Date: 25 Novembre 2004
Subject: [Lmsi] Le " violon tzigane " et les Roumains au
violon, par Caroline Damiens
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LE "VIOLON TZIGANE" ET LES ROUMAINS AU VIOLON
À propos de quelques stéréotypes sur les "gens
du voyage"
http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=325
Par Caroline Damiens
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La mode des concerts est à la musique tzigane. On y chante,
paraît-il, la liberté et l’amour du voyage. Mais
la réalité du métro est faite de joueurs d’accordéon
qui massacrent toujours les mêmes airs pour gagner quelques
pièces jaunes que le voyageur RATP rechigne souvent à
donner. Y aurait-il deux réalités, celle des tziganes
qui ont réussi et dont les disques se vendent à la
FNAC, et celle de ceux qui rament dans les rames à essayer
de vivre de leur art ? Ou bien ces derniers sont-ils simplement
en train de se conformer à l’image que l’on attend
d’eux ?
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On m’a toujours dit que les tziganes étaient un peuple
de musiciens. Or, ceux que je vois dans le métro ne sont
pas... comment dirais-je ? à la hauteur de la réputation.
Parce que moi, les tziganes que je connais ne répondent
en aucun point aux critères de " tziganité "
dont on me rebat les oreilles. Cela fait plusieurs mois déjà
que ma présence au sein du comité de soutien aux tziganes
de Saint-Denis me donne l’occasion de côtoyer et de
discuter avec des tziganes, des vrais, pas des images sur une pochette
de disque.
Mais pour cela, il faut tordre les palissades derrière lesquelles
ils sont cachés, pénétrer dans les interstices
urbains où ils ont élu domicile, dans les terrains
vagues où ils ont construit leurs baraques. Car c’est
de bidonvilles dont il s’agit. Ceux-là même que
l’on croyait éradiqués depuis longtemps dans
l’un des pays les plus riches du monde. Là des gens
vivent, sans papiers, sans électricité, sans eau courante,
sans toilettes.
Autrement dit, derrière les affiches de concert aux couleurs
exotiques, se cachent les tziganes. Et il faut croire qu’ils
sont bien cachés car dès que je m’aventure à
prononcer le simple mot " tzigane ", il faut tout réexpliquer
et pour cela, il faut tout prendre à l’envers. L’expérience
se confronte aux mythes composants une hypothétique "
essence tzigane ".
En premier lieu, toujours, on évoque leur musique. Mais
dans les bidonvilles, pas un seul instrument de musique en vue.
Où est-elle, alors, cette musique ? Elle est pourtant toujours
présentée comme un trait culturel à la base
de leur identité, voire comme leur essence même. Elle
est souvent le seul aspect positif et reconnu comme tel. C’est
peut-être pour ça qu’on l’invoque si souvent.
Mais quel peuple n’a pas sa musique ? Le problème,
c’est de constamment réduire un peuple à sa
culture, et d’en faire un simple folklore. Un bon tzigane
est-il un tzigane qui joue du violon ? Ce n’est que trop réducteur
et sert à neutraliser tout le reste. Comme s’ils ne
vivaient que de musique et pas de pain ! Sous la culture, les gens.
Ensuite, on trouve la hantise des origines : " Les tziganes
sont venus d’Inde il y a dix siècles. "
Cette insistance sur leurs origines indiennes n’est là
que pour les différencier de nous. Ils ont dix siècles
de voyage dans le dos alors que nous, quelques stations de métro
nous mènent dans leurs bidonvilles.
En effet, quand on évoque le peuple français, il
n’y a guère que dans les colloques d’ethnologie
qu’on rappelle que le peuple celte a quitté ses "
terres natales " de l’Asie Centrale pour aller peupler
la France jusqu’à la pointe du Raz. Les tziganes, comme
les juifs jusqu’à peu, sont d’ailleurs, ils errent.
Pourquoi ? La question ne se pose pas et c’est bien cette
question-là qui manque. Les tziganes sont dans l’histoire
car ils ne l’ont pas écrite, " ils n’ont
ni vaincu, ni conquis " [1], or, l’histoire est toujours
écrite par le vainqueur.
De manière plus pragmatique, cette obsession de l’origine
sert les discours racistes en apportant une destination toute trouvée
pour les tziganes jugés indésirables par certains.
Ainsi, on a pu voir dans les années 90 des groupes néo-nazis
leur ordonner de " rentrer " en Inde [2].
Enfin, chacun aime à rappeler que les tziganes sont du/en
voyage : " C’est un peuple nomade. "
Ce nomadisme partout présenté comme une caractéristique
fondamentale du peuple tzigane, cet amour du voyage idéalisé
par quelque vision romantique de la liberté, ne pourrait-il
pas être pris à l’envers, c’est-à-dire,
n’être qu’une contrainte. En effet, nomadisme
ou sédentarité répondent à des nécessités
économiques et ne sont pas des signes spécifiques
d’une identité. S’ils sont nomades, c’est
parce qu’ils sont constamment poussés dehors par les
dominants [3].
