|
http://www.liberation.fr/page.php?Article=338338
«La violence est souvent le seul mode d'expression dans
ces quartiers» Rencontrée via notre blog Vu(es) à
Aulnay-sous-Bois, Sérénade Chafik travaille au planning
familial de la ville. Et parle de la violence au quotidien, au sein
des familles, à l'école, contre les femmes...
par Ludovic BLECHER LIBERATION.FR : lundi 14 novembre 2005
C'est grâce au blog que Libération a rencontré
Sérénade Chafik, 40 ans. Son commentaire laissé
sur le carnet de bord aulnaysien du journal nous a donné
envie d'en savoir plus sur le regard qu'elle porte sur la violence
dans les quartiers. Cette femme née en Egypte, arrivée
en France à l'âge de 12 ans et mère de trois
enfants, est à Aulnay-sous-Bois depuis le mois d'avril dernier.
Elle y vit et y travaille, dans un centre du planning familial où
elle fait office de conseillère conjugale. Militante féministe,
elle reçoit beaucoup de femmes qui lui parlent des hommes.
Rencontre.
Quel est votre point de vue sur les violences en banlieue
?
J'ai été frappée par l'analyse binaire qui
a été faite de ces violences.
Soit on mettait en cause les parents qui auraient démissionné
ou les éléments incontrôlés taxés
de «racailles», soit on se contentait de dire que ceux
qui ont brûlé des voitures étaient des victimes,
qu'ils manquaient de moyens, n'avaient pas de travail. La réalité
est plus complexe, s'ancre dans un quotidien. Le mécontentement
face à la misère, à l'exclusion, a pris une
forme très violente. Mais dans ces quartiers, la violence
est souvent le seul mode d'expression. De nombreux garçons,
ici, sont élevés pour être des dominants. C'est
à ces garçons que les parents confient le rôle
de contrôler les sœurs, les cousines, voire la voisine.
A ce statut vient se greffer la violence familiale, les violences
à l'école ou dans la rue, les violences conjugales
dont les enfants sont parfois les témoins et la violence
du langage employé dans les cités.
Tout cela crée, selon vous, un cocktail explosif...
Violence + domination = développement d'un mode de fonctionnement
qui ne laisse pas de place aux «faibles». Les autres,
ceux qui ne sont pas inscrits dans la violence, sont niés.
Ils ne savent pas comment s'exprimer. Face à des problèmes
sociaux qui sont réels — sur les 450 familles que j'ai
rencontrées depuis que je travaille ici je peux compter sur
les doigts d'une main ceux qui travaillent — beaucoup de jeunes
ne savent pas exprimer leur malaise par la parole. Pendant les événements,
la violence s'est retournée contre les voitures mais elle
se retourne au quotidien contre les filles, le premier de classe,
tous ceux qui sont différents.
Par votre fonction, vous êtes au contact avec les
mères. Celles que vous avez rencontrées ont-elles
cautionné les violences ?
Elles étaient dans le refus de la violence mais dans la
compréhension. Elles disaient: «Il va falloir que cela
change, ce n'est pas possible». Elles sont déçues
parce que leur rêve français, celui d'offrir à
leurs enfants une vie meilleure ne s'est pas réalisé.
Or, si aujourd'hui, elles en voulaient à leurs enfants, cela
reviendrait à renoncer à leur rêve. La semaine
dernière, après les violences, j'ai remarqué
que les mères qui venaient consulter ou bavarder refusaient
de parler en français. Au départ, j'ai répondu
en arabe sans réfléchir. Ensuite, j'ai compris qu'il
y avait une méfiance. Elles voulaient savoir si, moi qui
suis arabe, j'étais avec ou contre elles. Il fallait que
je fasse la preuve que je pouvais mériter leur confiance.
Quelle issue voyez-vous au malaise des quartiers ?
Il faut prendre tout le monde en compte. Aussi bien ceux qui se
sont mis en colère que ceux qui ont eu leur voiture incendiée
alors qu'ils n'avaient pour certains même pas fini de payer
leur crédit. Il faut d'abord une réponse sociale qui
enraie la misère. Il faut aussi une réponse éducative
qui ne viendra pas de la famille quant à la répartition
des rôles entre les garçons et les filles. C'est essentiel
parce que les rapports filles-garçons et le rôle donnés
aux garçons entretiennent la violence. Si on ne sort pas
des cycles de violences, les messages simplistes vont l'emporter.
D'un côté, l'extrême droite avec des milices
de quartier qui vont patrouiller pour surveiller leurs biens. De
l'autre, les islamistes qui pourraient être tentés
de récupérer un mouvement inorganisé en allant
y puiser des troupes.
Le populisme ou la religion sont les seuls à avoir une réponse
toute faite, qui rassure et font l'économie de la réflexion.
|