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Origine : http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2007-4-page-67.htm
Mon objectif est de penser ensemble le néoconservatisme
américain rationalité morale et économique
féroce , et le néolibéralisme américain
rationalité politique de marché. Mon ambition
n'est pas de saisir le projet de la droite américaine «
tout court », comme si se profilait derrière elle une
vision unique ou un tout unifié, mais plutôt d'appréhender
la façon dont ces deux rationalités, elles-mêmes
composites, convergent sans le vouloir à des moments cruciaux
pour continuer un processus de fagocytation de la démocratie
libérale qui remonte à des événements
historiques de la dernière moitié du 20e siècle
[1]. Mon objectif n'est pas non plus de sentimentaliser la démocratie
libérale en tant que telle, mais plutôt de comprendre
ce qu'implique son déclin en tant que forme politique. Quels
sont les effets accidentels de cette convergence entre rationalités
néolibérale et néoconservatrice ? Effets qui
non seulement détournent la démocratie en sanctionnant
des divisions de classe extrêmes et permanentes, une vie politique
administrée où tout s'achète, un pouvoir concentré
entre les élites du monde des affaires et gouvernantes, ainsi
qu'un étatisme impérial, mais aussi qui détruisent
la base de la démocratie en cultivant les besoins, les désirs
et l'orientation des individus à l'égard du pouvoir
et du manque de pouvoir. Quels aspects d'une politique de gauche
contre ces rationalités risqueraient d'en répéter
les effets ? Mon propos porte donc moins sur la violence évidente
qui est faite aux institutions démocratiques et que
représentent, par exemple, certains éléments
du USA Patriot Act, des clauses « privatives » qui retirent
aux cours fédérales l'autorité de juger dans
certains cas, les impôts régressifs, certaines pratiques
du Homeland Security Department ou encore une certaine corruption
dans la machine électorale , que sur la façon
dont la culture politique démocratique est vidée de
sens et la manière dont est produit un citoyen non démocratique.
Le citoyen dont je parle, c'est ce citoyen qui ne désire
ni liberté ni égalité (même sur un mode
libéral), qui n'attend ni vérité ni responsabilité
de la gouvernance ou de l'État, ce citoyen qui n'est guère
préoccupé par l'extraordinaire concentration du pouvoir
politique et économique, par l'abrogation quotidienne de
l'autorité de la loi ou encore par des formulations nettement
non démocratiques du projet national. Tel est le dépouillement
de la vie politique auquel nous avons affaire, condition politique
qui semble se maintenir quelle que soit la cote de popularité
de George W. Bush, et quel que soit le parti qui remportera les
prochaines élections.
Néolibéralisme constructiviste et néoconservatisme
moraliste
Commençons par une série de préoccupations
formelles à propos des relations entre, d'une part, un néolibéralisme
dont le capital mondialisé a besoin, mais qui prend dans
chaque contexte une tournure particulière, et d'autre part
un néoconservatisme proprement américain qui
certes ressemble à d'autres réponses, fondamentalistes
et empreintes de religion, faites à la modernité tardive,
mais qui n'en est pas moins un produit local et varié. La
question que je me pose est de savoir comment le néolibéralisme
une rationalité expressément amorale, tant au
niveau des fins qu'au niveau des moyens rejoint le néoconservatisme
une rationalité quant à elle expressément
morale et régulatrice ? Comment un projet qui vide le monde
de son sens, qui déprécie et déracine la vie
et exploite le désir de façon ouverte, peut-il recouper
un projet dont l'objectif est de contrôler les valeurs et
les sens, de conserver certains modes de vie, de réprimer
et de réguler le désir ? Comment peut-on soutenir
dans le même temps une gouvernance inspirée de l'entreprise
et associé à un tissu social normatif où domine
l'intérêt privé d'une part, et une gouvernance
basée sur le modèle de l'autorité de l'Église
et liée à un tissu social normatif de sacrifice et
de loyauté filiale d'autre part ce même tissu
social que le capitalisme sauvage met à mal ? Quels rôles
jouent, dans cette alliance, le christianisme évangélique
et les ennemis hyper-diabolisés de l'État américain
? Soyons clairs : il ne s'agit pas ici de mettre à jour une
logique unique ou cohérente, mais de cerner les effets de
deux courants de rationalités disparates dans la production
d'un paysage d'intelligibilité et de possibilité politiques
aux États-Unis. Pour cela, il nous faudra discerner les divers
sites de vulnérabilité, d'exploitabilité et
d'orientation que ces deux rationalités s'empruntent réciproquement.
Quels effets de pouvoir, de légitimité ou d'autorité
d'une de ces rationalités deviennent pour l'autre un terrain
fertile ? Commençons par retracer certains éléments
du néolibéralisme et du néoconservatisme avant
de nous intéresser à leurs collisions, leurs convergences
et les autres effets de leur symbiose.
Le néolibéralisme
J'ai expliqué ailleurs que pour saisir les effets politiques
et culturels du néolibéralisme, il faut comprendre
que celui-ci ne se réduit pas à une série de
politiques économiques de marché qui, au Nord, détruisent
l'État-providence et privatisent les services publics et,
au Sud, font échouer tout effort de souveraineté démocratique
et économique ou qui, partout dans le monde, augmentent les
disparités de revenus. Le néolibéralisme c'est
tout cela certes, mais il comporte également, en tant que
rationalité politique, une organisation spécifique
et conséquente du social, du sujet et de l'État [2].
Une rationalité politique, ce n'est pas la même chose
qu'une idéologie qui serait issue d'une réalité
économique et qui la masquerait, pas plus que ce n'est un
simple effet de débordement de l'économique sur le
politique ou le social. Une rationalité politique, c'est
plutôt, au sens qu'a donné Foucault à ce terme,
une forme spécifique de raison politique normative qui organise
la sphère politique, les pratiques de gouvernance et la citoyenneté
[3]. Et bien que la rationalité politique néolibérale
soit fondée sur une certaine conception du marché,
il convient de souligner sa spécificité en tant que
forme de raisonnement politique, et plus encore sa façon
d'articuler la nature et le sens même du politique, du social
et du sujet, car c'est précisément là où
l'on voit sa mainmise sur d'autres rationalités plus démocratiques.
Quels sont donc les traits caractéristiques de cette rationalité
politique[4] [4] Michel Foucault, « Politics and Reason »,
in Lawrence...
suite ? Tout d'abord, et contrairement au libéralisme économique
classique, le néolibéralisme ne se confine pas dans
une sphère expressément économique, pas plus
qu'il ne présente le marché comme étant naturel
et auto-régulateur, et ce, même dans la sphère
économique. Le préfixe « néo »
du néolibéralisme tient en partie à ce que
les marchés libres, le libre-échange et la rationalité
d'entreprise y sont envisagés comme des choses qui sont accomplies
et normatives, promulguées par des lois et par des politiques
sociales et économiques, et non comme un simple fait de la
nature. Deuxièmement, notons que le néolibéralisme
se représente les sphères politique et sociale comme
étant dominées ce qui est tout à fait
approprié par des préoccupations de marché,
et comme étant elles-mêmes soumises à une rationalité
de marché. C'est-à-dire que l'État lui-même
n'a pas pour tâche de faciliter l'économie, mais plutôt
de se construire et de se considérer lui-même en tant
que marché, de mettre en place des politiques et de promouvoir
ou promulger une culture politique où les citoyens sont envisagés
comme des acteurs économiques rationnels dans toutes les
sphères de l'existence. On reconnaît ici les nombreux
schémas de privatisation et de sous-traitance de l'assistance
sociale, de l'éducation, des prisons, des forces policières
et armées, mais cette dimension du néolibéralisme
comporte également une série de politiques qui représentent
et produisent des citoyens devenus entrepreneurs et consommateurs
individuels, et dont l'autonomie morale est mesurée par leur
capacité à prendre soin d'eux-mêmes leur
capacité à pourvoir à leurs propres besoins,
à poursuivre leurs propres ambitions (que ce soit en tant
que bénéficiaires d'aide sociale, patients, consommateurs
de produits pharmaceutiques, étudiants ou encore travailleurs
occupés à des emplois temporaires). Troisièmement,
la rationalité politique néolibérale produit
des critères de gouvernance du même type, c'est-à-dire
des critères de productivité et de rentabilité.