D’ailleurs, si l’on s’interroge vraiment sur
la signification du mot " nomade ", on apprend vite qu’un
nomade est quelqu’un qui se déplace toujours sur le
même territoire, au fil des saisons, des troupeaux, etc. Et
que cette description ne correspond pas vraiment au nomadisme supposé
des tziganes.
" Nomades ", " gens du voyage ", cela créé
des catégories bien confortables puisque cela permet de ne
les voir toujours que passer, d’en faire d’éternels
étrangers. La situation juridique des tziganes roumains des
bidonvilles français les cantonne au statut de touristes
à perpétuité, les critères de Schengen
renouvelant l’appellation.
En effet, pour rentrer sur le territoire français, les citoyens
roumains ou bulgares n’ont plus besoin de visa. Ils sont considérés
comme des touristes pour une durée de trois mois au terme
de laquelle ils effectuent des allers-retours afin de renouveler
leur date d’entrée sur le territoire de l’Union
Européenne. La seule alternative à ces voyages administratifs
étant de se retrouver sans-papiers.
Quant à leur situation en pratique, elle continue elle aussi
de recréer l’état de nomade forcé puisque
ceux qui sont installés en France sont continuellement déplacés
de bidonvilles en terrains vagues par les expulsions successives
dont ils sont victimes de la part des autorités françaises.
Et puis, il y a toujours cette histoire des " réseaux
roumains ".
Aussi, ils vivraient exclusivement de la mendicité et/ou
de larcins. Ce sont eux les " voleurs de poule ", les
exploiteurs d’enfants. Mais, sans papiers, sans maison, sans
réseau de connaissance sur le territoire, quels autres choix
s’offrent à eux ? Quand on n’a pas le droit de
travailler légalement, comment fait-on pour " vivre
comme tout le monde " ?
Les alternatives sont alors peu nombreuses. Soit on accepte de
se poster dans un couloir de métro pour mendier (en moyenne
5 euros pas jour). Soit on aime le confort et le risque, et on se
débrouille comme on peut. Il faut le dire et le répéter
: il n’y a pas plus de voleurs parmi la population tzigane
que parmi les autres. Le cliché a cependant la vie dure car
il est bien pratique.
Nicolas Sarkozy, en son temps au ministère de l’intérieur,
y a vu une occasion toute trouvée de se faire le champion
de la lutte internationale contre la délinquance. Il a alors
" inventé " une mafia roumaine surorganisée
et a choisi les tziganes, un peu voyants dans notre décor
occidental il est vrai, pour l’incarner. La police française
travaille depuis en collaboration étroite avec la police
roumaine et mène des opérations de grande envergure
dans ces cours des miracles modernes. Les résultats ne sont
pas très probants pour l’instant (aucune " prise
" policière intéressante en 2 années de
collaboration) mais permet en tout cas de faire fonctionner la machine
médiatique, de focaliser l’attention et d’éviter
de parler et de régler les vrais problèmes.
Finalement, je me dis que les matérialistes historiques
avaient raison de prendre les problèmes à l’envers,
de considérer comme la conséquence ce qui est donné
comme la cause, de ne plus prendre des faits comme établis
de manière naturelle mais comme résultat d’un
processus social, de ne plus regarder les choses comme des essences.
Les tziganes ne sont pas nomades, ils sont rejetés ; ils
ne viennent plus d’Inde mais des Pays de l’Est ; ils
ne sont pas une mafia mais une population pauvre et sans droit ;
ils ne sont pas essentiellement musiciens, mais ils peuvent savoir
jouer d’un instrument.
" Il n’y a pas de fumée sans feu ", peut-on
parfois entendre. Si quelques uns correspondent aux clichés,
ceux-ci ne recouvrent pas pour autant l’ensemble de la réalité.
D’ailleurs, la population des bidonvilles comprend une part
non négligeable de personnes non-tziganes, de roumains tout
simplement, tordant encore une fois le cou aux " campements
" de " gens du voyage " et prouvant par là
que sont considérés comme tziganes ceux qui rentrent
dans les critères essentialistes et " ethnicistes "
donnés par les dominants. Reste que pendant que les salles
de concert se remplissent de la musique tzigane, le ministère
de l’intérieur remplit les prisons et les charters
vers la Roumanie, la France ne voulant des tziganes que leur côté
folklorique, somme toute bien peu gênant.
Caroline Damiens
Notes:
[1] " Les Bohémiens, écrit Grellmann, ne ressemblent
à aucun autre cas connu ; ils n’ont ni vaincu, ni conquis,
mais ont conservé leur originalité. " Claire
Auzias, Les Funambules de l’Histoire. Les Tziganes entre préhistoire
et modernité, ed. La Digitale, 2002, p. 29
[2] Claire Auzias, Samudaripen : le génocide des tziganes,
ed. L’Esprit Frappeur, 1999, p. 40
[3] Alain Reyniers, " Le nomadisme des tziganes : une attitude
atavique ou la réponse à un rejet séculaire
? " in Patrick Williams (dir.), Tziganes : identité,
évolution, ed. Syros Alternative, 1989
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