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Xénophobie d’État Par Olivier Le Cour Grandmaison, université d’Évry-Val d’Essonne (*).
Tribune libre - Article paru le 24 janvier 2008

Origine : http://www.humanite.fr/2008-01-24_Tribune-libre_Xenophobie-d-Etat

Plus de 25 000 expulsions pour l’année 2008 ! Tel est donc l’objectif vaillamment fixé par le diaphane premier ministre à Brice Hortefeux. Une fois encore, pour des motifs électoralistes liés à la préparation des municipales, « l’éloignement des étrangers en situation irrégulière », comme on dit de façon délicatement euphémisée, est conçu comme une priorité nationale. Dressons donc un premier bilan de la politique menée en ce domaine. L’énumération qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustive - hélas, elle peut être aisément complétée par de trop nombreux exemples. 5 juin 2007. Une Camerounaise de neuf ans est maintenue au centre de rétention de Lyon-Saint-Exupéry avec son père en voie d’expulsion. 19 juin. Mme Thérèse Kopia, centrafricaine de soixante-huit ans, mère de six filles résidant en France de façon régulière, certaines y ont acquis la nationalité, d’autres disposent de titre de séjour, grand-mère de dix-neuf petits-enfants français, est arrêtée au domicile de l’une d’elles, alors qu’elle prend un bain, et immédiatement placée en rétention.

Le lendemain, elle est emmenée à Roissy à des fins d’expulsion. Gardée à vue pendant deux jours, en raison de son refus d’embarquer, elle comparaît libre le 19 juillet devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Le parquet requiert une peine de quatre mois de prison avec sursis et une interdiction de résider sur le territoire français.

21 septembre. Pour échapper à un contrôle de police, Chulan Zhang Liu, chinoise sans papiers résidant boulevard de la Villette à Paris, décède après s’être défenestrée ; c’est le cinquième cas en deux mois. 29 septembre. Deux enfants de cinq et trois ans scolarisés dans une école maternelle de Digoin, en Saône-et-Loire, sont privés de cantine au motif que leur mère, ressortissante de la République démocratique du Congo en situation irrégulière, a été placée en centre de rétention pour être renvoyée dans son pays alors qu’elle est enceinte de huit mois. Pour se justifier, le maire UMP affirme : « Contrairement à la scolarisation, l’accueil à la cantine n’est pas une obligation. » Nouvelle politique justifiant des pratiques inédites ? Non, continuité des orientations mises en oeuvre par l’ancien ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui, élu président de la République, délègue à d’autres le soin de les appliquer et d’accroître leur sévérité si besoin est.

Ces quelques exemples révèlent plusieurs éléments essentiels. Systématiquement rabattu sur la figure plus inquiétante encore du « clandestin », l’étranger est désormais devenu de façon officielle l’incarnation de dangers multiples qu’il faut conjurer au plus vite par la réunion de moyens matériels, financiers et policiers exceptionnels.

En dépit d’évolutions inscrites dans la longue durée, comment qualifier cette situation marquée par une inflexion substantielle qui fait du renvoi forcé des étrangers en situation irrégulière l’une des priorités nationales, assumée et exécutée par un ministère ad hoc dont la fonction est aussi de défendre une identité nationale « menacée », entre autres, par ces « flux migratoires », dit-on ? À quel type de pratiques et de discours ressortissent celles et ceux qui viennent de retenir notre attention ? De quoi sommes-nous aujourd’hui les témoins ? De l’avènement d’une xénophobie d’État qui ne cesse de mettre en scène, et en discours, la peur de l’étranger contre lequel des dispositions exorbitantes du droit commun doivent être arrêtées, puis mises en oeuvre par des pouvoirs publics mobilisés comme jamais pour combattre les dangers annoncés. Politique de la peur et de la stigmatisation donc qui ne peut que valider, encourager et contribuer au développement des sentiments xénophobes déjà présents chez une partie de la population. Et au terme de ce processus, sans terme véritable, ceux-là mêmes qui spéculent ainsi sur le rejet de l’autre prétendront agir conformément aux craintes de l’opinion publique et pour défendre les Français dont ils se disent à l’écoute. Triomphe de la démagogie érigée en principe pour mieux conquérir le pouvoir et le conserver. Double politique de la peur en fait ; il ne s’agit pas seulement de la susciter et de l’entretenir chez les nationaux mais d’en faire aussi un instrument tourné cette fois contre les étrangers, à qui il faut faire peur et rendre la vie aussi pénible et précaire que possible pour mieux « endiguer les flux migratoires. » De là la multiplication des contrôles policiers effectués en des lieux et à des heures choisis, des visites domiciliaires et des expulsions auxquels s’ajoutent des réformes incessantes et toujours plus restrictives qui créent une instabilité juridique structurelle pour les personnes concernées.

De là aussi la violation grave et répétée d’une convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et de dispositions législatives qui précisent que« l’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière (article L. 511-4, Ceseda) ». Selon les services de la Cimade, environ 400 enfants auraient été placés en centre de rétention au cours de l’année 2005.

En ces matières, les forces de police, couvertes parce qu’encouragées par leur autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans son ensemble, méconnaissent ainsi, depuis longtemps déjà, un traité international, pourtant ratifié par la France, et des dispositions juridiques nationales votées par le Parlement comme le constatait M. Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux Droits de l’homme, dans son rapport officiel publié en janvier 2006. Ces différents faits et pratiques révèlent ceci : les principes républicains, invoqués de façon solennelle par les uns et les autres, couvrent leur violation légitimée par les impératifs de la sécurité et de la mise en scène démagogique des résultats, lesquels permettent au président de la République et à Brice Hortefeux de faire croire qu’ils disent ce qu’ils font et qu’ils font ce qu’ils disent, alors qu’ils sont à l’origine de pratiques illégales dont certaines ont été jugées telles par le Conseil d’État et par le commissaire européen précité ! De cette situation, le chef de l’État et tous les membres du Conseil des ministres sont responsables et coupables, de même les personnalités dites de gauche qui, par leur seule présence au gouvernement, cautionnent cette politique.

À défaut d’avoir pu empêcher l’adoption des nouvelles mesures scélérates contenues dans la loi relative à « la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile » votée le 23 octobre 2007, tous ceux qui les condamnent doivent refuser de les appliquer et rendre publics leurs effets dramatiques.

(*) Membre de l’observatoire de l’institionnalisation de la xénophobie. Dernier ouvrage paru. Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Fayard, 2005.