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Origine : http://www.vacarme.org/article1375.html
Traduction de l’américain : Philippe Mangeot & Isabelle
Saint-Saëns
La gauche non-stalinienne s’est toujours souciée de
ne pas jeter les bienfaits du libéralisme politique (pluralisme
des rationalités en débat, justice, système
de santé ou encore école indépendante, etc.)
avec l’eau d’un libéralisme économique
aliénant les corps et les âmes. Le problème
aujourd’hui est que ces bienfaits ambigus, à la fois
idéologiques et libérateurs, sont eux-mêmes
en train de disparaître sous les attaques d’un «
néo-libéralisme » visant non plus simplement
à défendre une économie de marché mais
à réduire toute la société aux normes
du marché. Quelle stratégie adopter dès lors
qui ne soit pas purement défensive ? De Foucault à
Marcuse, voilà l’analyse et la question que pose Wendy
Brown, enseignante en sciences politiques à Berkeley, dans
un article dont nous publions des extraits.
En préalable à une réflexion sur la rationalité
politique néo-libérale, il peut être utile de
souligner la différence communément admise entre libéralisme
politique et libéralisme économique - différence
d’autant plus difficile à démêler en Amérique
que « liberal » y désigne un point de vue politique
progressiste qui défend en particulier l’État-providence
(Welfare State) et d’autres institutions du New Deal, et soutient
le principe d’un degré relativement élevé
d’intervention politique et législative en matière
sociale [1]. La confusion de la nomenclature politique est d’autant
plus grande aujourd’hui que la droite combine le néo-conservatisme
et le néo-libéralisme contemporains [2]. Pour aller
vite, la pensée économique distingue le libéralisme
du mercantilisme d’une part, du keynésianisme ou du
socialisme de l’autre ; dans sa version classique, le libéralisme
économique consiste en une maximisation du libre-échange
et de la concurrence grâce à une intervention minimum
des institutions. Dans l’histoire de la pensée politique,
le libéralisme, dont la liberté (liberty) individuelle
constitue la pierre de touche, désigne un système
dans lequel la raison d’être de l’État
est la garantie, sur des bases formellement égalitaires,
de la liberté (freedom)des individus. Un système politique
libéral est donc également compatible avec une politique
économique libérale ou keynésienne ; qu’il
mette l’accent sur la liberté (sa pente politiquement
« conservatrice ») ou sur l’égalité
(sa pente politiquement « libérale »), il n’en
restera pas moins, dans le lexique politique contemporain, une «
démocratie libérale ». On peut d’ailleurs
trouver particulièrement étrange cette façon
qu’ont les Américains de caractériser les adeptes
de l’État-providence comme des « libéraux
» politiques, dans la mesure où ce sont les conservateurs
qui se conforment le plus rigoureusement aux doctrines classiques
du libéralisme économique et du libéralisme
politique - cet usage spécifiquement américain tord
le sens de « libéralisme » vers la « libéralité
» plutôt que vers la « liberté ».
Insistons-y : ce qu’on appelle aujourd’hui «
néo-libéralisme » renvoie à la variante
économique du terme (la remise au goût du jour d’une
série de postulats pré-keynésiens sur la production
et la distribution des richesses) plutôt qu’à
sa variante politique (un ensemble d’institutions ou de pratiques
politiques). On va le voir, ce qu’il y a de « néo
» dans « néo-libéralisme » consiste
pourtant à établir les principes du libéralisme
économique sur des bases d’analyse sensiblement différentes
de celles que faisait valoir Adam Smith. Le néo-libéralisme
n’est d’ailleurs pas uniquement un ensemble de mesures
économiques ; il ne s’agit pas seulement de faciliter
le libre-échange, de maximiser les profits des entreprises
et de remettre en cause les aides publiques. En effet, de l’esprit
du sujet-citoyen aux pratiques impériales en passant par
l’Éducation, rien n’échappe à l’analyse
néo-libérale, quand elle est traduite en gouvernementalité.
Si la rationalité néo-libérale met le marché
au premier plan, elle n’est pas seulement - et n’est
même pas d’abord - centrée sur l’économie
; elle consiste plutôt dans l’extension et la dissémination
des valeurs du marché à la politique sociale et à
toutes les institutions, même si le marché conserve
en tant que tel sa singularité. D’où l’objet
de cet article : explorer les implications politiques de la rationalité
néo-libérale sur la démocratie libérale
- implications qui correspondent à ce qu’il est convenu
d’appeler le « tournant néo-libéral »,
qui les légitime et qu’elles légitiment en retour.
