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Présentation
« Dans le livre de Nomad, on trouve le dialogue suivant:
– Les causes de toutes nos malheurs, ce sont les Juifs!
– Mais non, les cyclistes!
– Pourquoi les cyclistes?
– Pourquoi les Juifs?
À mon avis, ici se termine tout débat sur l’antisémitisme,
libertaire ou non libertaire. »
(Rudolf De Jong)
Ce numéro est consacré pour l’essentiel à
l’attitude des marxistes et des anarchistes face à
la prétendue « question juive » età l’antisémitisme.
Il offre certains éléments de réflexion pour
comprendre l’évolution des positions de ces courants,
leurs hésitations, vacillations et volte-face multiples face
à l’existence de la nation juive (de la religion juive,
ou du ou des peuples juifs, selon les interprétations), face
au sionisme puis enfin à l’État d’Israël.
Les auteurs sont de tendances très diverses, et certains
ne se considèrent pas comme des révolutionnaires.
Les textes de ce numéro ont été choisis, selon
l’orientation de cette revue, non pas parce qu’ils apporteraient
la Vérité, mais parce qu’ils contiennent un
certain nombre d’informations historiques et théoriques
indispensables pour entamer un débat sérieux.
Contrairement à ce qu’essaient de nous faire croire
la plupart des « antisionistes 1 », les dérapages
antisémites dans les manifs de l’extrême gauche
contre la guerre en Irak ou en solidarité avec la Palestine,
ou les propos individuels ambigus, voire crapuleux, de certains
militants ici ou là, ne proviennent pas de la politique criminelle
et colonialiste des gouvernements israéliens depuis cinquante
ans, ou de l’accélération de la violence ignoble
de Tsahal depuis la deuxième Intifada contre les civils palestiniens.
Ces dérapages verbaux et les amalgames intolérables
entre sionisme et nazisme ont une histoire bien antérieure
à 1948. Il est d’ailleurs intéressant de noter
que, dans les années 30 et 40, les ancêtres politiques
de Sharon traitaient de « complices des nazis » les
ancêtres de Rabin, comme l’explique en détail
Tom Séguev dans Le Septième Million. Ou que le bulletin
officiel de l’Église catholique de France, La Documentation
catholique, proclamait en juillet 1949 « que le sionisme était
une nouvelle forme de nazisme ».
Comme quoi, sans le savoir, les « arguments » de l’extrême
gauche sont parfois dangereusement proches de ceux de l’extrême
droite… sioniste et des calotins antisémites ! Une
proximité qui devrait inciter à s’interroger
sur leur bien-fondé et leur pertinence
Mais il faut remonter encore plus loin, aux débuts du mouvement
ouvrier, au calamiteux article de Karl Marx (La Question juive),
aux délires antisémites de Proudhon et aux propos
ignobles de Bakounine sur Marx et les Juifs.
La prétendue « question juive » dévoile
en fait les limites de toutes les idéologies révolutionnaires
depuis cent cinquante ans, idéologies généralement
fondées sur une vision assimilationniste de toutes les ethnies
et de tous les peuples, sur l’illusion que les religions et
les nationalismes n’auraient aucun avenir dans un monde capitaliste
moderne et développé, sur une croyance aveugle dans
les vertus du progrès technique et scientifique, sur une
foi démesurée dans les effets magiques de la révolution
sociale et d’une nouvelle organisation de l’économie
par les producteurs eux-mêmes.
Quoi qu’ils en disent, la plupart des « antisionistes
» ne s’intéressent pas beaucoup aux mécanismes
du racisme en général, et à ceux de l’antisémitisme
en particulier. Ou en tout cas, pétris de bonne conscience
et d’arrogance radicales, ils se croient au-dessus de ces
fléaux « secondaires » à leurs yeux. Leurs
positions politiques (« destruction » de l’État
d’Israël, comparaisons entre sionisme et nazisme, confusion
entre tous les génocides de l’histoire, etc.) ne reflètent
guère une compréhension subtile de la façon
dont des antagonismes sociaux se doublent de différences
fondées sur des identités ethnico-religieuses, aussi
fantasmatiques ou nocives soient-elles aux yeux de matérialistes
militants.
