Message Internet Date : 21 Janvier 2003
Suject: [zpajol] sans papiers et condition de vie et de travail dans le
66, département des Pyrénées-Orientales (Journal
l’Humanité)
SANS PAPIERS en lutte>>>coordination nationale
Dossier dans l'Humanité du 18 janvier 2003
Sans papiers et conditions de vie, conditions de travail + droit de réponse
du Comité de soutien aux sans papiers des P.O.
Clandestins. Pour l'Humanité hebdo, des sans-papiers des Pyrénées-Orientales
ont accepté de parler de leurs conditions de vie et surtout de
travail.
Des salariés sans papiers témoignent
Dans ce département, le travail illégal explose. Agriculture,
bâtiment, artisanat, services aux particuliers... ils sont payés
une misère par des patrons sans foi ni loi. Enquête sur ces
" esclaves des temps modernes ".
Languedoc-Roussillon, correspondant régional.
Ils ont voulu parler quelles qu'en soient les conséquences. Ils
ont aussi voulu se faire photographier, à l'endroit même
où ils ont travaillé, où ils travaillent encore.
Les deux mains sur leur visage. Parce qu'un sans-papier existe d'abord
et avant tout grâce à ses mains, puisqu'on lui refuse le
droit d'exhiber son visage sur une carte plastifiée. Sur le papier,
donc, ils n'existent pas. Leïla, Tayeb, Nasser, Louisa ? Des hommes
et femmes invisibles, sans visages, juste des mains, des petites mains,
qui astiquent les sols, coupent la vigne, cueillent la salade, manient
la truelle. Pour sept, dix, vingt, trente, quarante euros par jour. De
la main à la main. Une économie souterraine, clandestin
et, surtout, florissante dans les Pyrénées-Orientales, véritable
couloir de passage entre le nord et le sud de l'Europe. En 2002, plus
de 6 200 étrangers en situation irrégulière ont été
arrêtés par la police de l'air et des frontières (PAF),
soit un peu moins que dans le Pas-de-Calais qui détient le triste
record hexagonal. Combien d'autres ont passé les mailles du filet
? Des milliers, des dizaines de milliers ? Qualifiée d'immigration
" de transit ", un bon nombre d'entre eux posent toutefois leurs
valises en Languedoc-Roussillon, où " le travail dissimulé
", terme pudique pour évoquer le travail au noir, a toujours
fait partie en quelque sorte des traditions locales. Interrogé
par l'Humanité, le nouveau préfet de région, Francis
Idrac, estime ainsi que " beaucoup de personnes ici semblent s'en
accommoder ".
Bien entendu, le travail illégal ne concerne pas les seuls sans-papiers.
Mais sur les 443 étrangers en situation irrégulière
qui sont venus s'inscrire à la Bourse du travail pour créer,
trois ans après, un nouveau comité de sans-papiers (1) à
Perpignan, une majorité travaillent au jour le jour, sans aucun
problème. Mais sans fiche de paie, sans carte d'assuré social,
sans cotisation pour la retraite. " Dans notre département,
estime Thierry Labelle, secrétaire de l'UD CGT des Pyrénées-Orientales,
les limites ont été tout bonnement franchies. Pour nous,
les sans-papiers sont des salariés. Leur travail profite à
l'ensemble de notre économie. Toute volonté de ne pas les
régulariser participe de leur surexploitation et a pour effet de
leur faire vivre des situations indignes au regard des droits de l'homme.
Cette politique favorise un patronat qui tire une partie de ses profits
de cette activité non déclarée. " Selon lui,
ce " black " concernerait 30 % de l'économie du département.