Cela suppose que le discours de gouvernance devient de plus en plus
un discours de marché, mais aussi que dans les démocraties
libérales, les hommes d'affaires en arrivent à faire
des avocats la classe gouvernante et des normes du monde de l'entreprise
les critères de gouvernance en les substituant aux principes
juridiques. Les exemples sont nombreux mais aucun, sans doute, n'est
plus frappant que la remarque de George W. Bush peu de temps après
le renouvellement de son mandat en 2004 : « J'ai gagné
du capital politique dans [cette] campagne, dit-il, et maintenant
j'ai l'intention de le dépenser [5]. » C'est chose
faite. Bush a tellement dépensé son capital politique
qu'il a vidé ses coffres, mais ce qui est significatif en
ce qui nous concerne, c'est l'énorme différence entre
l'exécution d'un mandat public et l'accumulation d'un capital
politique individuel. Le passage à une rationalité
de marché en matière de gouvernance transparaît
aussi dans la manière qu'a le gouvernement américain
d'évoquer divers « légalismes », comme
s'il s'agissait là de moustiques gênants qui empêchent
la mise en uvre d'une politique étrangère ou nationale
(légalismes qui peuvent être les Conventions de Genève,
ou la question de savoir comment prévenir l'invasion de l'institution
maritale par les homosexuels comme l'a dit Bush à ce
sujet, « [nos] avocats réfléchissent à
la meilleure approche »). Enfin, pour décrire son travail,
George W. Bush parle fréquemment d'une prise de « décisions
» difficiles formule qui dénote une remarquable
re-signification du pouvoir exécutif. Tous ces exemples témoignent
d'une approche de la gouvernance relèvant d'une logique des
affaires, une approche où les principes démocratiques
et la loi ne constituent ni des guides ni de véritables contraintes,
mais apparaissent plutôt comme des instruments ou des obstacles,
selon un phénomène que Foucault a décrit comme
une tacticalisation de la loi [6].
La gouvernance et l'État saturés comme on l'a vu
par la rationalité de marché, il n'existe plus dans
la gouvernance et dans la culture politique d'engagement pour une
démocratie politique. Ainsi, par exemple, à mesure
que sont radicalement dépolitisés les rapports de
classes et tout autre obstacle à l'esprit d'entreprise, ce
que les néolibéraux appellent « le droit égal
à l'inégalité » commence à être
légitimé, supprimant du même coup l'engagement
formel de la démocratie pour l'égalitarisme [7]. Une
classe inférieure permanente, une classe criminelle permanente,
ainsi qu'une classe d'étrangers ou de non-citoyens sont ainsi
produites et acceptées comme le coût inévitable
d'une telle société et l'engagement formel pour l'universalisme
s'en trouve diminué. Les principes civiques et légaux
qui assurent l'autonomie politique des citoyens (par opposition
à leur autonomie privée), tels ceux énumérés
par le premier amendement de la constitution américaine,
n'ont aucune place dans le schéma néolibéral,
ce qui signifie que la rationalité politique néolibérale
ne contient aucun engagement intrinsèque pour la liberté
politique [8]. La citoyenneté, réduite au seul souci
de soi (self-care), perd toute orientation en direction de la communauté
; par conséquent, l'activité des citoyens engagés
s'en trouve affaiblie et le concept, déjà fragile,
du bien commun porté par les valeurs de la démocratie
libérale éliminé. À mesure qu'elle est
utilisée de manière tactique ou instrumentale, la
loi est radicalement désacralisée, ce qui produit
les conditions de sa suspension ou de son abrogation quotidienne
et prépare ce qu'Agamben, qui s'inspire de Schmitt, appelle
la souveraineté comme « état d'exception »
permanent [9]. On observe cette évolution non seulement dans
des événements tels que la décision ouvertement
politique de la Cour suprême d'arrêter le nouveau décompte
des votes en Floride lors de l'élection présidentielle
de 2000 une décision dont il faut noter qu'elle n'a
pas été contestée par la majorité de
la population , ou l'abrogation des libertés civiles
au nom de la sécurité, mais aussi dans l'usage tactique
qui est fait des lois sur les droits civils pour mettre fin à
des projets égalitaires, tels la discrimination positive
ou des systèmes d'imposition progressifs [10]. Entre temps,
la liberté de la presse qui sous-tend la démocratie
est attaquée d'un côté par ses propriétaires,
et de l'autre par des lois invoquées de manière tactique
pour éviter aux politiques mais non aux journalistes
d'avoir à divulguer leurs sources ou pour leur permettre
des fuites de renseignements classés secrets.
L'égalité, l'universalité, l'autonomie politique
et la liberté, la citoyenneté, l'autorité de
la loi, une presse libre : même si, en pratique, ces principes
n'ont été réalisés que de manière
inégale à travers les siècles de démocratie
constitutionnelle dans le monde euratlantique, ils en sont néanmoins
le fondement. Et ce sont ces principes que la rationalité
politique néolibérale jette par dessus bord, ou que
du moins elle remplace par d'autres principes de gouvernance.
Le néoconservatisme
Il existe depuis quelques années un débat animé
sur les origines intellectuelles, l'évolution, les déviations
et les formes hybrides du phénomène néoconservateur.
Y ont participé chercheurs et activistes, néoconservateurs
ou non, dont notamment deux chercheurs français auteurs d'un
des meilleurs ouvrages sur la question [11]. Francis Fukuyama a
raison, sans doute, de noter une déviation significative
par rapport aux principes fondamentaux du néoconservatisme
lorsque celui-ci est passé du niveau d'une critique politique
et culturelle à celui du pouvoir politique, sous la forme
du gouvernement Bush. Mon propre objectif, toutefois, n'est pas
de traiter du néoconservatisme en tant que projet intellectuel,
mais en tant que forme de raison politique et de pratique de gouvernance
qui puisent dans la culture politique en même temps qu'elles
contribuent à la produire. C'est donc de cette version expurgée
qu'il s'agira ici.
