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LES RAPPORTS NORD / SUD
INTRODUCTION AU DEBAT
PAR ANDREE MICHEL


Ambitieux projet et difficile que d'élucider tous les problèmes que vous avez soulevés, [ le thème initial de la conférence-débat organisée par le Comité Malgré Tout était le suivant : "Les enjeux de quelques conflits dans le pourtour méditerranéen: Algérie, Bosnie, Palestine, Somalie, etc."].
Donc je vais simplement soulever quelques problématiques et enjeux, avec des divergences certaines entre les enjeux dans les conflits autour de la Méditerranée, mais aussi des convergences qui sont très grandes entre eux. Ceci, si on se situe dans une perspective non plus à l'échelle du pays concerné mais à l'échelle des relations Nord/Sud et en particulier des relations de l'Occident avec l'Orient et du problème des injustices et des inégalités dans cette relation Nord/Sud.

L'Algérie pays modèle

Je voulais commencer par l'Algérie, c'est un pays proche, je me sens très concernée. Aujourd'hui, l'Algérie est ravagée par une sorte de guerre civile. Toutefois jusqu'en 1980, c'était un pays qui était exemplaire tout au moins pour les pays du Tiers-Monde, qui voulaient s'émanciper. Il apparaissait comme un modèle auprès des démocrates dans les pays Occidentaux. L'Algérie était à la tête des pays non alignés, disait non au colonialisme, non à l'impérialisme, soutenait les peuples du Tiers-monde pour leur émancipation. En 1974, c'est l'Algérie qui a lancé l'idée du nouvel ordre mondial. Vous avez vu ce qu'est devenue cette idée, ce concept du "nouvel ordre mondial" lors de la guerre du Golfe. En 1975, c'est encore l'Algérie qui au cours d'un colloque des non-alignés lance l'idée d'un dialogue Nord / Sud.

Deuxièmement, ce pays est frappé par son industrialisation rapide et sa forte croissance économique. On disait que c'était un décollage exemplaire d'un pays du Tiers-monde. C'était un pays qui se disait socialiste, qui a nationalisé les compagnies pétrolières. L'Algérie estimait que les ressources naturelles devaient appartenir au pays qui les possédait. C'était donc déjà un coin enfoncé dans le colonialisme et l'impérialisme.

Ensuite on utilisait le pétrole comme une arme politique, en 1967, les Algériens ont commencé par nationaliser les petites compagnies américaines. C'était une mesure de rétorsion contre Israël. En 1971, c'est la nationalisation des gisements de gaz naturel et des transports terrestres d'hydrocarbures. C'est aussi la nationalisation des sociétés pétrolières françaises, dans la mesure où l'Algérie se réserve 51% des parts et laisse 49% à la France. Donc c'est vraiment une lutte anti-impérialiste, anticolonialiste qui se dessine dans cette politique.
En 1973, c'est le triplement du prix du pétrole ce qui permet ce développement de l'Algérie. Celle-ci était aussi citée pour les droits sociaux très élevés que les travailleurs avaient. Beaucoup de membres du F.L.N. avaient vécu en France ou avaient participé aux luttes syndicales. Quand ils sont revenus, ils ont pris la tête de l'UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens), ils ont tenu à ce que les travailleurs bénéficient de congés maladie, de garantie de l'emploi, de vacances, etc.
En contrepartie, Il n'y avait pas de démocratie politique telle que nous l'entendons dans les pays Occidentaux . Il y avait un seul parti : le F.L.N. Mais ce parti avait tout au moins au début un grand prestige puisque c'était lui qui s'était battu contre le colonialisme français.

Du modèle à la crise

Tout a basculé en 1986, cela a commencé vers 1983, mais le grand virage date de 1986. Rappelons qu'en 1973, les prix du pétrole avaient quadruplé à cause de la formation de l'OPEP, le baril était passé de 10$ à 17$ ce qui permettait de prolonger le débit de l'économie algérienne. En 1986, c'est la contre-révolution pétrolière et on voit se dessiner dans toute la relation Nord / Sud une lutte du pot de terre contre le pot de fer. En 1986, un rapport de la banque Paribas révèle que le prix du pétrole en dollars reste constant et proche de la moyenne historique depuis le début du siècle.

Autrement dit, le pétrole ne coûte guère plus cher aujourd'hui qu'en 1908, année de la découverte du brut en Perse par un ingénieur britannique et qui allait amorcer le développement pétrolier du proche Orient. J'ai découpé en avril 93 un petit article dans le Monde (rubrique économie) qui s'intitule "le pétrole quasi gratuit". En 1992, le prix du baril exprimé en dollar correspond à 4,2$ alors qu'il était à l'époque de 10$. Alors, il avait perdu en dollar constant la moitié de sa valeur, la moitié de son pouvoir d'achat. Donc c'est au milieu des années 80 que la crise économique et sociale qui couvait atteint l'Algérie de plein fouet. Evidemment, tout s'aggravera avec la crise mondiale et la guerre du Golfe.

On s'aperçoit à ce moment-là que la tentative d'Orienter l'Algérie vers la modernité s'est soldée par de nombreux échecs. Cette recherche de la modernité a été calquée sur le modèle Occidental et socialiste de l'industrialisation. Non seulement la relation Nord / Sud joue de différentes façons. Elle joue aussi par l'imposition acceptée parce que les gens des pays du Tiers-monde nouvellement indépendants se disent sûrs de pouvoir accéder au même développement que l'Europe Occidentale ou que la Russie soviétique de l'époque, donc on adopte le même développement. Tout a reposé sur le mythe de l'industrialisation.

Avec la chute des prix du pétrole, ce système a montré tous ses défauts. L'agriculture a été sacrifiée au profit de l'industrie. En conséquence, l'Algérie qui avait nourri la France de la révolution, est devenue dépendante du marché mondial et importe aujourd'hui à peu près 70% de son alimentation. Un exode rural sans précédent a gonflé les villes algériennes. On a construit des complexes sidérurgiques et métallurgiques très importants et on oubliait simplement les choses importantes comme l'habitat des Algériens qui souffrent d'une crise de logement effroyable et qui en souffraient au début des années 80; on oubliait de faire des instruments agricoles élémentaires comme des serpes, des faucilles pour les paysans qui en avaient besoin et qui vivaient d'une petite agriculture de montagne et familiale.

L'industrie algérienne d'autre part était incapable de produire des emplois pour répondre à la pression démographique de la jeunesse. Faute de formation professionnelle, l'industrie n'était pas compétitive, elle produisait des objets de qualité très médiocre et les usines ne tournaient qu'à 40% de leur capacité. Au regard de cela, l'Algérie essayait de se doter des symboles de la modernité et de la puissance. C'est à dire qu'elle a acheté un réacteur nucléaire à l'Argentine et un autre à la Chine. En 1991 on la soupçonna de se faire livrer de l'uranium par l'Irak pour construire la bombe atomique.

Voyez, il y avait un mimétisme qui commandait un certain développement de l'économie algérienne. Les services nécessaires à la population, services de logements à bon marché, de santé, de planning familial, d'éducation étaient inadéquats malgré les dépenses élevées d'éducation et de santé. Par exemple, il y avait un niveau élevé de dépenses éducatives et quand on regarde les budgets Algériens du début, il y avait une part très élevée consacrée à l'éducation, mais on ne s'occupait pas suffisamment de la formation des enseignants. De même, il y a eu prolifération des hôpitaux et des centres de santé qui s'accompagnaient de la pénurie d'infirmières et de personnels soignants.
En conséquence les grands malades venaient se faire soigner en France gratuitement parce qu'avant la crise pétrolière et la contre révolution pétrolière, l'Algérie payait tous les frais de déplacement et de soins des malades Algériens qui ne pouvaient pas se faire soigner en Algérie et devaient se faire soigner gratuitement en France. Moi-même, j'ai connu des familles qui étaient dans ce cas.

C'était donc l'échec d'une modernisation conçue en fonction d'un modèle et de conseils politiques et économiques Occidentaux ou socialistes. Je me rappelle que j'étais en Algérie un an après l'indépendance, il y avait énormément de conseillers français, trotskistes évidemment, ce n'était pas des conseillers pour un régime capitaliste, (mais c'est toujours le même modèle qu'il soit stalinien ou trotskiste ) ils prônaient le modèle industrialiste. C'était le modèle commun au régime socialiste tel que nous l'avons vu fonctionner en URSS et au régime capitaliste.
Alors, ce qui est en jeu, c'est un modèle de développement adopté par les pays du Tiers-monde. Le cas de l'Algérie est exemplaire là-dessus. C'est ce mode de développement qui est adopté par les pays du Tiers-monde en fonction du mimétisme à l'égard du développement Occidental et des pays socialistes et que les pays du nord ont d'ailleurs tout fait pour imposer parce que grâce à ce modèle de développement, ils peuvent continuer à assumer et à produire et à renforcer leur domination.

