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Cent ans de féminisme
Sophie Bessis


"J’ai longtemps hésité à écrire un livre sur la femme. Le sujet est irritant, surtout pour les femmes".
Simone de Beauvoir, écrivaine française (19082986)

Tout au long du XXe siècle, des femmes ont bataillé pour leurs droits. Au cours des dernières décennies, leur combat est devenu vraiment mondial. Il continue, partout.

On entend souvent dire que le xxie siècle sera celui des femmes, tant a été rapide l’évolution de leur condition dans les dernières décennies de celui qui s’achève. S’il est bien tôt pour confirmer cette prédiction, on ne prend guère de risques en affirmant que le XXe siècle aura été celui de leur combat pour sortir du foyer, où l’ancestrale division sexuelle des rôles les avait confinées. Partout dans le monde, il a été rythmé par les luttes que les femmes ont menées pour acquérir les droits dont elles étaient privées et pour construire — avec les hommes — l’avenir de la planète.
Certes, l’Histoire avait déjà connu de telles luttes, bien que ses versions officielles aient pris le parti de les occulter. Mais les brèves révoltes de cette «minorité» particulière, qui compte dans ses rangs plus de la moitié de l’humanité, n’ont nulle part changé la place des femmes au sein de leurs sociétés. Elles pouvaient régner sur la maison, bénéficiant parfois d’égards non négligeables; elles n’en restaient pas moins nées pour servir les hommes et mettre au monde la descendance de leurs époux.

Leur premier combat: l’éducation
Au XXe siècle en revanche, alors qu’elle paraissait figée, légitimée par tous les dieux ou par un ordre «naturel» tout aussi contraignant, la répartition traditionnelle des rôles commence à craquer de toutes parts sous le double effet de la modernisation du monde et des combats des femmes pour leur émancipation collective. Elles ont conduit bien des batailles pour obtenir progressivement, de conquêtes en régressions, une évolution de leur statut qui est loin d’être achevée.
Leur premier combat du siècle est celui de l’éducation. De France où la première bachelière sort du lycée en 1861, au Japon où la première université féminine est créée en 1900, à l’Egypte où les filles accèdent à partir de 1900 à l’école secondaire, ou à la Tunisie où la première école pour filles ouvre ses portes la même année, les femmes qui le peuvent s’engouffrent dans la brèche que l’instruction leur entrouvre. Pas seulement pour être de meilleures gestionnaires du foyer et de bonnes éducatrices de leurs fils, comme le suggèrent les discours dominants de l’époque, mais pour faire autre chose que ce qu’elles ont toujours fait, pour investir l’espace public et accéder aux sphères qui leur sont interdites, de l’exercice de la citoyenneté à celui de la politique.
Tout au long du XXe siècle, les femmes ont mené leurs luttes sur deux fronts, se battant pour obtenir des droits et participant aux grands mouvements d’émancipation sociale et politique qui l’ont ponctué. Croyant au pouvoir libérateur de ces derniers, elles n’ont souvent repris leurs combats spécifiques que quand les nouveaux maîtres de leurs pays les renvoyaient dans leurs foyers. De la Russe bolchévique Alexandra Kollontaï, première femme à faire partie d’un gouvernement en 1917, à l’Américaine noire Rosa Parks qui refuse en 1955 de céder sa place à un Blanc dans un autobus d’Alabama, déclenchant le mouvement des droits civiques, ou à Djamila Boupacha, héroïne de la guerre algérienne d’indépendance, elles ont pris part à toutes les luttes qui ont voulu mettre fin à toutes les oppressions, dont la leur, pensaient-elles. L’intimité qu’elles ont entretenue avec les révolutions a, toutefois, rarement payé les femmes de retour, et c’est en se battant sur le front de leurs propres droits qu’elles ont, en fait, engrangé leurs plus grandes victoires.

Lutte pour le droit de vote
Les premiers mouvements féministes, qui apparaissent en Occident dès la fin du XIXe siècle, concentrent leurs actions dans le domaine du travail et des droits civiques. L’industrie a besoin d’une main-d’œuvre féminine qu’elle sous-paye par rapport à leurs homologues masculins. A travail égal, salaire égal, revendiquent les ouvrières américaines et européennes qui commencent à créer leurs propres syndicats et à multiplier les grèves. Si les progrès sont indéniables, on sait qu’après plus d’un siècle de batailles, l’égalité des salaires n’est pas encore acquise pour la majeure partie des femmes du globe.
Le second mot d’ordre des pionnières du siècle concerne la participation à la vie civique, qui passe d’abord par l’obtention du droit de vote. La lutte est longue pour l’obtenir. Elle est parfois violente, comme celle des «suffragistes» britanniques qui descendent dans la rue pour tenter de l’arracher, ou des Chinoises, qui envahissent en 1912 le tout nouveau Parlement pour le réclamer. Acharnées partout, les résistances du monde politique cèdent progressivement devant la détermination des mouvements de femmes.
C’est dans les pays scandinaves qu’elles deviennent le plus tôt, dès 1906 en Finlande, électrices et éligibles. La Première Guerre mondiale les ayant propulsées sur le devant de la scène, la plupart des Européennes obtiennent le droit de vote en 1918 et en 1919. Les Françaises et les Italiennes doivent attendre les lendemains de la seconde pour être enfin des citoyennes. Hors d’Occident, les femmes s’organisent aussi pour réclamer des droits. En Turquie, en Egypte, en Inde, des associations féminines voient le jour. En 1930, le premier congrès des femmes d’Orient se réunit à Damas pour revendiquer l’égalité. Durant toute cette période, des femmes proclament partout que, hors la maternité, elles veulent être «des hommes comme les autres» et que les hommes, les vrais, ne sauraient leur dénier ce droit.

