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Le foulard islamique est un voile sur la vie
par Adonis

Origine : http://www.manifeste.org/article.php3?id_article=13

Il n’existe [dans le Coran ou les hadith] aucun passage univoque qui impose le voile à la femme musulmane, comme le voudraient les fondamentalistes. Il s’agit tout au mieux des lectures du texte.

Est-il donc acceptable, sur le plan de la religion, que des interprétations aient force de dogme et de loi ? Le voile reste un point de discorde. De quel droit, ou de quelle autorité, certains imposeraient-ils leur interprétation à tous, et iraient-ils même jusqu’à utiliser la violence contre les femmes et contre tous ceux qui ont un avis divergent du leur ? Contre la société tout entière ?

Si l’affaire du voile est une longue histoire dans les sociétés musulmanes, qui sont en général des sociétés traditionnelles et par là même éprouvent des complexes facilement explicables, la position des fondamentalistes musulmans dans les sociétés occidentales suscite des crises qui nuisent fortement, à titre individuel, aux musulmans qui y vivent. Et qui nuisent aussi à l’islam lui-même en tant que vision de l’homme et du monde. Le premier principe que devraient respecter les musulmans émigrés, particulièrement ceux qui ont obtenu la nationalité du pays dans lequel ils vivent, est d’établir une nette distinction entre ce qui est du domaine du public et ce qui relève du privé. Les musulmans qui insistent sur le port du voile doivent savoir que leur insistance même signifie qu’ils ne respectent pas les sentiments des gens avec lesquels ils vivent dans une même patrie, qu’ils n’adhèrent pas à leurs valeurs, qu’ils attentent à ce qui fait la base même de leur vie en société, qu’ils se moquent des lois pour lesquelles ces gens ont longtemps lutté, et qu’ils refusent les principes de la démocratie républicaine dans les pays qui les ont accueillis et leur offrent travail et liberté.

L’ISLAM NE DOIT S’AFFICHER QU’À LA MOSQUÉE

Certains prétendent que la femme musulmane en Occident choisit le voile, et qu’elle est seule à décider de le porter, en toute liberté. C’est là un argument qui demanderait à être longuement discuté. Mais, lorsqu’on voit à Paris, par exemple, des petites filles voilées qui n’ont parfois pas plus de 4 ans, peut-on vraiment prétendre qu’elles portent le voile par leur seule volonté ? Plus profondément, pourquoi les musulmans fondamentalistes émigrés en Occident ne voient-ils dans l’ouverture de leurs pays d’accueil qu’un moyen d’annoncer à tous leur enfermement et leur isolement, leur émigration à l’intérieur même de l’immigration ? Ils ne sont pourtant présents dans ces pays que grâce à leur ouverture. C’est pour cela que, lorsqu’ils expriment leur croyance, par le port du voile ou de la barbe, ils attentent en premier lieu à l’islam en le réduisant à de superficielles questions de forme. Ils l’exposent à la face du monde comme un slogan en en faisant un simple rite formel.

Ceux qui appellent à l’imposition du voile ne représentent qu’une minorité parmi les musulmans en Occident, et même dans le monde arabe. Si le voile était réellement l’objet d’un choix démocratique, il tomberait totalement. Mais, au lieu de respecter la démocratie et ses principes, cette minorité agissante tente d’en nier les principes et d’imposer ses convictions par la force. Je ne vois pas comment une telle position pourrait être défendable, comment elle pourrait servir l’islam, ou comment elle pourrait en être une expression légitime. Quiconque étudie attentivement cette position fondamentaliste ne peut regarder ses partisans comme des hommes de religion, ou de simples êtres pieux. Ce sont des hommes politiques, engagés dans un combat politique. Musulmans et Occidentaux doivent traiter avec eux sur cette base : ils ne représentent pas la religion, mais un simple parti.

La mosquée est le seul endroit où le musulman a légitimité à se singulariser. C’est là qu’il exprime son "identité" religieuse en Occident (et cela devrait aussi être le cas dans le monde arabe). Toute pratique sociale ou publique à l’extérieur de la mosquée est une atteinte aux valeurs de la communauté. L’institution appartient à tous les citoyens : l’école et l’université, en particulier, sont des lieux de savoir commun. Des lieux ouverts à tous. Des lieux d’où doivent disparaître les signes extérieurs d’appartenance confessionnelle, les signes "distinctifs", quels qu’ils soient. Et nous ajoutons à ce que nous appelons "l’institution" la rue, les cafés, les lieux de rencontre, les cinémas, les salles de conférence, etc.

L’apparition de signes confessionnels distinctifs en ces lieux est une violation de leur sens et de leur mission mêmes. Une atteinte à l’appartenance à la communauté. C’est en fait le symbole d’un désir séparatiste. Il signifie : nous refusons l’intégration.

UNE INSULTE À L’HISTOIRE ET À LA CULTURE

Cette insistance à paraître différent a aussi un aspect théâtral et exhibitionniste, qui ne s’accorde pas avec le concept de religion. A la base de l’expérience religieuse, il y a une dimension intime, presque secrète, toute de simplicité, de pudeur, de silence et de retour à soi, très éloignée de ce culte des apparences.

Lorsque certains califes abbassides ont ordonné aux non-musulmans de porter des signes distinctifs, cela provoqua un vif mécontentement. C’était un signe de crispation et de recul. Et c’est la marche de la société qui annula bientôt ces mesures. Il est étrange et incompréhensible que certains musulmans en Occident insistent pour revêtir de tels signes distinctifs. Il y a dans cette insistance une insulte à leur histoire, une condamnation de leur culture et de leur présence dans le monde. A méditer le cas du voile, on s’aperçoit qu’il n’est pas une simple infraction à la loi et à la culture de l’autre, mais avant tout une insulte à soi-même. C’est un autre rapport à la vie, cette fois-ci dans les bras de la mort.

Pour conclure, je dirai que les interprétations religieuses qui imposent le port du voile à la femme musulmane dans un pays laïque distinguant le religieux du politique et affirmant l’égalité des droits et des devoirs entre les femmes et les hommes révèlent une mentalité qui ne se contente pas de voiler les femmes, mais désire profondément voiler l’Homme, la société, la vie dans son ensemble. Et voiler la raison.

Paru dans Courrier International n° 663 du 17 au 23 Juillet 2003
Extrait de AL HAYAT (Londres)