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"Femmes persécutées en tant que femmes face à l’impossible protection juridique et politique dans leurs pays d’origine et en France"
Jean-Paul Mopo Kobanda

Origine : http://www.reseau-terra.eu/article487.html

Jean-Paul Mopo est juriste. Il travaille sur les migrations internationales, le droit d’asile, le droit des étrangers, les conflits armés en Afrique, la région des Grands Lacs africains, lajustice internationale (CPI, CIJ, ONU), et la gestion des ressources naturelles en Afrique. Il étudie aussi les parcours de vie et demandes d’asile des femmes (...)

Jean-Paul Mopo Kobanda, "Femmes persécutées en tant que femmes face à l’impossible protection juridique et politique dans leurs pays d’origine et en France ", REVUE Asylon(s), N°1, octobre 2006, Les persécutions spécifiques aux femmes.


résumé

Pour mieux organiser ma communication en évitant d’empiéter sur les autres aspects de la question traités par mes collègues qui interviennent dans ce colloque de façon transversale, je me limiterai dans un premier temps à analyser brièvement certaines formes de persécutions subies par les femmes en tant que groupe social vulnérable et exposé dans certaines circonstances et à identifier les agents persécuteurs ainsi que les contextes socio-politiques et historiques dans lesquels ces derniers opèrent (I). Ensuite, j’aborderai la question de l’impossibilité d’une protection juridique et politique dans certains pays justifiée par des cadres socioculturels ou des systèmes juridiques et politiques discriminatoires envers les femmes. Enfin, j’évoquerai la place des persécutions spécifiques aux femmes dans l’application du droit d’asile en France avant de terminer par une conclusion dans laquelle je formulerai quelques propositions concrètes.

Etat de la question (problématique)

Les persécutions spécifiques aux femmes sont des réalités anciennes qui ont traversé le temps. C’est au prix de luttes acharnées que les femmes ont acquis des droits dans le monde qui restent malheureusement encore virtuels pour nombre d’entre elles. En situation de paix et/ou de guerre, les femmes sont victimes des persécutions de tout genre dans de nombreux pays justifiées uniquement par leur condition féminine. Viols, prostitution forcée, esclavage sexuel, mariage forcé, excision, polygamie imposée, travaux domestiques obligatoires, violences punitives, violences conjugales tolérées, et j’en passe ont été et sont autant des graves atteintes qui constituent le vécu de nombreuses d’entre elles. Quand ce n’est pas directement le système étatique lui-même (dictature, Charia,…) qui cautionne les atteintes par des lois et des pratiques discriminatoires, par le laxisme, par le vide juridique ou le déni de justice, c’est soit la situation sociopolitique (guerre civile et/ou ethnique, conflit armé, …), soit les pratiques traditionnelles et « culturelles » qui les favorisent. C’est la manifestation d’intérêt scientifique (dans les pays avant-gardistes comme le Canada et la Suède) [1] et les tentatives d’encadrement juridique du phénomène tant au niveau international que national qui date de quelques décennies seulement.
La construction des savoirs et de mobilisation scientifique ainsi que d’appréhension de la question par la communauté scientifique en France se structure de plus en plus en prenant en compte les réflexions et études pertinentes faites par les associations de défense des droits de l’homme, les associations féministes et les groupes des femmes qui sont des acteurs de terrain importants.

Si les conditions des femmes se sont nettement améliorées en occident, la protection juridique et politique est encore quasi inexistante aujourd’hui pour de nombreuses femmes condamnées à vivre dans l’injustice et l’arbitraire au quotidien dans une vaste partie du monde. Dans certains pays, surtout ceux qui sortent des conflits armés à l’issue d’accords de paix, elles voient parfois leurs bourreaux passer du statut des hors-la-loi dans les mouvements de rébellion à celui des justiciers en intégrant l’armée, la police nationale, ou certains postes de responsabilité politique en bénéficiant des lois d’amnistie souvent adoptées pour faciliter l’aboutissement des processus politiques. Une fois cette impunité consacrée, les intimidations, les menaces et voire le risque d’éliminations deviennent le lot de victimes devenues gênantes pour le bon déroulement des carrières des criminels promus. Nombreuses se résignent alors à prendre le chemin de l’exil pour sauver leur vie en nourrissant l’espoir de répartir sur des nouvelles bases. Après avoir subies des pires humiliations et traitements inhumains, elles sont en plus obligées de quitter leur terre et les leurs pour aller solliciter l’asile ailleurs car la fin des hostilités ne consacre pas la fin de calvaire pour elles. Au contraire, elle fait naître d’autres formes de persécutions ou craintes de persécution plus graves encore à leur encontre comme souligné. En arrivant en France, souvent au bout d’un parcours de combattant parsemé d’embûches et d’exploitation des réseaux d’immigration irrégulière (car la chance d’avoir des visas et voyager régulièrement est nulle), certaines désillusionnent rapidement en se rendant compte qu’elles doivent continuer à se battre durement pour faire reconnaître les persécutions subies. L’immigration étant devenu un thème très sensible en France pour des raisons électorales, et la gestion et le traitement des demandes de séjour, notamment au titre de l’asile, obéit de plus en plus à une logique de maîtrise du flux migratoire et à d’analyses strictement juridiques et politiques des récits. La spécificité des persécutions propres aux femmes n’est pas particulièrement prise en compte dans l’instruction des dossiers d’asile comme conséquences directes d’appartenance à un groupe social vulnérable dans le contexte des pays d’origine des demandeuses, bien que quelques décisions de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) et de la Commission des Recours des Réfugiés (CRR), commencent à mettre en évidence ces critères, mais de façon individuelle, dans certaines de leurs décisions. Ces instances qui sont compétentes pour statuer sur les demandes d’asile en France noient souvent cette problématique dans les critères généraux communs à tous les demandeurs d’asile sans distinction de sexe et de genre. Ils s’appuient sur la convention de Genève de 1951 et sur les différentes législations nationales traitant des conditions d’entrée et de séjour des étrangers et des demandes d’asile qui consacrent des dispositions neutres sur le plan de sexe. En se basant uniquement sur la situation politique générale des pays d’origine des demandeuses pour statuer sur leurs cas et non sur la spécificité des persécutions qu’elles ont subies, cela entraîne comme conséquence principale le rejet massif de leurs demandes d’asile. L’impossibilité de protection dans leur pays d’origine est alors de fait prolongée même sur le territoire français au motif de non attachement à la Convention de Genève comme critère spécifique. Commence alors un calvaire indescriptible car sans statut, il n’y a pas de tit
re de séjour et sans ce fameux sésame, on a pas le droit de travailler, d’avoir la sécurité sociale, une maison, un compte bancaire, bref « pas de séjour, pas de droit ». Le risque de tomber entre les mains des réseaux de prostitution ou de travail clandestin est alors réel.