Dans les cours au Collège de France qu’il a consacrés
au libéralisme en 1978 et 1979 (cours non publiés
au moment de la rédaction du présent article, mais
dont le sociologue allemand Thomas Lemke a produit une synthèse
précieuse qui me sert ici de référence [3]),
Foucault prend soin de distinguer, parmi les théoriciens
du néo-libéralisme, la pensée ordo-libérale
[4] et celle de l’École de Chicago [5] qui lui succède
et la radicalise [6]. Pour ma part, je traiterai de la rationalité
néo-libérale sans m’arrêter à ces
distinctions. Nous manquons certes d’une généalogie
sérieuse du néo-libéralisme tel qu’il
est aujourd’hui en acte : une cartographie qui replacerait
dans leur contexte les contributions de ces deux écoles d’économie
politique, montrerait comment les sciences sociales ont, chacune
à sa façon, appliqué et infléchi la
théorie du choix rationnel, jusque dans les politiques qu’elles
inspirent, en relation avec l’évolution du capital
au cours des cinquante dernières années. Je me propose
quant à moi de décrire la situation politique que
nous subissons aujourd’hui en termes de rationalité
politique néo-libérale - rationalité dont les
principales caractéristiques sont les suivantes :
Le politique, et avec lui toutes les autres dimensions de l’expérience
contemporaine, est soumis à une rationalité économique.
Pour le dire autrement, l’être humain est intégralement
conçu comme homo oeconomicus,et toutes les dimensions de
la vie sont modelées par la rationalité marchande.
En conséquence, toute action et toute décision politique
obéissent à des considérations de rentabilité,
et - c’est tout aussi important - toute action humaine ou
institutionnelle est conçue comme l’action rationnelle
d’un entrepreneur, sur la base d’un calcul d’utilité,
d’intérêt et de satisfaction, conformément
à une grille micro-économique moralement neutre, dont
les variables sont la rareté, l’offre et la demande.
Non seulement le néo-libéralisme conçoit tout,
dans la vie sociale, culturelle et politique, comme réductible
à un tel calcul, mais il développe aussi les pratiques
et les récompenses institutionnelles qui permettent de réaliser
cette conception. En d’autres termes, le discours et la politique
qui véhiculent ses critères permettent au néo-libéralisme
de façonner des acteurs rationnels et des prises de décision
dictées, dans tous les domaines, par la logique marchande.
Il est donc important de le souligner : dans son exigence de propagation
de la rationalité économique, le néo-libéralisme
est plus normatif qu’ontologique ; et il préconise
à cet effet un cadre institutionnel, une série de
mesures politiques et un discours. Le néo-libéralisme
est un projet constructiviste : pour lui, la stricte application
de la rationalité économique à tous les domaines
de la société n’est pas un donné ontologique
; il oeuvre donc, comme on va le voir, au développement,
à la diffusion et à l’institutionnalisation
de cette rationalité.
À la différence du libéralisme économique
classique, qui tire son célèbre « laisser faire
» (ndlt : en français dans le texte) de la propension
humaine « au troc et à l’échange »,
le néo-libéralisme ne considère pas le marché
et le comportement économique rationnel comme purement naturels.
L’un et l’autre sont construits - ils sont façonnés
par la loi et les institutions et exigent une intervention et une
orchestration politiques. Loin de prospérer quand elle est
laissée à elle-même, l’économie
doit être dirigée, soutenue et protégée
par la loi et par le gouvernement, tout autant que par la diffusion
de normes sociales élaborées pour faciliter la concurrence,
le libre-échange et l’action économique rationnelle
de tous les acteurs et de toutes les institutions sociales. «
Dans la conception ordo-libérale, le marché n’est
pas une réalité économique naturelle, dotée
de lois propres, qu’un bon gouvernement devrait respecter
sans jamais les oublier. Bien au contraire, il ne peut être
constitué et pérennisé qu’à force
d’interventions politiques [...]. La concurrence n’est
pas davantage un fait naturel [...]. Ce mécanisme économique
fondamental ne peut fonctionner que si toute une série de
conditions sont assurées ; seules des mesures légales
peuvent donc permettre qu’on s’y rallie. » (Lemke,
op. cit., p.193)
La conception néo-libérale de l’État
- et tout particulièrement les lois et les décisions
élaborées pour permettre au marché d’exister
tout en garantissant son fonctionnement - n’implique pas que
le marché soit contrôlé par l’État.
Au contraire : le marché est le principe d’organisation
et de régulation de l’État et de la société,
et ceci selon des orientations différentes :
a) L’État doit obéir aux besoins du marché,
que ce soit par des mesures politiques et fiscales, sa politique
d’immigration, son traitement de la criminalité ou
la structure du système éducatif. Ce faisant, il n’encourt
plus le risque de déligitimation qu’avaient prédit,
dans les années 1970, des penseurs et des spécialistes
d’économie politique comme Nicos Poulantzas, Jürgen
Habermas, ou James O’Connor [7]. La rationalité néo-libérale
étendue à l’État indexe le succès
de l’État sur sa capacité à soutenir
et à nourrir le marché, et attache sa légitimité
à son succès en ce domaine. Il s’agit là
d’une forme nouvelle de légitimation, une forme qui
« fonde un État », pour reprendre les termes
de Lemke, et qui se distingue de la conception hégélienne
ou de celle de la Révolution française - la conception
de l’État constitutionnel comme le nouvel universel
représentatif du peuple. Lemke décrit ainsi l’analyse
foucaldienne de la pensée ordo-libérale : «
La liberté économique produit la légitimité
d’une forme de souveraineté dont l’unique objet
est la garantie de l’activité économique [...].
Soit un État qui n’est plus défini en termes
de mission historique, mais qui tire sa légitimité
de la croissance économique. » (op. cit., p. 196)
b) La rationalité marchande enveloppe et anime l’État
lui-même - la rentabilité, mais aussi un calcul généralisé
des coûts et des bénéfices, en viennent à
servir de mesure à toutes les pratiques de l’État.
