspicion des mariages mixtes est basée sur une peur irrationnelle des mariages blancs, qui permettraient d’obtenir facilement des papiers.

Les contrôles aux faciès sont une banalité, particulièrement en région parisienne et les grandes villes et leurs systèmes de transport en commun. Les discriminations à l’embauche et à l’entrée de beaucoup de boites de nuit font partie de la vie quotidienne.
Le refus de prendre en compte que la religion musulmane comme la seconde religion de France est un autre aspect de la façon dont on pratique l’égalité en France. Les interdictions ou la grande difficulté pour construire des mosquées est connue. L’amalgame entre musulman et intégrisme est pratiqué si souvent que c’est devenu un lieu commun.
Dans l’Education Nationale les filières de l’enseignement technique sont largement remplies par les enfants de la seconde ou troisième génération.

L’évolution législative et réglementaire va dans le sens d’une précarisation des populations déjà installées. Petit à petit la carte de dix ans a été remise en cause. La précarisation juridique est dénoncée par le Saf (Syndicat des Avocats de France). On se souvient de l’attaque ouverte des foyers d’immigrés et condamnation des trafics par les municipalités et divers rapports comme celui de Monsieur Cuq. Les difficultés pour le droit de vivre en famille ont augmenté fortement jusqu’à le limiter de façon drastique avec les restrictions successives du regroupement familial.

Nous pouvons aussi relever d’autres symptômes liés aux difficultés pour assumer notre propre histoire. La société française assume mal que la France soit aussi un pays où les camps ont existé (camps pour les espagnols et les juifs étrangers, puis pour les juifs français, les tziganes, les personnes entrées en résistance). Le fait d’évoquer la collaboration de notre police nationale au fichage et aux rafles contre les juifs passe toujours aussi mal (cf les livres de Maurice Rajfus).

Les massacres à Sétif et à Madagascar sont rarement évoqués dans les livres d’histoire. Le refus de traiter correctement les harkis est un autre aspect de nos difficultés. Cela s’est traduit par le maintien en camps, par l’inégalité de traitement vis à vis des compensations financières par rapport aux autres rapatriés d’Algérie, par la non-reconnaissance symbolique. Même genre de phénomène avec l’occultation du rôle des nombreux combattants étrangers dans les armées françaises (1871, 1914, seconde guerre mondiale).
On connaît maintenant ouvertement les difficultés pour reconnaître le massacre du 17 Octobre 1961 et son ampleur. Le refus d’impliquer Papon, préfet de police et futur ministre gaulliste, de mettre en cause le gouvernement de l’époque est clair. D’ailleurs, les archives sont toujours fermées malgré les promesses.

Les difficultés existent également pour la reconnaissance de l’esclavagisme comme crime contre l’humanité. On peut remarquer le refus d’assumer la responsabilité dans les dégâts dus au colonialisme français un peu partout. Dans la continuité de cette attitude, on peut noter le refus de reconnaître la responsabilité de la France dans le génocide du Ruanda et en particulier celle de Mitterrand. L’attitude est la même pour l’impérialisme et le néo-colonialisme contemporain. Certains des pays anciennes colonies de la France sont parfois décrites par les personnes africaines elles-mêmes comme des départements français. Monsieur Cheysson, ancien ministre des affaires extérieures de Mitterrand, parle de la « domesticité » dans le film sur Elf en Afrique diffusé récemment sur ARTE.

Les difficultés avec la reconnaissance du rôle des travailleurs immigrés des années soixante qui ont construit la France sont un autre aspect de l’attitude de la société française. Nous pouvons remarquer les difficultés pour admettre le racisme actuel. Racisme qui est visible dans le racisme ordinaire et dans les sondages, où 40 % de la population française admet ouvertement avoir des idées racistes. Dans ce cadre l’arabe est la figure de la haine, entre autres, parce qu’il a osé se rebeller contre nous en Algérie.