Leur angélisme provient (au mieux) d’une vision très
naïve de la nature humaine, d’un matérialisme
rudimentaire qui leur sert surtout à ne pas trop s’interroger
sur les mécanismes de l’oppression dans les sociétés
humaines et les organisations aussi révolutionnaires fussent-elles.
Paradoxalement, on n’est pas loin d’un messianisme,
de type religieux, qui veut nous faire croire qu’un Paradis
sans contradictions, sans violence, sans haines, naîtra de
la lutte de libération nationale ou de la révolution
sociale. Et de ce Paradis, l’URSS des années 1917-1927
(du moins pour les marxistes) aurait été l’antichambre
pour les prolétaires, comme pour les Juifs…
L’intérêt de la prétendue « question
juive » est qu’à travers cette question, on peut
revisiter pratiquement toutes les questions importantes de la théorie
révolutionnaire : les classes sociales, la nation, le rôle
de la classe ouvrière, la religion, l’État,
l’histoire du capitalisme, etc., comme en témoignent
les différents articles rassemblés dans ce numéro.
Bonne lecture !
1.Le mot « antisionistes » est placé entre guillemets
parce que ce terme a acquis depuis quelques années une signification
douteuse à force d’être utilisé à
toutes les sauces (cf. notre rubrique régulière «
Limites de l’antisionisme » et la brochure Nationalisme,
antisémitisme et altermondialisme — recueil de traductions
du groupe libertaire hollandais De Fabel van de illegaal). Antinationalistes,
antichauvins ou antipatriotes sont des mots plus clairs, car le
sionisme ne constitue qu’une des formes du nationalisme et
du chauvinisme qui divisent la classe ouvrière et dressent
les peuples les uns contre les autres. Qu’on le veuille ou
non, la nébuleuse « antisioniste » va des fascistes
aux islamistes en passant par l’extrême gauche. Or,
il faut absolument éviter certains cousinages, que ce soit
au niveau des manifs ou du vocabulaire politique, si l’on
ne veut pas tomber dans les pièges de l’antisémitisme.
De plus, la majorité des antisionistes-anti-impérialistes
sont en réalité de fervents soutiens du nationalisme
de leur propre impérialisme, de l’impérialisme
européen ou de certains pays du tiers monde auxquels ils
n’hésitent pas à décerner l’étiquette
de « progressistes ». Pour ceux qui en douteraient,
il suffit de se reporter au Monde diplomatique, porte-parole aujourd’hui
du courant ATTAC. Cette publication a toujours prôné
le « soutien critique » aux dictateurs des ex-pays colonisés,
des colonels péruviens à Castro en passant par Omar
Torrijos, Noriega (dans sa première période torrijiste-CIA,
voire dans sa seconde période d’électron libre
populiste allié de Castro et des narco-trafiquants colombiens),
Bourguiba, Ben Bella, Chavez, etc. Et comme par hasard ces positions
rejoignaient (et rejoignent encore) celles d’une grande partie
du mouvement trotskyste, sans compter bien sûr les groupes
maoïstes qui, du moins dans les pays occidentaux, n’existent
plus en tant que tels, mais dont l’idéologie imprègne
encore toutes sortes d’associations et de comités de
soutien aux luttes des pays du tiers monde.
P.S. : Pour des raisons de place, nous avons dû retirer plusieurs
textes que nous avions prévu d’inclure dans ce numéro.
Ces articles (notamment ceux de Norman Cohn, Stan Crooke, Tony Cliff,
Emma Goldman, Hal Draper, etc) seront publiés dans unou des
numéro(s) ultérieur (s).
Sommaire
ISRAËL ET LA PALESTINE AUJOURD’HUI
Y.C. : Onze points de démarcation sur la prétendue
« question juive », le sionisme et l’État
d’Israël (pp. 6-8)
- Gush Shalom : 80 thèses pour une paix israélo-palestinienne
(2001) (pp. 9-18)
- - Mouvement communiste : Deux États contre le prolétariat
(2003) (pp. 19-32) - Dernières nouvelles de Palestine (février
2003) (pp. 33-46)
- - Guy Izhak Austrian et Ella Goldman : Quelques suggestions pour
renforcer le mouvement de solidarité avec la Palestine (pp.