Tout discours politique, quel qu’en soit l’objet, se
formule dans les termes de l’entreprise. L’État
ne doit pas seulement s’intéresser au marché,
il doit penser et se conduire comme un acteur du marché,
et ce dans toutes ses fonctions, y compris la fonction législative.
c) Des points (a) et (b), il s’ensuit que la santé
et la croissance de l’économie fondent la légitimité
de l’État : parce que l’État est directement
responsable de la santé de l’économie ; et parce
que les pratiques de l’État sont soumises à
la rationalité économique. Dans ces conditions, «
It’s the economy, stupid » [8] est bien davantage qu’un
slogan de campagne électorale : s’y formule en effet
le principe de légitimité de l’État et
la base de son action - des arrêts constitutionnels et de
la réforme du financement des campagnes électorales
aux mesures d’aide sociale et à la politique étrangère,
en passant par la guerre et la « sécurité intérieure
».
L’extension de la rationalité économique à
des domaines ou à des institutions jusque-là considérés
comme non-économiques concerne aussi les conduites individuelles
; pour être plus précis, elle prescrit les comportements
des sujets-citoyens adéquats à un système néo-libéral.
Là où le libéralisme classique maintenait une
distinction, et parfois même une tension, entre les critères
de la morale individuelle ou collective et les actions économiques
(d’où les différences frappantes de ton, de
types de questions et même de prescriptions entre la Richesse
des nations d’Adam Smith et sa Théorie des sentiments
moraux), le néo-libéralisme façonne normativement
les individus comme des acteurs entrepreneurs, et s’adresse
à eux comme tels, dans tous les domaines de la vie. Il représente
les individus comme des créatures rationnelles et calculatrices,
dont le degré d’autonomie morale dépend de leur
capacité à « prendre soin » d’eux-mêmes
- de leur aptitude à subvenir à leurs besoins et à
servir leurs ambitions. En rendant les individus pleinement responsables
d’eux-mêmes, le néo-libéralisme identifie
la responsabilité morale à l’action rationnelle
; il résorbe le différend entre les comportements
économiques et les conduites morales en réduisant
le sens moral à une affaire de délibération
rationnelle sur les coûts, les bénéfices et
les conséquences. Ce faisant, il élargit considérablement
le domaine de la responsabilité personnelle : l’individu
qui calcule rationnellement assume l’entière responsabilité
des conséquences de ses actes, quelles que soient les circonstances
de ces actes (circonstances qui peuvent être, par exemple,
les carences individuelles, les défaillances de l’éducation
et de la prise en charge des enfants à une époque
de chômage aigu et d’aide sociale limitée). Ainsi,
la référence, fréquemment entendue, à
des « vies déréglées » permet aux
pouvoirs sociaux et économiques de se décharger de
leurs responsabilités politiques, tout en réduisant
la citoyenneté politique à un degré sans précédent
de passivité béate. Le citoyen néo-libéral
type est celui qui choisit stratégiquement, pour lui-même,
entre les différentes options sociales, politiques et économiques
; non celui qui oeuvre avec d’autres à modifier ou
à rendre possibles ces options. Dans un contexte néo-libéral
pleinement réalisé, les citoyens seraient tout sauf
préoccupés du bien public ; ils formeraient à
peine un peuple. Le corps politique n’est plus un corps, mais
bien plutôt une collection d’entrepreneurs et de consommateurs
individuels - et c’est bien entendu exactement à ce
genre d’électeurs que s’adressent la plupart
des discours électoraux américains. Nul besoin de
chercher très loin pour trouver un autre signe du progrès
d’une telle conception de la citoyenneté : il n’est
que de voir la façon dont la rationalité marchande
pénètre aujourd’hui le monde universitaire -
des mécanismes d’admission et de recrutement au consumérisme
acharné des étudiants face au prestige des universités,
aux cours et aux avantages qu’elles offrent ; du racolage
des enseignants aux échelles de salaire, en passant par les
critères de promotion. Voyez aussi comment on excuse si souvent
des fautes morales graves (de nature délictuelle ou sexuelle)
commises par des politiciens, des cadres supérieurs, des
dignitaires d’Église ou des universitaires, en les
qualifiant d’« erreurs de jugement » - comme si
c’était le calcul qui était fautif, et non l’acte,
celui qui l’a commis, ou la logique qui l’a permis.
L’État doit contribuer d’une manière
volontariste à la fabrique du sujet néo-libéral.
Il oeuvre à la construction de sujets circonspects par des
politiques qui obligent à une telle circonspection. C’est
la base de toute une série de réformes de l’État-providence,
comme le workfare [9], la pénalisation des familles monoparentales,
ou telle ou telle modification du code pénal comme la «
loi des trois délits » [10] et le système des
« bons d’éducation » [11]. Parce que le
néo-libéralisme tient l’action rationnelle pour
une norme plutôt que pour une caractéristique ontologique,
c’est par la politique sociale que l’État façonne
des sujets guidés dans leurs actes par l’évaluation
rationnelle des coûts et des bénéfices - qu’il
s’agisse de la grossesse des adolescentes, de la fraude fiscale
ou de l’épargne retraite. Le citoyen néo-libéral
calcule plus qu’il ne se conforme aux règles, c’est
un benthamien plus qu’un hobbesien. L’État contribue,
parmi de nombreux autres acteurs, à fournir un cadre aux
calculs déterminant les conduites sociales qui garantissent
le maintien de coûts faibles et d’une productivité
élevée.
