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Origine : http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=788
http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=176
« La plus mortelle de ses attaques, l’EZLN
ne l’a pas lancée contre les forces gouvernementales
mexicaines,
mais contre les bibliothèques, contre les manuels, contre
le savoir révolutionnaire établi »
Francisco Ferrara
Rechercher quelle a été l’influence du néozapatisme
sur les mouvements sociaux d’Amérique Latine, suppose
que l’on dépasse ses aspects visibles et les pratiques
institutionnelles. Dans les nouveaux mouvements, les ruptures avec
les traditions héritées des années 60 et 70
ne sont pas aussi évidentes que les continuités. Pour
les découvrir il faut interroger au delà des expressions
publiques et des programmes, pénétrer les pratiques,
les manières de vivre et les relations sociales qui se construisent
à l’intérieur des mouvements, car ce sont celles
qui façonnent les nouvelles manières de faire de la
politique et préfigurent la société à
laquelle les nouveaux sujets aspirent.
D’une part, on peut suivre les traces du zapatisme dans certains
des mouvements les plus récents et les moins institutionnalisés
; d’autre part, ces traces incluent certains thèmes
qui ont pris place au centre des débats ouverts par les nouveaux
acteurs sociaux : parmi les plus saillants, la question du pouvoir,
l’autonomie et l’autogestion, les temps du « dehors
» et du « dedans » et la manière de comprendre
le changement social. Ces impacts, cependant, se mêlent souvent
à des idées et des attitudes plus « traditionnelles
» et, sauf exceptions, comme la Mesa de Escrache Popular de
Buenos Aires, certaines assemblées de quartiers et certains
groupes de piqueteros, la ligne dominante semble être un impact
relativement fort sur les thèmes relatifs au pouvoir étatique,
et d’autres impacts plus superficiels, en particulier ceux
rattachés aux temps intérieurs et à la manière
de concevoir le changement social.
On peut suivre les traces de l’influence du zapatisme dans
une grande partie des mouvements de jeunes et d’étudiants
de tout le continent ; il existe une forte empathie entre les mouvements
indigènes continentaux et le zapatisme, sans doute parce
qu’ils partagent une même vision du monde ; par contre
l’impact du zapatisme hors de ces espaces n’est pas
aussi évident, quoique les crises des gauches de partis et
les difficultés que traverse le mouvement populaire aient
fait de l’EZLN une référence nécessaire,
bien qu’encore lointaine. En lignes générales,
les traces que laisse le zapatisme en Amérique Latine sont
plus visibles dans le mouvement social argentin qui a émergé
pendant les journées des 19 et 20 décembre 2001, que
dans le reste du continent. Peut-être parce qu’il s’agit
du plus récent, du moins institutionnalisé et du plus
ouvert des mouvements qui se propagent dans la région.
Pouvoir, contre-pouvoir & anti-pouvoir
La proposition zapatiste désormais célèbre
« nous ne voulons pas prendre le pouvoir » a été
reprise par des intellectuels et des dirigeants politiques et sociaux,
mais elle imprègne aussi une bonne part des débats
de certains mouvements importants du continent. Elle appelle cependant
l’attention sur le fait que l’ensemble des partis politiques
de gauche de la région - qui se rejoignent au sein du Forum
de Sao Paulo - continuent d’ignorer l’importance stratégique
de ce débat : depuis les courants les plus modérés,
proches de la troisième voie, jusqu’aux mouvements
guérilleros, tous ont passé sous silence pendant une
décennie la possibilité de reconsidérer leur
proposition de conquérir le pouvoir étatique, point
axial à partir duquel ils comptent articuler les changements,
et ils restent absorbés dans la vieille polémique
sur les voies, révolutionnaires ou réformistes, qui
conduisent à l’ « objectif final ». Chez
les intellectuels, les choses ne sont pas très différentes.
Les plus haut placés, ou les plus institutionnalisés,
ont choisi d’éluder le débat. D’autres
sont intervenus dans le débat sur un ton accusateur, reprochant
à ceux qui défendent la thèse « ne pas
prendre le pouvoir étatique » de montrer des signes
de « faiblesse » (c’est le cas de James Petras)
ou de défendre des idées qui « conduisent à
la défaite » (comme le soutient le philosophe argentin
Ruben Dri). Moins fréquents ont été les désaccords
réels qui ne visaient pas à diaboliser l’adversaire,
comme la polémique entre Atilio Borón et John Holloway
(Borón, 2001 ; Holloway, 2001).
