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"Xénophobie d’Etat et politique de la peur", par Olivier Le Cour Grandmaison
Octobre 2007

Origine : http://www.europalestine.com/spip.php?article2809

http://www.algeria-watch.org/fr/article/tribune/xenophobie_etat.htm



"Peu après son entrée en fonction, en tant que ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du co-Développement, - une première dans l’histoire de ce pays, de même pour celle des Etats démocratiques puisqu’un tel ministère n’a, semble-t-il, pas de précédent connu : encore une remarquable mais sinistre exception française – Brice Hortefeux demandait à ceux qui condamnaient cette initiative et la politique dont elle était l’expression de le juger non sur des paroles, moins encore sur des intentions supposées, mais sur des actes. Soit.

L’énumération qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustive – hélas, elle peut être abondamment et sinistrement complétée par beaucoup d’autres exemples

- 5 juin 2007. Une camerounaise de 9 ans est maintenue au centre de rétention de Lyon-Saint-Exupéry avec son père en voie d’expulsion.

- 19 juin. Mme Thérèse Kopia, centrafricaine de 68 ans, mère de six filles résidant en France de façon régulière, certaines y ont acquis la nationalité, d’autres disposent de titre de séjour, grand-mère de dix-neuf petits enfants français, est arrêtée au domicile de l’une d’elle, alors qu’elle prend un bain, et immédiatement placée en rétention. Le lendemain, elle est emmenée à Roissy à des fins d’expulsion. Gardée à vue pendant 2 jours, en raison de son refus d’embarquer, elle comparait libre le 19 juillet devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Dans son infinie mansuétude, le parquet requiert une peine de quatre mois de prison avec sursis et une interdiction de résider sur le territoire français.

- 21 septembre. Pour échapper à un contrôle de police, Chulan Zhang Lui, chinoise sans papiers résidant boulevard de la Villette à Paris, décède après s’être défenestrée ; c’est le cinquième cas en deux mois.

- 29 septembre. Deux enfants de 5 et 3 ans scolarisés dans une école maternelle de Digoin, en Saône-et-Loire, sont privés de cantine au motif que leur mère, ressortissante de la République Démocratique du Congo en situation irrégulière, a été placée en centre de rétention pour être renvoyée dans son pays d’origine alors qu’elle est enceinte de huit mois. Pour justifier sa décision, le maire UMP, sûr de son fait et de son bon droit joue avec zèle une partition écrite à l’Elysée en expliquant ceci : « contrairement à la scolarisation, l’accueil à la cantine n’est pas une obligation. » Nouvelle politique justifiant des pratiques inédites ? Non, continuité des orientations mises en œuvre par l’ancien ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui, élu président de la République, délègue à d’autres le soin de les appliquer et d’accroître leur sévérité si besoin est.

Ces quelques exemples révèlent plusieurs éléments essentiels. Systématiquement rabattu sur la figure plus inquiétante encore du « clandestin », l’étranger est désormais devenu de façon officielle l’incarnation de dangers multiples qu’il faut conjurer au plus vite par la réunion de moyens matériels, financiers et policiers exceptionnels. A cela s’ajoute, pour atteindre les quotas d’expulsion fixés par l’administration placée sous l’autorité de B. Hortefeux, la mobilisation spectaculaire des préfets, pressés eux aussi de « faire du chiffre » comme on dit du côté de la Place Beauvau et dans les différents commissariats de la douce et très républicaine France des droits de l’homme.

En dépit d’évolutions inscrites dans la longue durée, comment qualifier cette situation marquée par une inflexion substantielle qui fait du renvoi forcé de 25 000 étrangers l’une des priorités nationales du moment, assumée et exécutée par un ministère ad hoc dont la fonction est aussi de défendre une identité nationale « menacée », entre autres, par ces « flux migratoires », dit-on ?

Certains, moins habiles sans doute dans l’euphémisation du langage - peut-être déclarent-ils tout haut ce que leurs nouveaux maîtres pensent tout bas ? - affirment : « Il ne faudrait pas qu’une immigration mal agencée vienne remettre en cause le régime républicain. Il peut y avoir des ennemis de la République qui s’arrogent tous les moyens pour mettre les institutions en danger. L’auteur de cette très singulière déclaration, qui fait croire à l’imminence d’un péril démocratique majeur, n’est autre que François Guéry, philosophe de son état et désormais tout nouveau secrétaire général du Haut Commissariat à l’Intégration. Haut Commissariat dont la présidence est assurée par “l’Immortelle” Carrère d’Encausse dont chacun a pu apprécier l’étendue des compétences sur le sujet comme le prouvent, notamment, ses profondes et pertinentes déclarations relatives aux émeutes de l’automne 2005 provoquées, selon elle, par des Africains polygames. Bel attelage qui est assurément une garantie de scientificité et d’objectivité pour le nouvel organisme créé.

