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Origine : http://www.liberation.fr/rebonds/271585.FR.phpc
La mésaventure arrivée à une juive de l’Algérie
française depuis le décret Crémieux de 1870,
à qui l’on demande la production d’un acte prouvant
sa religion à l’occasion du renouvellement de sa carte
d’identité (Libération du 7 août 2007),
illustre assez bien la folie qui s’est emparée de l’administration
française : tout renouvellement d’un document d’identité
— le passeport nouvelle formule n’échappe plus
à la règle — devient le prétexte d’une
chasse aux « faux Français » qui fleure bon la
xénophobie d’Etat.
Au prétexte de l’informatisation des documents d’identité
et de débusquer ceux et celles qui bénéficieraient
à tort de la nationalité française, l’administration
contraint tous ceux qui sont nés à l’étranger
de justifier de leur nationalité. Ceci nécessite des
recherches souvent longues et difficiles sans compter les embarras
pratiques et le traumatisme que peut ressentir une personne de 50
ans déstabilisée par la mise en cause de ce qui reste
un des attributs essentiels de la personnalité de chacun,
sa nationalité. La suspicion est ainsi devenue le droit commun
: tout Français né à l’étranger
est potentiellement un fraudeur. Que cette suspicion conduise à
se préoccuper de la religion de l’intéressé
ou de la consonance européenne de son nom ne semble pas préoccuper
les fonctionnaires chargés de mettre en œuvre cette
politique et encore moins le procureur de la République de
Bobigny.
Comme si les principes les plus élémentaires de la
République recevaient d’autant moins application qu’il
s’agit de la Seine-Saint-Denis. Dans la pratique ce sont des
millions de personnes qui sont concernées par cette traque
d’autant plus absurde qu’elle est inutile dès
qu’elle concerne une personne âgée de plus de
10 ans et ayant été reconnue comme française
pendant cette période. L’article 21-13 du code civil
dispose, en effet, que « peuvent réclamer la nationalité
française par déclaration souscrite conformément
aux articles 26 et suivants, les personnes qui ont joui, d’une
façon constante, de la possession d’état de
Français, pendant les dix années précédant
leur déclaration ». C’est dire, en clair, qu’une
personne ayant 30 ans, qui a eu une carte nationale d’identité
depuis sa majorité et tous les attributs d’un Français,
ne peut se voir refuser la nationalité française même
si elle en a bénéficié par erreur. A quoi sert
donc de faire peser sur des millions de personnes l’épée
de Damoclès d’une nationalité contestée
qui peut en même temps être rétablie par le biais
d’une autre procédure ?
Ceci atteste d’une double dérive : ce ne sont plus
seulement les étrangers qui veulent venir en France, qui
y résident ou qui veulent en acquérir la nationalité
qui font l’objet d’un rejet avéré, ce
sont aussi les Français d’origine étrangère
et par extension ceux nés à l’étranger
qui sont victimes de la même logique. La discrimination ainsi
institutionnalisée a encore de beaux jours devant elle. Nous
sommes bien entrés dans l’ère du contrôle
a priori, avec comme alibi et comme moyen l’usage de l’informatique
et de la biométrie. C’est très directement,
au sens des révolutionnaires de 1789, qui faisait d’elle
une protection contre l’arbitraire de l’Etat, la sûreté
de chacun de nous qui est atteinte.
La «consonance israélite» réveille
le zèle administratif Pour une carte d’identité,
un document religieux est exigé d’une pied-noir en
Seine-Saint-Denis.
Par Catherine Coroller
QUOTIDIEN : mardi 7 août 2007
http://www.liberation.fr/actualite/societe/271050.FR.php
Elle est encore bouleversée, Brigitte Abitbol. Elle ne comprend
pas que pour un banal renouvellement de carte d’identité,
le greffier du tribunal d’instance de Montreuil (Seine-Saint-Denis)
se soit permis de lui demander, parmi les pièces à
fournir, «un acte de [sa] religion». «Parce que
vous avez un nom à consonance israélite», a-t-il
expliqué. «Ils n’ont pas à demander ce
genre de chose ; dans aucun acte administratif on ne doit prouver
sa religion», s’indigne-t-elle. Dans l’esprit
de cette Française, juive née en 1950 en Algérie,
tout se mêle: le décret Crémieux par lequel
les juifs d’Algérie se sont vus concéder en
1870 la citoyenneté française ; les lois de Vichy
qui les ont déchus de leur nationalité ; de Gaulle
qui les a rétablis dans leurs droits; l’indépendance
de l’Algérie qui les a contraints au départ
; le rejet anti-pieds-noirs dont ils ont fait l’objet à
leur arrivée en France.
