|
Origine : http://www.europalestine.com/spip.php?article2809
http://www.algeria-watch.org/fr/article/tribune/xenophobie_etat.htm
"Peu après son entrée en fonction, en tant que
ministre de l’Immigration, de l’Intégration,
de l’Identité nationale et du co-Développement,
- une première dans l’histoire de ce pays, de même
pour celle des Etats démocratiques puisqu’un tel ministère
n’a, semble-t-il, pas de précédent connu : encore
une remarquable mais sinistre exception française –
Brice Hortefeux demandait à ceux qui condamnaient cette initiative
et la politique dont elle était l’expression de le
juger non sur des paroles, moins encore sur des intentions supposées,
mais sur des actes. Soit.
L’énumération qui suit n’a pas la prétention
d’être exhaustive – hélas, elle peut être
abondamment et sinistrement complétée par beaucoup
d’autres exemples
- 5 juin 2007. Une camerounaise de 9 ans est maintenue au centre
de rétention de Lyon-Saint-Exupéry avec son père
en voie d’expulsion.
- 19 juin. Mme Thérèse Kopia, centrafricaine de 68
ans, mère de six filles résidant en France de façon
régulière, certaines y ont acquis la nationalité,
d’autres disposent de titre de séjour, grand-mère
de dix-neuf petits enfants français, est arrêtée
au domicile de l’une d’elle, alors qu’elle prend
un bain, et immédiatement placée en rétention.
Le lendemain, elle est emmenée à Roissy à des
fins d’expulsion. Gardée à vue pendant 2 jours,
en raison de son refus d’embarquer, elle comparait libre le
19 juillet devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Dans
son infinie mansuétude, le parquet requiert une peine de
quatre mois de prison avec sursis et une interdiction de résider
sur le territoire français.
- 21 septembre. Pour échapper à un contrôle
de police, Chulan Zhang Lui, chinoise sans papiers résidant
boulevard de la Villette à Paris, décède après
s’être défenestrée ; c’est le cinquième
cas en deux mois.
- 29 septembre. Deux enfants de 5 et 3 ans scolarisés dans
une école maternelle de Digoin, en Saône-et-Loire,
sont privés de cantine au motif que leur mère, ressortissante
de la République Démocratique du Congo en situation
irrégulière, a été placée en
centre de rétention pour être renvoyée dans
son pays d’origine alors qu’elle est enceinte de huit
mois. Pour justifier sa décision, le maire UMP, sûr
de son fait et de son bon droit joue avec zèle une partition
écrite à l’Elysée en expliquant ceci
: « contrairement à la scolarisation, l’accueil
à la cantine n’est pas une obligation. » Nouvelle
politique justifiant des pratiques inédites ? Non, continuité
des orientations mises en œuvre par l’ancien ministre
de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui, élu président
de la République, délègue à d’autres
le soin de les appliquer et d’accroître leur sévérité
si besoin est.
Ces quelques exemples révèlent plusieurs éléments
essentiels. Systématiquement rabattu sur la figure plus inquiétante
encore du « clandestin », l’étranger est
désormais devenu de façon officielle l’incarnation
de dangers multiples qu’il faut conjurer au plus vite par
la réunion de moyens matériels, financiers et policiers
exceptionnels. A cela s’ajoute, pour atteindre les quotas
d’expulsion fixés par l’administration placée
sous l’autorité de B. Hortefeux, la mobilisation spectaculaire
des préfets, pressés eux aussi de « faire du
chiffre » comme on dit du côté de la Place Beauvau
et dans les différents commissariats de la douce et très
républicaine France des droits de l’homme.
En dépit d’évolutions inscrites dans la longue
durée, comment qualifier cette situation marquée par
une inflexion substantielle qui fait du renvoi forcé de 25
000 étrangers l’une des priorités nationales
du moment, assumée et exécutée par un ministère
ad hoc dont la fonction est aussi de défendre une identité
nationale « menacée », entre autres, par ces
« flux migratoires », dit-on ?
Certains, moins habiles sans doute dans l’euphémisation
du langage - peut-être déclarent-ils tout haut ce que
leurs nouveaux maîtres pensent tout bas ? - affirment : «
Il ne faudrait pas qu’une immigration mal agencée vienne
remettre en cause le régime républicain. Il peut y
avoir des ennemis de la République qui s’arrogent tous
les moyens pour mettre les institutions en danger. L’auteur
de cette très singulière déclaration, qui fait
croire à l’imminence d’un péril démocratique
majeur, n’est autre que François Guéry, philosophe
de son état et désormais tout nouveau secrétaire
général du Haut Commissariat à l’Intégration.
Haut Commissariat dont la présidence est assurée par
“l’Immortelle” Carrère d’Encausse
dont chacun a pu apprécier l’étendue des compétences
sur le sujet comme le prouvent, notamment, ses profondes et pertinentes
déclarations relatives aux émeutes de l’automne
2005 provoquées, selon elle, par des Africains polygames.
Bel attelage qui est assurément une garantie de scientificité
et d’objectivité pour le nouvel organisme créé.
Aux agissements politico-policiers évoqués à
l’instant succèdent donc des discours absolument décomplexés
et sans tabous, conformément à la doxa de saison,
qui justifient les premiers en même temps qu’ils légitiment
la mise en place de ces institutions chargées de protéger
le pays des étrangers et de leurs agissements.