Dans les cas où le débat a été repris
par les gauches de partis, le résultat a été
peu encourageant. Le Parti communiste révolutionnaire d’Argentine,
maoïste et inspirateur de l’association de piqueteros
Corriente Clasica y Combativa, le groupe de chômeurs le plus
nombreux et le mieux structuré, s’oppose de toute son
énergie au livre Changer le monde sans prendre le pouvoir,
de John Holloway (Holloway, 2002), mais comme les autres partis
de gauche, il se déclare en faveur de l’EZLN. Sans
pouvoir abandonner les schémas les plus classiques, le PCR
soutient que la thèse « ne pas prendre le pouvoir »
« sert les classes dominantes », vu qu’elles se
proposent d’« éloigner les masses du pouvoir
pour le garder aux mains des classes dominantes » (Nassif,
2002 :71). Le ton employé par le Parti des travailleurs socialistes
(PTS), organisation trotskiste fortement présente dans les
usines récupérées Brukman et Zanón,
est encore plus agressif : Holloway et les défenseurs de
la non prise du pouvoir étatique seraient des victimes de
l’ « éclectisme méthodologique »,
des « réformistes » et des « petits-bourgeois
», si l’on s’en tient aux qualificatifs les plus
doux qu’ils emploient à leur égard (Rau, 2002
:174). L’influence du zapatisme en Argentine et l’impact
médiatique de ses thèses principales ont provoqué
un contre-mouvement qui s’étend des espaces académiques
jusqu’aux plus importants mouvements sociaux, mais dont le
fer de lance est représenté par quelques intellectuels
et par les partis de la vieille gauche.
Au contraire, la polémique sur le pouvoir étatique
est présente dans quelques mouvements importants, surtout
dans les mouvements équatorien et argentin. Le débat
a lieu parfois de manière latérale, peut-être
pour éviter de rejeter directement les propositions zapatistes,
peut-être à cause du prestige énorme dont jouissent
le sous-commandant Marcos et le commandement indigène. Dans
les deux cas, le débat survient pour des raisons différentes.
En Équateur, comme nous le verrons, il a résulté
de l’expérience du 21 janvier 2000, lorsque le mouvement
indigène et des militaires nationalistes prirent en mains
pendant quelques heures le pouvoir étatique en décomposition.
Ce bref hold-up de l’État provoqua une situation de
crise dans les principales organisations du monde indien. En Argentine,
les événements des 19 et 20 décembre 2001 ont
donné lieu à des lectures idéologisées
de la réalité : depuis ceux qui ont cru y voir une
situation pré-révolutionnaire qu’il faudrait
canaliser vers la révolution - prise du pouvoir, jusqu’à
ceux qui prétendent que laisser ouvertes les questions posées
par des événements qui défient les savoirs
des révolutionnaires est un moyen de maintenir active la
créativité sociale.
L’impact du « ne pas prendre le pouvoir étatique
» sur le mouvement des piqueteros et des assembléistes
peut se vérifier d’une manière plus directe
: l’Argentine est le pays où la thèse d’Holloway
et celles de l’EZLN ont franchi les frontières du monde
intellectuel et du monde militant pour s’incarner dans de
vastes franges du mouvement social, et y disposent d’une diffusion
inhabituelle dans d’autres pays latino-américains.
Un document récent de plusieurs MTD [Mouvements de travailleurs
sans emploi] de la Coordinadora Aníbal Verón, un des
groupes piqueteros indépendants des partis et des centrales
syndicales, indique : « nous prenons nos distances à
l’égard des visions qui limitent l’idée
du pouvoir à la conquête de l’appareil de l’État,
comme objectif et fin ultimes », et il met l’accent
sur une conception du pouvoir qui semble tirée de l’idéologie
zapatiste : « Le pouvoir n’est pas une ’chose’
qui nous est étrangère, au sujet de laquelle nous
devons choisir d’être pour ou contre : nous préférons
le comprendre comme une relation sociale. Le pouvoir populaire se
construit depuis et dans les bases, avec une démocratie et
une participation conscientes, avec des relations qui préfigurent
la société à laquelle nous aspirons »
(MTDs, 2003).