Furieuse. Courant juin, Brigitte Abitbol se présente à
la mairie de Montreuil pour faire refaire sa carte d’identité.
Là, première surprise désagréable, elle
apprend que, comme tous les Français nés à
l’étranger ou de parents étrangers, elle est
astreinte à une procédure spéciale. Depuis
1994, en effet, l’administration exige d’eux un certificat
de nationalité. «Déjà, le fait qu’on
me demande de prouver ma nationalité m’avait contrariée
mais bon, admettons.» Elle s’enquiert alors auprès
du greffier du tribunal d’instance, chargé de délivrer
ce certificat, des pièces à produire. Une liste imprimée
lui est remise : actes de naissance de son père et de sa
mère, acte de mariage de ses parents. Une mention manuscrite
a été ajoutée : «acte de mariage religieux».
Furieuse, Brigitte Abitbol se présente au tribunal d’instance
avec les papiers demandés, sauf «l’acte de religion».
Entre elle et la «dame de l’accueil», le ton monte.
C’est Brigitte Abitbol qui raconte : «La loi c’est
la loi, vous fournissez ce qu’on vous demande», lui
aurait rétorqué l’agent. «Vichy, c’est
fini. Je ne bougerai pas d’ici tant que vous ne m’aurez
pas montré le décret qui dit que je dois fournir un
acte de religion», répond Brigitte Abitbol. L’agent
appelle la police. «Deux gars baraqués arrivent. L’un
me dit : Vous [les juifs, ndlr], vous vous sentez toujours persécutés.
Vous n’êtes pas les seuls à souffrir. »
Lorsque les policiers voient la liste des documents demandés
par le tribunal, dont le fameux «acte de mariage religieux»,
ils s’adoucissent. Le greffier, qui avait refusé jusque-là
de se montrer, est convoqué. Il maintient sa demande pour
cause de «nom à consonance israélite».
«Je ne le fournirai jamais», répond Brigitte
Abitbol. «Vous n’aurez pas votre carte d’identité»,
lui rétorquent les agents de l’administration.
Ancien commissaire de police et président du Bureau de vigilance
contre l’antisémitisme, Sammy Ghozlan entend parler
de cette affaire et vole au secours de Brigitte Abitbol. Il saisit
François Molins, procureur de la République du tribunal
de grande instance de Bobigny. Celui-ci lui répond que «suivant
les instructions qui sont données [par] l’Ecole nationale
des greffes, spécialiste de la délivrance des certificats
de nationalité, le greffe [de Montreuil] demande effectivement
aux personnes [nées en Algérie et portant un patronyme
à consonance israélite] la production [d’un
acte religieux], au même titre que l’ensemble des collègues
du département». En vertu de quels textes, les juifs
d’Algérie font-ils l’objet d’un traitement
spécial ?
La réponse vient du Bureau de la nationalité au ministère
de la Justice. Comme tous les Français nés à
l’étranger ou de parents étrangers, les rapatriés
d’Algérie qui demandant un certificat de nationalité,
qu’ils soient juifs ou non, doivent d’abord apporter
la preuve que leurs parents étaient Français. S’ils
portent un patronyme à consonance gauloise, l’enquête
s’arrête là. Si le greffier soupçonne
un patronyme d’origine juive, les investigations se poursuivent.
Objectif : déterminer si ces personnes ont obtenu la citoyenneté
française grâce au décret Crémieux, qui
en a fait des Français de plein droit, à l’égal
de leurs compatriotes non juifs, ou si elles relevaient d’un
statut «de droit local», ce qui en faisait des citoyens
français de seconde zone. A l’indépendance de
l’Algérie, en 1962, seuls les Français de plein
droit ont conservé leur citoyenneté, les autres, devant,
pour rester Français, souscrire avant le 21 mars 1967 une
déclaration «recognitive» de nationalité
française. Passé ce délai, ils ont perdu leur
citoyenneté.
Mais, problème, le nouvel Etat algérien ne reconnaissant
pas comme siens les déboutés de la nationalité
française, notamment les harkis, le parlement français
a voté en 1966 une loi stipulant que les personnes non «
saisies» par la loi algérienne pourraient conserver
leur citoyenneté. Quel intérêt dès lors
de traumatiser Brigitte Abitbol pour déterminer de quelle
manière ses ancêtres sont devenus Français ?