Ce mode de gouvernementalité (l’ensemble des techniques
de gouvernement qui excèdent la stricte action étatique
et orchestrent la façon dont les sujets se conduisent pour
eux-mêmes) fait advenir un sujet « libre » qui
délibère rationnellement sur l’ensemble des
alternatives, fait des choix, et assume la responsabilité
des conséquences de ses choix. De cette façon, affirme
Lemke, « l’État conduit et contrôle les
sujets sans en être responsable » ; en tant qu’«
entrepreneurs » individuels de toutes les dimensions de leur
vie, les sujets deviennent pleinement responsables de leur bien-être,
et accèderont d’autant plus à la citoyenneté
qu’ils réussiront dans cette entreprise (op. cit.,
p. 201). C’est par leur liberté que les sujets néo-libéraux
sont contrôlés - pas uniquement parce que, comme l’ont
affirmé les penseurs de l’École de Francfort
et Foucault, la liberté dans un système de domination
peut être un instrument de cette domination, mais en raison
de la moralisation néo-libérale des conséquences
de cette liberté. Ce qui signifie aussi que le retrait de
l’État de certains domaines et la privatisation de
certaines de ses fonctions ne sont pas un démantèlement,
mais consistent plutôt en une technique de gouvernement ;
ils sont même la signature technique de la gouvernance néo-libérale,
où l’action économique rationnelle étendue
à tous les domaines de la société remplace
les règles et les obligations explicites de l’État.
Le néo-libéralisme déplace « la compétence
régulatrice de l’État sur des individus «
responsables », « rationnels » [dans le but] de
les encourager à donner à leur vie la forme spécifique
d’une entreprise » (op. cit., p.202).
4) Enfin, la façon dont la rationalité économique
s’insinue dans l’État comme dans le sujet a pour
effet de transformer et de rétrécir radicalement les
critères de définition d’une bonne politique
sociale, relativement à ceux qui sont en vigueur dans une
démocratie libérale classique. La politique sociale
doit non seulement répondre aux tests de rentabilité,
inciter et désentraver la concurrence, et produire des sujets
rationnels, mais elle obéit aussi au principe, propre au
monde de l’entreprise, d’« égale inégalité
pour tous », dans la mesure où elle « multiplie
et étend les formes de l’entreprise dans tout le corps
social » (op. cit.,p.195). C’est ce principe qui lie
la gouvernementalisation de l’État néo-libéral
au développement d’une sphère sociale néo-libérale
et de sujets néo-libéraux.
Extension de la rationalité économique à tous
les aspects de la pensée et de l’activité ;
mise de l’État au service plein et entier de l’économie
; conception de l’État tout court(ndlt :en français
dans le texte) comme une entreprise soumise à la rationalité
du marché ; production du sujet moral comme sujet entrepreneur
; élaboration de la politique sociale selon ces critères
: cette conjonction peut être interprétée moins
comme une nouveauté radicale que comme une intensification
de la saturation du social et du politique par le capital. En d’autres
termes, on peut envisager la rationalité politique du néo-libéralisme
comme la conséquence d’un stade du capitalisme, et
y voir la simple confirmation de l’argument de Marx selon
lequel le capital pénètre et transforme chaque aspect
de la vie - remodelant tout à son image et réduisant
chaque valeur et chaque activité à sa froide logique.
La seule nouveauté serait ici la soumission flagrante et
systématique à cette logique de l’État
et de l’individu, de l’Église et de l’Université,
de la morale, du sexe, du mariage et des loisirs. À moins
que la seule nouveauté ne soit l’hégémonie
enfin totale de la théorie du choix rationnel dans le champ
des sciences humaines - qui aiment pourtant à se présenter
comme une branche indépendante et objective du savoir, et
non comme l’expression de la prépondérance du
capital.
Une autre façon d’inscrire le néo-libéralisme
dans la continuité du passé consisterait à
le décrire en recourant, non à l’argument de
Marx sur le capital, mais à la thèse de Weber sur
la rationalisation. L’extension de la rationalité du
marché à toutes les domaines - et particulièrement
la réduction du jugement politique et moral à un calcul
coûts/bénéfices - correspondrait précisément
à cette éviction des valeurs positives par la rationalité
instrumentale dont Weber a prédit qu’elle serait l’avenir
d’un monde désenchanté. Penser et juger sont
réduits à un calcul instrumental dans cette «
nuit polaire, glaciale, sombre et rude » - hors du marché
pas de moralité, pas de foi, pas d’héroïsme,
voire pas de sens du tout.
