Origine http://www.cam.org/~mdumont/0596/0596-z0.htm
La vitesse de libération
L'ouvrage de Paul Virilio publié chez Galilée (1995, 176 p.) n'est
pas facile. Impossible de "zapper".
Le titre de l'ouvrage réfère à la vitesse de 28,000 km/heure qui
nous permet de nous libérer de la gravitation, de "fuir vers le
haut". Ce changement d'horizon, par rapport à l'horizon plat et
défini de la Renaissance, est amplifié par la révolution des transmissions,
ce qu'il appelle les télétechnologies, qui bouleverse notre
conception du temps et de la distance.
Les grands axes horizon-espace-temps-distance-vitesse encadrent
les propos de l'auteur. Le lecteur courageux y trouvera des idées-forces
indispensables, parfois lumineuses, pour quiconque cherche à comprendre
comment les technologies dessinent demain.
La difficulté du texte est augmentée par le nouveau vocabulaire
créé par l'auteur. De toute évidence, l'ouvrage ne sera lu que par
quelques-uns et c'est dommage. Voici, malgré tout, sommairement
résumées, quelques-unes des idées-force développées à travers les
différents chapitres de l'ouvrage.
Le troisième intervalle
La révolution des transmissions, les télétechnologies interactives,
caractérise le XXe siècle. Elles modifient nos notions de distance
et de temps et engendrent une "mutation profonde du rapport de l'homme
à son milieu de vie". Tout arrive sans que nous ayons à partir:
nous nous déplaçons, "immobiles", grâce à l'innovation du véhicule
statique: la télévision, l'ordinateur. L'espace se réduit à
cet écran, "à tel point, qu'à la fin du siècle, il ne restera plus
grand-chose de l'étendue de cette planète".
La perspective du temps réel
L'immobilité qu'engendre la révolution des transmissions, la tyrannie
du temps réel crée une nouvelle pollution que l'auteur nomme pollution
dromosphérique dont devraient se préoccuper les écologistes.
L'horizon de l'écran de la télévision ou de l'ordinateur échappe
à la gravité terrestre: c'est un horizon trans-apparent,
sans point fixe dans l'espace. La nouvelle pollution a pour conséquence
la perte du corps locomoteur, en mouvement, et la perte de la terre
ferme, base de notre identité.
La grande optique
Les télétechnologies interactives créent un trouble de
la perception: il y a pour chacun de nous dédoublement de
la représentation du Monde et donc de sa réalité. Nous sommes ici
et ailleurs en même temps. Le mythe de l'ubiquité (pouvoir être
à deux endroits en même temps) est vaincu. Il y a dédoublement entre
activité et interactivité, présence et téléprésence, existence
et téléexistence. L'expérience ne sera-t-elle plus que virtuelle
?
La loi de proximité
L'ultime proximité est celle du corps humain, de la biotechnologie:
jonction entre le biologique et le technologique. Comme nous avons
peuplé et aménagé la terre, les micro-machines occuperont
bientôt l'organisme humain. La machine post-industrielle est au
stade de la miniaturisation, du réductionnisme technologique
et la physiologie humaine est le lieu d'expérimentation privilégié
des micro-machines de la communication, transmettrices d'informations.
L'écologie grise
"À côté de la pollution des substances qui composent notre environnement,
ne devrait-on pas deviner aussi, cette soudaine pollution des distances
et des longueurs de temps qui dégrade l'étendue de notre habitat?"
Nous serons bientôt totalement dépendants des télécommunications
qui se mettent en place en cette fin de millénaire.
La dérive des continents
Les territoires sont désormais questionnés. L'entreprise et le
travail n'ont plus de lieu. La société ne se divisera bientôt plus
en Nord et Sud mais en deux temporalités, deux vitesses. Il ne fait
aucun doute que s'annonce un krach des modes de production post-industrielles.
Comment pallier aux dégâts de l'intégrisme technique des
télétechnologies interactives?
La convoitise des yeux
"Est-on encore libre d'essayer de résister à l'inondation oculaire
en détournant le regard, en portant des lunettes noirs dans le souci
de préserver son intégrité, sa liberté de conscience ? Devrait-on
revendiquer le droit à la cécité ?"
De la perversion à la diversion sexuelle
Avec la cybersexualité, on ne divorce plus, on se désintègre.
Une rupture radicale se prépare entre les hommes et les femmes,
qui menace directement l'avenir de la reproduction sexuée. Le cyberféminisme
doit contribuer à reprendre le contrôle sur les frontières du corps.
La vitesse de libération
Nous sommes au commencement d'un autre temps. Le monde nous renvoie
à notre solitude, "une solitude multiple de quelques milliards d'individus
que les multimédias s'apprêtent à organiser de manière quasi-cybernétique".
COMMENTAIRE
Il y a donc de nombreuses pistes de réflexion dans cet ouvrage
de Paul Virilio. Par contre, je ne partage pas le pessimisme de
l'auteur. Les technologies ne sont qu'un outil : c'est à nous de
décider si elles sont sources d'asservissement ou créatrices de
liberté. L'important est d'en comprendre les enjeux et de réagir
en toute connaissance de cause.
Aux internautes qui auront "pris le temps" pour lire Virilio:
Qu'en pensez-vous ? Partageons nos points de vue...
Monique Dumont Date: 17 mai 1996
Origine http://www.cam.org/~mdumont/0596/0596-z0.htm
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