Alors voyons les conséquences dramatiques que cela a engendré du côté algérien et au contraire pour les états du nord. Pour l'Algérie, pour le peuple algérien, cela s'est traduit par une économie de gâchis qui était masquée par les prix du pétrole et qui s'est dévoilée au moment de cette crise; économie de gâchis bâtie aussi sur des passe-droits, des pots de vin, la corruption. Une nomenclature s'était enrichie grâce à ces importations d'usines clef en main au dépend des pauvres. D'énormes inégalités sociales s'étaient créées sacrifiant les besoins essentiels de la population. Il en résultait évidemment une grande frustration des classes populaires qui constataient la croissance de l'écart entre son niveau de vie qui se dégradait un peu plus et celui de ses dirigeants.

La montée de la répression et de l'islamisme

Sur cette insistante demande de démocratisation, cette nouvelle nomenclature qui est au pouvoir détourne l'attention du peuple des injustices en encourageant les islamistes. Cela a commencé très tôt. Les islamistes investissent les écoles et les universités qui sont devenues des terrains de manipulation et de propagande. Le pouvoir politique entame une réforme de la langue, l'arabe devenait la langue officielle ce qui est tout à fait légitime dans un pays arabo-musulman, mais ce pays, certains le disent berbère. Mais seulement on applique cette réforme à la hâte faute d'enseignants arabophones suffisamment qualifiés et en nombre suffisant. Cette réforme a abouti à creuser un clivage supplémentaire entre les francophones d'un bon niveau éducatif et les arabophones dont le niveau scolaire était bas. Ils avaient encore plus de mal que les premiers à trouver du travail.

Pour s'équiper industriellement et se moderniser l'Algérie avait contracté une très forte dette de 26 milliards de dollars. C'est le montant actuel de la dette algérienne. De ce fait, elle subissait une pression énorme du F.M.I. et de la banque mondiale pour ré-échelonner sa dette et entrer dans l'économie de marché et évidement payer sa dette en sacrifiant un peu plus les pauvres. On sait très bien que la banque mondiale ne va pas demander le rapatriement des 37 milliards de dollars placés par les Algériens dans les banques Occidentales. Parce que l'argent de la dette dans le Tiers-monde, il existe, il existe dans les banques grâce à ce système pernicieux que nous avons instauré à l'échelle de la planète.
Pour conserver les privilèges de classe, la répression s'installe, confiscation de la liberté d'expression que les démocrates demandait, mais qu'on n'arrivait pas à instaurer vraiment. La corruption s'installe au sommet de l'Etat et quand un chef d'état comme Boudiaf s'installe au pouvoir pour lutter contre la corruption, celui-ci se fait assassiner. La brève période de libéralisation qui a suivi les événements de 1988 est suivie du retour aux anciennes pratiques de répression.

La lutte entre chaque clan pour le pouvoir atteint son paroxysme et on entre dans le cycle infernal de la répression et des assassinats. C'est alors que les groupes islamistes intégristes qui veulent aussi le pouvoir politique, déclenchent une campagne de terreur pour arriver à leur fin. Puisqu'il n'y a plus d'espoir de voir le futur s'éclairer, on parle de retour à la pureté originelle de l'Islam en le caricaturant. Tout le mal pour les islamistes viendrait de la modernité dont le symbole le plus patent aux yeux de la population analphabète serait l'émancipation des femmes qui se promènent dans la rue sans porter le voile. On donne au peuple un bouc émissaire, cela permet de conserver les clivages de classes, ce sont les femmes qui sont attaquées et non les riches.
Preuve qu'il s'agit bien de luttes pour le pouvoir et non pour plus de justice. Alors l'adoption de ce modèle Occidental de développement est un échec pour l'Algérie et le résultat c'est cette guerre civile qui la ravage.

Du côté Occidental, cela permet de consolider la dépendance et l'exploitation qui caractérise la relation Nord / Sud et non pas de bâtir un nouvel ordre international comme l'avait demandé l'Algérie en 1971. Un nouvel ordre international qui aurait été bâti sur la justice, la coopération, un juste prix des matières premières et du pétrole en particulier, pour les Occidentaux et aussi les pays socialistes qui vendent des armes, des produits de haute valeur ajoutée (voitures de luxe, parfums, réacteurs nucléaires, etc..), cela va accroître les bénéfices du capitalisme dans le monde et consolider le complexe militaro-industriel, par exemple dans les pays qui vendent des réacteurs nucléaires. Le modèle industrialiste de consommation à haute valeur ajoutée profite d'abord au Nord.
La création d'une nouvelle classe de privilégiés en Algérie va constituer en Algérie même le rempart du capitalisme des puissances Occidentales comme cela existe ailleurs dans les autres pays du Sud. Il y a création d'une classe de riches dépendante de ce capitalisme pour son mode de vie et sa consommation de luxe. C'est une classe que l'on récompensera pour ses commandes et ses achats par des pots de vin qui permettront encore de grandir les inégalités sociales. L'aggravation de la dette permet aux créanciers Occidentaux d'imposer leurs conditions au travers du F.M.I. et de la Banque Mondiale.

Elle permet de faire aussi main basse sur les ressources naturelles du pays. Sous ce gouvernement Gozhali, l'Etat Algérien a offert aux compagnies pétrolières étrangères moyennant un ticket d'entrée la possibilité d'investir dans les compagnies pétrolières algériennes déjà en exploitation. Cela est une première main mise sur les richesses algériennes en pétrole qui sera sans doute suivie d'une étape. La dette aggrave évidemment la dépendance de l'Algérie dont tout développement endogène est handicapé par ces interventions extérieures de la Banque Mondiale et du F.M.I. Cela aggrave aussi la dépendance politique dans la mesure où les grandes puissances se donnent un droit de regard sur la politique intérieure.

Les enjeux politiques pour l'Algérie.

Je peux faire allusion à un titre qui a paru à la une dans le Matin du 23 mai 1994 : "Clinton joue-t-il le FIS ?" Ceci signifie que dans cette relation Nord / Sud, les pays du Nord cherchent à avoir des marchés : premièrement contrôler les ressources naturelles en particulier le pétrole quand il s'agit de l'Algérie et deuxièmement avoir une certaine stabilité. Ce qui les intéresse, c'est d'avoir un marché de 28 millions de consommateurs et peu importe qui sera au pouvoir. Les USA étant persuadés que c'est le FIS qui va remplacer le gouvernement actuel, poussent le F.M.I. et le gouvernement algérien à négocier avec le FIS. Voilà la situation. Voilà les enjeux du côté des riches.

On peut regarder les enjeux du côté des peuples, en particulier du peuple algérien. Dans le débat présenté par la presse ou les médias Occidentaux ou dans les discours des hommes politiques Occidentaux, qu'il s'agisse de la France ou des USA, tout se passe comme s'il n'y avait en Algérie que deux acteurs socio-politiques : d'un côté l'Etat algérien qui ne connaît que la répression pour répondre aux revendications du FIS et d'autres couches de la population, de l'autre côté les intégristes qui assassinent indistinctement les personnes qui sont plutôt Occidentalisées, qui parlent le français, qui représentent la modernité.

Les états Occidentaux et l'Etat algérien aussi refusent de considérer qu'il y a un troisième acteur socio-politique : le peuple algérien. Celui-ci existe en tant que société civile et pour lequel l'enjeu est de parvenir à une société démocratique qui ne soit ni sous la coupe d'intégristes musulmans, ni sous celle d'une nomenclature qui se maintient au pouvoir. Ce qui compte comme enjeu pour le peuple algérien c'est cette société civile qui définira un autre modèle de développement répondant aux besoins du peuple algérien et non pas un développement calqué sur le modèle Occidental industrialiste qui consiste à se doter de réacteur nucléaire alors que les usines algériennes ne fonctionnent qu'à 40% de leurs capacités, faute de main d'oeuvre qualifiée et de pièces de rechange, faute d'une industrialisation plus modeste, mais plus adaptée aux besoins du peuple.

Cette société civile, on ne l'a pas vu beaucoup descendre dans la rue. Mais les premiers qui sont descendus, ce sont les femmes. Je lis régulièrement la presse algérienne, et même celle-ci a rendu hommage aux femmes et a dit que c'était inadmissible que les partis politiques ne prennent pas position à l'égard du FIS, des intégristes. Ils s'abstiennent de parler, de condamner les assassinats. Les premières qui sont descendues dans la rue, ce sont les femmes. Evidement cela s'explique très bien puisque l'intégrisme musulman tel qu'on le voit fonctionner en Iran par exemple, ce sont les meilleurs alliés du capitalisme. Malgré tous les discours, l'économie est adaptée au marché, l'Algérie visant à être un pays consommateur, ce qui implique de s'entendre avec les USA. Mais le seul programme c'est :
"les femmes doivent retourner à la maison, la crise économique c'est à cause des femmes qui accaparent les emplois".

