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Origine :
https://www.academia.edu/1978476/Le_viol_comme_arme_de_guerre_et_la_g%C3%A9ographie_de_la_peur_.
_Violences_extr%C3%AAmes_et_inscription_de_la_haine_dans_les_territoires_du_quotidien
Doctorante en géographie, formatrice pour le Forum des Réfugiés, chargée du cours « Géographie des conflits » à l’ISFEC Rennes (Institut supérieur de formation de l’enseignement catholique), bloggeuse (geographievilleenguerre.blogspot.com).
Les viols de masse, une géographie de l’inhumain
Dans les conflits armés actuels, les viols sont de plus en plus utilisés comme une arme de guerre. Il ne s’agit plus seulement d’un « défouloir » pour les belligérants mais de violences orchestrées par leurs chefs, à des fins politiques. Ces violences sexuelles sont utilisées comme des moyens de combattre « l’Autre » par la peur et de provoquer des flux massifs de déplacement de groupes communautaires jugés comme « indésirables » sur le territoire disputé. Elles créent une géographie de l’inhumain qui repose sur de profondes inégalités spatiales face aux violences sexuelles : la géographie des viols de guerre coïncide fortement avec la géographie des combats, créant ainsi des « espacesrefuges » et des « espacescibles » à l’intérieur du pays en guerre.
Mais cette pratique du viol comme arme de guerre n’a pas que des répercussions dans le seul temps de la guerre ; elle s’inscrit dans les pratiques des victimes pardelà le temps des violences. En effet, les viols construisent une géographie de la peur qui s’affirme dans l’immédiat aprèsguerre ; la peur devient le moteur d’immobilités quotidiennes (enfermement dans l’espace domestique ou dans le quartier) et de mobilités résidentielles (les victimes comme les personnes déplacées/réfugiées d’aprèsguerre fuient le lieu du viol par peur de vivre à proximité de leur violeur ou par rejet social des sociétés qui stigmatisent les femmes victimes de ce type de violences). De telles conséquences affectent les pratiques spatiales des victimes après le viol qui se construisent également dans le cas des violences sexuelles hors du contexte d’une guerre. Dans cette perspective, il devient essentiel d’observer les viols non par les conséquences psychologiques pour les victimes mais par les lieux de la violence et l’inscription d’une géographie de la haine dépassant le temps des combats. C’est un moyen pour comprendre comment le viol s’ancre durablement dans les territoires du quotidien et participe des modifications coercitives du peuplement (Rosière, 2007) qui produisent des nettoyages territoriaux.
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Le viol comme « arme » de guerre
L’étudier ainsi permet de comprendre l’importance de la « purification » des territoires pour les belligérants à l’échelle mondiale. La systématisation du viol comme modalité tactique dans les conflits armés depuis les années 1980 (figure n° 1) met en exergue l’importance des discours spatiaux reposant sur l’idée de « purification » des territoires. Le viol est devenu un des types de violences pratiqués et mis en scène pour produire une géographie de la peur dans les territoires du quotidien. Le corps de la victime est ainsi utilisé comme vecteur de l’impossible vivreensemble revendiqué par les acteurs syntagmatiques *. Dans cette perspective, les viols de masse font partie, avec les massacres de masse et les modifications coercitives du peuplement (enclavement contraint de populations dans des territoires, refoulement, déplacements forcés, etc.), de cette géographie de l’inhumain mise en scène par les acteurs de la haine. La mise en spectacle de la violence exacerbée vise à ancrer la politique de terreur pardelà le temps des combats : les souvenirs des victimes et de leurs proches restent les moteurs de leurs pratiques dans l’immédiat aprèsguerre, et deviennent un « bloqueur » dans le processus de pacification des territoires.
* Acteur syntagmatique
On entendra par ce terme le sens donné par le géographe Claude Raffestin dans son ouvrage Pour une géographie du pouvoir (Raffestin, 1980). Ce dernier distingue deux types d’acteurs collectifs : l’acteur syntagmatique qui réalise un programme et l’acteur paradigmatique qui n’est pas intégré à un processus programmé (Guerrero, 206). On parle ici d’acteurs syntagmatiques pour intégrer tous les acteurs qui ont un programme politique qui repose sur un discours spatial, une manière de concevoir l’habiter, qu’ils soient des acteurs officiels ou officieux.
Le viol est à la fois :
une arme de guerre, puisqu’il s’agit d’un des moyens utilisés contre des « ennemis » (définis par les belligérants acteurs de la « purification » comme toute personne menaçant le « vivreséparé », y compris parmi les civils) ;
une tactique de guerre, puisqu’il s’agit d’une modalité de combat, œuvrant à des objectifs politiques et militaires définis par cette « purification ».