Si Francis Fukuyama réduit le néoconservatisme à
quatre principes fondateurs, et Grant Smith décrit quand
à lui les néoconservateurs comme étant unifiés
autour d'« articles de foi » axés sur le militarisme,
le corporatisme et Israël, je pense au contraire que le néoconservatisme
en tant que formation politique n'est unifié ni sur le plan
idéologique, ni socialement [12]. Il émane d'une convergence
d'intérêts entre Chrétiens évangéliques,
straussiens juifs, nostalgiques de la Guerre froide officiellement
laïques qui ont fait de l'Occident un fétiche, féministes
conservateurs et autres moralistes de la famille (tels que Lynne
Cheney), impérialistes et libéraux (et socialistes)
convertis ces derniers ayant été, selon l'expression
célèbre d'Irving Kristol, « agressés
par la réalité ». Le néoconservatisme
compte parmi ses apôtres des intellectuels et des anti-intellectuels,
des Juifs laïques et des Chrétiens évangéliques,
des musiciens de chambre devenus soviétologues, des professeurs
de théorie politique devenus experts en politique, des Blancs
en colère et des Noirs moralisateurs. En bref, les néoconservateurs
forment une alliance profane qui n'est religieuse que d'une manière
inégale et opportuniste, et quelle que soit l'importance
du rôle de la religion pour séduire sa base populaire.
Ce qui unifie les néoconservateurs, selon Anne Norton, c'est
qu'ils désirent :
(...) un État fort et un État qui usera de sa force...
[Ils] souhaiteraient que cet État s'allie avec et renforce
les grandes entreprises. Les néoconservateurs rejettent
la vulgarité de la culture de masse. Ils déplorent
la décadence des artistes et des intellectuels. Quoiqu'ils
ne soient pas toujours eux-mêmes religieux, ils s'allient
à la religion et aux croisades religieuses. Ils encouragent
les valeurs de la famille et font l'éloge de formes anciennes
de vie familiale, où les femmes se dévouent à
la garde des enfants, à la cuisine et à l'église,
et où les hommes acceptent la charge de la virilité.
Ils voient dans la guerre et la préparation à la guerre
le rétablissement de la vertu privée et de l'esprit
public... Avant tout, écrit Irving Kristol, le néoconservatisme
appelle de ses voeux un renouveau du patriotisme, une force militaire
musclée et une politique étrangère expansioniste
[13].
Si les éléments disparates du néoconservatisme
(qu'Irving Kristol décrit comme une « orientation »
plutôt qu'un « mouvement ») peuvent parfois semblés
liés avant tout par ce qu'ils détestent les
Nations Unies, Amnesty International, la Cour Internationale de
Justice ; la gauche caviar, les défenseurs de l'État-providence,
les débauchés impies et autres brûleurs de drapeaux
; les musulmans, le cosmopolitisme européen, les intellectuels
critiques, Jane Fonda, San Francisco et les comités d'éthique
, le compte-rendu de Norton suggère que ce qui maintient
ces morceaux disparates ensemble c'est un projet moral et politique
fort guidé par un État et par ses lois. Fukuyama,
lui aussi, soutient que le néoconservatisme est caractérisé
par une croyance en la « possibilité de lier pouvoir
et moralité », et notamment par la croyance que «
le pouvoir américain a été et pourrait être
utilisé à des fins morales [14 ». C'est ce qui
distingue le néoconservatisme du conservatisme antérieur,
et lui vaut le préfixe « néo ». À
la différence de son prédécesseur, le néoconservatisme
adopte non seulement une nette orientation morale, mais il abandonne
aussi les engagements conservateurs classiques, que ce soit l'attachement
à un libertarisme modeste, à l'isolationnisme, à
la frugalité et à l'austérité fiscale,
une croyance en la modération et une affinité avec
les vertus aristocratiques du raffinement, de la rectitude, de la
civilité, de l'éducation et de la discipline [15].
Il est animé par une ambition de pouvoir ouvertement affichée,
par une angoisse face au déclin ou à l'effondrement
de la morale en Occident, ainsi que par une moralisation concomitante
de l'Occident et de ses valeurs. Ainsi, bien que de nombreux néoconservateurs
condamnent l'« ingénierie sociale » qu'ils attribuent
au socialisme et aux projets égalitaires de la démocratie
libérale (telle que la discrimination positive, l'intégration,
la réduction de la pauvreté), le néoconservatisme
pas plus que le néolibéralisme ne rejette le béhaviourisme
dirigé par l'État. Il assigne plutôt à
l'État et à ses lois la tâche d'orienter la
société voir le monde entier sur le plan moral et
religieux, et donne ainsi son approbation au pouvoir et à
l'autorité de l'État, contrairement à toute
notion proprement libérale [16].
Divergences, conflits et symbioses
Ce que l'on trouve dans le néolibéralisme et le néoconservatisme,
donc, c'est une rationalité politique de marché et
une rationalité morale-politique, avec d'un côté
un modèle de l'État inspiré du monde de l'entreprise
et de l'autre un modèle théologique de l'État.
Et même si de nombreuses églises américaines
et autres institutions religieuses aujourd'hui sont par certains
aspects des entreprises (et s'adressent souvent à leur public
en des termes inspirés du discours néolibéral),
même si bon nombre d'entreprises post-fordistes ont adopté
des attributs et des responsabilités de type pastoral (quand
elles s'adressent notamment à leurs employés ou à
leur « équipe » en des termes inspirés
du discours pastoral), il y a là matière à
véritable collision. En effet, ces deux rationalités
se heurtent sans cesse à ce que d'autres ont décrit
comme l'impossibilité du parti républicain d'être
à la fois le parti des Valeurs morales et le parti des Grandes
entreprises. On peut citer par exemple les spectacles et les publicités
diffusés pendant la mi-temps du Superbowl, où l'enthousiasme
de Janet Jackson pour son nouvel album, l'objectif de l'entreprise
pharmaceutique Pfizer de vendre du Viagra à une société
obsédée de jeunesse et de sexe, et la volonté
du réseau NBC d'augmenter son audimat pour la série
« Desperate Housewives » (...) provoquent chez les néoconservateurs
une frénésie régulatrice. Entre autres exemples
plus significatifs, on peut citer une série de scandales
éthiques et politiques, qu'il s'agisse de Newt Gingrich ou
de Tom DeLay, de Bill Frist ou de Lewis Libby, de Duke Cunningham
ou de Jack Abramoff, ainsi que divers scandales dans le monde des
affaires, d'Enron à Woldcom, de Halliburton à Harken.
Mais par-delà les scandales, il y a les effets de l'économie,
de la gouvernance et de la rationalité politique néolibérales
sur la vie de tous les jours, effets contre lesquels buttent les
engagements néoconservateurs : on pense notamment à
la destruction des petites entreprises et du commerce local, à
la suppression d'emplois ou de minimums salariaux assurés
par les syndicats, aux avantages et aux protections sur le lieu
de travail, au démantèlement de l'infrastructure au
niveau fédéral et au niveau de l'État (éducation,
transports publics, services d'urgence) qui permet aux familles
et au villes de se maintenir. En bref, la dimension du néolibéralisme
qui veut que les riches s'enrichissent s'oppose à un néoconservatisme
qui a besoin d'une base populiste de travailleurs et de classes
moyennes inférieures, et elle va aussi à l'encontre
de la promotion par les néoconservateurs d'une structure
familiale et d'une masculinité traditionnelles. Qui plus
est, la rationalité néolibérale pense en termes
de fins, de moyens ainsi que de besoins à satisfaire (elle
produit des États, des citoyens et des sujets à cette
image) et à ce titre entre en conflit direct avec le projet
néoconservateur de produire un sujet moral et un ordre moral
capables de freiner les effets du marché dans la culture,
et cherche à réprimer et à sublimer son désir,
non à l'assouvir.