La lutte des femmes en Algérie

Or le taux d'activité des femmes en Algérie est extrêmement bas, un des plus bas de la planète probablement. Ce discours de façade cache en fait le but des intégristes : prendre le pouvoir et non pas répondre aux besoins du peuple. Et comment arriver au pouvoir : en se servant de l'islam, en donnant une image tronquée pour faire croire que le problème sera résolu lorsque les femmes seront retournées au foyer et lorsqu'elles porteront le voile. Donc c'est tout à fait normal que les femmes algériennes se sentent les premières victimes de l'arrivée potentielle au pouvoir de l'intégrisme. Les femmes sont descendues dans la rue le 8 Mars 94 seules parce que les autres n'osaient pas, et finalement le 22 Mars quelques partis politiques ont commencé à les rejoindre. Maintenant quand vous lisez les journaux Algériens dans chaque ville chaque profession essaie de faire quelque chose.

Mais je dirai que les femmes algériennes, aussi bien que ces groupes qui commencent à protester, protestent non seulement contre les assassinats, mais ils protestent contre la tentative du gouvernement algérien de négocier avec les assassins du FIS, ceux qui tuent sans scrupules, parce que justement le gouvernement algérien est poussé par la banque mondiale, par le F.M.I., par Clinton. Cela n'empêche pas ces partis politiques et ces femmes de critiquer aussi la nomenclature et d'essayer de faire comprendre au gouvernement qu'il n'y a pas que deux acteurs en Algérie : le FIS ( les intégristes musulmans) et le pouvoir gouvernemental. Il y a toute cette société civile qui est extrêmement riche de potentialité, dont on n'a pas tenu compte jusqu'à présent et dont on ne veut pas tenir compte dans les débats actuels.
Alors il y a un petit recul peut-être aujourd'hui de la part du gouvernement, mais le combat n'est pas terminé et on ne peut savoir comment cela va se passer dans l'avenir

L'enjeu pour le peuple algérien c'est la démocratie, ils le savent très bien. Le FIS le dit et le FIS l'a dit avant les élections, dont le processus a été interrompu:
"si nous arrivons au pouvoir il n'y aura plus d'élection, nous n'avons pas besoin de représentants du peuple, le peuple n'existe pas pour nous, c'est la théocratie, c'est la parole de Dieu qui compte".
Voila c'est ça le programme, c'est là où les démocrates (hommes ou femmes) dans le peuple algérien sont vigilants et ne veulent pas l'arrivée du FIS, pas plus qu'ils ne veulent la conservation du gouvernement actuel. Seront-ils assez forts, sont-ils assez préparés pour s'imposer, là c'est vraiment l'enjeu pour la société algérienne.

Les enjeux pour les peuples Occidentaux

Les enjeux pour les peuples Occidentaux c'est : " est-ce que nous allons réfléchir sur notre propre mode de développement ? ", qui est l'enjeu dans ce problème algérien.
L'Algérie n'est qu'un cas exemplaire de cette relation Nord / Sud. Alors avons-nous la capacité de changer ce modèle de développement qu'on nous impose et où on paie les matières premières quasi-gratuitement. Ce n'est même pas moi qui le dit, ce sont les économistes, modèle où on endette les peuples par des consommations de luxe. Modèle où on accepte l'argent volé par les nomenclatures au pouvoir, on l'accepte dans nos banque, où on fait la guerre pour le pétrole, où on accule un peuple comme le peuple irakien à la famine à cause du blocus, on soutient le F.I.S. parce qu'il est susceptible d'arriver au pouvoir et de maintenir par la terreur une certaine stabilité qui permettra au début de faire un certain nombre d'affaires et contrats juteux pour l'Occident.

Pour les démocrates que nous sommes et j'ai vu que "Malgré Tout" avait comme enjeu essentiel la démocratie, donc ce qui me parait l'enjeu principal aussi bien pour le peuple algérien que pour les peuples Occidentaux c'est la démocratie parce que nous imposons cette domination politique du Nord sur les pays du Sud. C'est faire fi des droits des peuples au développement et des droits humains. Mais il faudrait que les peuples chez nous soient en mesure d'imposer et puisse exprimer son choix d'un autre mode de développement et d'une autre relation Nord / Sud. Sommes-nous consultés et exigeons-nous d'être consultés quand nos dirigeants imposent ce modèle de développement aux pays du 1/3 monde.
Non, nous sommes prêts à faire la guerre pour le pétrole, nous continuons un blocus meurtrier à l'égard de l'Irak au mépris de toutes les rhétoriques sur les droits de l'homme et les droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. Demain nous laisserons les hommes d'affaires français se partager le gâteau avec les Américains, ce sera plutôt les Américains les gagnants comme ils l'ont déjà été en Irak.

C'est ça qui est en jeu, c'est notre citoyenneté. Le problème c'est que nous l'exerçons à l'intérieur de l'hexagone. Quand il s'agit de relations internationales, nous laissons nos dirigeants faire ce qui leur plaît sous prétexte que nous ne connaissons rien, que c'est en-dehors de notre compétence. L'enjeu c'est que nous élargissions notre citoyenneté au problème des relations Nord / Sud et à notre propre mode de développement. Parce qu'enfin notre mode de développement, notre confort, il est bâti sur quoi? Sur cet écrasement du Sud.
Dès que certains pays visent à se développer et atteignent un certain niveau on les écrase. Là je vous citerai Daniel Bensaïd qui vient d'écrire un très beau livre qui s'appelle "Jeanne de guerre lasse", où il dialogue avec Jeanne d'Arc pour montrer que les démocrates en France ont participé de ces guerres colonialistes. Il parle de l'arrogance de l'Occident et il cite Georges BUSH qui au moment de la Guerre du Golfe a déclaré :
"Nous sommes ici pour tracer l'avenir du monde pour les cent prochaines années."

Cela fait penser au programme d'Hitler qui prétendait imposer un ordre mondial pour 1000 ans à l'Europe. On ne prétend plus se battre pour l'Occident ou pour la démocratie, mais pour la paix des enfants et des petits enfants. Une entreprise hautement morale selon Bush. Sous la bannière de cette morale la cohorte des marchands d'armes et des reconstructeurs se pressent dans le sillage des bombes. Les entrepreneurs d'ordre international réclament des grands chantiers. Plus ils démolissent, plus ils auront à reconstruire et cela m'amène à vous parler du problème de l'Irak.

L'IRAK.

Parce que l'Irak avait connu un modèle de développement qui ressemblait à celui de l'Algérie : nationalisation du pétrole, soutien aux pays non-alignés, soutien de la Palestine dans le conflit israélo-palestinien, sacrifice de l'agriculture au profit du développement de l'industrie. L'Irak s'était doté d'un armement puissant, avait un réacteur nucléaire, était armé jusqu'aux dents et avait contracté, par suite de ce développement, de cette modernisation adoptée par mimétisme de l'Occident, une dette fabuleuse, dette qui avait grandi lors de la guerre contre l'Iran.
Alors l'Irak était acculé, étant donné le bas prix du pétrole, étant donné que le Koweit pompait dans la réserve irakienne à la frontière entre les deux pays, l'Irak est entré en guerre et a envahi le Koweit et l'a annexé. Mais alors que la libération du Koweit est terminée depuis Mars 91, le Conseil de sécurité maintient l'embargo sur l'Irak.

On peut se demander pourquoi presque trois ans et demi après la libération du Koweit l'Irak subit ce blocus. Blocus qui d'après les statistiques a déjà fait 400 000 morts et qui est responsable d'une situation effroyable, puisqu'en fonction de ce blocus tous les avoirs en argent sont bloqués, tous les avoirs de l'Irak à l'extérieur dans les banques sont bloqués. L'Irak ne peut plus vendre son pétrole donc, et ayant adopté ce modèle industrialiste, l'Irak qui se nourrissait, qui était autonome et autosuffisant en matière alimentaire importe 85% de son alimentation. Les usines de vaccins ont été détruites, donc l'Irak doit importer les vaccins, le lait pour enfants. La seule usine de lait pour enfants ayant été bombardé par l'aviation américaine.

L'Irak ne peut pas importer ces produits de première nécessité, puisque ses avoirs sont gelés, puisque l'Irak ne peut se procurer les devises par la vente du pétrole, par conséquent il en résulte ces morts dont je viens de vous parler, un quadruplement du nombre d'enfants qui naissent avec un poids inférieur à la moyenne à la naissance et une mortalité infantile qui a décuplé par rapport à la situation avant guerre.