Ce grave sujet de persécution spécifique aux femmes, certes ancien, n’est pas très enclin dans l’opinion publique nationale et auprès des responsables parce que moins médiatisée que les autres sujets d’actualité. Malgré la signature par la France, en plus de la Convention de Genève sur le statut de réfugié, d’autres conventions relatives à la lutte contre les persécutions et les discriminations envers les femmes, les responsables politiques ne voient souvent pas l’intérêt politique direct qu’ils peuvent tirer de cette question en terme électoral, ce qui ne favorise pas l’émergence des solutions à la hauteur de la gravité du problème posé. Certains pays occidentaux comme le Canada, la Suède, les USA et la Grande Bretagne où la mobilisation sur cette question a pris de l’ampleur au fil de temps ont intégrés la spécificité des persécutions liées aux conditions féminines dans leurs dispositifs de traitement des demandes d’asile et de reconnaissance de la qualité de réfugié. La position de ces Etats tranche avec l’analyse de la question des persécutions spécifiques aux femmes longtemps appréhendée soit sous l’angle du fameux concept de relativisme culturel dans certains pays, soit justifiée par les dérapage des éléments incontrôlés et marginaux durant les conflits armés, les guerres civiles et/ou ethniques, soit enfin comme « des conflits privés ». D’où, le peu d’initiatives politiques d’envergures pour porter ce problème.

Pour mieux organiser ma communication en évitant d’empiéter sur les autres aspects de la question traités par d’autres collègues intervenants dans ce colloque de façon transversale, je me limiterai dans un premier temps à analyser brièvement certaines formes de persécutions subies par les femmes en tant que groupe social vulnérable et exposé dans certaines circonstances et à identifier les agents persécuteurs ainsi que les contextes socio-politiques et historiques dans lesquels ces derniers opèrent (I).
Ensuite, j’aborderai la question de l’impossibilité d’une protection juridique et politique dans certains pays justifiée par des cadres socioculturels ou des systèmes juridiques et politiques discriminatoires envers les femmes.
Enfin, j’évoquerai la place des persécutions spécifiques aux femmes dans l’application du droit d’asile en France avant de terminer par une conclusion dans laquelle je formulerai quelques propositions concrètes.

I. Persécutions et agents persécuteurs

1. Persécutions envers les femmes en temps de paix civile et leurs conséquences

Des sociétés antiques jusqu’à nos jours, la problématique de violence faite aux femmes a été délibérément tolérée et parfois même encouragée. En temps de paix, les persécutions faites aux femmes sont souvent l’émanation des systèmes basés sur les traditions, les pratiques religieuses et/ou les régimes politiques discriminatoires envers les femmes. L’excision constitue par exemple une pratique largement tolérée, voire même encouragée dans les communautés où elle est pratiquée par la « tradition ». Pour certaines femmes qui acceptent d’exciser leurs filles, la soumission à cette pratique constitue tout un rite initiatique et d’intégration dans la communauté. C’est une sorte de recherche d’identité symbolisée par l’acte d’exciser. Du coup, la perception des mutilations génitales aujourd’hui largement considérées comme des crimes à cause de leur cruauté et violence sur les jeunes filles demeure équivoque selon qu’on vit à l’intérieur des communautés qui les pratiquent ou à l’extérieur.
Le poids de l’ensemble des communautés impliquées dans cette pratique sur l’échelle politique nationale leur garantit une totale impunité même dans les pays qui ont adopté des lois contre l’excision comme la Côte-d’Ivoire et le Bénin par exemple. Ainsi, analyser une demande d’asile d’une ivoirienne qui s’est opposée à l’excision de ses filles uniquement sous l’angle de la législation de son pays d’origine ne peut permettre de saisir les vraies craintes et persécutions auxquelles elle peut être exposée. Porter plainte contre les membres de sa famille ou contre les membres de sa communauté constitue un acte grave dans des communautés où les affaires de famille sont souvent résolues à travers des mécanismes traditionnels de règlement des conflits qui accordent un rôle primordial aux chefs de famille et aux chefs traditionnels. Or ces derniers sont les gardiens et défenseurs des coutumes et pratiques traditionnelles d’où ils tirent leur légitimité et la pérennité de leurs influence et pouvoirs. Un tel comportement apparaîtrait aux yeux de la communauté comme une trahison et peut donner lieu à des possibilités de représailles et à un risque d’exclusion de la communauté devant lesquels les pouvoirs publics seraient impuissants.