D’autant que, d’après l’historien Patrick
Weil, la quasi-totalité des 37 000 juifs algériens
ont été naturalisés grâce au décret
Crémieux.
En réalité, Brigitte Abitbol ne fait pas l’objet
d’un harcèlement particulier. Tous les Français
nés à l’étranger ou de parents étrangers
sont victimes de ce zèle administratif. En 1993, lorsque
la carte d’identité papier a été remplacée
par sa version informatisée, l’administration en a
profité pour donner un tour de vis. Jusque-là, il
suffisait, pour avoir de nouveaux papiers, de produire ceux qui
étaient périmés. «On renouvelait la carte
d’identité sans vérifier. Notamment les effets
des indépendances. Or il s’avère que des gens
n’ont pas conservé la nationalité française»,
explique Gloria Herpin, du Syndicat des greffiers de France. Désormais,
pour obtenir une carte d’identité ou le nouveau passeport
biométrique, «il faut remonter jusqu’à
la source de la nationalité . Ensuite, on tire le fil,
on regarde s’il n’a pas été coupé
d’un coup de ciseaux : indépendance du pays de naissance,
mariage avec un conjoint étranger, choix individuel de la
personne», précise Gloria Herpin. Certains Français
originaires des anciennes colonies se sont vus ainsi brutalement
retirer leur nationalité ( Libération du 4 décembre
2006).
Violent. Dans une chemise cartonnée, Brigitte Abitbol transporte
des documents prouvant que ses ancêtres ont bien été
Français. Ainsi, des photos de ses deux grands-pères,
l’un en uniforme de l’armée française,
l’autre ceint de son écharpe de maire de Laghouat
- une oasis du Sud algérien où vivait la famille
-, une brochette de décorations, dont la Légion d’honneur,
au plastron. Cette affaire a réveillé chez elle une
colère ancienne. «Tout est ressorti», reconnaît-elle.
L ’échange avec les agents du tribunal a dû être
particulièrement violent. Affirmant s’être
fait «insulter gravement», la «dame de l’accueil»
a déposé contre elle une main courante au commissariat.
Ma grand-mère a sorti sa carte avec la mention "juif"»
Les témoignages de lecteurs affluent après
notre article sur les déboires d’une Française,
Brigitte Abitbol, pour obtenir ses papiers d’identité.
Par Catherine Coroller
QUOTIDIEN : jeudi 16 août 2007
http://www.liberation.fr/actualite/societe/272511.FR.php
Les déboires avec l’administration de Brigitte Abitbol,
Française juive née en Algérie en 1950 ( Libération
du 7 août) ont passionné les lecteurs de Liberation.fr.
Comme à tous les Français nés hors de l’Hexagone
ou de parents étrangers, cette quinquagénaire s’est
vu demander, pour le renouvellement de sa carte d’identité,
un certificat de nationalité, délivré par un
tribunal d’instance, en l’occurrence celui de Montreuil
(Seine-Saint-Denis). Mais, comme elle porte un patronyme à
«consonance israélite», le greffier lui a demandé
de fournir un «acte de [sa] religion».
Objectif : s’assurer que Brigitte Abitbol est bien juive,
ce qui laisse supposer qu’elle descend d’une famille
naturalisée en 1870 grâce au décret Crémieux,
comme la quasi-totalité des juifs d’Algérie.
Brigitte Abitbol a refusé de produire un tel document. Elle
n’a toujours pas de carte d’identité. Et son
cas n’est pas isolé.
Médiateur. Le grand nettoyage organisé par l’Etat
depuis 1993-1994, lorsque la carte d’identité papier
a été remplacée par sa version informatisée
et sécurisée, en désoriente plus d’un.
Ainsi Gérard à qui une greffière du tribunal
d’instance du XVIIe arrondissement de Paris a demandé
«un certificat de judaïcité». «Il
a fallu l’intervention du médiateur de la République
pour résoudre ce problème, témoigne-t-il. Un
grand-père qui s’est battu en 14-18, un père
mort pour la France et moi-même deux ans d’armée
dans les paras… bravo pour l’égalité,
la fraternité».