La situation sanitaire de l'Irak était tout à fait satisfaisante avant la guerre du Golfe, puisque l'Irak était cité en exemple dans l'Unicef, par l'O.M.S. pour son bas taux de mortalité infantile. Donc on peut se demander pourquoi on prolonge ce blocus. Alors tout conduit à penser que, enfin c'est ce qui se dit dans les coulisses, ce sont les USA qui font un chantage pour obtenir le monopole de l'exploitation pétrolière sur des gisements récemment découverts. Alors l'Irak ne peut pas accepter cela, l'Irak est déjà démantelé, puisque le Kurdistan au nord du 36° parallèle est sous contrôle des co-alliés, il en est de même au sud du 32° parallèle. Alors si l'Irak donne le monopole de l'exploitation pétrolière, ce ne sera plus qu'une province américaine, une colonie américaine. Donc le peuple préfère et je dis bien préfère ne pas céder, parce que c'est un peuple extrêmement digne, extrêmement fier. Même si on voit que les gens souffrent de cette pénurie, ils ne veulent pas céder à l'Amérique.
Il y a non seulement l'Etat irakien qui réagit, mais on constate un sentiment fort dans le peuple irakien que l'on ne peut céder indéfiniment et que plus on cédera, plus on sera écrasé, plus on sera dépendant. Ceci peut se dire parce que la croisade de l'Occident contre l'Orient n'est pas nouvelle et quand on lit l'histoire des Croisades, et bien on voit qu'il y a des villes qui préféraient mourir de soif et de faim, villes qui étaient assiégées par les Croisés en Palestine et qui préféraient souffrir du froid et de la faim plutôt que de se rendre.
On trouvera dans la lutte entre le Sud et le Nord toujours des résistants qui iront jusqu'au bout, il en est des peuples comme des individus. Voilà pour les enjeux en ce qui concerne l'Algérie et l'Irak.

On peut maintenant dire deux mots de la Bosnie.

LA BOSNIE


En Bosnie tout le monde est d'accord pour dire que ce qui est en jeu et il y a plusieurs enjeux. D'abord il s'agit de la démocratie en Europe, maintenant c'est clair avec cette liste électorale qui se présente aux élections du parlement européen: la démocratie en Europe passe par Sarajevo. Moi ce slogan je l'avais déjà entendu le 18 décembre 93 quand j'ai participé à une manifestation des étudiants des beaux-arts qui défilaient dans Paris avec leurs professeurs, dont les pancartes disaient textuellement que "la démocratie se joue à Sarajevo".
Et bien c'est cela l'enjeu, ils avaient compris que face à la trahison du Conseil de Sécurité et des grandes puissances qui s'inclinent devant le droit du plus fort, les étudiants rappelaient à leurs compatriotes les grand principes fondateurs des idées de citoyenneté et de démocratie. Ces principes sont bafoués lorsqu'on abandonne aux bombardements et au blocus des Serbes de Bosnie des populations civiles bosniaques qui réclament une indépendance nationale basée sur la pluralité culturelle religieuse, basée sur l'union des citoyens libres et égaux en droit malgré les différences résultant de l'appartenance ethnique, religieuse, politique ou culturelle. Ces principes sont affirmés par la France dans la déclaration des droits humains de 1789 et par la communauté internationale lors de l'adoption de la déclaration universelle des droits humains en 84.
Ces grand principes sont évidemment bafoués quand l'ONU laisse écraser depuis plus de deux ans l'Etat et le peuple de Bosnie-Herzégovine. Ce peuple qui affirme son rejet de la purification ethnique et sa volonté de créer un Etat multi-culturel. Face à cela on laisse dépecer la Bosnie au fur et à mesure de l'avance des milices serbes soutenues par le régime de Belgrade.

Or cette idée de démocratie telle que je viens de la schématiser brièvement, elle est incarnée depuis plus de 500 ans dans la vie quotidienne de Sarajevo. Ils recensent un mariage mixte sur trois. Les journalistes, les hommes politiques, les militaires, les religieux, les artistes, les intellectuels, les artisans, les enseignants de cette ville incarnent tous les jours cet idéal démocratique en se mélangeant dans leurs professions, dans leurs activités quotidiennes entre Bosniaques d'origine, serbe, croate, musulmane ou juive au sein des mêmes activités et responsabilités.
On nous fait croire le contraire. Le discours de François Mitterrand le discours d'Alain Juppé et en ce sens il n'y a qu'une classe politique qui ment vraiment, puisque tous les jours nous voyons des militaires serbes qui combattent avec des militaires croates dans l'armée bosniaque, des artistes serbes ou croates qui se mélangent avec des bosniaques et tous les jours nous avons cette profession de foi qui est affichée à la télévision par des messages qui nous arrivent de Bosnie; mais tous les jours ou presque François Mitterrand et Alain Juppé nous disent que c'est impossible et qu'ils ne veulent pas se mélanger.

Il y a ces mariages mixtes et cette vie. Bon on veut imposer des solutions de facilité, de lâcheté. En laissant dépecer la Bosnie-Herzégovine, l'ONU assassine l'espoir d'un vivre ensemble et d'un futur basé sur la coexistence pacifique au sein d'une même nation pluri-culturelle composée de populations de confessions et d'origines différentes. Le message que retiendront en effet du drame bosniaque les forces racistes et xénophobes en Europe et dans le monde entier sera que seule la force délimite les frontières et que le recours à l'ONU n'a aucune efficacité, exception faite évidemment des cas où le pétrole ou tout autre richesse convoitée par l'Occident est en jeu.
C'est ce qu'a bien compris Saad Rudim Agha Khan l'ancien Haut-commissaire des Nations Unies qui interviewé sur la politique relative à la guerre en Ex-Yougoslavie a déclaré:
" Il est à craindre que ce conflit ne fasse en quelque sorte jurisprudence en consacrant la purification ethnique comme paradigme géopolitique".
Donc il y a un premier enjeu dans ce conflit, c'est l'enjeu démocratique. La démocratie intra-nationale, peut-on vivre dans un état multi-culturel, pluri-culturel. Voilà le premier enjeu.

Le rôle de l'Europe
Mais ce n'est pas tout, le deuxième enjeu qui se joue et qui maintenant malheureusement paraît solutionné par la négative, c'est l'espoir de voir une Europe communautaire autonome qui en prenant ses responsabilités dans le conflit bosniaque aurait pu s'ériger en une entité indépendante.

A ce sujet on peut regarder ce que contiennent les différents plans européens. Le premier entérine le partage ethnique de l'Ex-Yougoslavie et le second entérine le partage territorial en fonction de la politique de purification ethnique et des conquêtes par la force des Serbes. L'Europe a été incapable d'imaginer d'autres initiatives sur le plan politique ou diplomatique que ces plans injustes qui légitiment la purification ethnique. Le citoyen européen assiste impuissant à des massacres, à l'existence de ces camps de concentration, à ces expulsions, à ces morts, car leurs dirigeants ont mis sur le même pied agresseurs et agressés et ont décidé de laisser faire les milices serbes, alléguant qu'ils ne peuvent intervenir militairement aussi longtemps que les Etats-Unis ont décidé de ne pas envoyer de troupes terrestres.
Quant aux frappes aériennes décidées par le Conseil de sécurité comme sanction quand les milices serbes violent ouvertement les engagements signés, ils sont restés à l'état de menace, sauf dans le cas de Sarajevo, ville dont le martyre a duré plus de deux ans avant qu'une frappe intervienne.

Dans tous les autres cas on a laissé les milices serbes appliquer aux villes bosniaques le même traitement inhumain qui avait été infligé aux habitants de la ville de Sarajevo. Dans le Monde d'hier ou d'avant-hier on demande encore et cela c'est la force Pronu, les casques bleus demandent à l'armée bosniaque de faire acte de bonne volonté parce que les serbes ne veulent pas observer ce qui leur avait été demandé, c'est à dire de laisser un espace de 20 km entre leurs positions et la ville de Gorazdé et de libérer cet espace de leur artillerie lourde.
Les Serbes ne voulant pas obtempérer, on a demandé aux Bosniaques de se retirer de la rive gauche de la Drina, autrement dit on entérine une fois de plus la volonté des Serbes de ne pas respecter les engagements qu'ils ont signés. Donc du coté de l'Europe on a pris fait et cause pour le droit de la force contre le droit du peuple bosniaque d'être respecté dans ses frontières légitimes et de vivre dans une démocratie pluri-ethnique, pluri-culturelle ce qui est sa tradition plus que centenaire, millénaire peut-être.

Voilà un second enjeu, l'Europe se discrédite non seulement aux yeux des son propre peuple, mais encore plus aux yeux du tiers-monde, qui évidemment dont la sympathie va à un peuple colonisé par le colonisateur serbe.
Là on peut dire que l'Europe communautaire montre ce qu'elle est, c'est à dire un grand marché, une Europe qui a failli à l'espoir que les peuples avaient mis en elle, c'est à dire d'être une force politique capable de dire non aux Etats-Unis, d'avoir sa propre politique étrangère, de ne pas être en situation de vassalité par rapport aux Etats-Unis et de ne prendre des décisions que si le grand frère américain se décide à passer à l'action.

Le droit international et l'ONU

Alors à mon avis il y a deux autres enjeux qui se dessinent derrière la crise bosniaque. C'est la légitimité du Conseil de Sécurité et de l'ONU. Cet organisme : l'ONU ne peut pas devenir crédible quand il viole manifestement la Charte des Nations-Unies qui déclare la guerre illégale pour trancher un conflit, mais qui dans son article 51 la déclare légitime quand un peuple est attaqué chez lui. Voilà je vous cite cet article 51 de la Charte des Nations-Unies:
"Aucune disposition de la présente charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense individuelle et collective dans le cas où un membre des Nations-Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de Sécurité prenne les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationale."