D’autres pratiques comme la réduction systématique des femmes aux rôles domestiques et secondaires, la soumission totale aux envies et besoins du mari, la polygamie imposée, les mariages arrangés et forcés, sont aussi tolérées au nom de certaines traditions machistes dans des sociétés souvent à dominance masculine, même lorsque les pays d’origine ont souscrits aux conventions internationales réprimant ces actes. L’opposition des femmes à ces pratiques est parfois considérée comme une rébellion contre un ordre établi et entraîne souvent des persécutions des membres de famille, des communautés, des voisins, des tribunaux parallèles,… ces persécutions peuvent prendre alors plusieurs formes dont les humiliations, les privations des droits familiaux ou sociaux, l’exclusion des droits de succession, les crimes d’honneur, les lapidations, les viols collectifs,…
Dans certains cas, les persécutions se trouvent renforcées par certaines législations juridiques et religieuses qui institutionnalisent la discrimination envers les femmes. Tel est le cas de la question du statut personnel des femmes originaires de l’Algérie et l’Egypte. L’article 3 du Code civil français stipule que toute personne est soumise à la loi du pays dont elle a la nationalité pour son statut personnel. Or, Le Code de la famille algérien et le Code du statut personnel égyptien contiennent des dispositions extrêmement discriminatoires envers les femmes en matière d’héritage, de divorce, de filiation et même du régime matrimonial. La Mudawana marocaine jadis très discriminatoire a été réformée et le statut des femmes a été amélioré sur le plan juridique bien que dans les mœurs des pratiques discriminatoires envers les femmes restent fréquentes.
Ainsi, les témoignages des demandeuses d’asile originaires de l’Algérie, de l’Egypte et des pays où le statut personnel de la femme est discriminatoire se fondent généralement sur des persécutions faites en représailles à leur refus de subir le sort leur imposé. Divorcer, se remarier, vouloir élever seule leurs enfants deviennent des actes de rébellion contre des sociétés qui institutionnalisent la suprématie « naturelle » de l’homme et la réduction de la femme au niveau de sous-homme. L’impunité dont jouissent les auteurs des persécutions envers les femmes dans ce contexte ne peut permettre de considérer ces violences comme relevant uniquement de leurs législations nationales alors que celles-ci heurtent les droits humains en vigueur en France et les conventions internationales protectrices des femmes. C’est aussi minimiser leur caractère systématique dans un contexte des pays largement acquis à la prédominance masculine sur la junte féminine obligée de se soumettre. Les actions des femmes qui se soulèvent contre ce genre de lois et pratiques constituent une expression d’opinion politique et devrait bien rentrer dans les critères de la Convention de Genève pour l’octroi du statut de réfugié. Ce n’est pas parce qu’une partie de femmes ne se révoltent pas, parce que peut-être résignées devant des pratiques d’un autre âge présentées comme culturelles ou traditionnelles, qu’il faut les ignorer.

2. Différentes formes de persécutions envers les femmes en temps de guerre

Les guerres civiles et conflits armés provoquent toujours pour la population civile en générale et les femmes en particulier des pires formes de violences et précarités souvent massives et systématiques. Parmi ces violences, les viols sexuels, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, les mariages forcés sont les plus significatifs. Il est évident que l’appartenance sexuelle des femmes les rend plus vulnérables et les exposent à des persécutions de nature grave que les hommes face aux mêmes motifs et dans les mêmes circonstances. Les auteurs des persécutions se recrutent aussi bien dans les rangs des forces loyalistes que les forces rebelles. Dans tous les conflits, les femmes ont toujours fasciné les forces combattantes et constituent leurs cibles privilégiées même dans les villes conquises sans combats et affrontements.
Lorsque des groupes rebelles libériens ou Sierra-Leonais attaquaient par exemple des villes et des villages durant les guerres civiles qui ont sévis dans ces deux pays, les jeunes hommes étaient recrutés pour grossir leur rang et être affectés aux services de logistiques lorsqu’ils n’étaient pas considérés comme des ennemis et exécutés alors que les jeunes femmes, en plus d’être soumises aux mêmes risques, étaient victimes des viols et parfois réduites à l’esclavage sexuel pour assouvir les désires et le sadisme des rebelles. Ces actes avaient un caractère systématique et les responsables rebelles qui ne versaient pas des soldes à leurs troupes les laissaient faire. Dans un film de ARTE sur les enfants soldats du Libéria en 2005, les femmes sont clairement présentées comme « des butins de guerre » disputés par les rebelles qui les réduisent ensuite à l’esclavage sexuel et les livrent à la prostitution. Il était clairement montré dans ce documentaire que les femmes n’ont d’autres choix que d’accepter d’être réduites au caprice sexuel des combattants car leur volonté n’était même pas requise, sinon elle courrait le risque d’être exécutée.
Dans d’autres conflits comme ceux de Yougoslavie et de la république démocratique du Congo, le viol a été aussi une arme privilégiée utilisée pour anéantir l’ennemi. « Une identité sexuée construit le rapport de force dans le conflit ; la démonstration de supériorité sur l’autre passe par l’affirmation de la force virile : la prise des villages va de pair avec le viol des femmes, la stigmatisation de l’Autre avec la désignation de son impotence sexuelle, la victoire sur l’Autre avec l’appropriation de ses femmes et enfants » [2]. S’en prendre aux femmes constitue un moyen pour les adversaires d’affaiblir, de traumatiser et détruire leurs communautés. « De même, les conflits dans des pays comme le Rwanda, le Bengladesh, le Pérou, Haïti ou le Koweït sont ou ont été la scène de viols systématiques, pratiqués selon différents schémas : viols collectifs sur la place publique, enlèvement et prostitution, camps de détention pour esclaves sexuelles, etc. Dans tous ces cas, le viol est une arme politique visant l’élimination physique, la fuite ou l’anéantissement symbolique et social de l’ennemi » [3].
Au Soudan par exemple, les milices rebelles djandjanwides s’en prennent aux femmes dans certaines communautés du Darfour uniquement à cause du symbole qu’elles représentent."Une femme est un être sacré, qui donne la vie et son corps ne doit pas être souillé par le viol » déclarait un jour un chef de tribu de Darfour dans un film documentaire diffusé par ARTE sur le conflit soudanais.
La tactique utilisée par les milices djandjawides pour harceler les populations du Darfour et maintenir leur emprise sur elles est diabolique. Rassurés par le soutien du gouvernement soudanais qui leur fournit armes, munitions et moyens matériels, ces milices circulent librement et impunément autour des camps des déplacés de guerre tenus par l’ONU et dans lesquels oeuvrent des organismes et ONG qui leur vient en aide. Les hommes qui vivent dans ces camps ne s’hasardent presque plus à l’extérieur par peur de se faire attaquer par les milices. Ils laissent les tâches d’aller chercher du bois pour faire le feu et de cueillir des légumes dans les champs aux femmes. Au courant du mois de mars et avril 2006, les Casques Blues qui accompagnaient les femmes en dehors des camps pour chercher du bois ont renoncer à effectuer ce genre d’opération parce que jugée dangereuse à cause des miliciens qui rôdent autour des camps.

