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Origine : http://www.humanite.fr/2008-01-24_Tribune-libre_Xenophobie-d-Etat
Plus de 25 000 expulsions pour l’année 2008 ! Tel
est donc l’objectif vaillamment fixé par le diaphane
premier ministre à Brice Hortefeux. Une fois encore, pour
des motifs électoralistes liés à la préparation
des municipales, « l’éloignement des étrangers
en situation irrégulière », comme on dit de
façon délicatement euphémisée, est conçu
comme une priorité nationale. Dressons donc un premier bilan
de la politique menée en ce domaine. L’énumération
qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustive
- hélas, elle peut être aisément complétée
par de trop nombreux exemples. 5 juin 2007. Une Camerounaise de
neuf ans est maintenue au centre de rétention de Lyon-Saint-Exupéry
avec son père en voie d’expulsion. 19 juin. Mme Thérèse
Kopia, centrafricaine de soixante-huit ans, mère de six filles
résidant en France de façon régulière,
certaines y ont acquis la nationalité, d’autres disposent
de titre de séjour, grand-mère de dix-neuf petits-enfants
français, est arrêtée au domicile de l’une
d’elles, alors qu’elle prend un bain, et immédiatement
placée en rétention.
Le lendemain, elle est emmenée à Roissy à
des fins d’expulsion. Gardée à vue pendant deux
jours, en raison de son refus d’embarquer, elle comparaît
libre le 19 juillet devant le tribunal de grande instance de Bobigny.
Le parquet requiert une peine de quatre mois de prison avec sursis
et une interdiction de résider sur le territoire français.
21 septembre. Pour échapper à un contrôle de
police, Chulan Zhang Liu, chinoise sans papiers résidant
boulevard de la Villette à Paris, décède après
s’être défenestrée ; c’est le cinquième
cas en deux mois. 29 septembre. Deux enfants de cinq et trois ans
scolarisés dans une école maternelle de Digoin, en
Saône-et-Loire, sont privés de cantine au motif que
leur mère, ressortissante de la République démocratique
du Congo en situation irrégulière, a été
placée en centre de rétention pour être renvoyée
dans son pays alors qu’elle est enceinte de huit mois. Pour
se justifier, le maire UMP affirme : « Contrairement à
la scolarisation, l’accueil à la cantine n’est
pas une obligation. » Nouvelle politique justifiant des pratiques
inédites ? Non, continuité des orientations mises
en oeuvre par l’ancien ministre de l’Intérieur,
Nicolas Sarkozy, qui, élu président de la République,
délègue à d’autres le soin de les appliquer
et d’accroître leur sévérité si
besoin est.
Ces quelques exemples révèlent plusieurs éléments
essentiels. Systématiquement rabattu sur la figure plus inquiétante
encore du « clandestin », l’étranger est
désormais devenu de façon officielle l’incarnation
de dangers multiples qu’il faut conjurer au plus vite par
la réunion de moyens matériels, financiers et policiers
exceptionnels.
En dépit d’évolutions inscrites dans la longue
durée, comment qualifier cette situation marquée par
une inflexion substantielle qui fait du renvoi forcé des
étrangers en situation irrégulière l’une
des priorités nationales, assumée et exécutée
par un ministère ad hoc dont la fonction est aussi de défendre
une identité nationale « menacée », entre
autres, par ces « flux migratoires », dit-on ? À
quel type de pratiques et de discours ressortissent celles et ceux
qui viennent de retenir notre attention ? De quoi sommes-nous aujourd’hui
les témoins ? De l’avènement d’une xénophobie
d’État qui ne cesse de mettre en scène, et en
discours, la peur de l’étranger contre lequel des dispositions
exorbitantes du droit commun doivent être arrêtées,
puis mises en oeuvre par des pouvoirs publics mobilisés comme
jamais pour combattre les dangers annoncés. Politique de
la peur et de la stigmatisation donc qui ne peut que valider, encourager
et contribuer au développement des sentiments xénophobes
déjà présents chez une partie de la population.
Et au terme de ce processus, sans terme véritable, ceux-là
mêmes qui spéculent ainsi sur le rejet de l’autre
prétendront agir conformément aux craintes de l’opinion
publique et pour défendre les Français dont ils se
disent à l’écoute. Triomphe de la démagogie
érigée en principe pour mieux conquérir le
pouvoir et le conserver. Double politique de la peur en fait ; il
ne s’agit pas seulement de la susciter et de l’entretenir
chez les nationaux mais d’en faire aussi un instrument tourné
cette fois contre les étrangers, à qui il faut faire
peur et rendre la vie aussi pénible et précaire que
possible pour mieux « endiguer les flux migratoires. »
De là la multiplication des contrôles policiers effectués
en des lieux et à des heures choisis, des visites domiciliaires
et des expulsions auxquels s’ajoutent des réformes
incessantes et toujours plus restrictives qui créent une
instabilité juridique structurelle pour les personnes concernées.
De là aussi la violation grave et répétée
d’une convention des Nations unies relative aux droits de
l’enfant et de dispositions législatives qui précisent
que« l’étranger mineur ne peut pas faire l’objet
d’une mesure de reconduite à la frontière (article
L. 511-4, Ceseda) ». Selon les services de la Cimade, environ
400 enfants auraient été placés en centre de
rétention au cours de l’année 2005.
En ces matières, les forces de police, couvertes parce qu’encouragées
par leur autorité de tutelle et par le pouvoir politique
dans son ensemble, méconnaissent ainsi, depuis longtemps
déjà, un traité international, pourtant ratifié
par la France, et des dispositions juridiques nationales votées
par le Parlement comme le constatait M. Alvaro Gil-Robles, commissaire
européen aux Droits de l’homme, dans son rapport officiel
publié en janvier 2006. Ces différents faits et pratiques
révèlent ceci : les principes républicains,
invoqués de façon solennelle par les uns et les autres,
couvrent leur violation légitimée par les impératifs
de la sécurité et de la mise en scène démagogique
des résultats, lesquels permettent au président de
la République et à Brice Hortefeux de faire croire
qu’ils disent ce qu’ils font et qu’ils font ce
qu’ils disent, alors qu’ils sont à l’origine
de pratiques illégales dont certaines ont été
jugées telles par le Conseil d’État et par le
commissaire européen précité ! De cette situation,
le chef de l’État et tous les membres du Conseil des
ministres sont responsables et coupables, de même les personnalités
dites de gauche qui, par leur seule présence au gouvernement,
cautionnent cette politique.
À défaut d’avoir pu empêcher l’adoption
des nouvelles mesures scélérates contenues dans la
loi relative à « la maîtrise de l’immigration,
à l’intégration et à l’asile »
votée le 23 octobre 2007, tous ceux qui les condamnent doivent
refuser de les appliquer et rendre publics leurs effets dramatiques.
(*) Membre de l’observatoire de l’institionnalisation
de la xénophobie. Dernier ouvrage paru. Coloniser. Exterminer.
Sur la guerre et l’État colonial, Fayard, 2005.
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