Or premièrement la Bosnie est membre à part entière des Nations-Unies, deuxièmement elle est attaquée chez elle, agressée chez elle, troisièmement le Conseil de Sécurité a pris des mesures caricaturales pour maintenir la paix et la sécurité internationale, ne défend pas les assiégés des zones dites protégées, ne fait pas respecter les accords signés par les Serbes. Donc dans cette situation la charte de l'ONU prétend que la Bosnie peut se défendre elle-même, se défendre cela veut dire avoir des armes. or le Conseil de Sécurité a prononcé l'embargo contre les armes pour la Bosnie, mettant sur le même pied l'agresseur, les milices serbes, le gouvernement de Belgrade qui soutient les milices serbes et l'agressé, c'est à dire les Bosniaques.

Devant cette faillite je dirai qu'il n'y a pas que le viol de la Charte des Nations-Unies qui discrédite l'ONU, il y a aussi la façon dont elle agit sur le terrain. On a installé cette force Pronu qui avait reçu du Conseil de Sécurité la permission d'intervenir militairement dans deux cas:
* premièrement pour protéger les convois humanitaires contre les exactions et les interdictions des milices serbes,
* deuxièmement pour protéger les populations des massacres, des bombardements, des exactions, des coupures d'eau, de gaz, d'électricité, de tout ce qui empêche de vivre dans les zones dites protégées.

Or dans ces deux cas la force Pronu n'a pas rempli son rôle, donc c'est encore un espoir des peuples qui s'effondre, l'espoir de voir un organisme international qui pratiquerait un droit international qui serait le même pour tous et non pas qui admettrait deux poids deux mesures, qui s'inclinerait devant la force dans certains cas et qui dans d'autres cas parlerait de droit international uniquement pour couvrir des intérêts de grandes puissances.
Le Conseil de Sécurité est donc perçu par les peuples du tiers-monde et aussi par les peuples Occidentaux, non plus comme une instance qui définit le droit international de façon rigoureuse et objective, mais comme une sorte de syndicat, de mafia des grandes puissances qui se servent du Conseil pour instaurer la loi du plus fort, la loi du plus fort étant toujours la meilleure.

En examinant de plus près la composition du Conseil de Sécurité on comprend qu'il ne puisse en être autrement. En effet l'ONU est chapeauté par le Conseil de Sécurité et il est composé de 20 membres. Celui-ci est chapeauté par les grandes puissances qui ont le droit de veto.
Celles-ci sont, comme vous le savez, les Etats-Unis, l'Angleterre, la Russie, le Chine et la France. Il y a des traits communs entre ces cinq pays : ce sont des états nucléaires qui exercent le terrorisme d'état sur la planète grâce à leur bombe nucléaire. Ce sont eux qui se donnent le droit de qualifier de terroristes les Etats qui ne veulent pas entrer sous la coupe de l'impérialisme Occidental. Alors on définit comme terroriste la Syrie, l'Iran, la Lybie, l'Irak, bien entendu la Corée du Nord, tous ceux qui ne veulent pas se soumettre.

Les rapports Nord / Sud

C'est bien simple, il s'agit de soumission et de domination. Ou bien vous acceptez la domination ou bien vous ne l'acceptez pas en vous dotant, par exemple, d'un réacteur nucléaire qui pourrait devenir une bombe nucléaire, à ce moment là vous êtes qualifié de terroriste et vous avez droit à des guerres, à des blocus, à des anéantissements en somme.

Ensuite ces grandes puissances sont des puissances impériales. L'Angleterre, la France et la Russie sont nostalgiques de la perte de leur empire et évidemment ces pays s'accrochent aux Etats-Unis parce que cela leur permet de revivre leur rêve impérial par procuration.
Mais ils gardent encore jalousement leurs prérogatives dans leur pré carré. La France, entre autre, entretient encore des forces armées, des conseillers militaires dans son pré-carré qu'est l'Afrique Noire. Là elle soutient, qui soutient-elle? Tous les dictateurs, que ce soit celui du Togo, celui du Zaïre, en particulier elle a soutenu le dictateur du Ruanda. Elle a armé et bien avant ces événements tragiques, j'avais lu un article dans Témoignage Chrétien écrit par un géographe qui faisait une étude là-bas, dans cet article cet homme disait que la France continuait d'entretenir des conseillers militaires auprès des services secrets, auprès du dictateur du Ruanda.
La triste réalité c'est ça, c'est que le rêve impérial et la puissance impériale ça continue d'une autre façon. Même si l'Afrique est devenue l'Afrique francophone, est devenue indépendante, on continue à la dominer économiquement, militairement en lui vendant des armes, en étant présent , en ayant des bases militaires.

Au Tchad la France a soutenu pendant vingt ans Hissène Habbré qui a été responsable de l'assassinat de plus de 40 000 opposants politiques. En parlant avec des Tchadiennes j'ai su qu'il y avait eu évidemment des protestations très fortes de l'opposition tchadienne auprès du gouvernement français et que l'on avait répondu: "Hissène Habbré il maintient la stabilité!".

Alors ce que nous voyons c'est que les gouvernements Occidentaux s'appuient toujours sur des dictateurs., ils ont besoins des dictateurs pour la stabilité, cela a été comme ça avec Marcos aux Philippines, avec Duvallier à Haïti, cela continue comme cela au Zaïre. Pourquoi la France soutient-elle les dictateurs du Gabon, du Togo, du Zaïre, du Ruanda, du Maroc, parce qu'elle pense que grâce à la terreur il y aura une certaine stabilité et qu'elle va pouvoir continuer à prélever sa rente pétrolière ici, défendre ses intérêts, acheter des bananeraies par ci par là grâce à l'argent de la coopération d'ailleurs. Voilà comment fonctionne le système. Je dirai que ce concept de stabilité ça a été pendant 40 ans celui de l'Otan, celui des Etats-Unis.

Pourquoi l'Otan? quel était le rôle de l'Otan en Europe pendant 40 ans? C'était la stabilité, c'était de maintenir le système tel qu'il était, ne pas permettre l'avènement de plus de démocratie, d'un socialisme authentique, etc....
Les ventes d'armes et le complexe miltaro-industriel

C'est au nom de la stabilité que l'on a procédé à cette course aux armements qui a ruiné les Etats dits socialistes, les Etats de l'Est et qu'on a ruiné les économies Occidentales. Je dis ruiné parce que la France a une dette effrayante actuellement. Les Etats-Unis sont incapables de faire face à des dépenses alimentaires, aux dépenses pour l'éducation, pour la santé. Il y a 37 millions de personnes qui n'ont pas droit à la sécurité sociale aux USA donc voilà où conduit cette recherche de stabilité, la guerre froide, la course aux armements.

Evidemment si c'est la misère des peuples qui est au bout du chemin, ce sont les complexes militaro-industriels qui se sont enrichis. Voilà encore un enjeu et un espoir qui s'effondrent : celui d'avoir une démocratie planétaire aux mains d'un organisme qui défendrait le droit des peuples. Cet organisme, l'ONU est aux mains des Etats nucléaires qui sont des puissances impériales, même quand ils ont perdu leur empire, mais qui continuent de vendre des armes au reste du monde.
J'ai oublié de vous dire que les cinq grandes puissances qui ont le droit de veto au Conseil de Sécurité vendent 87% de la totalité des ventes d'armes dans le monde, ce qui est une autre manière d'assurer leur domination.

Alors on comprend bien pourquoi ce droit international n'est qu'une caricature de droit, pourquoi c'est le droit du plus fort qui triomphe, pourquoi il y a deux poids deux mesures dans ces relations internationales sous l'égide du Conseil de Sécurité. Et bien ce qui intéresse ces grandes puissances et les vassaux qui font partie du Conseil de Sécurité, ce sont des petits pays qui dépendent pour leur survie des prêts que vont leur faire la Banque Mondiale ou le F.M.I., par conséquent ils se rallient à la politique des 5 grandes puissances et ce qui les intéresse. On revient toujours au même système de la relation Nord / Sud :
* 1/ la mainmise sur les ressources naturelles des pays du tiers-monde,
* 2/ la recherche de marchés,
* 3/ les ventes d'armes.

Le marché le plus prospère étant celui des ventes d'armes, celui qui rapporte le plus. Alors voilà l'enjeu de cet ordre international pour les grandes puissances. Mais du coté des peuples et bien évidemment c'est l'avenir d'une coexistence pacifique, d'un monde plus juste qui est en jeu.
Je dirai qu'il y a un quatrième enjeu dans cette guerre de Bosnie. C'est le problème de l'intégrisme. A la lumière de toutes ces injustices nous risquons de voir dans les pays du Sud les intégristes arriver au pouvoir en disant :
" Vous voyez cet ordre mondial, ces injustices et bien nous allons lutter contre l'agression Occidentale".