Plus important peut-être : tandis que le néolibéralisme
imagine un avenir où les frontières culturelles et
nationales seront en grande partie effacées et où
toutes les relations, tous les liens et projets seront soumis à
une logique monétaire, le néoconservatisme, lui, s'évertue
à retracer et à contrôler les frontières
culturelles et nationales, le sacré et le singulier, à
travers un discours patriotique, empreint de religiosité
et pro-occidental. Le néolibéralisme imagine un ordre
mondial à venir guidé par une rationalité de
marché devenue universelle, où la différence
culturelle est tout au plus une marchandise, où les frontières
de l'État-nation ne font que marquer des différences
culturelles et des arrangements légaux provinciaux, tandis
que le néoconservatisme américain regarde en arrière
vers un ordre national et nationaliste guidé par des engagements
moraux et politiques qui sont eux-mêmes infléchis par
l'ambition contingente de l'empire.
Mais il faut ici se rappeler que le néoconservatisme est
en partie né en réponse à l'érosion
du sens et de la morale sous l'effet du capitalisme ; les fondateurs
du mouvement néoconservateur, bien qu'opposés au communisme
en tant que forme politique et sociale, n'étaient que rarement
d'ardents libre-échangistes. Bien au contraire, Irving Kristol,
le premier néoconservateur et icône du mouvement, ne
s'enthousiasmait qu'à moitié en 1978 pour le capitalisme
; certes il se réjouissait de la liberté et de la
richesse procurées à une grande partie de la population,
mais il déplorait que « les sociétés
de consommation sont vides de sens moral, voire franchement nihilistes
». Si bien que le souci néoconservateur de préserver
ou de rétablir le tissu moral qu'endommage la domination
par l'entreprise est en fait une pierre angulaire, du moins du point
de vue de ses intellectuels. Aussi enthousiastes soient-ils de voir
les entreprises s'enrichir et aussi proches soient-ils d'un point
de vue social ou politique, aucun néoconservateur n'est un
pur néolibéral, même si bon nombre d'entre eux
approuvent le néolibéralisme au point de se créer
des difficultés et d'avoir pour langage un curieux mélange
de rectitude morale et de calcul économique. Cela dit, la
« responsabilité de l'entreprise » est devenue
le slogan tant des néoconservateurs que des libéraux
de gauche, même si bien sûr chacun conçoit cette
responsabilité à sa façon.
La rationalité politique néolibérale ne vise
d'ailleurs pas à éliminer toute norme morale et économique
de l'État et de la société : elle souhaite
promulguer et réaliser ces normes par le biais de mécanismes
de marché, par des encouragements plutôt que par des
directives. En témoignent les programmes de workfare pour
les indigents (où quiconque reçoit de l'aide de l'État
doit travailler en échange), les allocations dont bénéficient
les personnes mariées, ou encore la loi des three strikes
(« trois coups ») contre les récidivistes qui
traite un troisième délit comme s'il s'agissait d'un
crime passable d'une peine de prison conséquente. Qui plus
est, à l'instar du néolibéralisme, le néoconservatisme
n'est pas opposé au gouvernement en tant que tel, bien qu'il
dérive sa légimité d'un conservatisme plus
ancien qui contestait les impôts et l'État-providence.
Les néoconservateurs sont opposés à la redistribution
des richesses mais pas à ce que le gouvernement soit onéreux
en tant que tel, de même qu'ils sont, de façon sélective,
favorables à un gouvernement intrusif en ce qui concerne
la censure et la régulation (pour les sous-races, les sous-classes,
les intellectuels critiques, les questions de sécurité
et de morale).
Comme le dit Irving Kristol :
Les néoconservateurs ne sont pas (...) préoccupés
ou angoissés par la croissance de l'État au siècle
dernier, croissance qu'ils estiment d'ailleurs être naturelle,
même inévitable (...) Les gens de tout temps ont préféré
un gouvernement fort à un gouvernement faible, bien qu'ils
n'aient aucun goût pour quoi que ce soit qui ressemble à
un gouvernement par trop intrusif (...) Les néoconservateurs
et les traditionnalistes religieux (...) sont unis sur les questions
de la qualité de l'éducation, des relations entre
l'Église et l'État, la régulation de la pornographie
et autres choses de ce genre, dont ils estiment qu'elles méritent
toutes l'attention du gouvernement. Et puis, bien sûr, il
y a la politique étrangère [17]...
Là encore, au même titre que les néolibéraux
s'écartent des principes du laissez-faire lorsqu'ils mobilisent
la loi et l'action politique pour soutenir le marché et atteindre
des objectifs sociaux, les néoconservateurs sont également
d'une certaine façon des étatistes : ils souhaitent
que l'État régule la vie morale tout en guidant l'économie,
et, bien sûr, qu'il soutienne une force militaire musclée.
Tel qu'il est imaginé par les straussiens, le gouvernement
est un pilote, au sens platonicien du terme : il guide sans s'en
excuser le navire moral, politique et économique et, comme
nous le verrons, il dépend pour cela en partie d'une population
citoyenne formée par la religion. Et si, autant que possible,
la gouvernance néoconservatrice mène cette politique
à l'aide de technologies politiques néolibérales
qui parviennent à transformer même les bénéficiaires
d'aide sociale et les immigrés illégaux en bons acteurs
économiques et en bons consommateurs, elle n'hésite
pas non plus, le cas échéant, à prendre des
décisions et à appliquer des normes à travers
plusieurs champs, qui vont du mariage à la guerre.
Que viennent donc remplacer ces notions et ces pratiques de gouvernance
néoconservatrice qui reposent sur la production néolibérale
du politique et du citoyen ? Tout d'abord, elles supplantent les
modes de légitimité de l'État libéral
et démocratique, modes de légitimité que l'on
tenait pour acquis pendant la deuxième moitié du 20e
siècle, tels que la sacralisation de l'État «
démocratique » comme État universel, procédural
et juridique, religieusement et culturellement séculier ou
laïc, pacifique et axé sur une politique militaire de
défense. Ces modes de légitimité sont remplacés
par une figure de l'État ouvertement partial, tacticien et
politique ; ouvertement impliqué dans la culture et le marché
; ouvertement voué à la promotion d'une religion civique
(qui allierait forme familiale, pratiques de consommation, passivité
politique et patriotisme) ; et enfin, ouvertement et agressivement
impérialiste dans son orientation. Chacune de ces reformulations
est en elle-même significative, mais toutes prises ensemble,
elles renforcent l'étatisme nouvellement légitimé
en matière de politique internationale et intérieure.
Par ailleurs, bien que le néoconservatisme, comme le néolibéralisme,
s'habille aux couleurs de la « liberté » et de
la « démocratie », son projet politique déplace
les principes-clés et les présupposés longtemps
associés à la démocratie constitutionnelle.