Dans cette perspective, le viol de masse est de fait une réalité devenue mondiale, parce qu’il correspond à la multiplication des conflits avec des enjeux d’es pace et des géonationalismes fondés sur le vivre sans « l’Autre » : il est un moyen pour construire, par la violence, un lieu où les « indésirables » sont refoulés, à long terme, du territoire « purifié ».
Le viol de masse est conçu, par ses acteurs, comme une modalité du « nettoyage territorial ». Si la formule « nettoyage ethnique » a eu plus de succès (notamment dans les médias), on insiste par nettoyage territorial sur le fait que ces purifications du territoire n’ont pas pour seul critère l’ethnicité. D’autres critères culturels (l’appartenance religieuse, linguistique, etc.) mais aussi des critères sociaux (contre les handicapés mentaux, les homosexuels, etc.) ou politiques (contre les partisans d’un autre géonationalisme, les modérés qui prônent un vivre ensemble, etc.) peuvent eux aussi être mobilisés par ces acteurs pour construire un vivre sans « l’Autre » qui repose sur l’idée que « l’Autre » est un « indésirable ». Dans ce sens, les viols de masse ne sont pas commis « au hasard » mais ils sont pensés géographiquement (en fonction de leurs conséquences et de la symbolique des lieux où ils sont perpétrés), et orchestrés pour être mis en spectacle (notamment par le biais de la caisse de résonnance que sont – directement ou indirectement – les médias).
Figure n° 1 : La mondialisation du viol comme « arme » de guerre
(Source : Vincent Moriniaux du Secours catholique. Réalisation : © Bénédicte Tratnjek, 2012).
Se dessine alors cette géographie de l’inhumain qui construit des espacescibles où la violence devient non seulement une douleur psychologique pour les victimes mais aussi un discours politique pour l’ensemble des habitants « ordinaires ».
Les lieux du viol de masse : espaces-cibles des nettoyages territoriaux
Si le viol a toujours existé dans les guerres, le viol de masse n’est pas une partie du « butin » offert aux vainqueurs en armes. « Cet acharnement brutal comporte une finalité bien précise, à savoir l’application d’un programme politique de constructiondestruction de l’Autre, et dont l’absurdité aléatoire – l’invention des ‘‘ethnies’’, le découpage d’une région pourtant culturellement homogène, etc.
– nécessite le redoublement de violence et de monstruosité comme pour faire advenir l’impraticable : le tri ethnique » (Flagrant délit, 1999). Si l’on insiste sur l’importance de ne pas penser l’ethnicité comme seul « critère » de différenciation dans ces violences sexuelles de masse, il reste tout de même la programmation et la théâtralisation du viol devenu une arme. Ainsi, cette politique de terreur a une géographie particulière ; des espacescibles se dessinent dans le territoire en guerre. Tout d’abord, il s’agit des espaces de vie de « l’Autre » (qu’il s’agisse de villages, de quartiers ou de villes) dont l’identité repose sur l’homogénéité culturelle. Autre type d’espacecible : les lieux « à punir » pour avoir transgressé l’homogénéisation communautaire recherchée par les belligérants. Ce sont principalement les grandes villes, jugées « impures » pour leur « vivre ensemble » La ville est l’espace de rencontre par excellence et la proximité se traduit par une forte multiculturalité, notamment par le biais des mariages mixtes, c’estàdire intercommunautaires.
Quelque soit l’espacecible, l’orchestration des viols de masse tend à produire chez les habitants un sentiment permanent d’insécurité. « L’une de mes amies bosniaques, célibataire et âgée de soixante ans, a été violée dans l’immeuble voisin. Des jeunes d’une vingtaine d’années ont abusé d’elle durant toute une nuit. Elle avait peur de passer la nuit seule dans son appartement mais aucun de ses voisins n’a voulu l’accueillir pendant la nuit. Elle est venue chez moi, désespérée ». (Broz, 2005, p. 385).
