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Sans papiers et condition de vie et de travail dans le département des Pyrénées-Orientales
Dossier paru dans l'Humanité du 18 janvier 2003


Message Internet Date : 21 Janvier 2003
Suject: [zpajol] sans papiers et condition de vie et de travail dans le 66, département des Pyrénées-Orientales (Journal l’Humanité)

SANS PAPIERS en lutte>>>coordination nationale
Dossier dans l'Humanité du 18 janvier 2003

Sans papiers et conditions de vie, conditions de travail + droit de réponse du Comité de soutien aux sans papiers des P.O.

Clandestins. Pour l'Humanité hebdo, des sans-papiers des Pyrénées-Orientales ont accepté de parler de leurs conditions de vie et surtout de travail.


Des salariés sans papiers témoignent
Dans ce département, le travail illégal explose. Agriculture, bâtiment, artisanat, services aux particuliers... ils sont payés une misère par des patrons sans foi ni loi. Enquête sur ces " esclaves des temps modernes ".
Languedoc-Roussillon, correspondant régional.
Ils ont voulu parler quelles qu'en soient les conséquences. Ils ont aussi voulu se faire photographier, à l'endroit même où ils ont travaillé, où ils travaillent encore. Les deux mains sur leur visage. Parce qu'un sans-papier existe d'abord et avant tout grâce à ses mains, puisqu'on lui refuse le droit d'exhiber son visage sur une carte plastifiée. Sur le papier, donc, ils n'existent pas. Leïla, Tayeb, Nasser, Louisa ? Des hommes et femmes invisibles, sans visages, juste des mains, des petites mains, qui astiquent les sols, coupent la vigne, cueillent la salade, manient la truelle. Pour sept, dix, vingt, trente, quarante euros par jour. De la main à la main. Une économie souterraine, clandestin et, surtout, florissante dans les Pyrénées-Orientales, véritable couloir de passage entre le nord et le sud de l'Europe. En 2002, plus de 6 200 étrangers en situation irrégulière ont été arrêtés par la police de l'air et des frontières (PAF), soit un peu moins que dans le Pas-de-Calais qui détient le triste record hexagonal. Combien d'autres ont passé les mailles du filet ? Des milliers, des dizaines de milliers ? Qualifiée d'immigration " de transit ", un bon nombre d'entre eux posent toutefois leurs valises en Languedoc-Roussillon, où " le travail dissimulé ", terme pudique pour évoquer le travail au noir, a toujours fait partie en quelque sorte des traditions locales. Interrogé par l'Humanité, le nouveau préfet de région, Francis Idrac, estime ainsi que " beaucoup de personnes ici semblent s'en accommoder ".
Bien entendu, le travail illégal ne concerne pas les seuls sans-papiers.
Mais sur les 443 étrangers en situation irrégulière qui sont venus s'inscrire à la Bourse du travail pour créer, trois ans après, un nouveau comité de sans-papiers (1) à Perpignan, une majorité travaillent au jour le jour, sans aucun problème. Mais sans fiche de paie, sans carte d'assuré social, sans cotisation pour la retraite. " Dans notre département, estime Thierry Labelle, secrétaire de l'UD CGT des Pyrénées-Orientales, les limites ont été tout bonnement franchies. Pour nous, les sans-papiers sont des salariés. Leur travail profite à l'ensemble de notre économie. Toute volonté de ne pas les régulariser participe de leur surexploitation et a pour effet de leur faire vivre des situations indignes au regard des droits de l'homme. Cette politique favorise un patronat qui tire une partie de ses profits de cette activité non déclarée. " Selon lui, ce " black " concernerait 30 % de l'économie du département. Affirmation contestée par la préfecture. Pour le directeur du cabinet du préfet, Philippe Ramon, qui reconnaît avoir constaté " qu'un problème existait " à son arrivée à Perpignan en novembre dernier, " l'effet est très marginal ". Pas plus de 5 % dans l'agriculture, par exemple, très officiellement tandis qu'une enquête est actuellement en cours dans le bâtiment. Le chiffre fait sourire les sans-papiers que nous avons rencontrés. " En fait, explique ainsi Larbi, c'est un véritable réseau. Un tel connaît tel patron qui recherche des gars pour travailler. Tout se sait vite. Quand on arrive sur place, on ne se parle presque pas. Il sait que je n'ai pas de papiers. Je sais qu'il m'emploie au noir. On se met au boulot. S'il y a un contrôle, tu te caches, c'est tout ! " Des contrôles ? · la PAF du département, seuls trois fonctionnaires s'occupent à plein temps de ce dossier. " · l'URSSAFF, indique Georges Athiel, conseiller municipal communiste, il y a eu 8 000 contrôles de moins en 2001 faute de personnel suffisant. Le manque de moyens est également criant à la Mutuelle sociale agricole. L'Etat ne se donne pas les moyens de lutter contre ce fléau. Il continue à réprimer les sans-papiers et, pendant ce temps-là, les patrons s'en mettent plein les poches en faisant trimer une véritable armée de l'ombre de travailleurs. En fait, ce sont des esclaves de notre temps. "

