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Origine : http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/5F/5E/document_article_marianne.phtml
Slavoj Zizek, né en 1949, est un homme en mouvement. Ce
philosophe épris de Lacan ressemble au vagabond des Lumières
de la ville pris d'une crise de hoquet après avoir avalé
son sifflet. Il joue de la musique malgré lui. Il est incapable
de retenir les sons qui sortent de son ventre. L'an dernier, il
a prononcé pas moins de trois cents conférences de
par le monde. Il éructe avec euphorie son discours telle
une arme à répétition. Le 29 mars, il prononçait
une conférence au centre Pompidou à l'intitulé
de saison: «De l'ignorance du poulet, ou qui croit en quoi
aujourd'hui?» C'est l'histoire d'un homme qui se prend pour
une graine. Il a peur d'être mangé par le poulet. Son
psychiatre le persuade qu'il n'est pas une graine. L'homme demande
alors si le poulet le sait. Il n'est pas guéri. Comme tous
les paranoïaques, il anticipe les menaces les plus improbables.
Zizek, dans Irak, le chaudron casséClimats, 2004., analysait
le symptôme de Bush dans ce sens. «La doctrine Bush,
écrivait-il, repose sur l'affirmation violente de la logique
paranoïaque de contrôle total des menaces futures...
elle présuppose que nous pouvons traiter l'avenir comme quelque
chose qui a déjà eu lieu.» Une manière
d'affirmer que l'intervention américaine a renforcé
la cause même contre laquelle les Etats-Unis sont intervenus.
Voilà le genre de paradoxe qui intéresse cet amateur
de plaisanteries. Le mauvais goût ne l'effraie pas. Au contraire!
La réalité l'obsède. Dans un portrait signé
Susan Chales de Beaulieu qui sera diffusé sur Arte le 24
avril«Alien, Marx et Cie», Arte 0 h 15., il se lance
dans une étude comparative des différents types de
WC en France, en Angleterre et en Allemagne. Chez les peuples révolutionnaires,
dit-il, les excréments disparaissent. Chez les pragmatiques,
ils sont broyés. Chez les métaphysiciens, ils flottent!
Dans ce documentaire, le téléspectateur fait sa connaissance
dans les studios de France Culture. Il y défend une conception
héroïque de l'acte libre. «La liberté fait
mal», dit-il. Ainsi vogue Zizek. Il part à la rencontre
du réel pour mieux le traverser. Il pourfend l'idéologie
préventive et définit la politique comme un art de
l'impossible.
Un livre paraît également: la Marionnette et le nainSeuil,
238 p., 22 euros. C'est une étude intéressante sur
le christianisme suivie d'un texte sur l'idéologie aujourd'hui.
Zizek y explique comment le Christ a été pervers avec
Judas. Comment il l'a poussé à commettre un acte de
trahison nécessaire à l'accomplissement de sa mission.
Il y expose aussi sa conception de la démocratie. Elle est
proche de celle du philosophe Jacques Rancière. La démocratie
est ce qui perturbe l'ordre normal des choses. Elle est le reste
de cet ordre. La part des sans-part. On pourrait reprocher à
Zizek son goût immodéré de la spéculation,
mais ce serait ignorer son sens du concret. Sa réfutation
de Francis Fukuyama, par exemple, s'appuie sur une analyse des oeufs
Kinder. Le jouet caché à l'intérieur de l'oeuf
symbolise, selon Zizek, l'équivalent moral du jouet, un je-ne-sais-quoi
insaisissable représentant le fondement de notre dignité
commune! Ce facteur X fait de nous des égaux malgré
nos différences. Une logique identique inspire le Petit Dinosaure,
le dessin animé produit par Steven Spielberg. L'universalité
abstraite y prend la place de l'universalité effective. La
fausse égalité usurpe la place de l'acte éthique.
Zizek est un semeur de panique. Il ne fait pas «comme si».
Il en fait parfois un peu trop. Mais il mouille sa chemise. Entre
deux avions, il s'applique à nous raconter la comédie
de nos symptômes. A quelles fins? C'est une autre histoire...
Marianne : N° 469 Semaine du 15 avril 2006 au 21 avril 2006
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