Il vaut la peine de souligner qu’une bonne partie de ceux
qui se réfèrent à la Coordination Aníbal
Verón sont des jeunes qui se sont formés aux lectures
zapatistes, lorsque les communiqués du sous-commandant Marcos
captivaient les jeunes au milieu des années 90, depuis les
étudiants des universités jusqu’aux chômeurs
des quartiers périphériques. Une des particularités
du cas argentin à l’égard du zapatisme, c’est
l’identification d’une partie des rockeurs, public et
groupes de rock, à Marcos et à l’EZLN.
Mais les influences de ce débat sont plus vastes et parviennent
à d’autres endroits du continent, surtout où
la population indigène est importante. L’expérience
récente du mouvement équatorien, le plus important
du continent avec le mouvement argentin, a montré un infléchissement
en raison de l’insurrection qui a renversé le président
Jamil Mahuad en janvier 2000. Juste après le soulèvement,
le débat sur la conception du pouvoir a repris avec force
dans le mouvement indigène. Luis Macas, dirigeant de la Confédération
des nationalités indigènes de l’Équateur
(Conaie), a rappelé qu’en langue quechua ushay, le
pouvoir, « est la capacité à nous développer
collectivement » (Macas, 2000 :151). L’assertion de
Macas coïncide remarquablement avec la proposition d’Holloway
de différencier le pouvoir - faire (comme capacité
humaine de base) du pouvoir - domination (Holloway, 2003).
Issu d’une réflexion sur la même expérience,
le travail de l’économiste Pablo Dávalos conclut
que l’insurrection du 21 janvier clôt un cycle, pendant
lequel en effet « la dynamique du pouvoir s’est intégrée
à un mouvement dont l’action a toujours été
coordonnée par sa capacité à se transformer
en contre-pouvoir social » (Dávalos, 2001).
Les dirigeants de la Conaie se sont éloignés du projet
initial des indiens, lequel repose sur la défense d’un
État plurinational qui garantisse l’autonomie des peuples
et des nations indigènes. La dissolution des trois pouvoirs
de l’État en janvier 2000 a abouti à ce qu’une
bonne partie de la direction succombe à la « tentation
» du pouvoir étatique. A ce moment, la Conaie a franchi
le seuil qui sépare un mouvement social d’un mouvement
politique, mais en agissant ainsi, elle a mis « tout son acquis
historique » en jeu, puisque « se transformer en pouvoir
signifiait laisser de côté son projet le plus stratégique
et le plus à long terme de construire une société
vraiment plurinationale ». La Conaie cessa d’être
pour un temps le « contre-pouvoir le plus réel existant
dans la société, celui qui fut capable d’exercer
un pouvoir effectif de veto sur les initiatives les plus anti-populaires
des élites » (Dávalos, 2001).
Plus grave encore, l’option du pouvoir (brève dans
le temps, mais aux conséquences dramatiques pour le mouvement)
obligeait à laisser de côté « les dynamiques
propres de la résistance et à construire des formats
plus institutionnels qui puissent à la longue servir de mécanismes
de contrôle au surgissement de résistances possibles
de la part d’autres acteurs sociaux ». En somme, le
mouvement ne peut pas se transformer en pouvoir sans laisser de
côté son expérience en tant que contre-pouvoir.
Un an plus tard, en janvier 2001, un nouveau soulèvement
des bases, qui n’a pas été appelé par
les dirigeants, reprend le projet original avec une plate-forme
de lutte plus modeste. Les dirigeants qui s’étaient
distingués un an plus tôt adoptèrent un profil
bas sous la pression des bases qui comprenaient que se changer en
option de pouvoir conduisait à la fracture du mouvement.
Une conclusion s’imposa : « Il est plus important de
transformer un pays déchiré par le racisme, l’autoritarisme
et la toute-puissance que d’accéder au contrôle
du gouvernement » (Dávalos, 2001).
Dans d’autres cas, comme celui du mouvement uruguayen des
jeunes et des étudiants, on a pu voir l’empathie des
jeunes avec des mouvements comme les Sans Terre et le zapatisme
dans le type d’organisation qu’ils créèrent
: une coordination qui porta plus loin les occupations des centres
d’étude en hiver 1996. Ils définirent que la
coordination « n’est pas la direction du mouvement,
parce que la direction dépend du mouvement lui-même
» ; ils discutèrent pendant des heures et des jours
les propositions, mais ils tirèrent au sort leurs représentants
et placèrent les assemblées de centre au-dessus de
la coordination (Zibechi, 1997 :213). Une chose semblable s’est
produite en avril 2000 pendant l’insurrection pour l’eau
à Cochabamba. Là, « la multitude réunie
délibère directement », abolissant « l’habitude
de déléguer du pouvoir étatique », au
point que la multitude redéfinit le rôle des dirigeants,
qui ne sont plus désormais que des courroies de transmission
(Gutiérrez, García, Tapia, 2000 :170). Dans les deux
cas, l’organisation du mouvement (elles assumèrent
toutes deux la forme de coordinations) s’est construite sur
la double logique de disperser le plus possible le pouvoir et parallèlement
de refléter en son sein les réseaux sociaux des secteurs
sociaux impliqués. Cette double caractéristique a
conquis un espace, des têtes et des coeurs dans la majorité
des mouvements sociaux du continent.