Affirmation contestée par la préfecture. Pour le directeur
du cabinet du préfet, Philippe Ramon, qui reconnaît avoir
constaté " qu'un problème existait " à
son arrivée à Perpignan en novembre dernier, " l'effet
est très marginal ". Pas plus de 5 % dans l'agriculture, par
exemple, très officiellement tandis qu'une enquête est actuellement
en cours dans le bâtiment. Le chiffre fait sourire les sans-papiers
que nous avons rencontrés. " En fait, explique ainsi Larbi,
c'est un véritable réseau. Un tel connaît tel patron
qui recherche des gars pour travailler. Tout se sait vite. Quand on arrive
sur place, on ne se parle presque pas. Il sait que je n'ai pas de papiers.
Je sais qu'il m'emploie au noir. On se met au boulot. S'il y a un contrôle,
tu te caches, c'est tout ! " Des contrôles ? · la PAF
du département, seuls trois fonctionnaires s'occupent à
plein temps de ce dossier. " · l'URSSAFF, indique Georges
Athiel, conseiller municipal communiste, il y a eu 8 000 contrôles
de moins en 2001 faute de personnel suffisant. Le manque de moyens est
également criant à la Mutuelle sociale agricole. L'Etat
ne se donne pas les moyens de lutter contre ce fléau. Il continue
à réprimer les sans-papiers et, pendant ce temps-là,
les patrons s'en mettent plein les poches en faisant trimer une véritable
armée de l'ombre de travailleurs. En fait, ce sont des esclaves
de notre temps. "
" Le marché aux esclaves " : c'est d'ailleurs
ainsi que certains militants perpignanais nomment ce trafic. Place Cassagne,
route de Bompas, place des Esplanades, en plein centre de Perpignan, des
fourgonnettes viennent chercher au petit matin la main-d'ouvre bon marché
qui patiente tranquillement sur les trottoirs, en petits groupes serrés.
" C'est là, explique Thierry Labelle, qu'en pleine saison
maraîchère, au moment des vendanges, ou pour des petits chantiers
des bâtiments, que les sans-papiers sont embauchés par dizaines.
Et personne ne le saurait ? On se cache les yeux, oui ! J'ai moi-même
proposé au préfet de m'accompagner un matin. J'attends toujours
sa réponse. " En 1999, lors d'un 1er Mai mémorable,
la CGT avait donné publiquement le nom de cinq entreprises qui
s'adonnaient au travail clandestin. " Eh bien, personne n'a bougé
à la préfecture, s'indigne Labelle. Les entreprises concernées
n'ont même pas porté plainte pour diffamation. " Comme
le préfet Idrac, Labelle constate que " cette pratique est
bien ancrée dans les mours : il y a bien entendu un manque de moyens,
mais surtout un manque de volonté politique ". Pour Philippe
Ramon, la fameuse " la tolérance zéro " décrétée
par Nicolas Sarkozy s'appliquera aussi envers les employeurs de clandestins.
Ces derniers peuvent dormir sur les deux oreilles. En 2002, selon les
chiffres de la direction départementale du travail, seules 86 procédures
pénales - toutes ne concernant pas, loin s'en faut, des sans-papiers
- ont été menées à leur terme.
Laurent Flandre
(1) Outre la CGT, on retrouve dans ce comité des dizaines d'organisations
dont la CIMADE, le PCF, la LCR, les Verts, Emmaüs, la FSU, le MRAP,
la FCPE, Léo Lagrange, LDH, AC !.
Clandestins.
Leïla, des pêches, du béton et des ménages
Son bout de chou de neuf mois qui lui tête le sein gauche est sans
doute le plus jeune sans-papiers des Pyrénées-Orientales.
Mais à vingt-six ans, Leïla n'est de loin pas la plus vieille.
Elle est arrivée par bateau en 2000 avec un visa d'un mois en poche
et des rêves plein la tête. Sans s'être retournée
une seule fois dans son Algérie natale qu'elle a quittée
précipitamment. " Problèmes familiaux ", explique-t-elle
pudiquement. La France, enfin. " J'aime ce pays. La langue, surtout.
