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Origine : http://www.fondation-babybrul.org/observatorio.html
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NI RAQUÊTE LOCATIF, NI PROSTITUTION SALARIALE !
TXT de l'OBSERVATORIO à TOULOUSE
Mais qu’est-ce qui peut bien décider ces jeunes gens atypiques à
occuper illégalement des maisons vides ? La misère penserons certainEs
l’air condescendant, une pulsion criminelle à déposséder les honnêtes
gens de leur patrimoine, un désir juvénile de bafouer la loi pour
mieux s’y conformer lorsque revenuEs à l’âge de raison. Non rien
de cela. Nous ne sommes ni des adolescentEs en crise, ni des misérables,
ni des bêtes assoiffées de sang. DésoléEs de ne pas nous conformer
à l’image d’Épinal que la société, les médias et les pouvoirs publics
veulent associer aux squats mais nous avons bien d’autres ambitions,
d’autres motivations et d’autres projets que celui de mimer la compétition,
l’individualisme et le chacun-chez-soi du crapuleux projet occidental.
Aux antipodes de ces résidences normalisées, gardiennées, vidéo-surveillées,
bétonnées et clôturées qui se construisent à une cadence infernale
dans les périphéries de nos villes, les squats sont tous différents,
cosmopolites, polyglottes et pluriculturels si bien qu’aucun savant
fou n’y pourra décrypter et breveter tous les gènes qui s’y trouvent.
Les motivations des occupantEs sont toutes aussi diverses que je
me contenterai d’exprimer ici les raisons qui m’ont amené à squatter.
De la propriété privée à la propriété d’usage
Tout d’abord, entendons-nous bien sur les termes, squatter, c’est
occuper un espace laissé à l’abandon et lui redonner vie. Il ne
s’agit pas de dépouiller un propriétaire de son bien avec la volonté
de lui causer un préjudice moral mais bien plus de se réapproprier
et de redonner usage à un espace qui n’a plus aucune utilité. Pour
bien comprendre la légitimité de cette action de réappropriation,
il faut savoir qu’elle part avant tout d’une remise en cause totale
de la propriété privée. En effet je préfère le concept de propriété
d’usage à celui de propriété privée tel qu’il est défini dans nos
sociétés. La propriété d’usage définit le ou la possédantE comme
la personne qui a usage d’un bien ou d’un espace. Je ne considère
pas comme propriétaire quelqu'un qui abandonne une maison, laisse
des terres en friche ou accumule des biens dont il ou elle n’a pas
besoin. ToutE locatrice devrait être propriétaire et la location
n’est rien d’autre que du raquête. Le fait d’occuper une maison
vide ou de cesser de payer son loyer devient un acte aussi légitime
que de récupérer un encombrant dans la rue. Pour les mêmes raisons,
les commerçants qui accumulent des richesses dont illes n’ont pas
l’usage sont voleurs et le vol à l’étalage devient un acte légitime
de réappropriation de richesses. Ce que je considère comme du vol,
c’est de prendre à quelqu’unE un espace qu’il ou elle utilise. Il
ne m’apparaît pas comme légitime d’expulser des habitantEs, d’exproprier
des gens sans leur consentement (comme l’Etat le fait souvent pour
construire ses autoroutes et ses lignes TGV) pas plus que de polluer
l‘air et l’eau dont tout le monde a l’usage, de breveter les semences…
Il découle de cette définition de la propriété d’usage énormément
de choses. A la différence des gens qui défendent le droit au logement,
je ne crois pas que le squat soit légitime seulement lorsque les
gens sont sans domicile, mais, bien plus largement, tant qu’il y
aura des locaux inutilisés ou réservés au raquête locatif. D’autre
part, pas plus que je n’ai besoin d’une autorisation pour récupérer
un encombrant dans la rue, je n’ai besoin du consentement d’unE
propriétaire et encore moins de l’Etat pour redonner vie à une maison
murée. Revendiquer l’application de la loi de réquisition, c’est
reconnaître la légitimité de l’Etat et sa compétence à décider de
nos vies. Dans un autre domaine, la propriété intellectuelle, le
copyright et les brevets se révèlent totalement obsolètes si l’on
considère que les œuvres et les inventions ne devraient appartenir
qu’aux gens qui en ont l’usage. Le piratage de logiciels, d’œuvres
musicales, le photocopillage d’ouvrages et l’application de brevets
deviennent ainsi des actes de réappropriation tout aussi légitimes
que le vol à l’étalage, l’occupation, la grève de loyer et le glanage.
Mais l’acte de réappropriation ne peut se limiter aux biens, aux
espaces et aux œuvres ; il faut l’étendre à tout ce qui touche à
nos vies. Une réappropriation des connaissances et des savoir-faire
est essentielle pour contrer la logique de spécialisation du système
éducatif. En effet l’école a savamment trié les matières enseignées
pour toujours plus nous rendre dépendantEs de la société marchande.
Nous arrivons à l’âge adulte sans savoir faire pousser des légumes,
réparer nos véhicules et nos appareils électriques, nous soigner
avec des plantes, prendre des décisions collectivement, fabriquer
nos meubles, réparer notre plomberie… Au mieux savons-nous faire
une seule de toutes ces choses car le goulot éducatif nous étrangle
dans une spécialité. Nous sommes ensuite obligéEs d’acheter tout
ce que nous ne savons pas faire et préalablement obligéEs de travailler
dans notre spécialité pour gagner l’argent nécessaire. La boucle
est bouclée et la machine capitaliste tourne à plein régime avec
autant de rouages qu’il y a d’êtres humains soumis à l’esclavage
salarial.