Retrouver la maîtrise de leur corps
La Seconde Guerre mondiale et les luttes de libération dans le Tiers-Monde font passer un temps au second plan leurs combats spécifiques. L’heure est aux luttes contre le fascisme, puis contre le colonialisme, qui mobilisent toutes les énergies. Des femmes s’y distinguent, ce qui ne suffira pas à établir les droits de leur sexe. Le monde continue pourtant de bouger. Avec les indépendances, de nombreuses femmes du Sud accèdent à l’école, au travail salarié et certaines, exceptionnellement, au monde fermé de la politique. Dans les pays occidentaux, l’après-guerre les voit investir massivement le marché du travail. Le décalage est de plus en plus considérable entre les réalités et des lois discriminatoires défendues par des pouvoirs exclusivement masculins.
Modernité oblige, c’est encore en Occident que naît, dans le sillage du mouvement libertaire de 1968, la seconde génération du féminisme. Reprenant le flambeau des aînées, elle élargit leurs revendications. Car les féministes fin de siècle n’aspirent plus à être «des hommes comme les autres». Contestant au «mâle blanc» sa prétention à représenter l’universel, elles ont pour ambition de devenir égales en demeurant des femmes. Né dans la classe moyenne américaine, le Mouvement de libération des femmes (Women’s Lib ou MLF) veut leur rendre la maîtrise de leurs corps. L’heure est à la lutte pour le droit à la contraception et à l’avortement dans les nombreux pays où l’une ou l’autre sont interdits, à l’autonomie, à l’égalité au sein du couple. «Le privé est politique» affirment les femmes en se réclamant du marxisme et de la psychanalyse. «Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes?» scandent les manifestantes des années 70 dans les rues de Paris. En France, la loi Veil qui autorise l’avortement déchaîne les passions en 1974.
S’ils provoquent l’hostilité de nombreuses femmes du Tiers-Monde qui ne se reconnaissent pas dans ces combats «d’Occidentales» et veulent mener leurs propres luttes à leur rythme, les mouvements féministes ont toutefois donné un second souffle aux luttes des femmes dans le monde. Prenant acte des évolutions et proclamant leur intention de les accélérer, les Nations unies font de 1975 «l’année de la femme» et organisent à Mexico la première conférence internationale qui leur est consacrée.
Déjà proclamée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, l’égalité des sexes est réaffirmée par la Convention internationale de 1979 sur l’abolition de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui devient un précieux outil d’émancipation au Nord comme au Sud. Au fil des conférences organisées par l’ONU, à Copenhague en 1980, à Nairobi en 1985, à Pékin en 1995, femmes du Nord et du Sud trouvent des terrains d’entente, pour réclamer «un enfant si je veux, quand je veux» en refusant les injonctions des natalistes comme des malthusiens, pour revendiquer leur place dans des instances politiques qui décident sans elles de l’avenir du monde, pour lutter contre les régressions religieuses qui menacent leurs modestes conquêtes.

Misogynie de la classe politique
Bien sûr, le combat des Koweïtiennes à qui l’on refuse le droit de vote ou des Indiennes contre l’infanticide des filles in utero ne peut être le même que celui des Américaines contre leurs fondamentalistes ou des Françaises contre la misogynie de leur classe politique. Empruntant des cours différents d’un continent à l’autre, n’ayant pas forcément les mêmes priorités, la lutte des femmes n’en est pas moins devenue mondiale au cours des dernières décennies. Depuis un quart de siècle, elles ont accru leur présence dans les espaces publics dont l’accès, cependant, ne leur est pas encore franchement ouvert. De l’Afrique à l’Asie, leurs organisations se sont multipliées et ont acquis de l’expérience.
Mais leurs victoires restent incomplètes et l’avenir incertain. Du cauchemar des femmes afghanes aux résistances à l’égalité qui se manifestent dans les pays dits les plus avancés, les obstacles qu’elles rencontrent indiquent le chemin qui reste à parcourir. En verront-elles le terme au cours du siècle qui commence, et qui est censé être le leur?


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