L'égalité ne figure nulle part dans l'univers des
valeurs néoconservatrices ou néolibérales ;
au contraire, l'égalitarisme est présenté comme
un « appel perfide et démagogique » auquel une
« population de propriétaires et de payeurs d'impôts
deviendra de moins en moins vulnérable » [18]. Non
seulement le néoconservatisme voit la redistribution comme
un tort fait aux classes moyennes, mais la rationalité politique
du néolibéralisme souhaite explicitement que ce soient
les capacités d'entrepreneur qui distinguent les gagnants
des perdants, et la rationalité politique du néoconservatisme
veut que l'on préserve ce que l'on a et que l'on protège
les siens, qu'il s'agisse d'une famille individuelle ou de la famille
nationale. Qui plus est, les néoconservateurs pensent que
la richesse de l'Amérique fait partie de sa grandeur (et
par là de ce qui la rend désirable aux yeux de certains
étrangers, et détestable aux yeux de certains autres),
et mérite donc l'affection du patriote. Il s'ensuit que tout
ressentiment à l'égard des riches paraît anti-patriotique
selon une logique qui neutralise également la colère
d'une classe travailleuse face au déclin de son niveau de
vie puisqu'elle serait satisfaite, selon la formule de Thomas Frank,
d'être sous-payée et trop nourrie (« underpaid
and overweight »), aussi longtemps que le parti des riches
la courtise en l'instituant l'« Amérique véritable
[19]».
En plus de l'égalitarisme, ce sont les libertés civiles,
les élections libres et l'autorité de la loi qui perdent
leur statut au croisement du néolibéralisme et du
néoconservatisme puisqu'elles deviennent des instruments
ou des symboles plutôt que des trésors à chérir,
et qu'elles sont entièrement désacralisées
tout en étant brandies rhétoriquement comme des notions
phares de la démocratie. Le néolibéralisme
n'a pas besoin de ces principes supplantés par les valeurs
morales et le pouvoir de l'État auxquels le néoconservatisme
accorde la priorité.
Ce que tout cela suggère, c'est que le moralisme, l'étatisme
et l'autoritarisme du néoconservatisme sont rendus possibles
par la rationalité néolibérale, même
si le néoconservatisme cherche à limiter et à
compléter les effets du néolibéralisme, et
bien que les deux rationalités ne soient pas concordantes.
Le néolibéralisme ne produit pas simplement une série
de problèmes auxquels le néoconservatisme est attentif,
pas plus qu'il ne fonctionne (comme ses critiques le prétendent
souvent) comme simple versant économique du néoconservatisme.
La rationalité politique néolibérale a plutôt
préparé le terrain, sans le vouloir, à des
pratiques politiques profondément anti-démocratiques
qui prennent racine dans la culture et dans le sujet. C'est ce qui
permet au néoconservatisme de devenir autre chose qu'une
simple idéologie ou qu'un programme politique que l'on pourrait
contester et dont le succès dépendrait d'indicateurs
économiques, de politique d'immigration ou de victoires dans
des guerres impériales. Le néoconservatisme, dont
les graines auraient été semées dans un terrain
préparé par le néolibéralisme, donne
naissance à une forme politique nouvelle, une modalité
spécifique de gouvernance et de citoyenneté dont l'incompatibilité
avec les pratiques et institutions démocratiques formelles
ne provoque pas de crise de légitimité car le néolibéralisme
dévalue ces pratiques et ces institutions que le néoconservatisme
consacre ensuite.
Le modèle de l'autorité de l'Église chez les
néo-conservateurs et la réémergence du fondamentalisme
chrétien aux États-UnisMais si les aspects dépolitisants
du néolibéralisme sa dévaluation de l'autonomie
politique, sa dépolitisation des problèmes sociaux,
sa capacité à s'accommoder de niveaux élevés
de gouvernance dans la vie de tous les jours, et l'étatisme
légitime préparent le terrain des ressorts autoritaires
de la gouvernance néoconservatrice, alors la mobilisation
politique du discours religieux en est l'engrais. Cette mobilisation
façonne un citoyen soumis et obéissant, et organise
un patriotisme national post-11 septembre meurtri et sur la défensive
[20]. Ce que l'on identifie souvent aujourd'hui, dans la modernité
tardive, comme l'éruption du théologique dans le politique
pourrait être l'objet d'un autre essai, mais nous avons déjà
aperçu un de ses aspects dans le côté ouvertement
moral de l'étatisme néoconservateur. C'est une qualité
sur laquelle insiste Carl Schmitt dans un ouvrage peu lu, Les trois
types de pensée juridique, qui s'inspire du juriste français
Maurice Hariou [21]. Selon lui, l'État procure non seulement
l'ordre et l'unité mais aussi l'« idée maîtresse
» d'une communauté humaine. En effet, c'est cette idée
maîtresse, et non pas seulement le pouvoir à l'état
brut, qui selon Schmitt produit l'ordre et l'unité de l'État-Nation.
Le pouvoir exécutif représente l'État dans
la mesure où il représente par cette idée l'unité
de l'État, et c'est cette unité, à son tour,
qui fonde l'autorité de l'État. Une telle conception
de l'État et du pouvoir exécutif, au plus loin de
la conception libérale classique (mais aussi trop catholique
pour être proprement hobbesienne, et affirmant une notion
trop contingente de « l'idée maîtresse »
pour être vraiment hégelienne), semblerait au moins
aussi utile pour comprendre le modèle néoconservateur
de la politique que ne le sont les notions plus fréquemment
citées de Carl Schmitt, comme le décisionnisme et
la distinction entre l'ami et l'ennemi [22]. La gouvernance néoconservatrice
pense l'autorité de l'État sur le modèle de
l'autorité de l'Église, d'une relation pastorale de
l'État à son troupeau, et souhaite un pouvoir unifié
plutôt qu'un pouvoir équilibré ou limité.
Ce modèle acquiert une certaine force dans la modernité
tardive et dans une culture politique caractérisée
par le désendiguement de la religion conséquence
du déclin de l'État-nation dont la souveraineté
visait à l'origine, en partie du moins, à endiguer
et à contrer les pouvoirs économique et religieux.
Et à mesure que décline la souveraineté de
l'État, ces forces remontent dans la vie publique et politique
[23]. Autrement dit, après plusieurs siècles d'une
séparation formelle (quoiqu'incomplète) des discours
religieux et politique une séparation qui était
rendue possible par la souveraineté de l'État, par
la privatisation de la religion (par des doctrines de laïcité
et de tolérance), et assurée également par
l'hégémonie facile du christianisme en Occident
ces stratégies d'endiguement sont maintenant défaillantes.
Il résulte de cela une déprivatisation de la religion
en général et, aux États-Unis, une infiltration
du christianisme dans les discours et les débats politiques.
C'est là un petit coup de pouce pour les forces de dé-démocratisation
dont nous parlons, et d'autant plus au regard du caractère
anti-démocratique du fondamentalisme chrétien aux
États-Unis aujourd'hui.
Il ne nous est pas possible de considérer ici tous les aspects
du christianisme évangélique qui pèsent sur
ce problème, aussi n'en mentionnerai-je que trois parmi les
plus significatifs. Tout d'abord, la plupart des vérités
religieuses, mais en particulier celles qui dérivent du Nouveau
Testament, tirent une grande part de leur force de leur caractère
performatif. Quand « Dieu dit : “Que la lumière
soit” et la lumière fut », voilà sans
nul doute un des exemples les plus anciens et les plus frappants
du pouvoir des mots, la reconnaissance originelle que dire, ce peut
être faire, qu'un propos peut faire naître sa propre
vérité et, ainsi, créer la réalité.