" Le marché aux esclaves " : c'est d'ailleurs ainsi que certains militants perpignanais nomment ce trafic. Place Cassagne, route de Bompas, place des Esplanades, en plein centre de Perpignan, des fourgonnettes viennent chercher au petit matin la main-d'ouvre bon marché qui patiente tranquillement sur les trottoirs, en petits groupes serrés. " C'est là, explique Thierry Labelle, qu'en pleine saison maraîchère, au moment des vendanges, ou pour des petits chantiers des bâtiments, que les sans-papiers sont embauchés par dizaines. Et personne ne le saurait ? On se cache les yeux, oui ! J'ai moi-même proposé au préfet de m'accompagner un matin. J'attends toujours sa réponse. " En 1999, lors d'un 1er Mai mémorable, la CGT avait donné publiquement le nom de cinq entreprises qui s'adonnaient au travail clandestin. " Eh bien, personne n'a bougé à la préfecture, s'indigne Labelle. Les entreprises concernées n'ont même pas porté plainte pour diffamation. " Comme le préfet Idrac, Labelle constate que " cette pratique est bien ancrée dans les mours : il y a bien entendu un manque de moyens, mais surtout un manque de volonté politique ". Pour Philippe Ramon, la fameuse " la tolérance zéro " décrétée par Nicolas Sarkozy s'appliquera aussi envers les employeurs de clandestins. Ces derniers peuvent dormir sur les deux oreilles. En 2002, selon les chiffres de la direction départementale du travail, seules 86 procédures pénales - toutes ne concernant pas, loin s'en faut, des sans-papiers - ont été menées à leur terme.

Laurent Flandre

(1) Outre la CGT, on retrouve dans ce comité des dizaines d'organisations dont la CIMADE, le PCF, la LCR, les Verts, Emmaüs, la FSU, le MRAP, la FCPE, Léo Lagrange, LDH, AC !.