Si précieuses que soient la théorie marxiste du capital
et la théorie webérienne de la rationalisation pour
qui veut théoriser certains aspects du néo-libéralisme,
ni l’une ni l’autre ne donne à voir la rupture
historico-institutionnelle auquel il correspond, la substitution
d’une forme de gouvernementalité par une autre, et
donc les modalités de résistance qu’il rend
caduques et celles qu’il faut inventer pour le combattre efficacement.
Le néo-libéralisme n’est pas un avatar historique
inévitable du capital ni de la rationalité instrumentale
; il n’est pas la suite logique des lois du capital ou de
la rationalité instrumentale suggérée par une
analyse marxiste ou webérienne ; il consiste plutôt
en un agencement et un fonctionnement nouveaux et contingents des
deux. En outre, aucune de ces analyses ne rend compte du tournant
auguré par le néo-libéralisme - qui fait passer
les rationalités et les juridictions morales, économiques
et politiques, de l’indépendance relative dont elles
jouissaient dans les systèmes de démocratie libérale,
à leur intégration discursive et pratique. La gouvernementalité
néo-libérale mine l’autonomie relative de certaines
institutions (la loi, les élections, la police, la sphère
publique) les unes par rapport aux autres, et l’autonomie
de chacune d’entre elles par rapport au marché. Or
c’est grâce à cette indépendance qu’ont
été jusqu’à présent préservés
un intervalle et une tension entre l’économie politique
capitaliste et le système politique démocrate libéral.
Les conséquences de cette transformation sont considérables.
Marcuse s’inquiétait de la disparition de l’opposition
dialectique à l’intérieur du système
capitaliste, dès lors que ce système « distribue
les biens » - c’est-à-dire à partir du
moment où, vers le milieu du XXème siècle,
une classe moyenne relativement satisfaite remplace les classes
laborieuses pauvres dans lesquelles Marx voyait la contradiction
destructrice de la richesse concentrée du capital. Le néo-libéralisme
entraîne, quant à lui, l’érosion des oppositions
politique, morale ou subjective qui s’expriment dans une démocratie
libérale, mais qui ne relèvent pas de la rationalité
capitaliste - l’érosion des institutions, des juridictions
et des valeurs tributaires de l’existence de rationalités
non marchandes dans les démocraties. Quand les principes
démocratiques de gouvernance, les codes civils, voire la
moralité religieuse, sont soumis au calcul économique,
quand il n’est ni valeur ni bien qui lui échappe, alors
disparaissent non seulement les foyers d’opposition à
la rationalité capitaliste, mais aussi les foyers réformistes.
À ce titre, même si les analyses de gauche ont vu dans
le système politique libéral un ordre permettant de
légitimer, recouvrir et masquer les stratifications de la
société opérées par le capitalisme,
mais aussi par les hiérarchies entre les races, entre les
sexes et entre les genres, il est également vrai que les
principes de gouvernance de la démocratie libérale
- le libéralisme comme doctrine politique - ont fonctionné
comme une sorte de contre-feu à ces stratifications. Marx
lui-même l’affirmait dans La question juive, les principes
politiques formels d’égalité et de liberté
(et les promesses d’autonomie et de dignité individuelles
qu’ils font naître) représentent une conception
alternative de l’humanité : des référents
sociaux et moraux différents de ceux du système capitaliste
dans le champ desquels ils sont affirmés. La démocratie
libérale, vis à vis de l’économie capitaliste,
est, du moins potentiellement, un Janus à deux visages :
alors même qu’elle encode, reflète et légitime
les relations sociales capitalistes, elle leur résiste, les
contre et les tempère dans le même mouvement.
Plus simplement, la démocratie libérale a ouvert,
au cours des deux siècles derniers, une modeste brèche
éthique entre économie et politique. Même si
la démocratie libérale fait siennes nombre de valeurs
capitalistes (les droits de propriété, l’individualisme,
les postulats hobbesiens qui sous-tendent tout contrat, etc.), la
distinction formelle qu’elle établit entre les principes
moraux et politiques d’une part et le système économique
de l’autre a également servi de rempart contre l’horreur
d’une vie intégralement régie par le marché
et mesurée par ses valeurs. Cette brèche, la rationalité
néo-libérale la referme en soumettant chaque aspect
de la vie politique et sociale au calcul économique : plutôt
que de se demander, par exemple, ce que le constitutionnalisme libéral
permet de défendre, ce que les valeurs morales et politiques
protègent et ce dont elles préservent, on s’interrogera
plutôt sur l’efficace et la rentabilité promues
- ou empêchées - par le constitutionnalisme.
La démocratie libérale ne peut pas se soumettre à
la gouvernementalité néo-libérale et y survivre.
Il n’y a rien dans les institutions et les valeurs de base
de la démocratie libérale - des élections libres,
de la démocratie représentative ou des libertés
individuelles équitablement distribuées jusqu’à
un partage modéré du pouvoir ou même à
une participation politique plus substantielle - qui réponde
naturellement à l’exigence de contribution à
la compétitivité économique, ou qui résiste
à une analyse en termes de coûts/bénéfices.
Or aujourd’hui, c’est la démocratie libérale
qui sombre, même si le drapeau de la « démocratie
» américaine est planté partout où se
trouve - ou se crée - un terrain suffisamment propice. Le
fait que « démocratie » soit le terme dont on
affuble tant de mesures de politique intérieure ou d’entreprises
impériales anti-démocratiques suggère que nous
sommes dans un interrègne - ou, plus précisément,
que le néo-libéralisme emprunte considérablement
à l’ancien régime à des fins de légitimation,
même s’il développe et promeut en même
temps de nouveaux codes de légitimité. (...)
