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INTRODUCTION A CASTORIADIS



Eléments biographiques:


a) Une visée encyclopédique.

Ce qui fait de lui un homme à part, c’est l’extrême diversité de ses champs d’intérêt et sa tentative encyclopédique de relier entre eux, dans son œuvre, les différents champs de son existence et du savoir en général. Politique, Philosophie, Epistémologie, Art, Psychanalyse: son objectif, "penser tout le pensable".

b) Politique et philosophie.

1922-1997. Né en Grèce.: Précoce. Etudes de Droit-Economie-Philosophie à Athènes. Trotskiste contre le stalinisme chauvin du PC grec (recherché par les nazis et le PC). Arrive fin 1945 en France grâce à une bourse pour finir sa thèse de Philosophie. Crée avec Claude Lefort un groupe qui scissionnera de la IVème Internationale et qui deviendra Socialisme ou Barbarie: mouvement qui va remettre en cause les fondements théoriques du marxisme pour conserver l’idéal révolutionnaire d’une société juste: action politique et réflexion philosophique. Son statut de fonctionnaire international en tant qu’économiste à l’OCDE le protège (condamné par contumace en Grèce) et le contraint à l’anonymat jusqu’en 1971 (Pseudos: Cardan et Chaulieu).

c) La psychanalyse.

Intérêt enfin pour la psychanalyse. Marié à Pierra Aulagnier, participe dans l’arrière-scène à la création du 4ème Groupe en 1969 (deux articles très critiques par rapport à Lacan). A partir de cette date, psychanalyste, philosophe, mais aussi épistémologue, historien. Directeur d’étude à l’EHESS où il a tenu un séminaire pendant 15 ans.

Eléments personnels
: je l’ai connu pendant les sept dernières années de sa vie. De professeur, c’est devenu un ami. C’est surtout la personne qui m’a formé intellectuellement. Qui m’a appris à lire un texte, à penser authentiquement. Je reviendrai dans la dernière partie de cet exposé sur la notion clé qui m’a permis de donner sens à ma vie (et à toutes ses activités): la notion d’autonomie. Les abréviations Pom et Rad sont de moi mais je me sens légitime à les utiliser car lors de nos discussions, Castoriadis les a employées à plusieurs reprises.

Eléments de cet exposé
: Introduire et résumer une œuvre immense en 30 minutes est impossible. J’ai donc choisi de vous présenter trois outils conceptuels forgés par Castoriadis, capitaux dans l’élaboration d’une métapsychologie psychanalytique actuelle: la POM, les RADs, l’Autonomie.

I. LA POM: MONADE PSYCHIQUE ORIGINAIRE: Origine du désir et schème de toute puissance.


a) Mise en évidence classique d’un noyau narcissique originaire.

En procédant régressivement à partir du fonctionnement de la psyché notamment inconsciente et en s’intéressant au narcissisme originaire et à ce que peut être la psyché infantile avant qu’elle ait mis en place une relation d’objet (donc avant l’existence pour elle d’une altérité), C. Castoriadis émet l’hypothèse de l’existence d’un noyau originaire de la psyché, qu’il appelle la Monade Psychique Originaire.

b) Un noyau narcissique et représentationnel.

Poursuivant les conséquences de l’analyse de Freud sur le narcissime où le premier objet de la libido est le ça-moi indifférencié, il en conclut que cet investissement narcissique originaire est nécessairement aussi représentation (autrement il ne serait pas du psychique) et il ne peut alors être rien d'autre qu'une "représentation de Soi" (pour nous inimaginable et irreprésentable). Le sujet psychique originaire est ce "phantasme" primordial: à la fois représentation et investissement d'un Soi qui est Tout. La monade psychique se résumerait donc dans l'équation:
Moi = Plaisir = Tout = modèle du "sens".
On a donc une instance originaire psychique qui se représente qu’elle est tout donc comme toute-puissante.

c) Nature de la Pom

La Pom est ainsi:dominée de part en part par un flux trivectoriel: Représentation, l'Affect, le Désir (RAD, Cf. II.).
A-rationnelle: elle ignore le temps et contradiction donc la réalité et la logique du monde extérieur, à l’instar du ça.
A-sociale : complètement égocentrée, elle ignore les autres et refuse le délai, l'attente, dans la satisfaction. En son sein, de plus, eu égard à sa constitution représentationnelle, le plaisir de représentation prime sur le plaisir d’organe. Le rêve, vecteur de représentations qui apportent une satisfaction hallucinatoire, en est la démonstration flagrante (Cf. la "toute-puissance magique de la pensée").

d) D’où hypothèse quant à l’origine du désir.

