Origine http://www.casediscute.com/1999/11_viol/invites/specialiste_02.shtml
Gérard Berrubé
Il exerce depuis une vingtaine d'années. La majorité
de ses patients sont des personnes maltraitées et violées.
Identité
Le viol vient s'immiscer dans l'histoire de la personne. Les conséquences
psychologiques sont lieés a la structure, à l'identité
de la personne avant le viol.
La personne violée vit deux effractions : une effraction
psychique et une effraction corporelle. Elle perd une partie de
son identité. C'est un cambriolage. " Je ne suis plus
maître à bord " de ma personne.
Il faut distinguer deux cas : les femmes agressées par un
inconnu ou par une personne connue.
Violée par un inconnu
Ces femmes se font souvent agresser dans un lieu public. Elles
ont peur de mourir. elles " acceptent " d'être violées
pour ne pas être tuées. Elles sont totalement passives,
les bras ballants, les jambes flageolantes. Elles n'ont plus de
réaction, plus d'énergie. Leur corps ne leur appartient
plus. Ces femmes sont souvent surprises par leur faiblesse.
Violée par une personne connue
Les femmes violées par une personne connue ne prennent pas
conscience tout de suite du danger. Dans leur esprit, si elles disent
non, ça doit être entendu. L'acte est perçu
comme une trahison. Elle est déstabilisée dans sa
vision du monde. Je n'ai plus d'ami. Le lien de confiance au monde
est remis en question. Je n'ai plus confiance en personne.
Dans les deux cas de figure, ces femmes ne sont plus dans leur
corps. elles entament une dissociation.
L'entourage
L'entourage est déterminant. Malheureusement souvent l'entourage
rejette la personne après le viol. C'est dramatique parce
que les victimes ressentent un abandon. Cette trahison est peut-être
encore plus douloureuse que l'agression.
Ces femmes ont besoin d'humanité, de soutien, d'une écoute
et non d'une condamnation. Il faut dire à la victime qu'elle
n'a aucune responsabilité dans cette histoire. Il faut qu'elle
explique ce qui lui est arrivée sans se juger. Il faut lui
expliquer que ce viol n'a rien a voir avec elle. Il faut traiter
la personne comme une sinistrée. Il faut également
la rassurer sur son image. Il faut la prendre dans ses bras si c'est
son désir et la laisser sangloter, pleurer, hurler. Il faut
que l'entourage accompagne la personne dans toutes ses démarches
; au commissariat, à l'hôpital, au procès, à
la confrontation...
Parfois, le mari ne peut plus toucher sa femme après un
viol. Le viol renvoie à sa propre histoire. la sexualité
est un lien menacé. Cette réaction est dramatique
pour la femme parce qu'elle se sent dépossédée
de ce qu'elle a vécu. L'homme règle égoïstement
un problème d'amour propre.
Souvent j'entends mes patientes dire que leur mère trouve
cela normal " tu l'as cherché, tu rentres trop tard
le soir ", ou encore, " c'est bien fait pour toi, tu as
vu comment tu es habillée ". Ces réactions sont
inadmissibles. Personne n'a le droit de juger une victime qui vient
de subir un tel préjudice et surtout pas de la part de son
propre entourage qui est sensé protéger, accompagner.
La personne violée ressent une grande solitude et s'enferme
dans un silence et une souffrance encore plus grande. elle est alors
la victime de plusieurs viols.
Phases psychologiques
Ces phases correspondent à un système de défense
acquis dès la petite enfance et programmé par la famille.
Il est très important de comprendre que les violeurs sont
des prédateurs et non pas des séducteurs. Ils érotisent
la haine et non l'amour.
Ce qui est primordial, c'est de comprendre quel édifice
chez la femme violée, a été ébranlé
par cette agression : 3 axes :
-la représentation du monde
-l'axe corporel
-l'axe familial
Après le viol, ces axes sont forcement touchés et
la personne peut vivre des réactions très fortes comme
le déni, la culpabilité, l'agressivité...
Le déni
Si on est dans le déni, on évacue la culpabilité.
C'est un refoulement organisé. La personne est prostrée.
Elle se replie sur soi-même. Elle nie totalement l'agression.