Il semblerait de nos jours que ce genre de vérités
vient combler un vide dans un monde désenchanté
un monde démuni de vérités significatives et
de pratiques de vérité, un monde où la vérité
n'est d'ailleurs pas valorisée. Et si les origines de ce
phénomène sont antérieures au néolibéralisme,
celui-ci l'accélère sans aucun doute. Dire le vrai,
le juste et le bon, et ce sans qu'il soit nécessaire de faire
référence aux faits, est devenu une modalité
de la vérité politique bien connue des néoconservateurs
modalité qui caractérise les discours de Bush
sur la guerre en Irak, dont il dit qu'elle se déroule au
mieux ou qu'elle fait des progrès, alors que tout montre
le contraire. Cette modalité est également caractéristique
des descriptions que donnent les néoconservateurs du mariage
qui a selon eux gardé les mêmes attributs depuis toujours,
ou de leur manière de présenter certains impôts
comme bénéficiant aux classes travailleuses ou aux
classes moyennes alors qu'ils sont nettement avantageux pour les
plus riches. Le pouvoir rhétorique de la déclaration
plutôt que d'une vérité raisonnée ou
argumentée est également renforcé par une défense
de la vérité et de la certitude morale contre ce que
le néoconservatisme estime être un relativisme épistémologique
et moral. J'entends par là que les vérités
déclaratives ont plus de force qu'elles n'en auraient si
la vérité morale-politique, l'uniformité et
la certitude morale n'étaient pas pour le néoconservatisme
un fétiche. Par ailleurs, cette modalité de vérité
dont je suggère qu'elle a une forte résonnance chrétienne,
va de pair avec une autre modalité de vérité
néoconservatrice en vogue, celle de la vérité
qui « vient des tripes » et qui correspond à
la notion chrétienne de révélation [24]. Ici,
la vérité dérive d'une conviction personnelle
que nul fait ou argument ne saurait contrer. Bien que dans la première
modalité la vérité soit issue de la souveraineté
théologique et qu'elle vienne d'un endroit plus proche de
l'âme dans la seconde modalité, les deux formes ont
en commun non seulement la voix de Dieu mais une indifférence
et une imperméabilité à tout ce qui relève
du questionnement, de la délibération ou des faits.
Quand une telle indifférence voir une telle hostilité
devient une norme politique, alors la contestation intellectuelle
et la responsabilité politique s'en trouvent dévaluées
au point d'être qualifiées de déloyales ou de
traîtres.
Les vérités déclaratives et révélatrices
ne sont qu'un des points de convergence entre le christianisme évangélique
et l'ordre politique néoconservateur. Le christianisme évangélique
fait une vertu de la soumission à cette vérité
et à l'autorité qui la déclare ou la brandit.
Il est anti-démocratique et anti-intellectuel dans la mesure
où il dévalorise non seulement les faits mais aussi
l'autonomie délibérative et la délibération
même. À cette relation vérité-autorité-soumission
s'ajoute une valorisation de la fidélité qui lie le
sujet à Dieu et à la communauté religieuse
: la base de l'appartenance religieuse tient en cette combinaison
de croyance, de soumission et de fidélité. Là
encore, la combinaison de la soumission et de la fidélité
à l'égard de la vérité déclarée
par l'État a exactement la même structure que cette
curieuse forme de patriotisme promulguée par les néoconservateurs.
Ajoutons maintenant l'inégalité. Qu'importe l'égalitarisme
de certaines traditions chrétiennes, dans le christianisme
évangélique américain d'aujourd'hui, la relation
entre Dieu et ses sujets et la hiérarchie de l'Église
suffisent à légitimer l'inégalité qui
est perçue comme quelque chose de naturel, de bon et de permanent.
Même si nous sommes tous égaux devant Dieu, il y a,
dans le christianisme évangélique, non seulement de
l'autorité mais aussi une hiérarchie légitime.
Et quand une telle sensibilité s'infiltre dans ce qu'il reste
de culture publique, quand le modèle pastoral devient le
modèle politique, l'inégalité et pas
seulement la soumission à l'autorité mais la stratification
et la subordination légitimes devient une norme politique
et non plus un problème politique.
Cette combinaison d'une soumission à la vérité
déclarée, de l'inégalité légitime
et de la fidélité, qui passe d'une rationalité
politique à une rationalité religieuse à mesure
que la souveraineté de l'État-Nation diminue, transforme
les conditions de la légitimité du pouvoir politique.
Elle produit des sujets dont la soumission et la loyauté
sont constitutives de la configuration du pouvoir de l'État
tel que l'esquisse Schmitt dans ses travaux sur la pensée
juridique. Ces éléments religieux fournissent précisément
les ingrédients nécessaires pour l'exercice continu
d'un pouvoir exécutif fort, ingrédients qu'on ne saurait
extraire des principes démocratiques laïques. Quand
la culture religieuse chrétienne imprègne la culture
politique et quand le pouvoir exécutif se fixe des objectifs
religieux comme la mission de « conserver » le
mariage en tant qu'institution hétérosexuelle, de
préserver la vie de ceux qui ne sont pas encore nés
(unborn life) ou de « libérer » ceux qui ne sont
pas libres (to free the unfree world), le pouvoir exécutif
obtient une prérogative et une légitimité qui
ne sont pas d'ordinaire accessibles aux États démocratiques
libéraux. En effet, dans la modernité tardive, un
État qui a une orientation théologique et qui repose
sur une culture publique émanant de la religion peut puiser
son pouvoir et sa légitimité dans des sources rendues
auparavant hors d'accès par la distinction claire entre l'Église
et l'État, et entre le religieux et le politique.
Je citerai comme exemple de la dé-démocratisation
opérée par cette modalité religieuse de l'autorité
une petite icône du patriotisme américain contemporain.
On voit un peu partout, aux États-Unis, sur les pare-chocs
de grosses 4 × 4 ou des voitures monospaces, des autocollants
au petit ruban jaune qui donnent l'ordre de « soutenir nos
soldats » (support our troops). Ce mode d'adresse curieusement
anonyme et la forme d'autorité qu'ils invoquent font de ces
autocollants contrairement à la plupart de ceux qui
affichent une position politique ou posent une question un
commandement ou un ordre ; ils contiennent également une
remontrance implicite, comme s'ils doutaient que celui qui lit l'autocollant
soutienne vraiment les soldats, en tout cas blâmant quiconque
ne les soutiendrait pas. Dans la mesure où l'ordre lui-même
est vide de contenu et est encadré d'un symbole pieux de
commémoration, ces autocollants impliquent aussi une certaine
rectitude morale : il est difficile de savoir en quoi consiste ce
soutien, si ce n'est ne pas être contre nos soldats, ou peut-être
contre la guerre que font ces soldats, ou encore contre le président
qui les a envoyés au combat. Et comment comprendre qu'un
tel ordre, une telle semonce, soient affichés en un endroit
aussi prosaïque que l'arrière de grands véhicules
qui transportent leurs passagers aux diverses stations de la vie
quotidienne : au travail, à l'école, à l'entraînement
de foot, au centre commercial ?