Clandestins.
Leïla, des pêches, du béton et des ménages


Son bout de chou de neuf mois qui lui tête le sein gauche est sans doute le plus jeune sans-papiers des Pyrénées-Orientales. Mais à vingt-six ans, Leïla n'est de loin pas la plus vieille. Elle est arrivée par bateau en 2000 avec un visa d'un mois en poche et des rêves plein la tête. Sans s'être retournée une seule fois dans son Algérie natale qu'elle a quittée précipitamment. " Problèmes familiaux ", explique-t-elle pudiquement. La France, enfin. " J'aime ce pays. La langue, surtout. Et puis je pensais que je n'aurais pas de problèmes. D'ailleurs, je ne regrette absolument pas mon choix. " Un crochet par Montpellier où elle est hébergée durant trois mois, puis direction Perpignan où elle connaissait " des gens ". Deux ans déjà. Deux ans de travail non stop ou presque. Deux ans sans contrôles. Le réseau, ça compte pour s'en sortir. " J'ai rapidement trouvé du travail, raconte Leïla, notamment pour les vendanges et la récolte des pêches. On ne m'a jamais rien demandé. Pas de papiers, pas de nom. Salaire en liquide de la main à la main, pas de bulletin de paie. Il fallait juste bosser. " Pour trente euros par jour, de 7 heures à midi et de 13 heures à 17 heures. " Le patron est un Français. Il était gentil avec nous. Il y a seulement un gars qui a des papiers. Les cinq autres employés n'en ont pas non plus. On ne parle pas beaucoup entre nous. " L'histoire de Leïla est bien l'archétype de la vie salariée du ou de la sans-papiers. Agriculture, bâtiment : elle a touché à tout. · Pia, elle est manouvre pendant deux mois au début de sa grossesse. Un peu plus de 30 euros la journée. " Toi, dans le bâtiment ? " : autour de la table, les hommes se marrent. Pas longtemps. La jeune fille au teint clair leur donne une leçon de courage. " Avec la pelle, je mettais le béton dans la bétonnière toute la journée. " Avec un bébé dans le ventre. Sifflements admiratifs. " C'était une petite entreprise comme il y en a des centaines par ici. Nous étions deux sans-papiers. " Quand le bâtiment ne va pas, reste le ménage. Sans problèmes non plus, à l'entendre. " Je prends entre cinq et sept euros l'heure, ça dépend, chez des gens, français, que je connais. Ils savent que je n'ai pas de papiers. "
Mais Leïla ne rencontre pas que des " gens bien ". Lors de sa dernière embauche, chez un agriculteur, elle a commencé à avoir des contractions. Son " patron " n'a rien voulu savoir. Il n'a même pas voulu appeler le médecin ou les pompiers. Trop dangereux. Elle s'est occupée de tout, si on peut dire, mais a dû s'absenter pendant trois jours. Son " patron " n'a pas payé au motif qu'elle n'avait pas terminé " sa " récolte ! Dans sa poche, elle garde la facture de la clinique de Prades où d'ailleurs personne ne lui jamais rien demandé. 120 euros pour une journée d'hospitalisation. Elle n'a jamais gagné cette somme de sa vie ! Elle ne voit pas comment elle pourra payer. Surtout en ce moment. L'hiver, pour les sans-papiers dans le Sud, le travail tourne au ralenti. " Je n'ai pas d'argent devant moi, poursuit la jeune maman célibataire. Enfin, depuis octobre, c'est très dur. Il faut attendre les beaux jours. " Un sourire. Visiblement Leïla ne s'en fait pas. Tout comme son petit, qui dort maintenant.


Clandestins.
Les rapports sans suite


Par essence, difficile de mesurer statistiquement le travail illégal. L'Etat a pourtant réussi ce tour de force en 1996. Selon un rapport remis au gouvernement Balladur, ce type de travail représentait à cette époque 80 milliards de nos anciens francs, soit 1 % de la production nationale, tandis que les pertes fiscales s'élevaient à plus de 100 milliards de francs, soit la moitié de l'impôt sur le revenu d'alors. On imagine, au vu de la situation économique, que les choses ne se sont pas améliorées depuis. En janvier dernier, un rapport puis une loi sur les formes d'esclavage moderne ont permis de rappeler que les immigrés clandestins étaient les premiers touchés par les formes d'exploitation nouvelles du travail. Mais chacun constate sur le terrain que si l'Etat a clairement identifié les causes et les conséquences du travail illégal, il ne s'est pas donné les moyens nécessaires pour le combattre. Certes, il existe bien depuis mars 1997 une délégation interministérielle (DILTI). Celle-ci, basée à Paris avec des antennes à Toulouse et Marseille, a répertorié sept catégories de fraudes : dissimulation d'activité, d'emplois ou d'heures travaillées ; marchandage et prêt de main-d'ouvre ; introduction de main-d'ouvre étrangère sans titre de travail ; intervention illicite d'entreprises étrangères ; placement payant ; fraude aux revenus de remplacement ; création irrégulière d'emplois. Chargée de coordonner et d'animer la lutte contre le travail illégal avec l'ensemble des services concernés, la DILTI ne compte au total qu'une cinquantaine de fonctionnaires. Sans commentaire.