Les témoignages rapportés par les missions de MSF France dans le Darfour rapportent des témoignages révoltants des femmes qui préfèrent parfois se taire après des viols après leur retour dans les camps, certaines nient même avoir été violées par peur d’être rejetées ou ne jamais se marier car les membres de leurs communautés estiment que « les femmes violées sont souillées et porteuses de malédiction ». En clair, les femmes violées deviennent coupables d’avoir été violées et sont aussi sanctionnées par leurs propres communautés qui les rejettent. On peut alors s’imaginer l’état de grande souffrance et de stress traumatique dans lequel se trouvent ces dernières.
Dans l’émission télévisée Envoyé Spécial diffusée sur France 2 le jeudi 04 mai 2006, les reportages dans les provinces de l’Est de la République Démocratique du Congo ont montré des populations livrées aux rebelles qui font la loi dans des vastes territoires encore sous leur contrôle exclusif malgré la cessation des hostilités depuis plus de trois ans et la formation d’un gouvernement dit d’union nationale renfermant les anciens belligérants. Pour les femmes qui vivent dans ces territoires, accepter d’être violées en se taisant est parfois malheureusement la seule issue pour rester en vie. Les violeurs et les violées vivent dans des territoires sans droit où seule la loi des armes impose la raison du plus fort.

Agents étatiques (police, armée, services de sécurité, responsables politiques,…) ou non-étatiques (membres de famille, oncles, tuteurs, chefs traditionnels, tribunaux parallèles, rebelles, miliciens,…), les auteurs des persécutions se comptent dans toutes les couches de la population et dans toutes les échelles de l’appareil de l’Etat. Les Casques Bleus ainsi que le personnel civil qui oeuvrent dans les pays déchirés par les conflits armés dans les cadres des missions de maintien ou d’imposition de paix de l’ONU se rendent aussi coupables d’exploitation et violences sexuelles sur les populations civiles des pays hôtes. Du Cambodge en passant par le Libéria, le Burundi ou très récemment la République démocratique du Congo, des violences des agents de l’ONU ont été régulièrement rapportées et des enquêtes de l’organisation diligentées à l’encontre des ceux qui ont violés « le Code de conduite et la politique de tolérance zéro » prônés par son Secrétaire Général Koffi Anan. « En 2004, le prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein de Jordanie, conseiller du Secrétaire général des Nations Unies sur les questions d’exploitation et de violences sexuelles, a entreprit Une visite en république démocratique du Congo afin de mener une enquête sur les actes délictueux perpétrés par les casques bleus de la Mission de l’organisation des Nations Unies en république démocratique du Congo (MONUC). Dans son rapport final intitulé « Stratégie globale visant à éliminer l’exploitation et les abus sexuels dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies », le prince Zeid mit en relief un certain nombre de facteurs qui favorisent l’émergence des cas d’abus contre les populations vulnérables, essentiellement les femmes et les enfants » [4]. Quelques Casques Bleus ont été alors suspendus à la suite de ce rapport et soumis à la justice de leur pays pour servir d’exemple. Cette volonté de l’organisation de briser le silence lourd qu’il y avait sur ces abus constitue une avancée importante dans la mesure où les casques bleus sont sensés aider les femmes violentées à recouvrer justice.

II. Face à l’impossible protection juridique et politique, partir !

1. Impossibilité d’être protégée

Il existe plusieurs exemples des pays où les femmes ne pourront jamais, du fait seulement de leur sexe, bénéficier d’une protection juridique et politique même théorique car les lois officielles leur dénient ce droit. Ce sont les pays qui ont instaurés des textes discriminatoires comme la charia et institutionnalisé des systèmes à forte dominance masculine. Tel est aussi le cas des femmes qui vivent dans des no man’s lands dirigés par des seigneurs de guerre qui n’ont d’autres lois que les leurs. En Sierra Léone, au Libéria, en RDC, au Soudan, en Angola, en Ouganda,… des vastes territoires étaient livrés aux mains des groupes rebelles et les organismes internationaux n’avaient aucun accès à ces lieux. Les femmes qui vivaient dans ces lieux n’avaient aucune protection juridique et politique et aucun recours contre leurs bourreaux.
Dans un pays comme le Nigeria par exemple où une dizaine d’Etats du Nord ont réintroduit la Charia (loi islamique très défavorable aux femmes) vers la fin des année 90, certains Gouverneurs ont fait adopter des mesures abolissant la mixité des hommes et des femmes dans les transports publics, prendre des mesures interdisant aux femmes d’exercer certains métiers comme celui de chauffeur de taxi et de fréquenter certains lieux comme les débits de boisson. Les rapports de l’OFPRA et de certaines associations de défense des droits de l’homme de ces dernières années ont fait état de l’augmentation des nigérianes qui arrivent en France pour demander l’asile ou qui sont abusées par des réseaux de prostitution qui leur promettent la belle vie pour les injecter dans la prostitution une fois sur le territoire. Ces femmes n’ont aucune chance de bénéficier d’une vraie protection si elles étaient renvoyées dans leurs Etats du Nigeria qui appliquent la Charia.

Les Codes de statut personnel algérien et Egyptien sont des instruments étatiques de discrimination qui favorisent les persécutions dirigées uniquement vers les femmes réduites au rang des mineurs et incapables de prendre d’initiatives et des décisions sur leur propre vie et sur celle de leur famille. D’autres pays comme le Pakistan, l’Arabie Saoudite, l’Iran,…ont institutionnalisé la domination masculine et n’offrent aucune possibilité de protection juridique et politique aux femmes qui refusent les discriminations qu’elles subissent et les persécutions qu’elles entraînent à leur égard.

En analysant les décisions de l’OFPRA et de la CRR sur les demandes d’asile de certaines femmes persécutées dans leurs pays en tant que femmes, par exemple celles provenant des pays où il y a eu précédemment la guerre, on est parfois frappé par la simplicité des motivations et des arguments utilisés pour les débouter. Il suffisait par exemple qu’un Accord de paix intervienne entre les belligérants pour que ces deux institutions rejettent les demandes d’asile des femmes qui évoquaient par exemple les viols ou violences des belligérants qui ont profité de la situation de conflit pour commettre leurs crimes.