Ce qu'ils ne font pas du tout quand ils arrivent au pouvoir comme en Iran, ils parlent de lutter contre ce modèle de développement Occidental. En réalité c'est une lutte pour le pouvoir, il y a cet enjeu encore entre les nomenclatures dans les pays du tiers-monde et ceux qui rêvent , en autre les intégristes, de partager le pouvoir avec eux qui l'ont déjà ou qui rêvent de remplacer ceux qui ont le pouvoir. L'enjeu c'est de savoir si on va faire une place et on va accorder la parole à cette société civile qui commence à émerger dans les pays du tiers-monde. Société civile qui existe chez nous, mais nous ne sommes pas un exemple dans la mesure où la société civile chez nous est incapable d'imposer une autre alternative à cette politique étrangère qui est imposée par les grandes puissances et par la France en particulier.
Le problème c'est celui de la citoyenneté internationale, de la citoyenneté mondiale.
Allons-nous continuer d'abdiquer quand il s'agit de relations étrangères, de relations Nord / Sud, de ce modèle de développement, de défense. Oui parce que tout cela est lié au problème de la défense.

Nous avons un fort complexe militaro-industriel qui vient d'obtenir un budget en augmentation pour cette année , ce sera en augmentation de 1,5% pour les prochaines années. Donc on va encore construire des armes sophistiquées. Il va falloir trouver des ennemis pour justifier ces productions d'armement. On ne voit pas très bien comment on va sortir de cette logique et d'une politique étrangère, qui au lieu de prévenir les conflits par le désarmement, va au contraire les susciter, parce que plus on augmente la production d 'armes plus on en vend.
C'est la loi d'économie d'échelle. Le marché des armes est extrêmement concurrentiel, donc il faut faire des grandes séries d'armes pour qu'elles soient compétitives. Donc on ne voit pas très bien comment on va sortir de cette logique sans un réveil de la société civile en France. Encore faudrait-il que les gens de bonne volonté s'entendent entre eux pour déboucher sur des solutions et des alternatives qui soient autres que celles que nous voyons aujourd'hui.

DÉBAT
Question dans la salle sur la notion de société civile, en référence au terme allemand qui veut dire société bourgeoise, c'est à dire qui contient à la fois les exploiteurs, les banques, les prolétaires et la population. Terme ambigu qui reflète mal ce qu'on veut dire ici.

Le pari sur les alternatifs

Réponse d'Andrée Michel: C'est un peu vague effectivement comme terme. J'ai assisté récemment à une conférence tunisienne à Paris, il y était dit que la société civile, c'étaient les ONG, les Organisations non-gouvernementales. Qui dit ONG, dit réseau d'associations qui ne sont pas forcement anti-gouvernementales, mais qui ne sont pas toujours des partis politiques. Car je sais que derrière certaines ONG se cachent des partis politiques. Mais il n'y a pas que cela. Il y a les alternatifs, beaucoup d'ONG sont entre les mains d'alternatifs qui veulent un autre modèle de développement.

On ne peut pas comparer la société civile à laquelle je me réfère et ce qui se passait en URSS. En URSS les ONG et la société civile n'avaient pas droit d'avoir pignon sur rue, n'avait pas droit de cité. En France quand même il y a une tradition, il y a des associations déclarées depuis très longtemps, les gens ont quand même pris l'habitude. Ce qu'il y a c'est que leur horizon est un peu borné aux problèmes de l'hexagone, c'est cela la difficulté. Il y a un fief réservé auquel on ne touche pas, c'est l'armement, c'est la défense, c'est la politique étrangère.
On ne veut pas se mobiliser sur ces thèmes. Moi je suis très frappée, a-t-on besoin de 100 Milliards par an d'équipements militaires nouveaux chaque année d'ici l'an 2000. Est-ce qu'on a besoin de ça? On en discute au parlement, on vote la loi. Est-ce qu'on voit une ONG se mobiliser, aller frapper à la porte de l'Assemblée Nationale, demandée à être reçue par la commission de la défense du Sénat ou de la chambre des députés, pour dire nous on ne veut pas de ça, pour dire on veut de l'argent pour les chômeurs, pour la santé, on veut des infirmières dans les hôpitaux.
Même les féministes ne le font pas, je le regrette, moi-même je suis féministe. Qui se déplace quand le budget de la défense est en discussion au parlement, ce sont les P.D.G. des industries militaires, c'est Matra, c'est Jean-luc Lagardère, c'est Serge Dassault, c'est Aérospatiale, ce sont les arsenaux, etc. Ils se déplacent pour aller pleurer, pour crier misère:
" Si vous diminuez nos budgets on va mettre des gens au chômage!"
Evidemment ils font le chantage à l'emploi, alors qu'on sait que les mêmes crédits employés dans le militaire et utilisés dans le civil permettent de créer deux fois plus d'emplois. Cela a été calculé depuis longtemps, on le sait de longue date. Comment se fait-il qu'il y ait cette complicité de la part des citoyens français, on laisse faire.

Qui ne dit mot consent! Si on ne dit rien c'est qu'on est d'accord!

Il y avait encore une discussion la semaine dernière au parlement, on estime de fait que ce n'est pas une cible de l'action militante, alors que ce serait la première cible à avoir. Regardez ce qui se passe au Ruanda, partout dans le tiers-monde on est en train de payer 40 ans de guerre froide, 40 ans de course aux armements.
On a entassé tellement d'armes dans les entrepôts qu'on ne sait plus qu'en faire. Pour que les industries d'armement tournent, il faut débarrasser les entrepôts. Donc on en fait cadeau aux pays du tiers-monde, on change un peu les productions militaires pour vendre de nouvelles armes. Les ventes d'armes vont continuer de plus belle si on laisse faire.
Il y a des collectifs contre les ventes d'armes, si d'accord avec cela, mais je trouve que c'est une parfaite hypocrisie de croire qu'on va arrêter les ventes d'armes si on continue d'en produire.
Au nom de quel droit va-t-on interdire à un pays de posséder ce que nous possédons? J'ai donné l'exemple le plus intéressant et le plus tragique, celui des réacteurs nucléaires dont tous les pays du tiers-monde rêvent de se doter. Pourquoi? Evidement parce que ceux qui font la loi ce sont ceux qui ont l'arme atomique et sont au Conseil de Sécurité.
Alors les pays du tiers-monde ne sont pas fous, ils pensent qu'ils vont peut-être changer le rapport de force en leur faveur en ayant l'arme nucléaire. Donc c'est la course à la bombe, on sacrifie le développement de la santé, des écoles, les cliniques, il y a beaucoup de paysans qui n'ont pas l'eau potable dans le tiers-monde, mais on fera quand même les sacrifices pour avoir l'arme nucléaire.
Il faut arrêter cela et c'est dans nos pays qu'on doit arrêter ça.

Susanne: Le terme "société civile" lui semble aussi délicat à employer sans précaution. Elle souligne l'importance de l'analyse sur l'ONU. Il faut prendre en charge cette analyse et arrêter de faire pleurer les gens sur n'importe quoi. Elle insiste sur l'importance politique de ce point de vue sur l'ONU comme maffia des grandes puissances

Georges: parle aussi du rôle de l'Onu comme gestionnaire de l'empire US. Ceci implique pour lui de réfléchir à notre liaison avec le tiers-monde afin que le terme de société civile aie un sens intéressant.

Non à l'autocensure, oui à la citoyenneté planétaire!

Andrée Michel: Les citoyens ne sont pas dépourvus de pouvoir, ce qui leur manque à mon avis c'est de l'imagination, des initiatives. Les citoyens dans les sociétés Occidentales qui veulent faire quelque chose passent leur temps à s'autocensurer.

Il sont censurés par le pouvoir évidement, mais eux-mêmes s'autocensurent et restreignent leur droit à la parole, leur droit d'intervenir. Par exemple tout à l'heure j'ai parlé de cette autocensure qui consiste à ne jamais intervenir quand un budget militaire est voté à l'Assemblée. Il y a suffisamment d'antimilitaristes et de gens qui veulent arrêter la course aux armement en France pour essayer de se mobiliser à ce moment là.
Maintenant parlons de l'ONU. La citoyenneté des alternatifs ne s'exerce pas par rapport à l'ONU. Il y a un moyen bien simple de l'exercer, prenons le blocus meurtrier à l'égard de l'Irak, blocus qui a déjà fait 400 000 morts et là je ne parle pas des 200 000 morts enterrés vivant sous les bombardements Américains lors du retrait des soldats et des populations civiles irakiennes du Koweit vers Bagdad. Je parle ici des morts à cause du blocus. Ce blocus est renouvelé tous les deux mois par le Conseil de Sécurité, il vient d'être renouvelé le 15 mai 94. il sera renouvelé le 15 Juillet 94.