Et puis je pensais que je n'aurais pas de problèmes. D'ailleurs,
je ne regrette absolument pas mon choix. " Un crochet par Montpellier
où elle est hébergée durant trois mois, puis direction
Perpignan où elle connaissait " des gens ". Deux ans
déjà. Deux ans de travail non stop ou presque. Deux ans
sans contrôles. Le réseau, ça compte pour s'en sortir.
" J'ai rapidement trouvé du travail, raconte Leïla, notamment
pour les vendanges et la récolte des pêches. On ne m'a jamais
rien demandé. Pas de papiers, pas de nom. Salaire en liquide de
la main à la main, pas de bulletin de paie. Il fallait juste bosser.
" Pour trente euros par jour, de 7 heures à midi et de 13
heures à 17 heures. " Le patron est un Français. Il
était gentil avec nous. Il y a seulement un gars qui a des papiers.
Les cinq autres employés n'en ont pas non plus. On ne parle pas
beaucoup entre nous. " L'histoire de Leïla est bien l'archétype
de la vie salariée du ou de la sans-papiers. Agriculture, bâtiment
: elle a touché à tout. · Pia, elle est manouvre
pendant deux mois au début de sa grossesse. Un peu plus de 30 euros
la journée. " Toi, dans le bâtiment ? " : autour
de la table, les hommes se marrent. Pas longtemps. La jeune fille au teint
clair leur donne une leçon de courage. " Avec la pelle, je
mettais le béton dans la bétonnière toute la journée.
" Avec un bébé dans le ventre. Sifflements admiratifs.
" C'était une petite entreprise comme il y en a des centaines
par ici. Nous étions deux sans-papiers. " Quand le bâtiment
ne va pas, reste le ménage. Sans problèmes non plus, à
l'entendre. " Je prends entre cinq et sept euros l'heure, ça
dépend, chez des gens, français, que je connais. Ils savent
que je n'ai pas de papiers. "
Mais Leïla ne rencontre pas que des " gens bien ". Lors
de sa dernière embauche, chez un agriculteur, elle a commencé
à avoir des contractions. Son " patron " n'a rien voulu
savoir. Il n'a même pas voulu appeler le médecin ou les pompiers.
Trop dangereux. Elle s'est occupée de tout, si on peut dire, mais
a dû s'absenter pendant trois jours. Son " patron " n'a
pas payé au motif qu'elle n'avait pas terminé " sa
" récolte ! Dans sa poche, elle garde la facture de la clinique
de Prades où d'ailleurs personne ne lui jamais rien demandé.
120 euros pour une journée d'hospitalisation. Elle n'a jamais gagné
cette somme de sa vie ! Elle ne voit pas comment elle pourra payer. Surtout
en ce moment. L'hiver, pour les sans-papiers dans le Sud, le travail tourne
au ralenti. " Je n'ai pas d'argent devant moi, poursuit la jeune
maman célibataire. Enfin, depuis octobre, c'est très dur.
Il faut attendre les beaux jours. " Un sourire. Visiblement Leïla
ne s'en fait pas. Tout comme son petit, qui dort maintenant.
Clandestins.
Les rapports sans suite
Par essence, difficile de mesurer statistiquement le travail illégal.
L'Etat a pourtant réussi ce tour de force en 1996. Selon un rapport
remis au gouvernement Balladur, ce type de travail représentait
à cette époque 80 milliards de nos anciens francs, soit
1 % de la production nationale, tandis que les pertes fiscales s'élevaient
à plus de 100 milliards de francs, soit la moitié de l'impôt
sur le revenu d'alors. On imagine, au vu de la situation économique,
que les choses ne se sont pas améliorées depuis. En janvier
dernier, un rapport puis une loi sur les formes d'esclavage moderne ont
permis de rappeler que les immigrés clandestins étaient
les premiers touchés par les formes d'exploitation nouvelles du
travail. Mais chacun constate sur le terrain que si l'Etat a clairement
identifié les causes et les conséquences du travail illégal,
il ne s'est pas donné les moyens nécessaires pour le combattre.