Le racisme français est aussi politique. On appelle régulièrement au front commun contre celui du FN, mais souvenons-nous de celui de Mitterrand : « le seuil de tolérance », celui de Rocard : « la misère du monde », le racisme de Chirac : « le bruit et l’odeur », celui de Fabius : « les bonnes questions et les mauvaises réponses du FN », celui de Madame Cresson avec ses « charters », celui de Pasqua est notoire, le dernier en date est celui de Chevènement : « les sauvageons », etc. Tous ces grands personnages jureront ouvertement de ne pas être raciste, et, de fait, ne le sont pas en tant que personnes, mais leurs déclarations, en situation d’autorité politique, légitime l’attitude de suspicion et xénophobe vis à vis des personnes étrangères. Ce sont bien ces personnes qui ont mis en place le racisme institutionnel nommé « maîtrise des flux migratoires ». Ces mêmes personnages politiques ne condamnent pas le racisme de la police française et couvrent les « bavures ». Cette politique est toujours justifiée par l’intégration des populations déjà là et la fermeture des frontières pour les nouvelles personnes qui arrivent. Mais dans les faits le résultat de cette politique est que l’on porte atteinte aux droits des populations vivant déjà en France, que l’on installe une suspicion généralisée vis à vis de toutes les personnes étrangères par la définition d’une menace (cf les travaux de Didier Bigo dans la Revue Cultures et conflits). D’autre part, étant donnée la situation du monde il y a toujours et il y aura toujours de nouvelles personnes qui entrent, entrerons ou chercherons à entrer en France et en Europe.

L’antiracisme s’attaque toujours au racisme biologique, il ne condamne pas ou trop peu le racisme différentialiste qui justifie son rejet de l’autre par la liaison entre culture et territoire. Le retournement du concept de différence a permis de trouver une nouvelle justification au racisme (biologique) disqualifié la Shoah. Ce néoracisme est culturel et différentialiste. La forme politique exacerbée de ce racisme est la notion de racisme « anti-français ». Les études universitaires ne mentionnent pas ou très rarement et de façon édulcorée cet aspect du racisme contemporain, les associations anti-racistes refusent souvent de voir les dégâts provoqués par une utilisation réactionnaire du relativisme culturel.

Autre symptôme français : l’attitude paternaliste de certaines pratiques associatives, attitude que l’on retrouve dans les difficultés de certains courants militants à admettre que les sans-papiers et sans-papières (ou autres) soient maîtres de leur lutte. La notion du « cas par cas », devenu parrainage républicain, permet de continuer le clientélisme.

La fermeture des frontières a été décidée et mise en oeuvre au niveau de l’Europe. Il faut souligner le rôle moteur et très et en pointe des différents ministres de l’Intérieur français en la matière (accords de Schengen, de Dublin, etc.). Tout ceci s’est traduit par la création et la mise en service des fichiers Schengen (SIS) avec les titres de séjour afférents. Quelques conséquences de cette politique sont à souligner :
1 / Le déplacement de la frontière vers les pays de départ, parce que la responsabilité des transporteurs est engagée. Ils ont la charge de ramener au point de départ une personne qui n’est pas acceptée en Europe, et peuvent être condamnés à des amendes pour ce fait. Ce qui veut dire que les compagnies aériennes sont devenues les auxiliaires de la police.
2 / La personne qui entre dans l’espace Schengen a le doit de faire sa demande de droit au séjour une seule fois dans le pays où elle arrive. Ensuite la frontière est virtuellement partout en Europe, puisque le séjour irrégulier est un délit activement surveillé et fortement réprimé.
3 / La mise en place des zones d’attente, où les conditions de vie ne sont pas en accord avec le respect des droits élémentaires des humains.
4 / Les expulsions par la violence des personnes à qui on refuse le droit d’entrée.
5 / La limitation au minimum du droit d’asile dont le refus du droit d’asile aux femmes victimes du machisme (violences, mariage forcés, excision, etc..), le refus de l’asile pour raison écologique, ou encore quand la personne n’est pas persécutée par son propre État.

L’Europe, et la France en particulier, est une la société de surveillance où tous les moyens techniques sont utilisés (vidéo, informatique notamment). Le croisement des fichiers (CAF, Assedic, Hôpital, Éducation nationale, Sécurité sociale, Impôts, Visas, etc.) est une méthode efficace pour surveiller et découvrir les personnes qui sont en situation illégale. Pour mettre en oeuvre tout ce dispositif les institutions ont besoin d’auxiliaires de police. Ce sont notamment les institutions de santé, les administrations sociales, l’Education Nationale. Il existe peu de résistance à cette demande, une indifférence et trop souvent une collaboration active.