Et pourtant, ce manque de contenu, la remontrance qui l'accompagne
ainsi que le cadre sentimental et prosaïque sont emblématiques
du vide que constitue une soumission absolue et non délibérative
à l'autorité. Le manque de contenu, c'est le contenu
même : la vacuité exprime le manque d'action ou de
participation qu'est la citoyenneté aujourd'hui, la substitution
de la vie de famille et de consommation à toute participation
démocratique. Et l'invitation à ne pas délibérer
sur la façon d'envisager la guerre ou les troupes armées
correspond elle aussi à un refus catégorique, patriotique
même, de penser par soi-même ou de vouloir que d'autres
pensent par eux-mêmes ou même pensent différemment.
Enfin, l'ordre « vous aussi, soumettez-vous » est profondément
religieux et anti-démocratique, signe peut-être que
l'état théologique schmittien s'annonce bel et bien.
Si c'est à cela que font face les Américains aujourd'hui,
ce n'est pas seulement parce que l'actuel président lie les
objectifs de l'État aux volontés de Dieu, mais parce
que le pouvoir de l'État peut compter sur un corps de citoyens
pacifié et châtré, où une combinaison
de discours religieux et néolibéraux a remplacé
les discours démocratiques libéraux. Le pouvoir exécutif
peut exploiter et puiser dans une structure d'autorité religieuse,
il peut user de l'antipathie religieuse pour la démocratie,
et ce entre autres choses pour lancer un projet impérial
qui, usant d'un discours civilisationnel, identifie l'État
à l'Occident et au christianisme, contre des prétendus
barbares fondamentalistes sans État. Ainsi, le populisme
du christianisme évangélique peut être mobilisé
au bénéfice de l'autorité et du pouvoir de
l'État, ce qui le transforme en populisme politique de droite.
Cela dit, rien de tout cela ne serait possible sans des institutions
démocratiques libérales et une culture démocratique
déjà affaiblies par la rationalité néolibérale.
L'autoritarisme du néoconservatisme prend ici racine... et
ce, fort probablement, dans une plus grande mesure que ne le souhaiteraient
les néoconservateurs eux-mêmes. Je ne pense pas que
les néoconservateurs soient des fascistes, pas plus que je
ne pense que le langage du fascisme nous aide à comprendre
notre situation présente [25]. Mais les néoconservateurs
sont favorables au pouvoir et à l'étatisme, et quand
ces énergies sont associées au moralisme et à
l'éthique de marché, quand un public est formé
par la combinaison de ces forces et de ces rationalités,
il en résulte une culture politique violemment anti-démocratique.
C'est une culture qui n'est pas encline à limiter l'étatisme
ni le pouvoir des entreprises et qui en vient littéralement
à éprouver du ressentiment envers (et même à
attaquer) les principes classiques et les conditions nécessaires
de la démocratie constitutionnelle.
Cette attaque arrive à un moment où le constitutionnalisme
démocratique libéral est déjà menacé
de désuétude par les forces du marché à
l'échelle mondiale et par la rationalité politique
néolibérale. Ainsi, pendant qu'on en attaque les principes
d'un côté, on en sape les institutions de l'autre,
si bien que la gauche, sans une propre vision indépendante,
se retrouve dans la curieuse position de simple défenseuse
de la démocratie libérale. En l'absence d'un projet
de gauche, une absence qui inévitablement a des conséquences,
le projet moral néoconservateur et le mépris des droits
civils semblent pousser les libéraux et la gauche soit à
adopter un moralisme qui fasse compétition, soit à
refouler toute intervention de la morale dans le domaine public
ou social par un libertarisme civique et un laïcisme vide,
qui est bien sûr une autre forme de moralisme. De la même
manière, le démantèlement néolibéral
des services publics pousse les libéraux et les gens de gauche
à une défense anachronique de l'État-providence.
Certes compréhensible, ces réponses ne prennent pas
la mesure des configurations contemporaines du pouvoir et passent
donc à côté de la question la plus fondamentale,
peut-être, pour les démocrates radicaux et les égalitaristes
sociaux aujourd'hui, qui n'est pas celle des droits, du sécularisme,
ou de l'État-providence, mais celle de savoir si le rêve
démocratique un gouvernement du peuple par le peuple
est terminé. Existe-t-il un moyen d'utiliser ces modalités
contemporaines de pouvoir en faveur, non plus d'une dé-démocratisation,
mais d'une démocratie radicale ? Sommes-nous vraiment des
démocrates croyons-nous toujours au pouvoir, le voulons-nous
? Et si non, que signifie cette perte pour le projet moral-politique
de la gauche ? Et si nous y croyons, qu'est-ce qui permettrait à
un projet démocratique renouvelé de rivaliser avec
les pouvoirs et les leurres de l'anti-démocratie contemporaine
?
Traduit de l'anglais par Ivan Ascher
Notes
[1] La version originale de cet article a été publiée
en 2006 dans la revue Political Theory : « American Nightmare.
Neoliberalism, Neoconservatism, and De-Democratization »,
Political Theory, vol. 34, no 6, avril 2006, p. 690-714.
[2] Dans un ouvrage utile, A Brief History of Neoliberalism (Oxford/New
York, Oxford University Press, 2005), David Harvey explore également
la relation politique et analytique entre néolibéralisme
et néoconservatisme. Mais il considère qu'ils ont
la même source (la classe capitaliste) et la même fonction,
qui est de rétablir et de consolider le pouvoir politique
et économique des classes supérieures après
la dilution et les crises dont elles ont été victimes
lors du dernier quart de siècle. Et même si le néolibéralisme
et le néoconservatisme diffèrent sur des sujets comme
l'individualisme, Harvey identifie l'autoritarisme d'état
et le militarisme du néoconservatisme au projet de sauver
le néolibéralisme de sa relation contradictoire à
l'État et à la liberté (cf. p. 78-86). Le texte
de Harvey est très utile pour démolir l'idée
que le néolibéralisme est anti-État, et aussi
pour souligner le lien entre le néolibéralisme et
le discours impérial de liberté que l'on trouve dans
la politique étrangère des États-Unis après
la guerre froide (cf. chap. 3 et 4). Son ouvrage est moins utile
pour ce qui est de comprendre les distinctions entre les rationalités
néoconservatrice et néolibérale, les différentes
sources qui les promulgent, et les frictions entre les deux.
[3] « Neoliberalism and the End of Liberal Democracy »,
Theory and Event, vol. 7, automne 2003 (« Néo-libéralisme
et fin de la démocratie », trad. de l'angl. par Philippe
Mangeot et Isabelle Saint-Saëns, Vacarme, no 29, automne 2004).
[4] Michel Foucault, « Politics and Reason », in Lawrence
D. Kritzman (dir.), Michel Foucault : Politics, Philosophy, Culture.
Interviews and Other Writings, 1977-84, New York, Routledge, 1988.
[5] Cette discussion est un résumé d'une description
plus longue de la rationalité néolibérale et
de la démocratie dans l'article déjà cité,
« Néo-libéralisme et fin de la démocratie
».
[6] La phrase de Bush, en son entier : « Let me put it to
you this way : I earned capital in the campaign, political capital,
and now I intend to spend it. It is my style. » 4 november,
2004, White House Press Conference, http :// w www.whitehouse. gov/
news/ releases/ 2004/ 11/ 20041104-5. html.