Certes, il existe bien depuis mars 1997 une délégation interministérielle
(DILTI). Celle-ci, basée à Paris avec des antennes à
Toulouse et Marseille, a répertorié sept catégories
de fraudes : dissimulation d'activité, d'emplois ou d'heures travaillées
; marchandage et prêt de main-d'ouvre ; introduction de main-d'ouvre
étrangère sans titre de travail ; intervention illicite
d'entreprises étrangères ; placement payant ; fraude aux
revenus de remplacement ; création irrégulière d'emplois.
Chargée de coordonner et d'animer la lutte contre le travail illégal
avec l'ensemble des services concernés, la DILTI ne compte au total
qu'une cinquantaine de fonctionnaires. Sans commentaire.
Clandestins.
Louisa, bonne à tout faire, pour 7,4 euros par jour
Elle dit : " Je vis dans le noir. " Veuve de sa vie, Louisa
pleure toutes les larmes de son corps. Elle donnerait cher pour une petite
lueur d'espoir, pour ce bout de papier, pour ce bout de plastique qui
semble désormais valoir tout l'or du monde. Mais elle n'a pas un
sou en poche. Elle ne possède rien. Même plus son destin.
Là-bas, en Algérie, elle était " heureuse ",
la petite vendeuse en pharmacie. Il y avait du soleil tous les jours.
Puis, d'un coup de feu, l'intégrisme fanatique a tiré le
rideau sur ces années d'insouciance. Son frère, policier
à Blida, a été lâchement assassiné,
au cour de ce qu'on appelle " le triangle du terrorisme ". Puis
elle-même a été menacée. " Ils voulaient
de l'argent. De l'argent qu'aurait amassé mon père qu'ils
prenaient pour un harki, ce qui est faux. " Partir, fuir. Dans ce
" deuxième pays " qui a justement si bien accueilli son
père, électricien, il y a cinquante ans. Un visa touristique
de trois mois. Une demande d'asile territoriale. Un récépissé
d'un an, puis basta ! La France qui détourne soudain les yeux ne
veut plus rien savoir. Son autre frère, 28 ans, tente alors de
gagner l'Allemagne. Elle choisit Perpignan. Sans papiers, sans avenir.
Juste ses trente-trois ans pour affronter le monde et des valeurs humaines
solidement chevillées au corps. Le choc. " J'ai honte, raconte-t-elle
doucement, de demander quelque chose à mes parents. C'est à
moi de les aider. Quand je ne ramène pas d'argent, je n'ose pas
manger à la table avec eux. Je dors dehors. " Alors, prenant
son courage à deux mains, elle interpelle les gens dans la rue,
à l'arrêt de bus. " Besoin de ménage ? Besoin
d'aide ? " Parfois des vieux messieurs propres sur eux lui proposent
autre chose. Elle pleure encore. " Jamais, jamais. Jamais, ils ne
profiteront de moi. "
Un jour de juin 2000, elle se retrouve chez une dame de cinquante-cinq
ans à Canet-Plage, une station balnéaire du littoral, la
plus proche de Perpignan. Bonne à tout faire. Logée, nourrie,
1 500 de nos anciens francs par mois, soit 50 francs par jour, six jours
sur sept. Début de la journée à 7 h 30. Louisa fait
le petit-déjeuner. Les lits. Le jardin. Le repassage. La lessive.
Les repas. Et se tait. " Ne dis pas aux gens que tu n'as pas de papiers
", lui répète souvent son " employeuse ".