Ainsi, le viol de masse est une tactique pour briser le moral des civils, pour briser les solidarités intercommunautaires entre habitants « ordinaires », et pour renforcer, par des déplacements contraints, l’homogénéisation territoriale. Les viols de masse relèvent de la stratégie du harcèlement, non pas contre l’ennemicombattant, mais contre l’« ennemi » sociétal. Harcèlement parce que chaque lieu peut être la scène de ces violences à chaque instant de la journée. Il n’y a donc plus d’espacesrefuges et de tempsrefuges dans le quotidien des habitants. L’intrusion des espaces domestiques par les belligérants pour commettre ces exactions, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, devient alors une tactique pour enfermer les habitants dans l’homogénéisation comme unique moyen de survie. Ainsi, malgré les solidarités et les résistances à cette politique de nettoyage territorial, les habitants tendent à se regrouper dans un entresoi communautaire, dans des quartiers/villages/villes où ils pourront se mettre, avec leurs proches, sous la protection de la milice de « leur » communauté. Si tous les habitants sont loin d’adhérer à ce discours « politicohaineux », les stratégies de survie deviennent un moyen pour les acteurs de ces politiques de terreur d’obtenir une purification des territoires du quotidien.
La mise en spectacle des violences sexuelles procède de la théâtralisation de la politique de terreur : par la médiatisation (qui donne à voir les violences sexuelles ellesmêmes ou leurs conséquences, telles que les flux de déplacésréfugiés de guerre), les acteurs des viols de masse produisent ainsi un discours non seulement aux victimes, aux espacescibles mais aussi à l’ensemble des habitants. En premier lieu, la violence sexuelle s’adresse à « l’Autre » : ceux qui n’appartiennent pas à la communauté des acteurs des viols de masse savent qu’eux et leurs proches peuvent à tout moment être victimes de telles violences. Les viols de masse ont pour objectif de produire des migrations de guerre, qui s’ancreront dans le temps long : la terreur produite doit perdurer pardelà le temps des combats, pour assurer le nettoyage territorial de manière durable. Mais ce discours médiatique s’adresse également aux habitants appartenant à la communauté défendue par ces belligérants : il s’agit à la fois d’un message pour les partisans des nettoyages territoriaux (leur application devenant alors un moyen d’adhésion politique mais aussi de recrutement de miliciens), et d’un message pour les opposants à cette politique de terreur à l’intérieur de la communauté : eux aussi sont ainsi menacés, par leur opposition politique, par ces violences sexuelles.
C’est pourquoi, les viols de masse ne sont pas seulement une arme contre « l’Autre », mais aussi un moyen utilisé pour « purifier » la communauté de ses « indésirables » politiques ou sociaux. En s’attaquant aux civils, le viol de masse a donc pour objectif de punir l’ensemble des habitants et d’ancrer dans leur imaginaire spatial la peur de « l’Autre ». Le viol de masse repose donc sur une vision dichotomique de la société qui oppose l’endogroupe (qui définit un « Nous » collectif) à l’exogroupe (qui regroupe tous ceux qui sont exclus de ce « Nous » collectif).
Les viols de masse à Sarajevo : une modalité de l’urbicide
Cette politique de terreur a, par exemple, profondément affecté la composition sociospatiale de la ville de Sarajevo.
Souvent hâtivement considéré comme une « guerre de religions », le conflit en BosnieHerzégovine (19921995) a davantage été un conflit « qui repose avant tout sur l’affrontement entre deux manières d’habiter, de pratiquer et de revendiquer l’espace : l’une, rurale, reposant sur la mise à distance de ‘‘l’Autre’’ fondée sur un agencement spatial caractérisé par des villages monoethniques ; et l’autre, urbaine, reposant sur la proximité, le ‘‘bon voisinage’’ et l’émergence d’une identité urbaine collective, qui sont autant de construits sociaux et politiques forgés pendant des décennies (pour créer un ‘‘vivre ensemble’’ reposant sur une bonne gestion de la coprésence) ou devenir des facteurs aggravants dans la violence de la guerre (notamment en ‘‘justifiant’’ des violences miliciennes et/ou individuelles) » (Tratnjek, 2011, pp. 7778). Dès lors, l’appartenance communautaire des victimes n’était pas le seul « moteur » des viols de masse : il s’agissait de punir les Sarajéviens « coupables » (aux yeux des acteurs de ces violences) de leur « vivre ensemble ».
C’est donc une guerre menée contre la ville comme espace de rencontres, de proximité et de mixité des populations. L’urbicide, guerre contre l’urbanité (c’estàdire contre le « vivre en ville »), repose sur une mise en scène de la violence destinée aux Sarajéviens qui, malgré les solidarités des habitants « ordinaires », se voient progressivement contraints de choisir un « camp », une identité géonationaliste, pour assurer leur survie (Tratnjek, 2010). Ce meurtre ritualisé de la ville (Bodganovic, 1993) comme espace du « vivre ensemble », cible autant les paysages et les territoires du quotidien (avec la destruction des géosymboles de l’identité urbaine ; Tratnjek, 2012), que les corps. Dans ce contexte, les viols de masse sont un « outil » contre toutes les populations civiles. La destruction du vivre ensemble est ainsi matérialisée par la médiance du corps meurtri par ces violences sexuelles.
