Origine http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226--330053-,00.html
http://amsterdam.nettime.org/Lists-Archives/nettime-fr-0308/msg00011.html
Six femmes meurent chaque mois sous les coups de leurs conjoints
LE MONDE 08.08.03
La première enquête nationale sur les violences faites
aux femmes, publiée en juin 2002, a trouvé un nouvel
écho après la mort de Marie Trintignant.
Chaque mois en France, six femmes meurent sous les coups de leur
conjoint.
Une femme adulte sur dix est victime de violences conjugales. Selon
l'enquête, cette violence ne se limite pas aux coups : elle
est aussi sexuelle, psychologique et économique. Les moins
de 25 ans sont deux fois plus victimes de violences que leurs aînées.
L'image, enfin, de la femme battue dans un foyer pauvre par un mari
alcoolique a vécu : la violence touche tous les milieux sociaux
(8,9 % des femmes concernées sont des cadres, 3,3 % des ouvrières).
Même épaulées par les associations, les femmes
qui quittent leur conjoint ont du mal à s'en sortir. En Espagne,
30 000 femmes portent plainte chaque année pour maltraitance.
La mort de Marie Trintignant aura au moins servi à briser
le silence. Chaque mois, en France, six femmes meurent sous les
coups de leur conjoint. Une sur dix est victime de violence conjugale,
soit un million et demi de femmes adultes.
Malgré l'ampleur du phénomène, la prise de
conscience est récente. Ce n'est qu'en 1997 que Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes, a commandé
la première enquête nationale sur les violences envers
les femmes en France (Enveff). Réalisée en 2000 par
téléphone sur un échantillon de 6 970 femmes
âgées de 20 à 59 ans, elle n'a été
publiée qu'en juin 2002. Ses résultats montrent clairement
que l'image de la femme battue par son mari alcoolique dans un milieu
défavorisé a vécu : la violence ne se résume
pas au tabassage, elle touche tous les milieux sociaux, et particulièrement
les plus jeunes femmes.
"Les violences que subissent ces femmes ne sont pas seulement
physiques, explique Yves Lambert, directeur du centre d'appel et
d'hébergement SOS-Femmes à Saint-Dizier, en Haute-Marne.
Elles sont aussi psychologiques, sexuelles ou encore économiques.
Il y a de nombreuses façons de briser une personne."
Et ces violences s'entrecroisent.
FORCÉES PAR LEUR CONJOINT
17 % des femmes interrogées ont été victimes
de violences physiques (gifles, coups) depuis leur majorité.
La moitié d'entre elles (53 %) les ont subies de la part
de leur conjoint. De la même manière, 5,2 % des sondées
ont été l'objet d'une "tentative de meurtre"
(menaces avec armes ou objet dangereux, tentatives de meurtre ou
d'étranglement). Là encore, dans 35 % des cas, du
fait de leur partenaire.
Près du quart des femmes qui ont subi des agressions sexuelles
au cours de leur vie (11 % des personnes interrogées) ont
été forcées par leur conjoint.
"Cette proportion est très différente selon
le type d'agression et atteint 47 % pour les viols, 24 % pour les
tentatives et 7 % pour les attouchements", précise l'enquête.
La violence "prépondérante", plus insidieuse,
est psychologique. Au cours des douze mois précédant
l'enquête, 23,5 % des femmes sondées ont ainsi déclaré
avoir été confrontées à des pressions
répétées. Elles subissent le contrôle
et l'autorité de leur compagnon, qui les oblige par exemple
à signaler le moindre de leurs faits et gestes, leur dicte
comment s'habiller... Les jeunes femmes de moins de 25 ans sont
le plus soumises à ces injonctions masculines. Plus encore
: les 20-24 ans ont signalé deux fois plus de violences que
leurs aînées.
"Le lien entre le niveau de revenus et les situations de violence
est ténu, souligne l'enquête. Il ressort que c'est
moins le niveau de revenus qui importe que l'accès direct
à l'argent du ménage : les femmes qui n'ont aucun
accès à un compte bancaire (3 % des femmes en couple
cohabitant) déclarent un maximum de violences conjugales
(5 % de violences très graves)."
La violence conjugale touche cependant tous les milieux. 11,1 %
des victimes sont au chômage mais 8,7 % sont des cadres. Les
ouvrières, elles, ne sont que 3,3 %. "Des médecins,
des policiers ou encore des fonctionnaires haut placés peuvent
aussi se montrer violents. Et iI est certainement encore plus difficile
pour la femme de parler dans des milieux favorisés où
l'homme peut faire jouer ses relations pour étouffer l'affaire",
explique Marie-Dominique de Suremain, déléguée
générale de la Fédération nationale
solidarité femmes.