Fin de la journée vers minuit. " Elle ne me faisait pas de
cadeaux, se souvient Louisa. Toujours derrière mon dos : Et t'as
pas fait ça, t'as pas fait ceci. En plus, il fallait sourire, ne
pas montrer ma fatigue, ma tristesse. Mon week-end de repos ? Je partais
le vendredi après-midi. Je devais rentrer le samedi midi. "
L'été, il y a la piscine à nettoyer, les amis de
" la dame " en villégiature dont il faut s'occuper. "
Un massage, Louisa. La crème à bronzer, Louisa. " Un
esclavagisme moderne qui ne dit pas son nom. Puis la fille lui demande
de garder ses enfants la journée, en plus de tout le reste. Elle
ne verra pas la couleur de l'argent. Depuis septembre, " la dame
" n'a pas payé. Il lui manque trois mois de " salaire
". Oh, pourtant, " la dame " trouve qu'elle travaille bien.
" Elle ne veut pas me lâcher ", explique Louisa. Coups
de téléphone incessants. " Elle sait que j'ai besoin
d'argent. " Sanglots dans la voix. " Voilà ce que je
suis devenue : une boniche. Et pour rien. J'ai tout perdu en venant ici.
Ma jeunesse, ma vie, ma dignité. J'ai fait de longues études
de biochimie et aujourd'hui je fais le ménage. Je ne suis pas venue
en France pour ça. Je suis venue en France parce que j'avais peur.
Et en fait, je dois me cacher. Comme là-bas. "
Clandestins.
Nasser, le cep de vigne et les parquets
Tous les sans-papiers connaissent la date précise de leur arrivée
en France. Comme s'il s'agissait d'une naissance, ou plutôt, d'une
renaissance. Pour beaucoup, cela reste un jour de fête, malgré
tout. Pour Nasser, elle est encore plus inoubliable. Il a débarqué
à Perpignan un beau soir d'été de juillet 1998, ce
jour où tout un peuple, ivre de bonheur, scandait : " Zizou
président ", deux mots fous, inscrits le temps d'une nuit
folle dans la pierre de l'arc de Triomphe. Nasser n'était pas peu
fier. " C'était génial, les gens s'aimaient. Il y avait
de la fraternité, c'était beau ", se souvient, ému,
le natif de Relizane, ancien sous-officier de l'armée algérienne.
Elle était belle, la France black, blanc et beur, comme on disait
à l'époque, avant qu'elle ne retombe dans ses travers. Mais
lorsque les projecteurs se sont éteints, les autorités françaises
ont joué les prolongations. Et Nasser, Zizou ou pas, a été
vite déclaré hors-jeu. Comme tous les autres. Lui a même
connu la honte des tribunaux. Il est ainsi assigné dix mois à
résidence dans l'Allier puis part vers Nancy avant d'échouer
non loin de Dunkerque. Il travaillera plusieurs mois comme aide-cusinier
comme l'attestent les fiches de paie. " Un jour, une femme voulait
même m'embaucher en contrat en durée indéterminée
! " raconte-t-il, hilare. L'homme n'est d'ailleurs pas dépourvu
de papiers. De son portefeuille, lentement, il sort une belle carte vitale
bien verte, un numéro de caisse d'allocations familiales, des feuilles
d'impositions obtenus par la grâce d'un récépissé
d'asile territorial.
Quatre ans plus tard, le revoilà à Perpignan toujours sans
papiers, du moins pas LE plus important. Comme d'autres, il travaille
de temps en temps. La vigne, avant tout. " Certains viticulteurs
possèdent nos numéros de téléphone, précise
Nasser. Ils appellent la veille au soir pour le lendemain matin, selon
leurs besoins. Ils ne bossent qu'avec des Gitans et des Arabes, au noir.
C'est payé 150 francs par jour pour neuf heures de boulot. C'est
dur, sans temps morts. Un jour, dans un vent glacial, on a sorti 3 600
pieds à la barre à mine. " Un autre jour, il trouve
un " bon plan artisan ". " Il fallait poser le parquet
chez des gens. Trois cents francs la journée. J'ai malheureusement
fait une chute. Le lendemain, je n'ai pas pu aller bosser. J'ai appelé
le patron. Il m'a dit : "C'est pas la peine de revenir, j'ai trouvé
un remplaçant." Y a beaucoup de gars comme nous sur le marché
du travail au black. Les patrons le savent. Et ils se servent ".