Qu'est ce qui empêche les gens qui sont contre cette guerre économique, guerre qui est plus meurtrière que la guerre militaire, d'envoyer une avalanche de fax aux 5 membres du Conseils de Sécurité tous les deux mois. Peut-être que si ils avaient régulièrement une avalanche de fax, ils changeraient d'avis. On peut essayer, on ne se manifeste pas. Nous ne sommes pas passés à une notion de citoyenneté planétaire si je puis dire.
On se réunit en petit groupe, et on fait cela. On peut le faire, pourquoi ne le ferait-on pas? En même temps il y a des représentants à l'assemblée, on peut intervenir auprès d'eux en ce qui concerne le blocus à l'égard de l'Irak. On peut intervenir auprès de nos députés, de nos sénateurs, auprès d'Alain Juppé, qui donne des ordres aux représentants français au Conseil de Sécurité.

Il y a des quantités d'actions que l'on pourrait faire, mais faute d'imagination, parce qu'on s'autocensure et qu'on ne veut pas venir sur certains terrains, on a décidé que cela relevait de la puissance publique mais pas des ONG. En fait c'est cela la société civile, ce sont les ONG alternatives, bien entendu, parce que beaucoup d'ONG ne sont pas alternatives et ne veulent pas de changement.
Les Ong alternatives pourraient essayer de faire des actions dans des domaines où elles ne sont jamais intervenues jusqu'à maintenant, c'est bien beau de ronronner et de se réunir entre soi, mais il faut sortir aussi au fur et à mesure des événements internationaux. On peut intervenir ce n'est pas interdit?

Intervention des défenseurs de l'économie distributive: Il affirment que le verrou à faire sauter c'est celui de la monnaie, car nous sommes otages du capitalisme. Il estiment qu'Andrée Michel a fait le procès du capitalisme et disent qu'elle a eu raison. C'est la monnaie qui bloque tout, la société civile ce doit être la société humaine tout simplement. Elle ne sera jamais là tant qu'il y aura cette monnaie. Le capitalisme est fondamentalement guerrier et on ne peut pas arrêter dans sa course, il court à l'abîme.
Peut-on arrêter ce rouleau compresseur. C'est un déterminisme!
Plus on fabrique de monnaie moins on a ce qu'il faut pour vivre. Les moyens de consommer sont là, il faut se mobiliser pour dévoiler cette économie qui fonctionne sur du vent. Alors il faut se mobiliser avec les chômeurs par exemple, il faut créer des groupes partout, mobilisons-nous dans l'unité et dans l'autonomie. Mobilisons-nous!

Andrée Michel: Vous avez tout à fait raison de dire que l'on vit dans une économie "casino". Tous les jours il s'échange 1000 milliards de Dollars. Là aussi nous vivons au bord de l'abîme avec la spéculation financière. Un de ces jours il peut y avoir une catastrophe.

Nouvelle question par un membre du groupe de l'économie distributive: A propos de la Bosnie, on parle de fascisme, comment arrêter cela?

Andrée Michel: Toutes les raisons que j'ai évoquées ont montré que c'est cette course aux armements qui avait stérilisé les économies et a engendré et engendre toujours le chômage parce que cela accapare des sommes énormes qui auraient pu être utilisées pour développer des emplois. Les recherches ont montré aux USA, qu'avec la même somme on peut créer deux fois plus d'emplois. Donc c'est une paralysie de l'emploi.

Ernest Barreau : la révolution technologique supprime de plus en plus d'emplois. Dans la rue, les gars revendiquaient le revenu minimum garanti. Quand on réclame du boulot, il y en a, mais c'est pour la guerre.

Andrée Michel : Vous avez raison de parler du verrou de la monnaie, mais il y a un autre verrou dont on ne parle jamais. Cet autre verrou, ce sont les médias.

Les médias et la démocratie
On en parle bien certes, mais là encore on ne fait jamais rien. Moi je suis persuadé que cette société alternative qui est quand même en puissance dans un certain nombre d'ONG, pourrait émerger, pourrait faire plus s'il y avait la démocratie immédiate. Or les grands médias sont verrouillés. Si on pouvait discuter de la monnaie, de la course aux armements, d'une autre relation Nord / Sud dans les médias, ça avancerait beaucoup plus vite. On verrait partout des gens qui vous dirait : "on est d'accord avec vous", on pourrait coordonner nos efforts, mais il y a une véritable dictature. On parle des dictateurs du Tiers-monde, on ne parle pas chez nous de la dictature médiatique qui empêche l'émergence d'une société de citoyens et de citoyennes, des ONG qui pourraient changer quelque chose, changer le système et là, c'est verrouillé complètement. Mais jamais dans les mouvements alternatifs, on ne prend les médias comme cible d'une action.
Là encore, c'est quelque chose d'ahurissant. Les médias conduisent le peuple là où ils veulent, on veut faire une guerre, on veut stigmatiser, on a trouvé un ennemi qu'il faut abattre, ça y est tout le monde dit : "il faut y aller". C'est quelque chose d'effrayant le pouvoir de ces médias.
Je dirais que nous avons à notre disposition l'article 19 de la Déclaration Universelles des Droits de l'homme, enfin des droits humains parce que j'en ai assez de voir cela au masculin. Il est écrit dans cet article 19 que
"chaque citoyen a le droit à l'information mais a le droit d'informer".

Alors est-ce que vous avez le droit d'informer? Non vous n'avez pas le droit d'informer, on vous accepte quand vous parlez devant 30 personnes. Quand j'écris un article qui sera lu par 2000 lecteurs, ça ne dérange pas le système, ça ne dérange pas le pouvoir. On ne va pas vous mettre en prison ou vous trancher la tête comme en Iran ou ailleurs. Vous avez droit à la mort sociale.
On survit quand même. Mais ça ne peut pas changer dans ces conditions. Alors je ne vois pas les mouvements alternatifs, les ONG prendre les médias comme cible, ils n'ont jamais dénoncé la dictature médiatique. Quand tous ces débats que nous avons à 30 personnes seront 30 millions de téléspectateurs, alors quelque chose va changer, sinon ça ne changera pas.

Question : OK pour la critique faite par A. Michel, je souligne que le niveau de vie en France profite du pillage impérialiste. je me demande si notre volonté de changement ne relève pas du mythe. Je souhaite des éclaircissements sur l'Islam et sa liaison avec l'économie de marché.

Andrée Michel : Je ne peux répondre que par un constat : le F.M.I. et la Banque Mondiale font pression sur le gouvernement algérien pour s'entendre avec les intégristes. Pourquoi le Matin titre-t-il "Clinton avec le FIS"? C'est que vraiment il n'y a non seulement des fictions mais aussi des réalités. Que dire sur le fait que la société française ne revendique pas spontanément un rééquilibrage du niveau de vie au profit des pays du Tiers-monde. Il y a quand même des associations tiers-mondistes qui existent et qui demandent que l'on paie les ressources naturelles à leur juste prix qu'on annule la dette. Je veux bien admettre que c'est une revendication qui n'est pas suffisante certes. Il y en a eu même d'autres qui disent que la solution c'est de diminuer notre consommation, évidement la consommation des riches, pas celle des pauvres. Il y a le parti des Verts qui dit : "Arrêtons cette croissance!" C'est aussi dans le but d'une meilleure distribution. Il y a des associations qui se réunissent pour discuter du GATT et pour créer un mouvement anti-GATT.

Il va y avoir l'année prochaine l'anniversaire de la création de la Banque Mondiale (je ne sais plus si c'est 20, 25 ou 30 ans) [ en fait c'est 50 ans et des actions se préparent en particulier autour du Cedetim, nous l'avons appris depuis] et les alternatifs vont célébrer cet anniversaire à leur façon en manifestant au moment du colloque et du congrès. Donc il y a des choses qui existent. Ce n'est pas spontané, le verrou est au niveau des médias, le verrou il est là. Ces alternatifs qui ont un programme, qui ont réfléchi à la question ne peuvent jamais prendre la parole dans les médias tout au moins aux heures de grandes écoutes. Peut-être à deux heures du matin est-ce possible ?
Par conséquent, on ne veut pas faire prendre conscience aux gens que l'on pourrait faire quelque chose pour rééquilibrer cette relation Nord/Sud, payer à son juste prix le pétrole. Evidement, nous aurions des répercussions, mais en revanche on vivrait dans une société meilleure, avec plus de justice, on serait beaucoup plus heureux de savoir que les gens d'en face au lieu d'être la proie des intégristes ou de souffrir de faim, peuvent se développer harmonieusement. Donc ça existe, mais ce n'est pas spontané. Il y a des associations et des personnes à qui on ne donne jamais la parole dans les médias, pourtant c'est la seule façon de progresser.

Hervé : Il soulève la question du goût du pouvoir et du problème de l'Etat. Pour lui, il y a un problème de reconnaissance et d'autonomie des alternatifs. L'ONU joue avec Aïdid en Somalie, pas avec la société civile, idem en Bosnie. Il y a quelque chose à faire en ce sens notamment pour les opposants à la guerre. Il y a donc une difficulté pour la liaison entre les peuples et pour donner le goût de vivre ensemble.