Les nouvelles images du changement social : horizontalité
et communauté
Le changement social commence à se lier de plus en plus
à la capacité de faire plutôt qu’à
la conquête du pouvoir. C’est pourquoi les piqueteros
de la Coordinadora Aníbal Verón affirment avec insistance
que leurs initiatives de production « préfigurent »
la société qu’ils désirent. Une image
qui gagne du terrain parmi les nouveaux mouvements, c’est
celle que montrent de nombreux médias : groupes de voisins,
de sans-emploi et de paysans travaillant dans des entreprises collectives
ou communautaires, une image parmi celles que montrent les femmes
des secteurs populaires. La gamme va des cliniques de santé
autogérées aux boulangeries communautaires, des potagers
de voisins jusqu’aux petites fabriques de conserves, et parfois,
comme dans un quartier du sud de Buenos Aires, les sans-emploi eux-mêmes
(qui survivent avec 40 dollars par mois) ont installé une
fabrique de briques avec lesquelles ils construisent leurs logements
de moins en moins précaires.
Ces images toutes simples, beaucoup moins « héroïques
» que celles que nous avons connues dans les années
60 et 70, font partie du nouveau paysage du mouvement populaire.
Elles incluent l’idée de renforcer l’autonomie,
qui repose sur la création de fait de territoires où
les collectifs construisent leur nouveau monde, gagnant des espaces
dans lesquels ils cherchent à assurer la nourriture quotidienne
mais également à établir des relations solidaires
et égalitaires (Fernandes, 1996).
L’une des questions qui traversent le mouvement piquetero
(nommé « zapatisme urbain » par Holloway), est
celle du « comment » produire sa subsistance. Un débat
encore inachevé embrasse tout un ensemble d’organisations
sur la nécessité d’une rotation dans les charges,
sur le fait que les équipes de travail n’aient pas
de contremaîtres, sur celui de savoir comment adoucir la division
du travail et la hiérarchie des compétences (Zibechi,
2003). Quelques collectifs, comme le MTD de Solano, rejettent même
l’idée qu’il puisse exister des dirigeants, se
posant ainsi comme radicalement différents des mouvements
comme les Sans Terre qu’ils considèrent comme des frères
et des inspirateurs (Colectivo Situaciones, 2002b :42).
Depuis le milieu des années 90, grâce à la
double influence de l’expérience zapatiste et des nouvelles
cultures des jeunes, l’idée d’horizontalité
a gagné du terrain. A l’origine, il s’agissait
d’un rejet viscéral des pratiques centralistes et hiérarchiques
de la gauche et des syndicats. Mise en marche, l’horizontalité
elle-même a gagné des espaces, elle s’est étendue
et a fini par enrichir la vie quotidienne de groupes de femmes,
de jeunes, et de plus en plus de sans-emploi et de paysans. Le cas
de l’organisation HIJOS (les ENFANTS des disparus de la dictature)
d’Argentine mérite d’être mis en relief.
La profondeur de ses définitions va de pair avec la profondeur
de ses actions : en un petit nombre d’années, ils ont
gagné le respect de l’ensemble du mouvement populaire,
des médias et des intellectuels, et surtout, ils ont obtenu
que l’action qui les caractérise, l’« escrache
» (concentration devant le domicile d’un tortionnaire
pour que toute la communauté puisse le connaître) a
été adopté par de vastes franges de la société
dans les périodes de mobilisations majeures.
S’arrêter sur l’expérience de HIJOS suppose
que l’on mette en lumière une façon très
semblable à celle du zapatisme de mener debout les luttes
sociales. HIJOS se définit comme une « organisation
horizontale à volonté consensuelle ». Elle a
fait de l’asymétrie le signe de son identité.