[7] Michel Foucault, « Governmentality », in Graham
Burchell et al., The Foucault Effect, Studies in Governmentality,
Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 95. Publié
depuis dans Sécurité, territoire, population. Cours
au Collège de France, 1977-1978, leçon du 1er février
1978, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.
[8] Cf. Jürgen Habermas, « Learning from Catastrophe
? », Postnational Constellations, édité et traduit
de l'all. par Max Spensky, Cambridge, The MIT Press, 2001, p. 51-52
(Après l'État-Nation, une nouvelle constellation politique,
trad. de l'all. par Rainer Rochlitz, Paris, Fayard, 2000).
[9] « Of course, the democratic process protects equal private
liberties, but for neoliberalism it does not add political autonomy
as a further dimension of freedom » : ibid., p. 94.
[10] Giorgio Agamben, State of Exception, trad. de l'ital. par
Kevin Attell, Chicago, University of Chicago Press, 2005 (État
d'exception, trad. de l'ital. par Joël Gayraud, Paris, Seuil,
2003).
[11] En même temps que les néoconservateurs parlent
de « constructionnisme strict » en matière de
jurisprudence constitutionnelle, le constructionnisme lui-même
devient une sorte de couverture contingente pour un usage tactique
de la loi, une ironie nulle part plus visible que dans la campagne
néoconservatrice pour éliminer le « flibustier
» pour la nomination des juges aux États-Unis.
[12] Alain Frachon et Daniel Vernet, L'Amérique messianique,
Paris, Seuil, 2004. Pour d'autres versions, voir, inter alia, Irwin
Stelzer (dir.), The Neocon Reader, New York, Gove Press, 2005 ;
Norman Podhoretz, « Neoconvervatism : A Eulogy », in
Norman Podhoretz, The Norman Podhoretz Reader, New York, Free Press,
1995 ; James Mann, The Rise of the Vulcans : The History of Bush's
War Cabinet, New York, Viking, 2004 ; Stefan Halper et Jonathan
Clark, America Alone : The Neo-Conservatives and the Global Order,
Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; Anne Norton, Leo Strauss
and the Politics of American Empire, New Haven, Yale University
Press, 2004 ; Shadia B. Drury, The Political Ideas of Leo Strauss,New
York, St. Martin's Press, 1988 ; Joseph Dorman, Arguing the World
: New York Intellectuals in Their Own Words, Chicago, University
of Chicago Press, 2001 ; Gary Dorrien, Imperial Designs : Neoconservatism
and the New Pax Americana, New York, Taylor and Francis, 2004 ;
Mark Lilla, « The Closing of the Straussian Mind »,
New York Review of Books, 4 novembre 2004.
[13] Bien qu'il insiste sur les quatre principes fondamentaux du
néoconservatisme, Francis Fukuyama dit aussi : « Les
ennemis du néoconservatisme aujourd'hui surestiment l'uniformité
des opinions qui ont existé parmi les néoconservateurs
depuis les années 1980. Leur manque d'uniformité est
devenu particulièrement prévalent après la
chute inattendue du communisme en 1989-91, quand l'unité
en matière de politique étrangère a disparu
et les néoconservateurs ont commencé à débattre
des intérêts nationaux américains dans l'après-guerre
froide. » Francis Fukayama, America at the Crossroads : Democracy,
Power and the Neoconservative Legacy, New Haven, Yale University
Press, 2006), p. 39 ; Grant Smith, Deadly Dogma : How Neoconservatives
Broke the Law to Deceive America, Institute for Research, Middle
Eastern Policy, 2006.
[14] Irving Kristol, « The Neoconservative Persuasion »,
Weekly Standard, 25 août 2003, http :// / w www.weeklystandard.
com/ Utilities/ printer_preview. asp ? idArticle=3000&R=EC72321FB
[15] F. Fukuyama, America at the Crossroads..., op. cit., p. 63,
48.
[16] A. Norton, Leo Strauss and the Politics of American Empire,
op. cit., p. 168-178.
[17] Selon Fukayama, ce que je décris comme étant
le néoconservatisme est déjà la version corrompue
du néoconservatisme, résultat du programme «
Kristol-Kagan », une position « expansive, interventioniste,
qui promeut la démocratie » et pousse trop loin l'idée
d'un activisme en matière de politique étrangère
en particulier la notion de « changement de régime
». Cf. F. Fukuyama, America at the Crossroads..., op. cit.,
p. 40-44.
[18] I. Kristol, « The Neoconservative Persuasion »,
art. cité.
[19] Ibid.
[20] Thomas Frank, What's the Matter with Kansas, New York, Henry
Holt and Co, 2005.
[21] Cf. la thèse de doctorat que prépare Elisabeth
Anker.
[22] Carl Schmitt, On the Three Types of Juristic Thought, édité
par G. Schwaab, trad. de l'all. par Joseph W. Bendersky, Westport,
Greenwood, 2004. Cf. David Bates, « Political Theology and
the Nazi State : Carl Schmitt's Concept of the Institution »
à paraître dans Modern Intellectual History, qui a
porté mon attention sur cet aspect de la théorie de
l'État de Schmitt.
[23] Irving Kristol écrit que « les hommes d'État
devraient, par-dessus tout, avoir la capacité de distinguer
les amis des ennemis », et Bush défend son approche
en matière de politique étrangère en argumentant
en faveur d'un caractère décisif et de la force, et
contre toute délibération publique. Cf. I. Kristol,
« The Neoconservative Persuasion », art. cité.
[24] Pour une version plus élaborée de cet argument,
voir « The Return of the Repressed : Sovereignty, Capital,
Theology », in David Campbell et Morton Schoolman (dir.),
The New Pluralism : William Connolly and the Contemporary Global
Condition, à paraître en 2007.
[25] Cf. Ron Suskind, « Faith, Certainty, and the Presidency
of George W. Bush », New York Times Magazine, 17 octobre 2004,
hh http://www. nytimes. com/ 2004/ 10/ 17/ magazine/ 17Bush. html?
ex=1, pour une discussion étendue de la façon dont
G. W. Bush évite les faits, même ceux que lui fournissent
ses plus proches conseillers, et leur préfère une
vérité des « tripes » ou « instinctive
» ainsi que des décisions fondées sur des politiques
qui vont à l'encontre des faits mais que Bush a choisies
suite à ses prières. Mais cette indifférence
aux faits ne serait pas viable si elle n'était pas partagée
par une bonne partie de l'électorat. Cf. « Utah voters...
», New York Times, 4 juin 2006.
[26] Un certain nombre de personnes ont défendu l'idée
que le langage du fascisme est approprié pour décrire
la conjoncture présente. À la convention de l'American
Political Science à l'automne 2005, un panel entier s'était
posé la question « Is It Time to Call it Fascism ?
». Voir aussi l'article de Sheldon Wolin, « Inverted
Totalitarianism », The Nation, 1er mai 2003.
Wendy Brown « Le cauchemar américain : le néoconservatisme,
le néolibéralisme et la dé-démocratisation
des Etats-Unis », Raisons politiques 4/2007 (n° 28), p.
67-89.
Http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2007-4-page-67.htm
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