Lui aussi, comme tous ceux que nous avons rencontrés, en a marre
de travailler au noir, marre de se cacher, marre de vivre dans la misère.
" Je suis venu ici pour vivre dignement, travailler, fonder une famille.
Au lieu de ça, on survit au jour le jour, poursuit Nasser. Parfois,
je dors souvent sur un banc dans le parc de l'avenue Foch, parfois chez
des copains. " Lui ne retournera pas au bled. Jamais. Autour de lui,
les autres acquiescent. " S'ils veulent me faire rentrer, d'accord,
mais les pieds devant ! " Dire que ceux de Zizou n'ont pas de prix.
Portraits réalisés par L. F.
Clandestins.
Tayeb, plutôt sapeur-pompier que maçon au noir
Heureusement que l'homme est sage. La colère a beau monté,
investir les mains, la gorge, les yeux, elle n'arrive jamais à
enserrer complètement Tayeb. Sans doute parce que sa carrure, imposante,
semble résister à la folie de ce monde. Sans doute, aussi
et surtout, parce qu'il s'est fait une raison sur les hommes en général
et sur la vie en particulier. La sienne ressemble à un labyrinthe.
Sans porte de sortie, sans même issue de secours. Quarante et un
ans bien sonnés dont vingt sans papiers avec des allers-retours
incessants entre la France et l'Algérie. Entre 1987 et 1989, il
a séjourné en Avignon. Déjà le travail au
noir comme maçon dans le bâtiment. " Jamais de contrôles
", sourit-il. Retour au pays. Nouveau départ à Perpignan
depuis deux ans. " J'ai mis peu de temps à retrouver du travail.
Le bouche-à-oreille fonctionne bien, ou plutôt le téléphone
arabe. " Rires. Car ce drôle de bonhomme a choisi d'en rire.
Durant vingt-deux jours dans une petite entreprise du bâtiment des
Pyrénées-Orientales, il sera donc manouvre. " Jamais
de contrôles " là non plus. Vingt-deux jours à
trimer comme une bête. " C'était dur ", lâche-t-il.
Vu sa carcasse, on n'ose pas imaginer la souffrance. Le patron bien de
chez nous ne lui paiera que trois petits jours de boulot. " Il n'a
rien voulu savoir. J'ai laissé des messages sur son répondeur
: il n'a jamais rappelé. Qu'est-ce que je pouvais faire. Appeler
la police ? " Il s'esclaffe.
Dégoûté, il a juré de ne plus jamais travailler
au noir. " Je sais que demain je peux avoir un nouveau boulot mais
je veux bosser de manière réglo, c'est tout ! " répète-t-il.
L'homme respire la droiture et la fierté. C'est ce qu'il veut inculquer
à ses trois fils de quinze, quatorze et quatre ans qui vivent avec
lui et avec sa femme qui, elle, possède des papiers. Il ne peut
se résoudre à vivre en cachette, à regarder ses chaussures
lorsque passe un uniforme. " Je ne veux pas vivre comme une bête
traquée car je pense à mes gamins. Je ne veux pas être
en marge. Avec cette situation, ils te poussent à être hors
la loi. Moi, si mon fils me demande de nouvelles baskets, je n'irais pas
lui voler. On attendra d'avoir l'argent. " Il avoue d'ailleurs survivre
grâce à leurs bourses. Des enfants bien entendu scolarisés
à Perpignan, qui portent bien entendu son nom. Parfois, il est
même convoqué à l'école pour des réunions
avec les professeurs. Comme les autres parents. Une vie normale, enfin
presque. Lui ne rêve que de ça, une vie normale. Il se verrait
bien sapeur-pompier en France, pour " aider les gens ", ce qu'il
faisait à Annaba avant de choisir l'exil. " J'ai des diplômes,
vous savez. Je suis compétent. " Tayeb exhibe sa carte. On
le voit en uniforme de sapeur-pompier. Beau comme un camion. Un ange passe.