« Cela n’a pas de sens de toujours nous référer
à l’ennemi ; si l’ennemi dit ’blanc’,
nous devons dire ’noir’ pour combattre le système
» (Situaciones, 2002a). Ils ne cherchent pas à obtenir
que la justice châtie les génocidaires, ils ne proposent
même pas un « châtiment populaire », mais
quelque chose de plus profond : que chaque quartier dans lequel
ils habitent soit leur prison, que chaque voisin soit leur geôlier.
En pariant sur le châtiment social, ils cherchent à
impliquer (et le font) l’ensemble des réseaux et des
organisations de chaque lieu dans les « escraches »,
si bien qu’ils travaillent avec eux pendant des mois, se démarquant
des temps du système et des médias et s’occupant
seulement des « temps intérieurs » du mouvement
social. Les résultats sont surprenants : non seulement des
dizaines d’assemblées de voisins ont effectué
au cours de 2002 des centaines d’« escraches »
contre les militaires génocidaires, mais beaucoup de ces
derniers ont dû déménager, vu que les voisins
refusaient de les saluer et qu’il leur était très
difficile d’acheter du pain et le journal dans leur quartier.
Pour HIJOS, l’horizontalité et la reconstruction des
liens solidaires détruits par la dictature sont des axes
aussi importants que le châtiment des génocidaires.
Autrement dit, des questions de principes.
« L’horizontalité est une vision particulière
de la démocratie. On pourrait dire que l’horizontalité
est un chemin, et en même temps une manière de marcher
sur ce chemin (...) L’horizontalité est fondamentalement
un effort, une demande à chacun de donner le meilleur de
lui-même, de ne pas se reposer sur les savoir-faire d’autrui,
d’accepter les décisions et les temps du collectif.
Toutes les organisations indiquent dans leur manière de travailler
le pôle qu’ils veulent atteindre. La manière
de faire de la politique est (ou devrait être) un témoignage
du monde, de la société dans laquelle ils veulent
vivre ». (Zibechi, 2003 :58).
HIJOS est d’une certaine manière l’organisation
la plus « purement » zapatiste du monde non indigène
d’Amérique Latine. Bien sûr, il s’agit
d’un collectif très particulier. Ses membres sont tous
enfants de militants des années 60 et 70, de disparus, d’emprisonnés
ou d’exilés ; ce sont des jeunes actifs et formés,
dont beaucoup sont étudiants ; parmi leurs textes de référence
figurent en premier lieu les communiqués de l’EZLN.
Visions du changement social : une façon de marcher
D’une manière très inégale, une idée
différente du changement social gagne du terrain. Il ne s’agit
pas d’une proposition nette, délimitée et précise,
mais de la conviction que les changements doivent être liés
au rétablissement des liens que le système détruit
quotidiennement depuis des siècles. Et, d’autre part,
du sentiment que les changements sont "notre affaire à
nous", ou tout simplement ne sont pas.
La récente décision de l’EZLN de clore l’expérience
des Aguascalientes et de construire à leur place les Caracoles
comme espace de l’autonomie locale et régionale sera
une inspiration stimulante. Les zapatistes ont décidé
de mettre en pratique l’autonomie de fait, sans attendre que
l’État mexicain la leur concède.
Ce n’est pas un chemin très distinct de celui sur
lequel ils marchaient, ni très différent de celui
sur lequel avancent les indigènes équatoriens (mais
aussi d’autres parties du continent et du Mexique), qui décidèrent
de se rendre forts dans les municipalités où ils ont
l’hégémonie ethnique, pour créer à
partir de là les bases de la nouvelle société.
L’idée de forger une nouvelle sociabilité,
de nouvelles relations entre les personnes et l’environnement,
dans les espaces-îles que contrôlent les mouvements
sociaux, est déjà le patrimoine de vastes franges
de personnes organisées sur les fronts les plus variés.
La métaphore de Marcos, selon laquelle il y a des gens qui
« passent leur vie à imaginer que le gouvernail existe
et à se disputer sa possession », tandis que d’autres
« font d’une île non pas un refuge pour leur autosatisfaction,
mais un bateau pour rencontrer une autre île, et une autre,
et une autre... », cette métaphore commence à
devenir une manière de vivre pour une partie considérable
de ceux qui consacrent leur vie à changer le monde à
partir des mouvements sociaux.
Traduction : Hapifil, pour RISAL.
Article original en espagnol : "Los impactos del zapatismo
en América Latina", La Fogata, 12-12-03.
Les impacts du zapatisme en Amérique latine Raúl Zibechi
jeudi 25 décembre 2003.
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