En réalité, s’imaginer qu’avec la fin des hostilités, la démocratie et l’Etat de droit reprennent droit de cité et laisse place à un cadre propice à la bonne administration de la justice est une vue d’esprit car ils n’ont tout simplement jamais existé même avant. C’est même l’absence d’Etat de droit et de démocratie qui constituent l’argument des insurgés pour justifier leur lutte armée. Ensuite, avec un peu de curiosité et de réalisme, on remarque que la fin des conflits par le biais d’accord est plus que jamais une situation très défavorable à ces pauvres femmes car du jour au lendemain, des anciens rebelles qui étaient des bourreaux et qui commettaient des violences sur elles se transforment du jour au lendemain en officiers ou commandants de la police, de la gendarmerie ou de l’armée nationale. Dans certains pays comme la RDC par exemple, les différentes forces qui se faisaient la guerre ont gardé quasiment leur position d’avant l’accord de paix.
Ce qui signifie pour les femmes qui ont été victimes de la guerre qu’elles auront à faire à leurs bourreaux si jamais elles avaient l’intention de porter plainte ou de tenter d’obtenir justice. Parfois, le danger d’élimination devient plus important pour elles après l’accord de paix tout simplement parce que les anciens rebelles devenus policiers, gendarmes ou militaires ne veuillent pas voir ces femmes devenir des obstacles à l’exercice de leurs nouvelles fonctions et à la jouissance de leurs nouveaux statuts. La départ ou le silence deviennent leurs seules issues.

Dans d’autres pays comme le Soudan où les viol est considéré comme un opprobre, après une agression sexuelle, les femmes préfèrent soit se taire, soit partir parce que le risque d’exclusion par leurs propres communautés est réelle et permanente. Dans un rapport établi par le chef de mission des Médecins du monde au Darfour en 2003, il était établi qu’une femme violée ou ayant subie des violences sexuelles est considérée comme souillée et voit sa chance de se marier s’envoler. Les milices djandjawides connaissant cette situation, ont utilisé les viols et les agressions sexuelles comme arme de guerre parce qu’après leurs actes, les membres de la communauté se chargeaient eux-mêmes d’achever le travail en excluant les femmes frappées d’opprobre. Les responsables de MDM ont dû créer un groupe de parole et de médiation pour expliquer aux chefs des communautés que ces femmes n’étaient pas violées de gré et que les exclure constituait une double punition qu’on leur affligeait. Les réponses de ces chefs communautaires étaient scandalisant et aberrantes mais intéressantes à écouter parce que placées sur le plan culturel. Ils disaient qu’une femme violée étaient souillée et la garder au sein de la communauté souillerait celle-ci entière et attirerait des malédictions sur elle. L’exclure constitue à leurs yeux la seule façon de mettre fin à la malédiction de leur communauté.
Dire à une telle femme une fois arrivée sur le territoire pour solliciter la protection de la France que la fin d’affrontements armés découlant d’un accord politique est un gage de paix et de sécurité sociale et juridique est un non-sens si on ne considère pas la spécificité des persécutions qu’elle a vécue et qu’on ne la situe pas dans la réalité de sa culture et de son pays. L’OFPRA et la CRR devraient s’inspirer d’avantage des rapports des ONG et des organismes internationaux comme l’ONU, MDM, MSF ou la Croix Rouge qui oeuvrent dans les régions concernées par les conflits pour avoir une vue globale sur cette question.

Analyser les persécutions subies par ces femmes uniquement sous l’angle de la situation de paix ou de situation de guerre et en tirer des arguments pour rejeter leurs demandes d’asile ne peut qu’être biaisé et décalé de la réalité. Il faut prendre en compte la spécificité des violences qu’elles subissent et qui sont propres à leur nature de femmes. Elles ont été persécutées à cause de leur nature féminines, c’est parce quelles sont femmes et vulnérables que les belligérants de la guerre les prennent pour cibles. Cela entraîne comme conséquence de les catégoriser dans un groupe social spécifique à protéger. Ce qui n’est possible que dans un approfondissement des contextes dans lesquels se sont produits les faits et pas seulement l’analyse de la situation politique globale.

L’OFPRA et la CRR rejettent parfois des demandes d’asile des femmes persécutées en arguant que leur pays d’origine a adopté depuis une loi nationale pour lutter contre les persécutions subies et qu’elles n’avaient qu’à s’adresser aux juridictions nationales compétentes pour demander justice. C’est par exemple le cas du Mali qui a adopté une loi contre l’excision. Intellectuellement et officiellement, demander aux femmes de recourir à cet instrument pour rentrer dans leur droit est compréhensif. Mais si on se penche sérieusement sur la situation, on se rend compte que cette loi prise dans un premier temps pour répondre à l’inquiétude de la communauté internationale est difficile à être automatiquement appliquée sur terrain pour la simple raison que l’excision n’est pas qu’une affaire des simples criminels isolés vivant en marge de la société. C’est une affaire familiale et communautaire et le poids des familles et des communautés sur le plan politique est très lourd en terme électoral. Se les mettre à dos est un échec assuré aux échéances nationales. Du coup, les hommes politiques s’avancent doucement sur ce terrain. Souvent, ce sont les ONG et les associations des femmes intellectuelles qui prennent les relais sur terrain pour sensibiliser les populations en se heurtant parfois à leurs propres familles et communautés. Imaginer que l’adoption de la loi seule constitue une garantie suffisante pour mettre fin à ce genre de pratique est une erreur d’appréciation grave, voire une faute dans la mesure où on continue de signaler en France des cas des jeunes filles ramenés par leurs parents en Afrique (Mali, Egypte, Bénin,…) pour être excisées parce que leurs parents considère ce rite comme un moyen d’intégration dans leur communauté et éviter l’exclusion de celles-ci. Des assistantes sociales qui soupçonnent certains parents d’amener leurs filles se faire exciser en Afrique font parfois des signalements à la protection de l’enfance, ce qui ne manque pas de poser quelques problèmes d’ordre juridique que nous ne développerons pas ici.

Il y a aussi le cas d’Algérie où les femmes sont officiellement discriminées. Mais au nom du relativisme culturel, on ferme les yeux et on ne considère pas les femmes algériennes qui se lèvent contre le code civil algérien comme un groupe social discriminé.

II. 2. La décision de partir

En effet, en examinant les statistiques de dépôt des dossiers d’asile à l’OFPRA pays par pays, on se rend compte que ce ne sont pas les motifs économiques qui déterminent les mouvements de départ des exilés comme certains médias et bords politiques le laissent penser. Les raisons politiques créées par les situations de guerres civiles, des dérives dictatoriales, des violations des droits de l’homme et des persécutions impunies envers les populations sont les facteurs principaux qui déterminent les gens, et particulièrement les femmes, à quitter leurs pays et leurs milieux de vie. Il en va de soi que la situation diffère d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre mais globalement, en situation de paix et malgré la pauvreté, les femmes restent souvent chez elles où elles gardent leur dignité et leur place de mère et de gestionnaires d’économie familiale.