La question de la violence

A. Michel : Je ne vais pas répondre pour le moment sur la Bosnie, mais simplement sur les Etats qui ne connaissent que les armées pour trancher les problèmes. C'est tout le problème de la sécurité et c'est bien là tout le problème de la citoyenneté. Nous avons laissé les Etats définir les citoyens sans reprendre le mot de société civile, et les citoyens ont laissé les Etats définir la sécurité et tout le monde a besoin évidement de sécurité. Or les Etats ne reconnaissent que certains domaines de citoyenneté, parce que les Etats ont une formation historique, ils sont nés par la force, ils se sont appuyés sur des armées, des impôts dont la première fonction est de payer des soldats.
En tant que citoyen, nous avons laissé les Etats définir la sécurité qui consiste à être suffisamment fort militairement pour régler les conflits par la force. Il faudrait qu'on prenne en charge une autre conception de la sécurité qui consisterait à dire : la sécurité c'est des relations d'équité entre les peuples, entre les plaintes. Il faudrait que chacun à l'intérieur de la France, chacun sur la planète, chaque peuple ait le niveau minimum, ait le droit de vivre. A ce moment là, il y a tout un terrain d'action et de réflexion qui consiste à voir comment on peut trancher un conflit.
Est-ce que les conflits peuvent se résoudre autrement que par la violence ?

La philosophie qu'on a mis dans la tête des gens est de dire : dès qu'il y a un conflit international, celui-ci ne peut se résoudre que par la violence, donc il faut avoir des armées. Cette conception n'est pas fatale. Il y a eu des sociétés qui réglaient les conflits autrement. On doit travailler à tous les échelons pour avoir une autre conception de la sécurité qui repose sur la justice entre les classes, les peuples, etc. et où les conflits seront résolus par la négociation et le dialogue. Il n'y a pas beaucoup d'efforts de réflexion dans ce domaine.
La meilleure preuve c'est que si les français étaient convaincus de cela, ils iraient discuter avec les hommes politiques quand on vote le budget militaire pour dire "nous voulons une autre conception de la sécurité qui ne repose pas sur des budgets militaires et sur une force armée ou sur des armes de plus en plus sophistiquées.
En ce qui concerne la Bosnie, je reviens à ce que j'ai dit au début : je ne vois pas comment on peut défendre à quelqu'un qui est agressé le droit de se défendre. Ce n'est pas à nous de choisir, si le peuple bosniaque choisit le droit de se défendre, on ne peut lui refuser décemment puisqu'on est incapable de défendre la veuve et l'orphelin et bien que eux-mêmes prennent ce problème en charge. C'est ce qu'ils demandent. Ils ne demandent que ça. C'est à aux d'agir, s'ils choisissent de mourir dans la dignité, c'est leur affaire. Nous n'avons pas le droit de leur dire "vous ne pouvez pas utiliser cette solution".

Si les Bosniaques n'avaient pas choisi cette solution, on ne voit pas pourquoi, il y aurait encore une armée bosniaque, étant donné qu'ils n'ont que des fusils à opposer à des mortiers, des obus, des tanks. Cela marque la volonté d'un peuple. Ils le disent "Puisque vous ne faites rien, laissez-nous nous défendre". Ce n'est pas uniquement des hommes politiques qui le disent à la télé, ce sont aussi les hommes de la rue interviewés tous les jours, c'est ça la réalité.
Intervention dans la salle sur le rôle de l'ONU. Les Bosniaques demandent à ce qu'on fasse pression sur l'ONU pour qu'elle laisse passer les Bosniaques. On ne peut pas rentrer ou sortir de Sarajévo si on n'a pas un laisser passer de l'ONU. On peut citer l'exemple de livres qui ont été collectés dans les universités et en milieu étudiant pour refaire la bibliothèque de Sarajévo qui a été bombardée volontairement. Des milliers de colis sont bloqués à Corbeil. Il y a eu un débat pour savoir si l'Etat bosniaque représentait tous les Bosniaques, mais cette association n'intervenait pas dans ce débat. Sa demande était de pouvoir organiser un festival à Sarajévo. Ils demandaient des violons et des bouquins. La critique se portait sur l'ONU comme milice de contrôle avec un régiment originaire de Nantes notamment.
Andrée Michel, suite à ce débat revient sur l'impossibilité de mettre sur le même plan les agresseurs et les agressés.

Question : Comment lier de manière efficace réflexion et action? Est-ce seulement un problème de connaissance?

A. Michel : Pour les médias, il y a un verrou sur les relations internationales, il y a des débats internes à la France. Mais sur la Bosnie, les intellectuels en fondant cette liste "La démocratie à Sarajévo" ont trouvé une solution pour se faire entendre. C'est un éperon dans la classe politique française, BHL est en avant à cause du système médiatique, mais sur la liste, il n'est qu'en 17ème position.
La personne qui conduit c'est Schaswzemberg et le troisième c'est l'amiral Sanguinetti qui a toujours eu des positions très loyales, qui a été mis à la retraite anticipée parce qu'il dénonçait le complexe militaro-industriel. C'est un coup médiatique. Les intellectuels étaient tombés très bas dans mon estime, bien que j'en fasse partie. Au moment de la guerre du Golfe, ils avaient tous approuvés à part quelques exceptions, là ils se rachètent un peu. Nous n'avons pas tellement de moyens, mais au moins ce moyen là est une évidence. Ce n'est pas que je fasse confiance, croyez-moi je ne fais absolument pas confiance à BHL. Je me demande d'ailleurs s'ils auront le courage de maintenir la liste jusqu'au scrutin. C'est une solution qu'ils ont trouvé. Je ne dis pas qu'il n'y aurait pas pu y avoir autre chose. Mais c'est mieux que rien. Au moins on en fait un enjeu et pour moi c'est une évidence.
Les étudiants qui le 18 décembre 1993 défilaient dans Paris, avaient raison de dire "La démocratie en Europe se joue à Sarajévo". C'est sur que si on laisse la purification ethnique faire la loi dans un coin de l'Europe, ça va gagner comme une boule de neige toute l'Europe. Ca viendra chez nous.
Echo dans la salle : sur les lois Pasqua et l'Europe de Schengen, la place des étrangers en France, la citoyenneté à deux vitesses. Pourtant on sait bien qu'on soutient Hassan II.

L'information
A. Michel : J'ai déjà entendu cette objection. Récemment j'ai été dans une réunion où l'on a dit que l'on savait que la torture en Algérie était utilisée systématiquement. C'est toujours pareil, ce sont les intellectuels, un petit groupe d'intellectuels qui sont éveillés à ces problèmes, qui sont informés, mais le gros de la population n'est pas informé, absolument pas. Je ne suis pas d'accord avec votre analyse. C'est parce que nous sommes dans des petits groupes de gens qui ont les mêmes idées, qui disent les mêmes choses, alors on a l'impression que tout le monde est informé, mais ce n'est pas vrai du tout. Les gens partent le matin très tôt, je parle des parisiens, ils sont abrutis par la vie quotidienne qu'ils mènent, métro-boulot-dodo. Quand ils rentrent, ils sont trop fatigués pour mettre une chaîne culturelle, en admettant que ça existe. Il y a ARTE, mais ce n'est pas toujours que l'on parle de ces problèmes. Ils prennent des inepties sans nom qu'on leur donne comme nourriture intellectuelle à 20H30. Ils ne sont pas plus informés que ça.
Sont informés un petit noyau de personnes que j'appellerais les alternatifs qui ont créé des associations, qui sont dans des associations, mais c'est une minorité. Le problème c'est informer, faire savoir ce que l'on sait.
Je me rappelle ce qu'a écrit Carlo Lévi , c'est un ingénieur chimiste italien qui a été à Auschwitz , il a réussi à échapper à la mort, et de retour de captivité, il a écrit de très beaux livres sur cette captivité. Ce qu'il reproche au peuple allemand, c'est que celui-ci savait , quelques uns savaient et qu'ils n'ont rien dit.
Donc nous savons, nous devons dire et faire savoir dans la mesure ou nous le pouvons, ou les médias nous permettent de le dire. Mais la masse du peuple ne le sait pas, j'en suis persuadé. Quand on me dit que tout le monde sait qu'en Algérie la torture a été utilisée systématiquement par l'armée française, mais qui le sait? Les 500 000 qui étaient là-bas peut-être? Mais on ne l'écrit pas, on le dit dans quelques livres qui sont lus par 2 ou 3000 personnes. Mais les 55 millions de Français ne le savent pas, on a qu'à faire un test en sortant de là, les gens ne le savent pas.

Conférence-débat du 28 Mai 94 à Nantes

" Le silence et la mort :
Si tu te tais, tu meurs,
Si tu parles, tu meurs,
Alors dis et meurs!"


Tahar DJAOUT poète algérien assassiné en 1993

( propos lu sur une banderole lors d'un rassemblement à Nantes par le Comité de Soutien aux Démocrates Algériens)