On peut comprendre par là l’origine du désir, de l’intentionnalité en général, Castoriadis la trouve donc là: dans le retour à la totalité monadique anobjectale originaire, plutôt que dans un mécanisme homéostatique ou dans l'expression d'un minimax (maximisation des gains, minimisation des pertes) tourné vers l'à-venir. Racine de tout désir humain: retrouver la totalité perdue de la Pom.

e) Car la Pom est brisée…

En effet, cette monade, à moins de rester en deçà même de la psychose dans la compréhension du rapport à la réalité, doit subir un processus de socialisation pour devenir un individu social. Ce processus est forcément une imposition violente de quelque chose qu'elle refuse et continuera à refuser jusqu'à la mort (moyennant quoi, le rêve, et, pour Castoriadis, des phénomènes comme le racisme...).

f) Nature du processus de brisure.

Castoriadis reprend dans la description qu’il fait de la socialisation de la POM les éléments traditionnels de la psychanalyse génétique et notamment l’analyse de Mélanie Klein sur l’introjection-projection du sein (expulsion du mauvais sein à l’extérieur, qui fait reposer la constitution de l’extérieur sur la polarité bon/mauvais).

g) Projection pomique sur la mère.

Mais l’attention portée à la notion de toute-puissance de la POM originaire éclaire d’aspects nouveaux cette analyse: car c’est aussi le schème pomique de toute-puissance qui va être reporté sur la mère. L’advenir de ce schème désormais extériorisé peut avoir des conséquences sociales majeures (notamment religieuse) si elle reste en l’état.
Le face-à-face avec la mère dont l’emprise est quasi-totale, pomique justement!, du fait que généralement c’est elle qui nomme, certes le monde extérieur, mais aussi et surtout le propre monde de l'enfant, ses affects et, en tant qu'ils sont nommables, ses désirs, ce face-à-face instaure une atmosphère où il n'y a pas d'altérité de personne. il doit être brisé par une tierce personne: le Père.

h) Et brisure de cette projection par le père.

Le Père, ou son tenant lieu, doit briser ce face-à-face en montrant à l'enfant
Que la Mère n'est pas son objet et qu'elle désire quelqu'un d'autre.
Il doit aussi signifier à l'enfant qu'il n'y a pas de "maître de la signification", que celle-ci est à chaque fois instituée et ne dépend d'aucune personne en particulier: il a donc pour rôle de renvoyer à la collectivité anonyme des Pères. Le Père n'est pas la source absolue du pouvoir, il est institué dans sa place de Père en tant qu'il est un parmi d'autres Pères, qui tous sont réglés par une loi collective, par l'institution de la société. C’est lui qui précisément doit à nouveau extérioriser la toute-puissance du couple mère-enfant en destituant ce schème, en le soumettant au principe de réalité. Ainsi, la projection pomique sur la mère est à son tour brisée.

Conclusion: Ce qui s’oppose à la société, ce n’est en fait pas l’individu (comme le fait la tradition politique libérale) mais la Pom, instance inaliénable première par rapport à ce que sera l’individu, fruit de la socialisation de cette Pom. L’apport de la psychanalyse à la politique relève d’abord et avant tout de l’élucidation des mécanismes de socialisation de cette monade et des requisits de cette dernière dans le but de participer à la création d’individus autonomes.
Piste de recherche possible: lien entre Pom et constitution d’un narcissime secondaire moïque pendant l’enfance.

II. RAD: REPRESENTATION-AFFECT-DESIR


a) Travers épistémologique.