Malgré l’existence des pratiques traditionnelles discriminatoires dans certains pays, il n’est jamais facile pour les femmes de couper le pont du jour au lendemain avec leurs enfants et leur famille et de se lancer dans une aventure dont elles ne maîtrisent pas les contours. Ce genre d’aventure reste souvent l’apanage d’hommes qui laissent parfois femmes et enfants pour aller chercher du travail plus rémunérateur ailleurs. En plus, envisager un départ avec les enfants nécessite des prises de risque et des moyens conséquents que nombre de femmes n’ont pas. Mais lorsque les persécutions sont telles que les femmes se sentent en danger de mort et jugent insupportables de continuer à se maintenir dans leurs communautés, elles décident de partir. C’est en même temps un acte de rupture avec leurs sources et les leurs que ces femmes posent en partant. L’expérience auprès d’associations d’accompagnement des étrangers en général et mon accompagnement des femmes persécutées en particulier m’ont démontré clairement qu’il y a souvent des femmes mères de famille, des jeunes filles-mères, des jeunes filles ayant été mariées de force que des jeunes étudiantes parmi les exilées. Ce sont les persécutions ou les risques de persécution ainsi que le danger de mort, qui les poussent à prendre le chemin de l’exil. Un chemin souvent difficile qui ressemble à un véritable parcours de combattant vu les politiques de gèle des visas pratiqués par les pays occidentaux dans les pays en développement. Une femme persécutée, soit-elle pauvre ou riche qui se présenterait dans une ambassade d’un pays occidental pour solliciter un visa ne possède aucune chance de le recevoir. Ainsi, les réseaux d’immigration clandestine avec tous les risques qu’ils représentent pour les femmes sont malheureusement souvent les voies privilégiées qui leur restent.

Ainsi, certaines vendent tout ce qu’elles peuvent avoir comme biens, s’endettent auprès de leurs membres de famille ou des amis pour pouvoir payer des passeurs qui les prennent en charge dans le but de les faire entrer dans les pays d’accueil. D’autres prennent le chemin de l’exil sans argent et sans savoir ce qui les attend. Parfois, ce voyage se transforme à des longs mois de marche à pied, de transport par camions, par pirogues, par bateaux de fortune. Habitées par la détermination de s’échapper à leur dure vécu, les femmes persécutées demandeuses d’asile bravent toute sorte d’obstacles parfois au prix de leur vie pour venir en France.

III. Prise en Charge à l’arrivée en France et traitement des demandes d’asile

1. Prises en charges sociales

Il est important de distinguer la prise en charge administrative et sociale des demandeuses d’asile du traitement juridique proprement dit du contenu de leurs demandes, bien que les deux situations sont interdépendantes. Le moins qu’on puisse dire sur les dispositifs sociaux de prise en charge des demandeurs d’asile et particulièrement les femmes est qu’ils sont insuffisants et parfois inadaptés. A leur arrivée en France, les femmes demandeuses d’asile se trouvent souvent dans un état de stress traumatique déplorable non seulement du fait des persécutions subies mais aussi du parcours emprunté, souvent tenu par des réseaux d’immigration illégale. La plus grande difficulté immédiate à laquelle tous les demandeurs d’Asile, femmes et hommes confondus, sont confrontés dès leur arrivée en France est l’hébergement. De 2002 à 2005, plus ou moins 60 mille personnes sont arrivées chaque année sur le territoire français pour solliciter l’Asile. Or, le dispositif national de prise en charge des demandeurs d’Asile en centre d’accueil ne comprend que 15 mille places, de quoi couvrir seulement un quart de besoins. C’est grâce aux réseaux familiaux et associatifs qui viennent en aide aux étrangers que la majorité de demandeurs primo arrivant sur le territoire est prise en charge. Mais pour certains, l’unique solution reste souvent malheureusement de composer le 115 pour espérer trouver un hébergement pour la nuit. Les centres d’accueil d’urgences étant aussi saturés, cet exercice ressemble de plus en plus à un véritable parcours de combattant. Il faut rester des heures au téléphone pour s’entendre parfois dire qu’on n’aura pas une chambre ou une place au chaud pour la nuit. Ainsi, de nombreuses femmes demandeuses d’asile se sont ainsi retrouvées quelques semaines voire des mois à la rue avant d’intégrer une structure d’accueil. Des enquêtes effectuées auprès des demandeuses d’asile en région parisienne démontrent que presque toutes les femmes hébergées en centre ont connu la rue avant d’intégrer une structure de prise en charge. En effet, pour être éligibles à l’accueil en CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile), il faut avoir déjà déposer une demande devant l’OFPRA ou retirer un dossier à la préfecture en vue d’un dépôt de demande d’asile. Comme son nom l’indique, ces centres sont réservés aux demandeurs d’asile. Il n’existe aucune structure pour celles qui ne sont pas encore demandeuses d’asile. Pendant le temps nécessaire pour le retrait des dossiers à la préfecture, ce qui n’est pas facile vu le fait qu’il faut posséder en avance une domiciliation postale auprès des particuliers ou des associations pour le faire. Ensuite, il y a les quasi quotas imposés dans les préfectures pour la distribution des formulaires de demande d’asile qui compliquent d’avantage leur retrait, certaines femmes sont obligées de revenir dans les préfectures plusieurs fois, voire passer la nuit sur place pour espérer se positionner en bonne place à l’ouverture de la préfecture et pouvoir dénicher les documents nécessaires. Pendant ce temps, les demandeuses sont condamnées à la rue. Comme déjà souligné, une fois les demandes d’admission en CADA déposées, les femmes ont une chance sur quatre d’être admises car seules les femmes enceintes et celles qui ont des enfants en bas âge sont considérées comme des catégories prioritaires susceptibles d’être hébergées dans des hôtels sociaux en attendant de trouver une place en CADA.

Il faut souligné néanmoins que l’absence de prise en charge sociale des demandeurs d’asile découle d’une absence totale d’une vraie politique en matière de logement social en France en général dont la crise connaît aujourd’hui le degré le plus profond jamais atteint. Lorsqu’on établit une comparaison entre la France et d’autres pays de l’Union Européenne dont l’Allemagne, la Grande Bretagne et la Belgique par exemple, on constate que ce genre de problème ne se pose pas ailleurs. Dans ces derniers pays cités, tous les demandeurs d’asile bénéficient d’une prise en charge presque automatique et maîtrisée dans les foyers qui ne laisse personne dans la rue.