Malgré cette réalité, « les droits de l’homme » sont une référence forte. Cet écart entre le réel xénophobe et la bonne conscience pose question. On constate qu’il s’agit d’une croyance ancrée dans notre histoire française et ses mythes (Révolution Française, la France porteuse de civilisation de Napoléon à Jules Ferry, l’anti-fascisme issu de la seconde guerre mondiale). Cette croyance produit une illusion que l’on retrouve tout le temps avec une insistance particulière sur l’antifascisme de façade. Cette attitude explique la position de la France vis à vis de l’Autriche en ce moment. Un autre aspect de notre réalité mentale est le goût des commémorations. Commémoration des deux cents ans de la Révolution de 1789, commémoration de l’abolition de l’esclavage, commémoration de l’Édit de Nantes avec l’idée de tolérance. Nous sommes face à une fiction réussie et efficace ; un mythe qui a pris son autonomie. La construction de tout cet ensemble a pour résultat une normalité qui donne une bonne image d’elle-même à la société française, un imaginaire sur le bord du symbolique à propos du réel, selon la psychanalyse lacanienne. On peut constater que nous (anti-racistes) avons la même référence que les maîtres. Ce qui est critiqué c'est la mauvaise application de cette référence. N’est-ce pas un cercle de fer qui bloque toute avancée, étant donné que la référence est identique pour ceux qui décident, mettent en oeuvre la xénophobie d’Etat et pour les personnes, les regroupements qui luttent contre elle ?

La réalité de l’impérialisme français est incontestable, mais la société française adhère sans problème à l’humanitaire et aux ONG. La notion de développement durable ferme le cercle. Les ambassades surveillent le risque migratoire pour les visas, les mariages. Le système est informatisé de façon mondiale (ce système est présenté comme une réussite technique française et proposé à la vente aux autres États). Il s’agit d’une continuité avec la longue pratique de la France comme puissance coloniale et esclavagiste, capable de donner des statuts différents aux populations qu’elle annexe ou de remettre en cause l’abolition de l’esclavage (Napoléon aux Antilles) et de laisser mourir Toussaint Louverture en déportation au Château de Joux (pour une personne originaire d’une région au climat chaud, le froid du Jura une méthode de mort lente qui est assez comparable aux méthodes modernes de nos prisons actuelles : peu de soins pour le sida, isolement mental et affectif, abrutissement progressif aux neuroleptiques, etc.). Les essais nucléaires français ont été faits en Algérie puis à Mururoa, jamais chez nous en France.

Le refus de la multiculturalité, comme figure du communautarisme à bannir, est un argument permanent. La politique française insiste de façon continuelle sur l’assimilation républicaine comme mode d’intégration. Ceci prend appui sur la culture politique et refuse de prendre en compte les cultures variées des différentes populations constituant notre société, l’universalisme abstrait des Lumières fonctionne encore.

La notion de xénophobie d’Etat est un qualificatif refusé, car il s’agit de la souveraineté inaliénable d’un État, du droit de cet État à contrôler les personnes qui franchissent sa frontière. La notion même de « sans-papiers » ou « sans-papières » est en soi une question au droit international. Ceci nous interroge sur l’entreprise internationale d’archivage des identités humaines, entreprise qui montre que l’on se retrouve rarement sans-papiers, parfois sans avoir avec soi le bon papier certes, ou ayant perdu nos papiers (ceux-ci peuvent avoir été détruits, être détruits pour de multiples raisons), mais toujours fiché-es ou archivé-es quelque part. Pour combler le vide éventuel, il a été créé une case spéciale, celle des apatrides, notion et catégorie qui existe comme telle dans le grand archivage des nations et des individualités. Ceci démontre que l’égalité et le statut inégal est indexé directement à la gestion étatique du statut des personnes et des populations (ce que Michel Foucault nomme « biopolitique »).