Pour aller plus loin dans notre émancipation, suit donc la nécessaire
réappropriation de notre temps et de notre énergie, c’est-à-dire
l’insoumission au travail salarié. L’acte consistant à échanger
notre énergie et notre temps (environ 35 heures par semaine pendant
40 ans) contre de l’argent n’est-il pas une forme non sexuelle de
prostitution, la prostitution salariale ? Moi je n’ai plus envie
de participer au fonctionnement d’entreprises privées ou publiques,
de prostituer mes forces, mon énergie, mes capacités et mon temps,
pas plus que je n’ai envie de faire l’amour pour de l’argent.
Ce n’est pas tout, nous devons constamment nous battre pour nous
réapproprier nos libertés individuelles et nos vies face aux hordes
de curés, intégristes et autres législateurs de bonnes mœurs qui
ne pensent qu’à limiter l’étendue et la diversité des formes d’amour
et de jouissances que nous offre la vie. C’est là tout un travail
mettant en œuvre notre imaginaire pour retrouver nos libertés meurtries
par tout le poids d’une éducation judéo-chrétienne et de la normalité
imposée.
Mais pour tous ces actes de réappropriation nous nous retrouvons
presque à chaque fois confrontéEs à la sacro-sainte loi. C’est dans
une volonté consciente d’expropriation de nos pouvoirs de décision
que les politiciens ont établi, à tous les niveaux des systèmes
de délégation de pouvoir. La démocratie représentative à l’œuvre
dans les pays occidentaux, les syndicats et les ONG ne sont rien
d’autre qu’une version proprette des processus autoritaires à l’œuvre
dans les dictatures, les entreprises et les administrations. Car
il s’agit toujours de mettre dans les mains de quelques personnes
le pouvoir de décision qui appartient à chaque individu. L’acte
de réappropriation de notre pouvoir de décision passe par la mise
en œuvre d’une démocratie directe respectueuse des opinions de chaque
personne (consensus) dans tous nos collectifs de vie, d’activité
et de lutte. C’est aussi pour se réapproprier leur pouvoir de décider
que les abstentionnistes refusent la mascarade électorale et y préfèrent
la démocratie directe. A un niveau individuel, le non-respect de
la loi et des règlements autoritaires est l’acte de réappropriation
de notre pouvoir de décision qui permet les actes de réappropriation
cités précédemment.
Vers une autre société
On s’aperçoit vite que le simple fait de s’installer dans une maison
vide relève d’un processus qui tend à remettre en cause l’ensemble
de la société en visant à redonner à chaque personne les pouvoirs
de jouir, décider, posséder les espaces et les objets qu’elle utilise
et de vivre libre. C’est une soif de liberté qui amène les gens
à squatter, voler, recycler, glaner, apprendre, jouir illégalement
et refuser d’exercer une activité salariée. Dans certains pays,
l’émancipation est une nécessité vitale pour les populations opprimées
et confinées à la misère. Mais dans nos pays riches, l’abondance
matérielle cache les misères intellectuelle, psychologique, et bientôt
génétique dans lesquelles les systèmes marchands législatifs nous
enferment par des années de formatage contractuel (location, salariat,
consommation, assurance…). La simple remise en cause théorique de
ces systèmes oppressifs ne peut pas suffire à contrer le formatage
mental que provoquent les années de soumission à la loi et au salariat.
Le meilleur moyen d’enrayer la soumission intellectuelle à la domination
étatique et capitaliste est de sortir de cette position de rouage
qui formate lentement notre esprit critique. En se mettant en situation
réelle de liberté totale, ne serait-ce que pendant une courte période
de temps, on peut rompre le processus d’auto-abdication qui menace
notre volonté. Un jour de pratique vaut bien un an de théorie. Les
créations de Zones Autonomes Temporaires (TAZ) sont bien plus à
même de faire avancer nos idées, notre esprit critique et de fortifier
notre détermination à rompre avec le système que la lecture de dizaines
d’ouvrage de théories révolutionnaires.
Tout le monde est conscient qu’il n’y aura pas de révolution demain.
Devons-nous rester prisonnièr-e-s des dogmes du siècle dernier,
nostalgiques de la guerre d’Espagne, à gentiment attendre une hypothétique
révolution, tout en travaillant, louant, consommant et en faisant
du militantisme « bonne conscience » le reste du temps ? Personnellement
je pense que non. Cette vie-là ne correspond pas à mes convictions
et ne me fait pas du tout envie. J’y préfère une vie précaire mais
bien plus affranchie, faites d’occupations et d’expulsions, de fraudes
et de contraventions, d’actions directes et d’arrestations, de récup’
et de pannes, de maraîchage, de solidarité, de musique, de grasses
matinées à répétition, de théâtre, d’épanouissement, d’autogestion,
de danses, de désintérêt, de voyages, d’expériences collectives
non-marchandes, d’autoconstuction, de sincérité, d’échecs, de fêtes,
d’apprentissage permanent, de liberté totale et de mise en pratique
quotidienne de mes convictions.
Toi aussi brûle ton agence d’intérim, explose ta télé, désintègre
ton portable, occupe une maison vide, arrête de travailler et laisse
la société marchande, ses vaches folles et son uranium appauvri,
voguer toute voiles au vent vers le décryptage du génome. La société
capitaliste occidentale, après avoir colonisé, soumis, anéanti,
asservi les autres cultures, êtres humains et la nature même, fonce
tête haute vers sa propre fin. Plutôt que de spéculer sur la manière
dont elle s’auto-détruira, (catastrophe alimentaire, génétique,
nucléaire ou climatique), cessons immédiatement d’être les galériennEs
qui ramons servilement, cessons de mener à chaque coups de rame
l’humanité vers son anéantissement.
Manu, habitant de l’observatorio (demeure occupée de Toulouse).
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