Au-delà du problème d’hébergement, la majorité des femmes persécutées ne bénéficient pas d’un suivi psychologique automatique, pourtant indispensable. Seules celles qui réussissent à trouver une place en CADA sont susceptibles de faire l’objet d’une visite médicale obligatoire d’arrivée et d’un suivi psychologique souvent assuré par des psychologues recrutés dans ces centres. Ce genre de suivi est impossible pour celles qui n’entrent pas en CADA alors qu’elles sont majoritaires. En attendant d’obtenir une couverture médicale à laquelle elles ont droit après la délivrance d’un « Récépissé de dépôt de demande d’asile » par la préfecture, ce qui peut prendre plusieurs mois, elles ne sont pas prises en charge médicalement malgré leur état de fragilité psychologique. Les seuls services médicaux qui leurs sont accessibles sont généralement ceux tenus par les associations comme MSF, MDM, Croix-rouge, Comède,…

2. Les persécutions spécifiques aux femmes et la protection au titre d’asile en France

La définition du mot « réfugié » par la Convention de Genève est neutre parce qu’elle vise indistinctement toutes personnes persécutées, hommes ou femmes. Ainsi, est réfugié, « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Cette définition a été transcrite dans le Code de l’Entrée et de Séjour des étrangers et des Demandes d’Asile (CESEDA) en France dans le même esprit de neutralité sans distinction de sexe. En plus, ces deux textes ne définissent pas le contenu « des persécutions » vue la variété des formes qu’elles peuvent prendre.
Mais la Convention de Genève sur le statut des réfugiés n’est pas le seul texte international et conventionnel sur la protection d’êtres humains menacés de persécution ou persécutés dans leurs pays. D’autres Conventions Communautaires ou Internationales existent qui rendent leurs signataires solidaires d’application sur leurs territoires respectifs des dispositions consacrées. Tels sont par exemple les cas de la déclaration universelle des Droits de l’homme, de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Dans son guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) inclut dans les persécutions « des violations graves des droits humains, des discriminations (raciales, sexuelles ou sexistes), des atteintes contre la vie et la liberté(…) lorsque celles-ci conduisent à des conséquences gravement préjudiciables à la personne ».

L’OFPRA et La Commission des Recours des Réfugiés, organismes compétents en France pour analyser les demandes d’asile, notamment des femmes persécutées, donnent à ces dernières des interprétations diverses, variées et parfois contradictoires . Dans certaines décisions rendues, l’appartenance des femmes à un groupe social spécifique et à risque est reconnue, tantôt les persécutions évoquées sont considérées comme des « litiges privés », tantôt elles sont purement et simplement écartées du champ d’application de la Convention de Genève de 1951 sur le statut de réfugié.

Ces interprétations entraînent aussi comme conséquences directes la diversité de protection à accorder aux demandeuses. Depuis la réforme de la loi 2003 sur l’asile en 2003, la protection au titre de l’asile peut relever soit de l’asile politique, soit de la protection subsidiaire. Lorsque l’OFPRA ou la CRR estiment que les persécutions évoquées par les demandeurs, dont les femmes, sont établies et que les agents persécuteurs sont étatiques, ils accordent la protection au titre de l’asile politique. Ce qui constitue une protection durable ouvrant droit à la délivrance d’un titre de séjour de dix ans renouvelable, à la possibilité théorique de regroupement familial sans condition de logement et de travail, à la naturalisation, etc. c’est la meilleure forme de protection pour tous les réfugiés hommes ou femmes. Lorsque l’OFPRA ou la CRR estiment que les violences évoquées sont établies ou probables mais résultent des actes d’agents non-étatiques, ils placent généralement les femmes sous la protection subsidiaire (de type 1 ou 2). Cette forme de protection précaire débouche sur la délivrance d’un titre de séjour d’un an renouvelable. La subdivision de cette protection en deux catégories et la soumission du renouvellement à des critères non clairement définis sont des motifs d’incertitude qui sont de nature à inquiéter les bénéficiaires. Selon une note de la Direction de la population et de citoyenneté de la préfecture des Hauts-de-seine du 09/06/2005 à l’attention des agents de l’accueil et du B114, la mention de la catégorie à laquelle apparaît l’étranger, qui ne figure pas sur la décision de l’OFPRA ni de la CRR, apparaît sur le fichier de l’OFPRA lorsque le fonctionnaire de la préfecture y entre.

La première catégorie place les bénéficiaires sous la même procédure de délivrance de titre de séjour que les réfugiés politiques qui dépendent désormais de l’OFPRA pour la gestion de leurs actes civils. Ces derniers ne doivent plus avoir des contacts avec les autorités politiques ou consulaires de leurs pays et peuvent se faire délivrer « un titre d’identité et de voyage par les préfectures » s’ils en font la demande.
Par contre, la deuxième catégorie de protection subsidiaire n’empêche pas les bénéficiaires à prendre contact avec les autorités politiques ou consulaires de leurs pays pour se faire délivrer d’actes d’Etat civils nécessaires à la délivrance de titre de séjour. cette forme de protection est la plus précaire dans la mesure où toute démarche du bénéficiaire auprès des autorités consulaires de son pays peut ensuite servir de prétexte aux préfectures pour lui dénier les craintes qu’il pourrait avoir dans son pays et lui refuser le renouvellement du titre de séjour l’année suivante.

Par ailleurs, il est à noter que c’est une minorité seulement des demandeuses d’asile qui obtiennent le statut de réfugié en France. La majorité des demandes d’asile des femmes persécutées est rejetée souvent sur base des motivations souvent stéréotypées et vagues comme « les déclarations écrites et orales des intéressées n’ont pas permis de tenir pour établis les faits allégués et les craintes invoquées », « les propos des intéressées n’ont pas emporter la conviction (sic) de l’Office à cause d’une (petite) contradiction » ; « les récits de l’intéressé sont stéréotypés, sont succincts, manquent de sincérité (sic), ont un caractère général, ne sont pas assez détaillés, … ».
Il est important d’envisager la formation des fonctionnaires qui instruisent les demandes d’asile en vue de les familiariser aux problématiques que posent les persécutions spécifiques aux femmes susceptibles de déboucher sur les demandes d’asile ou pas.