Ce déni peut durer des années. Tout ce qui peut évoquer
l'agression est à supprimer, à éliminer. Un
jour ou l'autre, je suis obligé de m'en rappeler souvent
a partir d'un détail : une couleur, une odeur, une musique...
cela parait fou mais le souvenir peut réapparaître
28 ans après.
Le déni est très dangereux. C'est une bombe à
retardement. La personne perd son désir sexuel. Elle n'accepte
plus son corps et perd les signaux d'alarme qui lui font reconnaître
le danger. J'ai rencontré des patientes qui se sont fait
violer plusieurs fois et qui sont dans ce cas de figure. elles ne
reconnaissent plus les situations menaçantes et les violeurs
reçoivent des signaux de détresse corporelle.
La culpabilité
C'est le sentiment le plus répandu après un viol.
La femme n'a pas pu refuser l'acte sexuel et se sent responsable
de ne pas avoir dit non. C'est l'incapacité de se reconnaître
en tant que victime. On trouve une bonne raison, on justifie son
viol. " c'est de ma faute, je suis rentrée tard ".
La personne doit se réapproprier une position de personne
et non pas d'objet.
On peut dire que la femme pourra se reconstruire, si et seulement
si, elle admet qu'elle a été victime.
Ce système de défense détruit l'image de la
femme violée. On voit souvent des femmes qui prennent 5 douches
par jour, qui se coupent les cheveux, qui se mutilent, qui font
des tentatives de suicide, qui deviennent obèses ou anorexiques.
Elles lancent un message au monde. Ce qu'on m'a fait, se voit maintenant.
Elles n'ont pas d'interlocuteur à qui le dire. Elles prennent
conscience de la notion de victime et de réparation par la
haine de soi. Le corps les a trahi.
La situation est catastrophique quand leur sexe a répondu.
Le vagin se lubrifie, elle a un orgasme. Je leur explique que c'est
normal. C'est mécanique. le sexe est programmé pour
ça.
Agressivité
Certaines femmes après le viol deviennent très agressives,
voire meurtrières. Elles ont besoin de se venger. Elles se
situent à l'opposé de la culpabilité. Elles
ne sont pas responsables et peuvent devenir très dangereuses.
Il faut absolument faire sortir la haine, la violence extrême
qu'elles ressentent.
Elles ont plus de chance de s'en sortir. Elles auront moins de
séquelles parce que leur réaction est saine : "
ça n'aurait pas du m'arriver ".
Peur et souillure du corps
Toutes ces femmes ont deux points communs malgré leurs réactions
différentes : la peur et la souillure du corps.
Toutes ses femmes sont terrorisées. Elles ont toutes eu
peur de mourir. la mort les hante au quotidien. D'ailleurs beaucoup
ont l'impression d'être des mortes vivantes, de ne plus être
dans la réalité. C'est normal, elles ont survécu
à un choc énorme. Ce choc va s'exprimer de différentes
façons ; par la peur de sortir dans la rue, par la peur du
noir, ne plus supporter quelqu'un derrière soi... c'est un
système de défense qui leur permet de s'exprimer car
elles n'ont pas pu être agressives. Il est fondamental d'en
parler. c'est normal.
Toutes également détestent leurs corps. elles se
sentent souillées. Elles refusent les rapports sexuels équivalents
au viol. Par exemple, si elles ont du faire une fellation, après
le viol elles ne peuvent plus l'imaginer avec leur partenaire. D'autres
ne peuvent même plus se toucher. Elles se lavent avec un gant.
On peut parler de dissociation entre la tête et le corps.
Tout le travail va être de leur faire accepter un corps vivant
et actif afin de retrouver le désir et le plaisir.
Viol des hommes
Pour un hétérosexuel, son identité masculine
est détruite. Il se sent être une femme. Il a beaucoup
plus de mal à en parler. Il est humilié au plus profond
de lui-même, dans sa virilité. Il doit reconstruire
son identité par l'image qu'il a des hommes autour de lui,
à savoir son père. Il ne deviendra pas homosexuel
pour autant. Il est aussi très important de dire que ce n'est
pas un violeur potentiel. Seul les cas d'inceste peuvent reproduire
le schéma.
S'en sortir
Il est important de dire qu'on peut se sortir de ce cauchemar.
C'est long et douloureux. Il restera une cicatrice à vie,
mais on peut reconstruire sa vie familiale, professionnelle, sentimentale
et sexuelle.
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