La science a besoin, pour progresser, d'isoler des entités au sein des phénomènes qu’elle observe. Il lui arrive parfois, à la suite de cette nécessité, de substantialiser ces séparations en inférant de l'existence des mots traditionnels de son histoire, l'existence des choses ou en leur transmettant leurs caractéristiques. Ainsi en est-il d’après Castoriadis du flux psychique pour lequel il est arbitraire, comme le fait la tradition philosophique et psychologique (psychologie des facultés), de dissocier Représentation, Affect et Désir. En effet:

b) Indissociabilité.
Il n'existe pas de représentation sans affect (représentation est à prendre ici en un sens très large: elle n'est pas nécessairement visuelle ou informée par les sens ; les représentations de mots, conceptuelles ou imaginatives sont des représentations tout comme les représentations procédurales, les savoir-faire).
Il n'existe pas d'affect sans support d'une représentation (chaque affect appelle une/des représentation(s) pour être simplement représentable). Par affect, il faut entendre ici un indice (positif, négatif ou neutre) qui value la représentation. Qui dit affect dit minimax donc désir/répulsion induit(e). Toute représentation est donc indicée d'un affect qui induit un désir. Prenons un exemple: pour ma part, la représentation du chocolat à plus de 70% de cacao est indicée d'un affect très positif qui de ce fait induit un désir. Après l'ingestion d'une tablette entière, l'affect devient neutre ou négatif entraînant l'absence de motion ou une nauséeuse répulsion. Il n'y a donc pas au sein de la psyché d'un côté des représentations, de l'autre des affects et d'un autre encore des désirs. Mais un flux d'unités RADiques (Représentations/Affects/Désirs), chaque RAD étant elle-même composée de RADs

Exemple : la rad de la tablette de chocolat avant son ingestion renvoie à des rads gustatives (affect très positif), odorantes (bof sauf le 70% de Lindt), tactiles (beurk, ça poisse), abstraites (UNE tablette), formelles (rectangle), passés (la tablette dont j'ai été privé petit), passé inconsciente (je vous laisse trouver pour moi) etc, etc, etc. L'addition des affects de ces rads constitutive en situation formera la rad finale qui déterminera si je me précipiterai ou non sur la tablette. Cette addition est très formalisable et c'est en cela qu'elle a un intérêt.

c) La Pom, Rad primordiale.

En cas de conflit entre deux RADs, sera agie celle qui comporte un affect supérieur à l'autre. On retrouve notre Pom de départ: l'arithmétique radique est donc régie par la maximisation des gains pomiques.

d) Et la socialisation…

Le problème vient de ce que la quasi-totalité des RADs est affectée socialement, conséquence de la socialisation de la Pom. La psyché reçoit des RADs pré-affectées, dotées d'une valeur par la société dans laquelle elle est socialisée. L'affect est donc moins l'expérience du jugement porté sur une représentation que l'indice qui y est accolé, indice dont l'origine n'est que rarement le fait de l'individu. L'affect ainsi défini est donc synonyme de " valeur ". La création de l’individu se fait précisément par l’absorption par la psyché de ces rads sociales.

Conclusion
: l’individu créé après la socialisation de la psyché est, en grande partie, un effet de la socialisation, une pure création sociale.. Se méfier des pentes glissantes du langage et des catégories du langage en oubliant que c’est un regard extérieur qui vient distinguer des entités au sein du fonctionnement homogène de la psyché.

Pistes de recherche
: formalisation de l’arithmétique radique, dissociation de l’affect en deux sous-unités (indice et émotion), recherche sur les processus d’affectation.

III. L'AUTONOMIE: fin de l’analyse et projet politique


a) Se donner à soi-même sa propre loi.

L'autonomie, ce n'est pas "chacun fait ce qui lui chante". L'autonomie, c'est l'autolimitation (auto/soi-même, nomos/loi), s'imposer sa propre loi. La Loi contient l'idée de généralité, d'universalité. Participer à l’élaboration des contraintes non-physiques qui nous régissent. Se joue donc sur deux plans: autonomie individuelle et autonomie collective qui toutes deux sont indissociables: elles apparaissent historiquement en même temps avec la radicalisation de deux procédés: l’élucidation et la délibération (Philosophie et Démocratie du Vème siècle grec avant J.-C. puis Renaissance). La mise en cause des mythes de la tribu conduit à découvrir le caractère auto-institué de la société. Il y a là un parallèle avec le chemin d’une analyse où le sujet remet en cause les désirs mythes de sa famille dans un processus d’élucidation réflexive et dans la délibération (au sein des instances), la médiation par la parole, afin de choisir ses "lois".

b) La fin de l’analyse.