Le viol se poursuit dans la peur de « l’Autre » qui affecte les pratiques spatiales dans l’immédiat aprèsguerre. De nombreuses victimes et leurs proches deviennent dès lors des « migrants de guerre » après l’arrêt des combats. « À la fin de la guerre, les minorités (principalement les Serbes et les Croates mais également les petites minorités telles que les Juifs ou les Roms) ont majoritairement fui la ville de Sarajevo, qui s’est ainsi ‘‘bosniaquisée’’, c’estàdire qui s’est très fortement homogénéisée : avant la guerre, au recensement de 1991, Sarajevo abritait 49 % de Bosniaques, 33 % de Serbes, 7 % de Croates et 11 % de petites minorités ou personnes se déclarant Yougoslaves. En 1997, on recense, 79 % de Bosniaques, 4 % de Serbes, à peine 5 % de Croates et 12 % de petites minorités ou de personnes ne sachant comment se déclarer » (Tratnjek, 2011, p. 82). Les viols de masse participent ainsi de l’homogénéisation des territoires du quotidien (figure n°2).
Figure n°2 : Sarajevo, de la ville multiculturelle à la ville homogénéisée : l’ancrage de la géographie de la peur dans les territoires du quotidien (Source : Tratnjek, 2011, p. 83. Réalisation : © Bénédicte Tratnjek, 2011).
Géographie du pardon ou géographie de l’oubli
L’ancrage spatial de la terreur circonscrit un enjeu de la pacification des territoires. À cette géographie de la peur qui se construit autour du lieu du viol où la victime se sent vulnérable et autour des espaces de vie du violeur ou d’un groupe que la victime associe à son persécuteur, répond dans l’aprèsguerre une « géographie du pardon » avec l’émergence de lieux spécifiques pour les victimes (centres de soins médicaux et d’aide psychologique, lieux de mémoire, locaux d’associations ou d’ONG) qui polarisent leurs pratiques spatiales. De nouveau, une « injustice spatiale » s’instaure et creuse des inégalités centrespériphéries, dans la mesure où de tels lieux sont principalement urbains et de fait inégalement répartis.
En BosnieHerzégovine, où les viols étaient quasiment systématiques lors des massacres commis par les belligérants, l’(in)adéquation entre espaces de vie des victimes (qui sont souvent des déplacées de guerre au sein de leur pays) et lieux de soutien renforce une profonde ligne de fractures conflictuelle ruralurbain. Au Kosovo, une grande majorité des victimes de viol est tenue au silence par la peur du rejet social que leur imposeraient les tenants de la société traditionnelle. Premier pays d’origine des demandeurs d’asile en France en 2009 et 2010, le Kosovo voit aujourd’hui le départ notamment de victimes qui ne peuvent pas toutes trouver assistance. Pardelà le temps du viol, les traumatismes des victimes produisent des stratégies de survie et ancrent la peur de « l’Autre » dans les espaces de vie dans le long terme.
La question du viol dans le processus de (ré)conciliation interroge la place des lieux de l’aide psychologique et des lieux de mémoire dans le processus de pacification des territoires. « Quelquesunes de ces femmes trouveront refuge auprès des organismes humanitaires, très actifs sur le terrain, mais complètement débordés par l’ampleur de ces événements. Les ONG mettent en place des programmes de soutien psychologique impliquant la famille et le village, car la reconstruction passe, bien sûr, par la ‘‘réconciliation sociale’’ » (Stienne, 2011). Il s’agit là d’un véritable enjeu politique et stratégique, dans la mesure où reconstruire le « vivre ensemble » ne peut se faire sans prendre en compte pourquoi les victimes de viols ou leurs proches ne peuvent vivre dans tel ou tel lieu de leur pays.
Sousestimer le poids symbolique des lieux d’aide et de soins ne peut permettre aux victimes de se réapproprier leurs territoires du quotidien comme des espaces « sûrs ». Les frontières vécues (entre le territoire de « l’ennemi » et le territoire d’un « Nous » excluant où la victime se sent protégée de ces agresseurs) restent ancrées dans les pratiques spatiales et poursuivent les effets du « nettoyage territorial » pardelà le temps des combats. À l’opposé, les acteurs de la haine mettent eux aussi en scène l’impossible vivre ensemble dans l’immédiat aprèsguerre, notamment en détournant la symbolique des lieux de mémoire pour en faire des lieux d’une mémoire excluante (Tratnjek, 2011), légitimant par exemple l’action de certains bourreaux devenus « héros » du géonationalisme revendiqué. Dès lors, la symbolique des lieux reste un point fondamental pour comprendre comment les victimes des viols peuvent se réapproprier leurs espaces de vie ou au contraire voir dans le paysage les traces non seulement de la guerre mais aussi de la violence que ces victimes ont subies.