Conclusion

En guise de conclusion de cette communication, il est à souligner que toutes les femmes demandeuses d’asile n’ont évidemment pas été persécutées uniquement parce qu’elles sont femmes. Néanmoins, la spécificité des persécutions subies par les femmes en tant que groupe social vulnérable par les agents étiques ou non-étatiques est une réalité qui doit être analysée comme critère exclusif de reconnaissance du statut de réfugié lorsque celles-ci sont établies. Le dire et le reconnaître n’entraîne pas comme conséquence, l’octroi automatique de statut de réfugié à toutes les femmes qui fondent leurs demandes d’asile sur ce critère. La France devrait à l’instar d’autres pays occidentaux intégrer ce critère dans son dispositif législatif sur la reconnaissance du statut de réfugié pour être conséquente à son adhésion aux Conventions Internationales protectrices des femmes. Les associations d’aide aux femmes immigrées et aux femmes demandeuses d’asile ainsi que des groupes des femmes issues de l’immigration ou réfléchissant sur cette question mettent en évidence cette nécessité dans de nombreux travaux et communiqués. Des dispositions des Organismes Internationaux comme l’ONU, le HCR et l’Union européenne font des recommandations aux pays qui adhèrent aux normes juridiques qui répriment les tortures, la traite et les pires formes de maltraitance, d’humiliations et des persécutions envers les femmes. Mais les mobilisations associatives, médiatiques et scientifiques n’ont pas encore pris une grande ampleur en France au point de faire du thème des persécutions spécifiques aux femmes dans le monde l’un des sujets politiques importants. C’est pourquoi ce genre de colloque est important pour contribuer au développement et à la construction des savoirs et des réflexions indispensables pour l’évolution de ce thème en France.

Par ailleurs, reconnaître la spécificité des persécutions liées au genre féminin permettrait aussi parallèlement d’imaginer les meilleurs instruments de répression de ces actes d’une part et d’accompagner la souffrance psychologique et morale qu’endurent les victimes d’autre part. Ne pas le faire, c’est abandonner ces femmes, de plus en plus nombreuses à venir demander l’asile en France, à la merci des réseaux de prostitution et de traite d’êtres humains.
La Suède, les USA et le Canada sont à la pointe de défense des droits des femmes persécutées en tant que femmes entre autres à cause d’importantes mobilisations des associations féminines et du poids et de l’importance des femmes dans l’échiquier politique. Les femmes qui constituent 47% du parlement suédois sont forcément sensibles aux malheurs et maltraitances de leurs semblables dans le monde et pèsent sur l’adoption et l’élaboration des législations dans leurs pays. L’intégration progressive des femmes dans les hauts sphères d’Etat et dans les organes de législation dans les pays en développement dont certains sortent fraîchement des conflits armés et où se posaient des vraies problématiques de la protection juridique et politique des femmes constitue un signe positif à encourager. Les exemples du Rwanda (48,8% de femmes au parlement), du Burundi, de Libéria où une femme est devenue Présidente de la république et de l’Irak (avec plus de 30% de femmes au parlement ) sont significatifs pour permettre un optimisme sur l’évolution des droits des femmes dans les pays où leur avenir est encore sombre.

Enfin, la convention de Genève elle-même adoptée en 1951, à une époque où les droits des femmes étaient encore sujets à caution dans beaucoup de pays signataires mérite d’être amendée pour favoriser l’intégration des persécutions spécifiques aux femmes dans l’article 1 A comme critères d’octroi du statut de réfugié à part entière.
Bibliographie

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7. Christine OCKRENT (sous la direction), « Le livre noir de la condition des femmes », Paris, Xo Editions, 2006

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24. Réfugiés et sans papiers. La république face au droit d’asile, Hachette, Coll. Pluriel, 1998

2. DOCUMENTS ET RAPPORTS UTILISES

Rapports de l’OFPRA 2003, 2004 et 2005, voir http://www.ofpra.gouv.fr/

Rapport de la Commission des recours des réfugiés 2004, 2005, voir www.commission-refugies.fr/

Rapport de la Commission Liberté et Droits de l’homme du Conseil National Des Barreaux sur la Commission des recours des réfugiés, Assemblée Générale du 4 novembre 2005

Rapport du Médecins Sans Frontières 2005 sur la situation l’immigration d’origine subsaharienne (ISS) en situation irrégulière au Maroc

Rapport de M. Alvaro GIL-ROBLES Commissaire européen aux Droits de l’homme sur le respect effectif des droits de l’homme en France suite à sa visite du 5 au 21 septembre 2005 en France,

Rapport d’activités de la Cimade 2004, voir http://www.cimade.org/

Commission des recours des réfugiés, Le droit des étrangers en France », recueil des jurisprudences, Economica, Paris, 2000

3. TEXTES JURIDIQUES RELATIFS A LA PROTECTION

1. Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 Adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948

2. Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié

3. Pacte international relatif aux droits civiques et politiques Assemblée générale des Nations unies. Adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966. Entrée en vigueur : le 23 mars 1976

3. Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, telle qu’amendée par le Protocole n 11 Traité ouvert à la signature des Etats membres du Conseil de l’Europe. Rome 4 novembre 1950. Entrée en vigueur 3 septembre 1953

4. Statut de Rome de la Cour pénale internationale Fait à Rome ce 17 juillet 1998 Chapitres 1-3, Articles 1-33

5. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) Adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 34/180 du 18 décembre 1979. Entrée en vigueur : le 3 septembre 1981

6. Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes Résolution 48/104 de l’Assemblée générale du 20 décembre 1993

Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes Proclamé par l’Assemblée

Guide des procédures et des critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié

NOTES

[1] Le fait que la Suède aie 47% de femmes au parlement et le taux d’emploi des femmes le plus élevé de l’Europe contribue certainement au traitement attentif et privilégié de la question des femmes persécutées en tant que femmes dans ce Pays.

[2] « Le viol comme arme de guerre. Conflits armés et violence sexuée au Chiapas et en ex-Yougoslavie », Flagrant délit no 9 (1999)

[3] Idem , p.16

[4] Nadine PUECHGUIrbal , « Les violences des forces d’interposition de l’ONU » in (Sous dir. Christine OCKRENT ; Sandrine TREINER , « Le livre noir de la condition des femmes », XO Editions, Paris, mars 2006, P.P. 492