Le deuil de la démocratie libérale
En guise de conclusion, j’aimerais réfléchir
brièvement aux implications, pour la gauche, de la fin la
démocratie libérale. S’il est vrai que, depuis
un quart de siècle, les gauchistes se sont rarement montrés
aussi virulents, dans leur opposition à la démocratie
libérale, que l’avait été la «
vieille » gauche, il reste que nous ne nous y sommes pas pleinement
ralliés ; elle nous a parfois indignés, nous l’avons
insultée, nous avons aspiré à la transformer
en d’autres choses - une démocratie sociale, ou quelque
autre forme de démocratie radicale. La gauche perd donc quelque
chose qu’elle n’a jamais aimé, ou du moins quelque
chose à l’égard de quoi elle a toujours été
hautement ambivalente. Et nous perdons aussi un espace de critique
et d’agitation politique - nous avons critiqué l’hypocrisie
et les tours de passe-passe idéologiques de la démocratie
libérale, mais aussi l’opération rhétorique
et idéologique par laquelle elle a scellé, au coeur
de l’humanisme, l’ordre bourgeois, blanc, masculin et
hétérosexuel. Notre identité de gauche, aussi
vague fût-elle, s’est construite en se démarquant
de l’indifférence délibérée qu’a
toujours manifesté le libéralisme à l’égard
des stratifications sociales et de l’inégalité
- indifférence camouflée, et donc préservée,
par les catégories juridiques formelles de liberté
et d’égalité.
Et pourtant, comme l’a écrit Gayatri Spivak dans un
tout autre contexte, le libéralisme est aussi ce que l’on
« ne peut pas ne pas vouloir » (étant données
ses alternatives historiques, étant données les significations
contemporaines du fait d’en être privé). Même
dans ce cas, cependant, le désir et l’attachement qu’il
peut susciter sont tournés contre eux-mêmes : l’habile
double négation de Spivak signale une dépendance qui
nous laisse insatisfaits, une organisation du désir dont
nous aimerions qu’elle soit tout autre. Quelles vont être,
pour les hommes et les femmes de gauche, les implications sociales,
psychiques et intellectuelles de la perte d’un objet d’attachement
aussi équivoque ? (...)
Bien sûr, la gauche a pu adopter et incorporer à sa
propre conception de ce qu’est une bonne société
certains traits de la démocratie libérale : par exemple,
toute la batterie de libertés individuelles allant dans le
sens de la libération de la domination que nous promet la
transformation de la production. Mais exprimer cette vision de gauche
rénovée ne saurait être défendre les
libertés publiques dans des termes libéraux - ce qui
reviendrait à réduire à néant le projet
de gauche en tant que tel en le subordonnant à quelque chose
qui lui est étranger. [...] Défendre la démocratie
libérale dans des termes libéraux, c’est non
seulement sacrifier une vision de gauche ; mais c’est aussi,
par ce sacrifice, discréditer la gauche en la réduisant
tacitement à n’être rien de plus qu’une
objection permanente au régime en place : un parti de doléances
plutôt qu’un parti doté d’une vision politique,
sociale et économique alternative.
Mais, dira-t-on, s’il est vrai que nous glissons du libéralisme
au fascisme, si l’horizon politique ne permet pas d’entrevoir
la démocratie radicale ou le socialisme, n’est-il pas
de notre devoir de défendre les institutions et les valeurs
démocrates libérales ? N’est-ce pas la leçon
de Weimar ? Je crois avoir montré que raisonner en ces termes
serait se méprendre sur la situation actuelle, ne pas voir
ce qui est en jeu dans la gouvernementalité néo-libérale
- qui n’est pas le fascisme - ni sur quelles bases on peut
s’y opposer. Dans les années 1980, la gauche avait
fait le même raisonnement pour défendre l’État-providence(«
si le socialisme est inenvisageable à terme, préservons
au moins le capitalisme de Welfare State »). C’était
une erreur de diagnostic qui s’est retournée contre
elle. D’une part, au lieu d’élaborer un projet
d’émancipation visant l’éradication de
la pauvreté plutôt que sa régulation, la gauche
s’est contentée d’une position défensive.
Elle s’est ainsi prêtée aux accusations de ne
soutenir rien d’autre que le « trop d’État
», des dépenses publiques pléthoriques, et de
montrer une compassion déplacée pour ceux que l’on
présentait comme ayant échoué à bâtir
leur vie selon les principes de l’entreprise. D’autre
part, le démantèlement de l’État-providence
ne procédait en rien des cadres de pensée de la démocratie
libérale, mais bien de la rationalité économique
et politique néo-libérale. Par conséquent,
nous ne sommes pas seulement confrontés à une inflexion
droitière ou conservatrice de la démocratie libérale
; nous nous trouvons plutôt au seuil d’une formation
politique différente, qui fonde son action et sa légitimité
sur d’autres bases que celles de la démocratie libérale,
quand bien même elle en conserve encore l’intitulé.