Un autre symptôme à relever est celui de la difficulté ou de l’impossibilité du débat sur la liberté de circulation. Cette notion est admise du point de vue libéral (comme version politique de la défense du capitalisme) pour notre prospérité ou pour pallier à nos difficultés. Si nous avons besoin de chercheurs-euses, de diplomé-es en médecine, d’informaticien-nes, de champion-nes en sport pas de problème pour le droit au séjour. Nous avons besoin de main d’oeuvre dit le Medef, d’un apport de population jeune qui cotiserait et travaillera pour payer nos retraites, disent les journalistes et les personnes bien intentionnées.

Les images prédéfinies sur le Sud, en particulier l’Afrique, sont toujours les mêmes : famines, guerre ethnique, dirigeants corrompus, etc. L’opinion pense évidemment qu’il n’y a pas grand chose à faire pour ce continent, si ce n’est un peu d’humanitaire pour sauver les corps et surtout ne rien changer aux rapports Nord / Sud.

Nous sommes dans un pays riche où il existe une corruption passive. Par exemple les ouvriers d’Elf se mettent en grève quand leur statut est menacé en France, mais ne bougent pas quand il y a un problème en Afrique. La version postmoderne de la soumission volontaire énonce sans honte : « finalement on n’est pas si mal ici ! »

Tout ce qui relève de la culture politique est fondamental. Le FN est en baisse, donc il n’y a plus de danger de ce coté là pensent les politiciens. Les énonciations sont toujours très surveillées, le moindre soupçon d’antisémitisme chez un ou une écrivain-e est immédiatement dénoncé. Mais ce qui relève de la pratique, de la vie sociale est moins surveillé, voire pas du tout, donc secondaire. Les idées racistes sont toujours là, elles progressent insidieusement (« nous n’avons pas les mêmes valeurs » est devenu un énoncé banal). La multiculturalité existe de fait dans notre société et c’est net au centre même de notre pays, dans notre capitale : Paris. L’exotisme de la musique est bien intégré à la culture de ce temps, la cuisine aussi , les décors, l’habillement empruntent souvent des thèmes aux cultures des personnes étrangères ou d’origine étrangère.

Notre société fait preuve d’un narcissisme collectif puissant, une conscience de soi pleine de certitudes, une estime de soi très élevée. Estime de soi qui se manifeste du point de vue politique ou par un esprit de supériorité, une attitude névrotique, une peur politique maniaque, mais une acceptation pratique du racisme. Est-ce une ambivalence ? Quel désir de l’autre révèle cette attitude ? On veut réduire l’altérité à du même, donc on refuse la part de l’autre en soi (cf Daniel Sibony, Le « racisme » ou la haine identitaire) et en même temps on vit avec lui. Le désir du maître veut bien de l’étranger-ère, mais à condition que cette personne reste à une place inférieure, soumis-e, expulsable, bouc émissaire, corvéable, surveillé-e, contrôlé-e, assimilable donc acculturé-e, etc. Il désire cela tout en voulant garder une bonne image de lui-même, en restant imbu de lui-même. La société française ne veut pas savoir ce qui se passe en Afrique, elle a même attitude face à l’Afrique que les autrichiens avec leur passé nazi (cf François-Xavier Verschave, Noir silence).

N’est-ce pas là du cannibalisme mental agrémenté d’un zeste de compassion charitable ? Nous adorons faire la leçon aux autres, nous avons participé à l’invention des jésuites et nous savons dire aux autres ce qu’il faut faire et ne pas appliquer ces mêmes principes chez nous. Un dicton populaire se moque des maîtres en disant qu’ils veulent « le beurre et l’argent du beurre ». N’est-ce pas ce qui se passe ici pour la société française. La domination nous la gérons, nous en profitons tout en gardant une bonne conscience de nous-mêmes. Il apparaît que nous sommes plongé-es dans la même opération idéologique que celle qui énonce et utilise la transparence pour mieux asseoir le règne de la domination (cf Michel Surya, De la domination, Le capital, la transparence et les affaires).

Il me semble qu’il s’agit là d’un bel exemple de « soumission dans la tête », si on accepte l’expression de François Brune dans le Monde Diplomatique de Mars 2000. En bref : une domination mentale qui fonctionne bien !

Philippe Coutant Nantes le 7 Mai 2000


François Brune http://larbremigrateur-fb.blogspot.com