La fin de l'analyse c’est l'autonomie du sujet qui n'est autre que l'instauration d'un autre rapport entre l'instance consciente et la psyché inconsciente, permettre au patient de faire la distinction entre son(ses) fantasme(s), et la réalité sociale.

c) Cette fin n’est cependant pas la mort de l’inconscient pomique.

Il ne s'agit pas d'assécher un "inconscient-marais". L'inconscient, c'est, pour Castoriadis – et on retouve ici une détermination centrale de la POM - l'imaginaire radicale, c'est la source de tout ce que nous aurions de personnel et de singulier. Pour Castoriadis, il faudrait donc ainsi compléter le "Wo es war, soll ich werden" (là où c’était, je dois advenir) de Freud par un "Wo ich bin, soll es auch auftauchen" (émerger, faire surface).

d) Conditions de possibilité d’une telle analyse.

La capacité d'affecter des rads en son nom nécessite un gros capital narcissique libre, une capacité à assumer l'authenticité de son sentir. Ne pas être sous le coup d'un devoir de respect surmoïque tel qu'il rende impossible toute affectation personnelle : avoir une POM qui se met sur le pied d'égalité de ses parents, de l'autorité. Qui s'affirme comme légitime pour participer à l'élaboration de la loi. Collective en politique. Personnelle en analyse. C’est cela au fond, l’autonomie.

e) Fin de l’analyse.

La fin de l'analyse c’est donc un individu suffisamment pomique pour être: Capable d'appréhender - l'origine extérieure de ses rads
- les contradictions pomico-radiques entre ses rads propres et les rads reçues ou entre des rads reçues d'origines différentes (Le père : tu seras ceci mon fils. La mère : tu seras cela mon fils). Capable d'affecter des rads (et pas simplement véhiculer des rads reçues) en son nom.

f) Fruit de cette analyse conjointe.

La fin de la Politique est, comme la Psychanalyse, la création d'individus autonomes. La société n'est rien sans ses individus. La société démocratique doit s'incarner dans des individus démocratiques. La Psychanalyse vise l'autonomie par le champ individuel dans un rapport inter-subjectif. La Politique vise l'Institution. La psychanalyse en mettant au jour le caractère de pure création sociale de l’individu montre combien la socialisation est capitale (l’éducation est le moment privilégié de celle-ci). La transformation de la société implique la transformation des individus et réciproquement. L'une et l'autre vont de pair.

g) Condition ultime de l’autonomie.

Mais l'autonomie ultime pour l'individu est l'acceptation de la Mort.
Pour la société, cela signifie reconnaître qu'il n'y a aucune garantie du sens, de la norme; qu'il n'y a pas de sources du sens autres que sa propre activité; que ses institutions, c'est elle qui se les donne et elles sont donc, comme elle, périssables et non éternelles. Ce n'est que dans la mesure où elle reconnaît cela qu'une société peut accepter la contingence ultime de toute signification et de tout sens.

Pistes de recherche
: l’élaboration du contenu d’un programme politique "autonome". L’implication dans la pédagogie.

Conclusion
: un très grand dont l’œuvre reste à élucider, à délibérer… pour poursuivre le projet d’autonomie.

MOT-CLES
Autonomie: Auto (soi-même), nomos (loi): choisir, participer à l’élaboration de ses lois.
Ensidique: ensembliste-identitaire, strictement déterminé et formalisable.
Institution: A la fois l’acte d’établir, de fonder et la chose instituée, notamment l’ensemble des formes et structures sociales qui s’imposent et se perpétuent du fait de Rads imaginaires (Significations Imaginaires Sociales).
Magma: ce dont on peut extraire des organisations ensidiques en nombre indéfini mais qui ne peut être reconstitué par recomposition ensidique de ces organisations.
POM: Monade Psychique Originaire (Psychic Originary Monad)
RAD: Représentation-Affect-Désir


POUR ALLER PLUS LOIN
Le Contenu du Socialisme, 10/18, 1979, p. 441
L’Institution Imaginaire de la Société, 1975, Seuil, p. 504
Le Monde Morcelé, Les Carrefours du Labyrinthe III, Seuil, 1990, p. 280