C’est une formation politique dont le régime de pouvoir
fonctionne de manière analogue au niveau national et au niveau
global, qui s’appuie sur un État opaque et remarquablement
actif, sur des conglomérats médiatiques, des écoles
et des prisons privatisées, et diverses technologies qui
permettent d’accroître les pouvoirs réglementaires
et de police des administrations locales. Pour que cette formation
politique devienne possible, il a fallu qu’adviennent des
citoyens qui gèrent chaque aspect de leur vie comme des acteurs
individuels mus par l’esprit d’entreprise, que la société
civile soit réduite à un terrain d’exercice
pour cet esprit d’entreprise, et qu’on en vienne à
se représenter l’État comme une entreprise dont
les produits sont les sujets individuels rationnels, une économie
en pleine croissance, la sécurité intérieure
et le pouvoir global.
Cette formation politique constitue un double défi pour
la gauche. Premièrement, elle nous oblige à réfléchir
aux conséquences de la perte de la démocratie libérale,
et tout spécialement à ses conséquences pour
notre propre travail, en considérant ce qui, dans la démocratie
libérale, a compté pour nous, ce que nous avons exigé
d’elle, et ceux de ses traits que nous avons critiqués,
contre lesquels nous nous sommes révoltés, et qui
ont été à la base d’une identité
que nous avons construite en nous en distinguant. Sans doute avons-nous
besoin de faire le deuil de la démocratie libérale,
en admettant l’ambivalence de notre attachement à son
égard, ce mélange d’amour et d’hostilité
qui nous lie à elle. Quant au deuxième défi,
il est ce qui motive le présent article : concevoir une opposition
de gauche intelligente à la formation politico-économique
néo-libérale qui prend aujourd’hui forme, et
un contre-projet pertinent.
Il y a une cinquantaine d’années, Herbert Marcuse
affirmait que le capitalisme avait éliminé un sujet
révolutionnaire (le prolétariat) qui représentait
la négation du capitalisme ; en conséquence, insistait-il,
c’est à l’extérieur de ce qui constitue
le capitalisme que la gauche devait trouver les principes, les perspectives
et l’organisation anti-capitalistes, et les cultiver. En d’autres
termes, la gauche devait mettre l’accent sur les désirs
que le système capitaliste ne satisfaisait évidemment
pas - désirs, non de richesse ou de biens de consommation,
mais de beauté, d’amour, de bien-être mental
et physique, d’un travail intéressant, et de paix -,
et fonder sur ces désirs le rejet du système et son
remplacement par un autre. L’opposition au capitalisme ne
pouvant plus tirer parti des contradictions économiques du
système, elle devait donc se fonder sur des valeurs alternatives.
Aujourd’hui, le problème diagnostiqué par Marcuse
s’est étendu du capitalisme à la démocratie
libérale : une conscience d’opposition ne peut pas
naître des fausses promesses et des hypocrisies de la démocratie
libérale. (...)
Ce qu’il reste à faire à la gauche aujourd’hui,
c’est opposer à l’émergence d’une
gouvernementalité néo-libérale dans les États
euro-atlantiques une vision alternative du bien - une vision qui
refuse que l’homo oeconomicus soit la norme de l’humain,
et qui rejette les conceptions de l’économie, de la
société, de l’État et de la (non)morale
tributaires de cette norme. Il s’agirait, dans sa forme la
plus rudimentaire, d’une perspective où la justice
n’aurait pas pour centre de gravité la maximisation
de la richesse ou des droits individuels, mais l’encouragement
et l’accroissement de la capacité des citoyens à
se gouverner eux-mêmes en partageant le pouvoir et donc en
apprenant à collaborer. Dans un tel système, les droits
et les élections seraient l’arrière-plan de
la démocratie, et non son alibi. Mieux, les droits serviraient
à protéger l’individu des enthousiasmes démocratiques
radicaux, mais ne seraient pas, en tant que tels, l’indice
de la démocratie, pas plus qu’ils n’en constitueraient
le principe central. Au contraire, une conception de gauche de la
justice mettrait l’accent sur des pratiques et des institutions
de pouvoir populaire partagé ; une distribution des richesses
et un accès aux institutions modérément égalitaires
; une évaluation continue de toutes formes de pouvoir - social,
économique, politique, même psychique ; une vision
à long terme de la fragilité et de la finitude de
la nature non-humaine ; et l’importance, pour l’épanouissement
humain, d’une activité intéressante et de logements
décents. Aucune de ces valeurs, quelle que soit celle qu’on
choisit de privilégier, ne découle de la rationalité
néo-libérale, ni ne satisfait aux critères
néo-libéraux du bien. Développer et promulguer
cette contre-rationalité - une représentation différente
des êtres humains, de la citoyenneté, de la vie économique,
et du politique - est une nécessité capitale si nous
voulons façonner un avenir plus juste et combattre aujourd’hui
les politiques mortifères de l’empire américain.
Une version intégrale de cet article a d’abord été
publiée dans la revue américaine Theory and Event,
7.1.