Si l'alcool est un facteur aggravant des violences, il n'en est
pourtant pas la cause déterminante. 70 % des agressions conjugales
se sont ainsi produites alors qu'aucun des deux partenaires n'avaient
bu.
Le constat, accablant, a soulevé une polémique (Le
Mondedu 3 juin). La philosophe Elisabeth Badinter reproche ainsi
à l'enquête de "victimiser"les femmes, et
donc de desservir leur cause, en prenant en compte des paramètres
trop variés et difficilement quantifiables, comme la violence
psychologique.
GEL DES CRÉDITS
Pourtant les associations de défense des femmes saluent
la fiabilité de l'étude. La Fédération
nationale solidarité femmes souligne aussi que depuis la
mort de Marie Trintignant, samedi 2 août, le nombre d'appels
reçus au numéro national (01-40-33-80-60) a fortement
augmenté. "Elles nous contactent en disant qu'elles
ont connu ou échappé à quelque chose de similaire.
Cette histoire a été un véritable électrochoc
pour elles", explique Marie-Dominique de Suremain. En hommage
à la comédienne et à toutes les autres victimes,
la Fédération et le Mouvement du planning familial
organisent un rassemblement samedi 9 août, place Colette,
à Paris.
Plus généralement, depuis quelques années,
le tabou entourant le sujet commence à tomber. "Les
campagnes de sensibilisation, enquêtes, publications ou encore
articles contribuent à une prise de conscience de l'opinion
publique. Du coup, de plus en plus de femmes réalisent ce
qu'elles vivent et nous appellent", note Nicole Blaise, directrice
du relais de Sénart (Seine-et-Marne).
Le travail est considérable. Car les femmes qui quittent
un homme violent ne voient pas leur calvaire s'arrêter aussitôt.
Leur seul moyen de fuir les coups est bien souvent de quitter le
foyer. Elle doivent alors tout reconstruire : retrouver un logement,
un emploi. Et souvent l'envie de vivre.
Les associations ne savent plus comment répondre à
l'augmentation de la demande, d'autant qu'elles subissent de plein
fouet la rigueur budgétaire décidée par le
ministère des finances. M. Lambert, qui s'occupe aussi du
site d'information sosfemmes.com, s'inquiète du gel des crédits.
"C'est la catastrophe. L'argent de l'Etat représentait
un quart de notre budget. Du coup, ce sont des actions que nous
menons sur la parentalité ou encore sur la santé qui
vont disparaître si je ne trouve pas de financements extérieurs."
Pour répondre aux situations d'urgence, une mesure a été
mise en place en juillet, qui permet aux victimes de demander au
juge des affaires familiales, avant même une procédure
de divorce, l'éloignement de leur conjoint du domicile pour
un maximum de trois mois. Pour Mme Blaise, "cela va dans le
bon sens mais cette mesure ne peut s'appliquer que dans des cas
légers ou moyens de violences conjugales. Autrement, il faut
éloigner la femme qui encourt un réel danger pour
que son mari ne la retrouve pas".
Aujourd'hui, selon Mme Blaise, seules 10 % des plaintes pour violence
conjugale aboutissent.
Raphaëlle Besse Desmoulières
------------
Faible suivi des hommes violents
Que faire des hommes violents ? Il y a peu de réponses.
"La prise en charge des auteurs de violences conjugales n'est
pas une nécessité pour notre société",
regrette Claudine Petelot, psychologue à SOS-Violences familiales,
un centre d'accueil et d'écoute pour hommes violents. Des
centres de ce type, financés en partie par le secrétariat
aux droits des femmes, sont peu nombreux en France, à peine
une dizaine. Ils reçoivent surtout des hommes condamnés
par la justice à se faire soigner. "Le traitement judiciaire
est indissociable du traitement psychologique. C'est aussi important
pour l'auteur que pour la victime", explique Nicole Blaise,
directrice d'un centre d'accueil pour femmes en difficulté
en Seine-et-Marne.
Outre l'écoute téléphonique, ces centres proposent
des psychothérapies individuelles, des groupes de parole
et parfois des consultations de couple pour aider l'homme à
prendre conscience qu'il existe d'autres réponses à
ses problèmes que la violence.
|