A quel type de pratiques et de discours ressortissent celles et
ceux qui viennent de retenir notre attention ? De quoi la création
du Ministère et du Commissariat précités est-elle
l’expression ? De quoi sommes-nous aujourd’hui les témoins
? De l’avènement d’une xénophobie d’Etat
et d’institution qui ne cesse de mettre en scène, et
en discours, la peur de l’étranger contre lequel des
dispositions exorbitantes du droit commun doivent être arrêtées,
puis mis en œuvre par des pouvoirs publics mobilisés
comme jamais pour combattre les dangers annoncés. Politique
de la peur et de la stigmatisation donc qui ne peut que valider,
encourager et contribuer à l’induration des sentiments
xénophobes déjà présents chez une partie
de la population. Et au terme de ce processus, sans terme véritable,
ceux-là mêmes qui spéculent ainsi sur le rejet
de l’Autre prétendront agir conformément aux
craintes de l’opinion publique et pour mieux défendre
les Français dont ils se disent à l’écoute.
Triomphe de la démagogie érigée en principe
pour mieux conquérir le pouvoir et le conserver. Double politique
de la peur en fait ; il ne s’agit pas seulement de la susciter
et de l’entretenir chez les nationaux mais d’en faire
aussi un instrument tourné cette fois contre les étrangers
à qui il faut faire peur et rendre la vie aussi pénible
et précaire que possible pour mieux « endiguer les
flux migratoires. »
De là la multiplication des contrôles policiers effectués
en des lieux et à des heures choisis, des visites domiciliaires
et des expulsions auxquels s’ajoutent des réformes
incessantes et toujours plus restrictives qui créent une
instabilité juridique structurelle pour les personnes concernées.
De là aussi la violation grave, répétée
et systématique d’une Convention des Nations Unies
relative aux Droits de l’Enfant et de dispositions législatives
qui précisent « que l’étranger mineur
ne peut pas faire l’objet d’une mesure de reconduite
à la frontière (Article L. 511-4, Ceseda). »
Selon les services de la CIMADE, environ 400 enfants auraient été
placés en centre de rétention au cours de l’année
2005. En ces matières, les forces de police, couvertes parce
qu’encouragées par leur autorité de tutelle
et par le pouvoir politique dans son ensemble, méconnaissent
ainsi, depuis longtemps déjà, un Traité international,
pourtant ratifié par la France, et des dispositions juridiques
nationales votées par le Parlement. Excusez du peu.
L’addition de ces différents faits, avérés,
constatés et consignés par de nombreuses institutions
et associations, tant nationales qu’européennes, dans
des rapports publics aisément accessibles, ne sont pas des
accidents marginaux et limités dans le temps. Au contraire,
leur mise en perspective révèle ceci : les principes
républicains et le respect des lois, invoqués de façon
solennelle par les uns et les autres, couvrent leur violation courante
et parfois systématique légitimée par les impératifs
de la sécurité et de la mise en scène démagogique
des résultats, lesquels permettent à l’actuel
président de la République et à son ministre
Hortefeux de faire croire qu’ils disent ce qu’ils font
et qu’ils font ce qu’ils disent alors qu’ils sont
à l’origine du développement de pratiques illégales
dont certaines ont été jugées telles par le
Conseil d’Etat et par le commissaire européen aux Droits
de l’Homme ! Relativement aux orientations mises en œuvre
en matière d’immigration, les conseillers en communication
de l’ancien premier ministre, D. de Villepin, avaient ciselé
cette formule supposée résumer les orientations du
gouvernement : « Humanité et fermeté. »
Formule aujourd’hui reprise et répétée
en chœur par ceux qui appartiennent à l’actuelle
majorité au moment où ils s’apprêtent
à voter une loi plus restrictive que jamais sur l’entrée
et le séjour des étrangers. Au regard de la politique
conduite hier et aujourd’hui toujours appliquée, nous
savons ce qu’il en est de cette humanité prétendue
; elle est le masque de l’inhumanité, celle-là
même qui permet d’arrêter des enfants, de les
placer en centre de rétention et de les expulser, celle-là
même qui pousse des hommes et des femmes à fuir la
police au péril de leur vie, celle-là même qui
conduit à séparer les membres d’une même
famille, celle-là même qui ruine, jour après
jour, l’existence de dizaines de milliers de personnes vouées,
dans ce pays, à la clandestinité et à une terrible
précarité. Quant à la fermeté, elle
ne fait que couvrir les pratiques et les dispositions précitées
qui sont tout à la fois illégales et illégitimes.
De cela, le chef de l’Etat et tous les membres de son gouvernement
sont responsables et coupables, de même, bien sûr aussi,
les personnalités supposées incarner l’ouverture
qui ont les mesquines indignations de leurs dévorantes ambitions.
A défaut de pouvoir empêcher l’adoption prochaine
des nouvelles mesures scélérates annoncées,
tous ceux qui les condamnent doivent refuser de les appliquer et
rendre public leurs effets dramatiques. "
Olivier Le Cour Grandmaison. Université d’Evry-Val-
d’Essonne. (Derniers livres parus : "Coloniser, exterminer"
et "Le retour des camps ?")
|
|