Notes :
[1] Le terme « libéral » n’a jamais été
si ambigu qu’aujourd’hui, non seulement en raison de
son double sens économique et politique et de la variation
historique de ses significations, mais aussi parce qu’aux
États-Unis, la distinction partisane traditionnelle entre
« libéral » (avec ce qu’en américain
cela suggère de mouvement) et « conservateur »
(au sens de conservation) s’est récemment effondrée.
La politique de l’administration Bush est qualifiée
de « radicale » par les libéraux, et accule les
démocrates à une position de « conservation
» de l’État-providence et des libertés
publiques contre ceux qui (à droite) prétendent les
« révolutionner ». En outre, dans un parti démocrate
qui se bat pour reconquérir la majorité, des dirigeants
comme Richard Gephardt ou John Kerry reprennent désormais
à leur compte la façon dont la droite a toujours présenté
les « libéraux » : des gauchistes, c’est-à-dire
des « ringards ».
[2] Néo-libéralisme et néo-conservatisme diffèrent
sensiblement, notamment parce que le premier fonctionne comme rationalité
politique tandis que le second demeure une idéologie. Ils
se rejoignent toutefois significativement dans l’électorat
et sur les priorités politiques. Ainsi, ceux qui se réclament
de l’un ou de l’autre s’opposent également
à la plupart des aspects de l’État-providence.
Mais il y a aussi entre eux des tensions : les positions morales
néo-conservatrices - contre l’avortement, contre l’homosexualité,
pour la famille traditionnelle - n’ont rien à voir
avec le néo-libéralisme, et sont même en contradiction
avec la rationalité économique appliquée par
le néo-libéralisme aux questions de société.
Cet article est consacré au néo-libéralisme,
mais une étude des interactions entre néo-libéralisme
et néo-conservatisme reste sans aucun doute à faire,
d’autant plus que les républicains au pouvoir sont
des néo-conservateurs. Il serait également intéressant
de travailler sur la façon dont, étant donnée
la teneur hautement moralisatrice du programme et du ton des néo-conservateurs,
la rationalité néo-libérale amorale est devenue
partie prenante de l’arsenal tactique et stratégique
employé pour permettre au programme néo-conservateur
de gagner du terrain - du calcul stricto sensuaux plus « sales
coups » comme la manipulation des preuves.
[3] Thomas Lemke, « The Birth of Bio-Politics : Michel Foucault’s
Lecture at the College de France on Neo-Liberal Governmentality
», Economy and Society, 30 :2 (May2001), pp.190-207.
[4] L’École ordo-libérale de l’Allemagne
d’après-guerre tient son nom de la revue Ordo, où
ses membres, issus de l’« École de Fribourg »,
ont d’abord publié.
[5] L’École d’économie politique de Chicago,
née aux États-Unis au milieu du XXème siècle,
rassemble entre autres Hayek et Friedman.
[6] Selon Lemke et Foucault, la différence la plus significative
entre ces deux écoles tient au degré de soutien du
marché par le biais des réglementations politiques
et des interventions sociales exigé par chacune d’entre
elles. Si toutes deux réservent au marché la place
centrale, « les ordo-libéraux défendent l’idée
d’un gouvernement de la société au nom de l’économie
[tandis que] les néo-libéraux américains cherchent
à re-définir la sphère sociale [et politique]
comme une forme du domaine économique » (Lemke, op.
cit., pp. 197-198). Ainsi, les premiers considèrent que l’économie
exige une intervention politique dont elle détermine la nature,
alors que les seconds étendent le domaine économique
à l’ensemble des institutions et des actions humaines,
depuis le comportement individuel jusqu’au gouvernement.
[7] Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales, Maspero,
« Petite collection », 1971 ; Habermas, Raison et légitimité
: problèmes de légitimation dans le capitalisme avancé,
trad. Jean Lacoste, Payot, 1978 ; O’Connor, The Fiscal Crisis
of the State, St. Martin’s Press, 1973. Tenants de la réponse
« structuraliste » aux conceptions plus grossièrement
« instrumentalistes » de l’État capitaliste,
ces auteurs soulignaient que toute intervention ostensible de l’État
au profit du capital (qu’il vole manifestement à son
secours, qu’il le subventionne ou, plus subtilement, qu’il
emploie des mesures politiques en sa faveur), lui faisait encourir
le risque d’une « crise de légitimation »
en dévoilant par là son jeu. L’État manifestait
alors sa nature d’« État capitaliste »,
quand sa légitimité dépendait de son indépendance
supposée à l’égard des pouvoirs politiques
et sociaux. C’est ce critère de légitimité
qu’évacue le néo-libéralisme en faisant
de l’État une extension du marché - un serviteur
légitime du marché, un aspect du marché, et
une forme du marché.
[8] Ndlt : « Pense à l’économie, idiot
» fut un slogan de campagne du ticket Clinton-Gore en 1992.
[9] Ndlt : système où les chômeurs doivent
participer à des programmes de création d’emplois
pour avoir droit aux allocations.
[10] Ndlt : La « three strikes law » permet de condamner
quelqu’un à la prison à vie s’il passe
en procès pour la troisième fois, si mineurs que puissent
être les délits qu’il a commis.
[11] Ndlt : les « educational vouchers » sont des tickets
d’éducation qui peuvent être employés,
au choix, dans une école publique ou privée.
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