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« L’efficacité indirecte est moins visible, mais plus durable, audelà du moment fort du conflit avec la recomposition des équilibres démographiques, la réorganisation fonctionnelle des quartiers, les modifications des pratiques de déplacements, des mobilités quotidiennes, des relations sociospatiales » (DorierAppril, GervaisLambony, 2007, p. 19). Dans cette perspective, on prône pour une intégration de la problématique des viols de masse dans les études stratégiques, non seulement pour les blessures psychologiques individuelles et familiales qu’ils infligent, mais aussi en tant qu’enjeu de la réconciliation des populations et de la reconstruction du « vivre ensemble ». L’enjeu de la protection des victimes ne s’arrête pas avec la fin des combats, puisque les viols de masse produisent des migrations de guerre dans l’immédiat aprèsguerre, puisque les victimes ne se sentent en sécurité dans leurs espaces de vie. L’homogénéisation territoriale se poursuit dès lors que la prise en charge des victimes est restreinte à des lieux spécifiques et n’est pas assurée dans les territoires du quotidien. Si les violences sexuelles systématisées et programmées sont désormais reconnues comme des crimes de guerre (Stienne, 2011), l’enjeu n’est pas seulement juridique : les modes d’habiter, qui procèdent autant des réalités spatiales (les lieux de la violence) et des représentations spatiales (les espaces de la dangerosité, réels ou perçus), se trouvent profondément affectés par le « vivre séparé » imposé par la terreur et la peur.
Les violences sexuelles restent ancrées dans le quotidien comme une menace pour la pacification des territoires.
Éléments de bibliographie
Bénédicte Tratnjek : « La ville : un “espace symbole”, enjeu de la pacification des territoires » in Armées d’aujourd’hui n° 367, février 2012 ; pp. 2425.
Bénédicte Tratnjek : « Les lieux de mémoire dans la ville en guerre : un enjeu de la pacification des territoires » in Diploweb, 31 octobre 2011
(www.diploweb.com/GeographiedesconflitsLeslieux.html).
Bénédicte Tratnjek : « Vivre dans une ville en guerre : les territoires du quotidien entre espaces de combats et espaces de l’enfermement » in Champs de Mars n° 21, été 2011, La documentation française ; pp. 75100.
Agnès Stienne : « Viols en temps de guerre, le silence et l’impunité » in Visions cartographiques, 14 février 2011
(blog.mondediplo.net/20110214Violsentempsdeguerrelesilenceetlimpunite).
Bénédicte Tratnjek : « Les paysages urbains en guerre : géosymboles, territorialités et représentations » in Nicolás OrtegaCantero, Jacobo GarcíaÁlvarez et Manuel Mollá RuizGómez (dir.) : Lenguajes y visiones del paisaje y del territorio ; Madrid, UAM Ediciones, 2010 ; pp. 187199.
Elisabeth DorierApprill et Philippe GervaisLambony (dir.) : Vies citadines ; Belin, 2007 ; 267 pages.
Stéphane Rosière : « La modification coercitive du peuplement » in L’information géographique, vol. 71, n° 2007/1, 2007 ; pp. 726.
David Guerrero : « Relire Raffestin vingtcinq ans après » in Les Cafés géographiques, Vox geographi, 5 novembre 2006 (www.cafegeo.net/article.php3?id_article=936).
Svetlana Broz : Des gens de bien au temps du mal. Témoignages sur le conflit bosniaque (19921995) ; Panazol, Lavauzelle, 2005 ; 435 pages.
Agnès MonziniDeroche : Le viol comme tactique de guerre (Dossier de plaidoyer) ; Secours catholique / Caritas France, 2005 ; 39 pages (www.violtactiquedeguerre.org/IMG/pdf/dossier_plaidoyer2.pdf).
« Le viol comme arme de guerre. Crimes armés et violence sexuée au Chiapas et en exYougoslavie » in Flagrant Délit n° 9, 1999 (http://1libertaire.free.fr/GuerreetFemmes.html).
Bogdan Bogdanovic : « L’urbicide ritualisé » in Véronique NahoumGrappe (dir.) : Vukovar, Sarajevo… La guerre en exYougoslavie ; Éditions Esprit, 1993 ; pp. 2734.
Claude Raffestin : Pour une géographie du pouvoir ; Litec, 1980 ; 250 pages.
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