Aux agissements politico-policiers évoqués à l’instant succèdent donc des discours absolument décomplexés et sans tabous, conformément à la doxa de saison, qui justifient les premiers en même temps qu’ils légitiment la mise en place de ces institutions chargées de protéger le pays des étrangers et de leurs agissements.

A quel type de pratiques et de discours ressortissent celles et ceux qui viennent de retenir notre attention ? De quoi la création du Ministère et du Commissariat précités est-elle l’expression ? De quoi sommes-nous aujourd’hui les témoins ? De l’avènement d’une xénophobie d’Etat et d’institution qui ne cesse de mettre en scène, et en discours, la peur de l’étranger contre lequel des dispositions exorbitantes du droit commun doivent être arrêtées, puis mis en œuvre par des pouvoirs publics mobilisés comme jamais pour combattre les dangers annoncés. Politique de la peur et de la stigmatisation donc qui ne peut que valider, encourager et contribuer à l’induration des sentiments xénophobes déjà présents chez une partie de la population. Et au terme de ce processus, sans terme véritable, ceux-là mêmes qui spéculent ainsi sur le rejet de l’Autre prétendront agir conformément aux craintes de l’opinion publique et pour mieux défendre les Français dont ils se disent à l’écoute. Triomphe de la démagogie érigée en principe pour mieux conquérir le pouvoir et le conserver. Double politique de la peur en fait ; il ne s’agit pas seulement de la susciter et de l’entretenir chez les nationaux mais d’en faire aussi un instrument tourné cette fois contre les étrangers à qui il faut faire peur et rendre la vie aussi pénible et précaire que possible pour mieux « endiguer les flux migratoires. »

De là la multiplication des contrôles policiers effectués en des lieux et à des heures choisis, des visites domiciliaires et des expulsions auxquels s’ajoutent des réformes incessantes et toujours plus restrictives qui créent une instabilité juridique structurelle pour les personnes concernées. De là aussi la violation grave, répétée et systématique d’une Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant et de dispositions législatives qui précisent « que l’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière (Article L. 511-4, Ceseda). »

Selon les services de la CIMADE, environ 400 enfants auraient été placés en centre de rétention au cours de l’année 2005. En ces matières, les forces de police, couvertes parce qu’encouragées par leur autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans son ensemble, méconnaissent ainsi, depuis longtemps déjà, un Traité international, pourtant ratifié par la France, et des dispositions juridiques nationales votées par le Parlement. Excusez du peu.

L’addition de ces différents faits, avérés, constatés et consignés par de nombreuses institutions et associations, tant nationales qu’européennes, dans des rapports publics aisément accessibles, ne sont pas des accidents marginaux et limités dans le temps. Au contraire, leur mise en perspective révèle ceci : les principes républicains et le respect des lois, invoqués de façon solennelle par les uns et les autres, couvrent leur violation courante et parfois systématique légitimée par les impératifs de la sécurité et de la mise en scène démagogique des résultats, lesquels permettent à l’actuel président de la République et à son ministre Hortefeux de faire croire qu’ils disent ce qu’ils font et qu’ils font ce qu’ils disent alors qu’ils sont à l’origine du développement de pratiques illégales dont certaines ont été jugées telles par le Conseil d’Etat et par le commissaire européen aux Droits de l’Homme ! Relativement aux orientations mises en œuvre en matière d’immigration, les conseillers en communication de l’ancien premier ministre, D. de Villepin, avaient ciselé cette formule supposée résumer les orientations du gouvernement : « Humanité et fermeté. » Formule aujourd’hui reprise et répétée en chœur par ceux qui appartiennent à l’actuelle majorité au moment où ils s’apprêtent à voter une loi plus restrictive que jamais sur l’entrée et le séjour des étrangers. Au regard de la politique conduite hier et aujourd’hui toujours appliquée, nous savons ce qu’il en est de cette humanité prétendue ; elle est le masque de l’inhumanité, celle-là même qui permet d’arrêter des enfants, de les placer en centre de rétention et de les expulser, celle-là même qui pousse des hommes et des femmes à fuir la police au péril de leur vie, celle-là même qui conduit à séparer les membres d’une même famille, celle-là même qui ruine, jour après jour, l’existence de dizaines de milliers de personnes vouées, dans ce pays, à la clandestinité et à une terrible précarité. Quant à la fermeté, elle ne fait que couvrir les pratiques et les dispositions précitées qui sont tout à la fois illégales et illégitimes.

De cela, le chef de l’Etat et tous les membres de son gouvernement sont responsables et coupables, de même, bien sûr aussi, les personnalités supposées incarner l’ouverture qui ont les mesquines indignations de leurs dévorantes ambitions. A défaut de pouvoir empêcher l’adoption prochaine des nouvelles mesures scélérates annoncées, tous ceux qui les condamnent doivent refuser de les appliquer et rendre public leurs effets dramatiques. "

Olivier Le Cour Grandmaison. Université d’Evry-Val- d’Essonne. (Derniers livres parus : "Coloniser, exterminer" et "Le retour des camps ?")