De même Mita : «Juive d’origine algérienne,
il m’a été demandé de prouver ma nationalité
française. J’ai produit le jugement de nationalité
de mon père ainsi que le livret de famille. Il m’a
été demandé, malgré ce premier jugement,
de prouver ma judaïté, comme si le décret Crémieux
prévoyait que les descendants des juifs algériens
devaient rester juifs jusqu’a la nuit des temps. Il se trouve
que je suis restée juive et que j’ai produit le certificat
demandé, mais si j’en avais eu le temps et les moyens,
j’aurais saisi le Conseil d’Etat».
Mamwe raconte que sa mère a vécu la même mésaventure
que Brigitte Abitbol : «Il lui est arrivé la même
chose à la mairie de Massy (Essonne). En effet, elle est
née en 1953 à Bône en Algérie. Son nom
de jeune fille à consonance israélite , y est peut-être
pour quelque chose. Mais elle a fait un tel scandale que c’est
passé».
Que l’administration ose réclamer un «certificat
de religion» choque les internautes. «On n’a pas
à demander un acte religieux, s’insurge Warp. A quand
une demande de baptême pour les inscriptions dans les maternelles
? Lamentable». «Et si cette dame était de famille
juive athée ? questionne un autre. Comment avoir un acte
religieux ? On fait quoi, on lui paie un charter ? Pour aller où
?»
«Dégradant». Les non-juifs nés à
l’étranger ou de parents étrangers sont censés
avoir hérité de la nationalité française
par le sang et non grâce au décret Crémieux.
Ils ne sont pas astreints à la fourniture d’un certificat
religieux. Mais beaucoup jugent humiliant de devoir produire un
certificat de nationalité. «Je témoigne en tant
que pied-noir. C’est dégradant de se voir considéré
comme non-français», écrit un homme. «Née
en Algérie d’un père réfugié espagnol,
naturalisé français et d’une mère née
en Algérie, j’ai dû moi aussi prouver ma nationalité,
rapporte Caroline. Fonctionnaire depuis 38 ans, j’aurais pu
en rire mais je me suis sentie furieuse et surtout… en danger.
J’imagine si j’avais été juive, ou noire
ou beur…» Ce lecteur raconte l’histoire de sa
grand-mère : «Elle est née en 1919 dans un shtetl
en Pologne à 30 km de Dachau, et a été naturalisée
française en 1921 après que sa famille a émigré
suite aux premiers pogroms. En 2001, elle s’est vu demander
un certificat de nationalité pour le renouvellement de sa
carte d’identité. Elle a expliqué que son village
avait été détruit et brûlé et
qu’il n’existait plus de documents. On lui a rétorqué
qu’alors elle serait renvoyée dans son pays . Elle
a sorti sa carte nationale de Français éditée
en 1943 et barrée de la mention JUIF et m’a téléphoné
en larmes… J’ai demandé à voir le sous-préfet
et celui-ci a fini par s’excuser et ma grand-mère a
eu sa carte.» Autre catégorie de population qui vit
particulièrement mal l’obligation de fournir un certificat
de nationalité, les Français descendants de personnes
nées en Alsace-Lorraine entre 1870 et 1918 alors que cette
province était allemande. «J’ai dû renouveler
mes papiers et ceux de mes enfants, raconte Isabelle. L’administration
a exigé un certificat de nationalité car un de mes
parents est né en Alsace. On m’a demandé le
livret militaire de mes deux grands-pères (morts depuis longtemps),
ne les ayant pas, il y a eu enquête approfondie. Manifestant
mon mécontentement devant cette procédure basée
sur le délit de sale origine , on m’a gentiment répondu
que je n’étais française que par réintégration.»
Indépendance. L’inquisition administrative atteint
son maximum pour les Français originaires d’anciennes
colonies descendants, non pas de colons, mais d’indigènes.
L’administration zélée s’attache alors
à vérifier si eux - ou leurs parents - ont fait toutes
les démarches nécessaires pour conserver la nationalité
française lors de l’indépendance.
L’enquête aboutit parfois à un retrait de la
nationalité. «Pour les Français nés à
l’étranger et notamment ceux nés au Maghreb,
s’insurge Mathkara, il est assez déroutant, pour ne
pas dire vexant ou humiliant, à 50, 60 ans et plus, de voir
de jeunes freluquets venir demander à des individus, français
depuis des années, de justifier de leur francité .
Le pire étant lorsque après avoir été
français pendant plusieurs décennies, on vient vous
dire : ha, mais en fait, non vous n’êtes pas français,
vous allez devoir retourner dans votre pays car vous êtes
en plus sans-papiers ! »
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