47-51)
- - Rudolf Bkouche : Quelques commentaires (pp. 52-54)
LES MARXISTES FACE A LA « QUESTION JUIVE » ET AU SIONISME
S. Michael-Matsas : Sur le marxisme et la question juive (1998)
(pp. 56-65)
- A. Clemesha : Trotsky et la question juive (pp. 68-96)
- - S. Matgamma : De Trotsky au trotskysme des imbéciles
(2002) (pp. 97-106)
- - Alliance for Workers Liberty : Comment unifier les prolétaires
juifs et arabes (pp. 107-111)
- - G. Mammone : Le conflit arabo-juif en Palestine (Bilan, 1936)
(pp. 112-119)
- - Communistes révolutionnaires : Lettre aux ouvriers juifs
(1943) suivi d’un Commentaire (p. 120-123)
- – Fraction française de la gauche communiste : Buchenwald,
Maïdanek, (1945) suivi d’un Commentaire (p. 124-125)
- - E. Mandel : Projet de thèses sur la question juive après
la Seconde guerre impérialiste (1947) (pp. 126-137)
- - Il programma comunista : Le retour de la question juive ? (1960)
(pp. 138-140)
- - M. Machover et A. Orr : Israël/Palestine : La classe ouvrière
israélienne peut-elle aider les Palestiniens ? La nature
de classe d’Israël (1969) (pp. 141-150)
LES ANARCHISTES FACE A L’ANTISEMITISME ET AU SIONISME
F. Gomez : L’anarchiste et le juif, histoire d’une rencontre
(2003) (pp. 152-157)
- M. Graur : Anarchisme et sionisme. Le débat sur le nationalisme
juif (2003) (pp. 158-166)
- - N. Makhno : Aux juifs de tous pays La makhnovstshina et l’antisémitisme
(pp. 167-172)
- - S. Boulouque : Les anarchistes, le sionisme et la naissance
de l’État d’Israël (1999) (pp. 173-178)
- Anarchisme et judaïsme dans le mouvement libertaire. Réflexions
sur quelques itinéraires (2003) (pp. 179-185)
- - R. de Jong: Le débat anarchiste sur l’antisémitisme
(pp. 186-194)
- - R. de Jong: Quelques remarques générales sur l’anarchisme,
«les Juifs », le sionisme et l’antisémitisme
avec quelques informations concrètes sur les Pays-Bas (pp.
195-197) - R. Creagh : L’Horreur ethnocratique. Trois questions
sur le Moyen-Orient (2003) (pp. 198-203)
ANTISEMITISME, JUDEOPHOBIE, NEGATIONNISME, ANTISIONISME : CONVERGENCES
POSSIBLES ET DIFFERENCES FONDAMENTALES
Dario Renzi : Anti-étatisme versus antisémitisme (2003)
(pp. 206-207)
- Temps critiques : Capitalisme et antisémitisme (1990) (p.
208)
- - J. Valjak et M. Argery : Dossier négationnisme (pp. 209-228)
- - Y.C. : Une question à creuser ? (p. 229)
- - A propos de Finkelstein et de « Shoah Business »
(pp. 230-231)
- - Un professeur bien mal inspiré (p. 232-233)
- - Bourseiller : Le Baiser du serpent (p. 234)
- - S. Grigat : L’antisémitisme, l’antisionisme
et la gauche (Traduction: Céline Jouin) (2002) (pp. 235-241)
- - Rudolf Bkouche : Antisionisme, antisémitisme et judéophobie
(pp. 242-246) - Judéophobie et judéophilie (pp. 247-249).
- Deux courriels d’internautes (pp. 250-251) - Uri Avnery
: Antisémitisme. Un manuel pratique (2004) (pp. 252-254)
- – Y.C. : Limites de l’antisionisme (pp. 255-258)
- – Livres (p. 259)
- – Billet d’humeur : Les comiques « antiracistes
» surmédiatisés renforcent les préjugés
qu’ils prétendent combattre. (p. 260-261).
En vente par correspondance
Yves Coleman
10 rue Jean-Dolent
75014 Paris
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