Fin du rêve. Réveil douloureux dans un bureau de la préfecture.
" Le gars nous reçoit. Cela ne dure pas plus de dix minutes.
Il parle vite. Ma femme pleure. Il m'a dit :Vous n'avez qu'à retourner
deux, trois ans en Algérie, histoire que ça se tasse et
revenir ensuite. Je lui ai demandé : Et vous allez vous occuper
de mes gosses ? OK, prenez-les chez vous et je repars. J'attends toujours
sa réponse. " Aucune haine dans ses yeux. " Vous savez,
je me considère français. Je n'en veux à personne.
Et surtout pas aux Français. Ce sont les lois qui ne sont pas belles.
Sinon c'est un beau pays. Je voudrais juste un peu plus de chaleur humaine.
"
Perpignan, le 20 janvier 2003
Droit de réponse concernant l'article sur les sans papiers
paru dans l'Humanité hebdo du 18/01/2003
Rappel d'un point du compte rendu n° 12 de la réunion du collectif
de sans papiers et du comité de soutien du 16 décembre 2002
:
" Pour éviter tout malentendu, il est préférable
que les projections, débats ou autres initiatives impliquant les
sans papiers soient co-organisées par le collectif et le comité
plutôt que par une seule organisation dans son coin "
L'article paru dans " l'Humanité Hebdo " du samedi 18
janvier 2002, concernant " les sans papiers salariés (au noir)
des Pyrénées-Orientales. " qui témoignent, nous
pose un certain nombre de questions quant à la manipulation opérée
en la circonstance.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de remettre en cause les témoignages
dénonçant les pratiques délictueuses du recours au
travail au noir par le patronat des P.O.
En revanche, nous rappelons dans un premier temps, que l'inscription des
443 sans papiers perpignanais s'est faite en présence de l'ensemble
des membres du comité de soutien. C'est à cette occasion
que le collectif des sans papiers a été créé.
Nous condamnons le fait que la liste des membres qui composent le comité
de soutien n'ait pas été citée in extenso. Elle représente
21 organisations :
APMFA, ASTI, CG.Anarchistes, CGT, CIMADE, CNT 66, Emmaüs, ERC, Femmes
Solidaires, FSU, L'Art ou cochon, LCR, LDH, Les Verts, LO, MDS, MRAP,
PCF , RAS L'FRONT, Tremplin, UNEF.
Nous précisons que certaines d'entre elles n’offrent pas
toute la présence et la disponibilité souhaitées...
Nous insistons sur le fait que certaines organisations citées dans
le corps de l'article ne font pas partie du dit comité.
Voilà ce que le collectif des sans papiers ainsi que les membres
du comité de soutien présents ce jour, lundi 20 janvier
2003, pour la 15ème réunion - CIMADE, UD-CGT, LCR, CGA,
CNT 66, LES VERTS , ASTI, MRAP, et des individuels
(*)- tiennent à affirmer avec force et sans souci de polémiquer.
Nous tenons à ce que ce communiqué paraisse au sein de "
l'Humanité " dès que possible afin de rectifier le
tir.
(*) : ce qui précise l'absence des autres organisations à
cette réunion)
Actions prévues: <http://bok.net/pajol/ouv/liens/manifs.html>
Adresses des collectifs: <http://bok.net/pajol/ouv/liens/collec.html>
Coordination Nationale des Sans-Papiers
Tél: 06.75.44.60.02 - Fax: 01.53.36.86.38
e-mail coordnatsanspap@hotmail.com
ou coordnatsanspap2@hotmail.com
Soutien financier: compte bancaire: CMDP N°801 87 841
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ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers
* archives : en double, <http://listes.rezo.net/archives/zpajol/>
et
<http://ada.eu.org/pipermail/zpajol/>
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