Clandestins.
Louisa, bonne à tout faire, pour 7,4 euros par jour


Elle dit : " Je vis dans le noir. " Veuve de sa vie, Louisa pleure toutes les larmes de son corps. Elle donnerait cher pour une petite lueur d'espoir, pour ce bout de papier, pour ce bout de plastique qui semble désormais valoir tout l'or du monde. Mais elle n'a pas un sou en poche. Elle ne possède rien. Même plus son destin. Là-bas, en Algérie, elle était " heureuse ", la petite vendeuse en pharmacie. Il y avait du soleil tous les jours. Puis, d'un coup de feu, l'intégrisme fanatique a tiré le rideau sur ces années d'insouciance. Son frère, policier à Blida, a été lâchement assassiné, au cour de ce qu'on appelle " le triangle du terrorisme ". Puis elle-même a été menacée. " Ils voulaient de l'argent. De l'argent qu'aurait amassé mon père qu'ils prenaient pour un harki, ce qui est faux. " Partir, fuir. Dans ce " deuxième pays " qui a justement si bien accueilli son père, électricien, il y a cinquante ans. Un visa touristique de trois mois. Une demande d'asile territoriale. Un récépissé d'un an, puis basta ! La France qui détourne soudain les yeux ne veut plus rien savoir. Son autre frère, 28 ans, tente alors de gagner l'Allemagne. Elle choisit Perpignan. Sans papiers, sans avenir. Juste ses trente-trois ans pour affronter le monde et des valeurs humaines solidement chevillées au corps. Le choc. " J'ai honte, raconte-t-elle doucement, de demander quelque chose à mes parents. C'est à moi de les aider. Quand je ne ramène pas d'argent, je n'ose pas manger à la table avec eux. Je dors dehors. " Alors, prenant son courage à deux mains, elle interpelle les gens dans la rue, à l'arrêt de bus. " Besoin de ménage ? Besoin d'aide ? " Parfois des vieux messieurs propres sur eux lui proposent autre chose. Elle pleure encore. " Jamais, jamais. Jamais, ils ne profiteront de moi. "
Un jour de juin 2000, elle se retrouve chez une dame de cinquante-cinq ans à Canet-Plage, une station balnéaire du littoral, la plus proche de Perpignan. Bonne à tout faire. Logée, nourrie, 1 500 de nos anciens francs par mois, soit 50 francs par jour, six jours sur sept. Début de la journée à 7 h 30. Louisa fait le petit-déjeuner. Les lits. Le jardin. Le repassage. La lessive. Les repas. Et se tait. " Ne dis pas aux gens que tu n'as pas de papiers ", lui répète souvent son " employeuse ". Fin de la journée vers minuit. " Elle ne me faisait pas de cadeaux, se souvient Louisa. Toujours derrière mon dos : Et t'as pas fait ça, t'as pas fait ceci. En plus, il fallait sourire, ne pas montrer ma fatigue, ma tristesse. Mon week-end de repos ? Je partais le vendredi après-midi. Je devais rentrer le samedi midi. " L'été, il y a la piscine à nettoyer, les amis de " la dame " en villégiature dont il faut s'occuper. " Un massage, Louisa. La crème à bronzer, Louisa. " Un esclavagisme moderne qui ne dit pas son nom. Puis la fille lui demande de garder ses enfants la journée, en plus de tout le reste. Elle ne verra pas la couleur de l'argent. Depuis septembre, " la dame " n'a pas payé. Il lui manque trois mois de " salaire ". Oh, pourtant, " la dame " trouve qu'elle travaille bien. " Elle ne veut pas me lâcher ", explique Louisa. Coups de téléphone incessants. " Elle sait que j'ai besoin d'argent. " Sanglots dans la voix. " Voilà ce que je suis devenue : une boniche. Et pour rien. J'ai tout perdu en venant ici. Ma jeunesse, ma vie, ma dignité. J'ai fait de longues études de biochimie et aujourd'hui je fais le ménage. Je ne suis pas venue en France pour ça. Je suis venue en France parce que j'avais peur. Et en fait, je dois me cacher. Comme là-bas. "


Clandestins.
Nasser, le cep de vigne et les parquets


Tous les sans-papiers connaissent la date précise de leur arrivée en France. Comme s'il s'agissait d'une naissance, ou plutôt, d'une renaissance. Pour beaucoup, cela reste un jour de fête, malgré tout. Pour Nasser, elle est encore plus inoubliable. Il a débarqué à Perpignan un beau soir d'été de juillet 1998, ce jour où tout un peuple, ivre de bonheur, scandait : " Zizou président ", deux mots fous, inscrits le temps d'une nuit folle dans la pierre de l'arc de Triomphe. Nasser n'était pas peu fier. " C'était génial, les gens s'aimaient. Il y avait de la fraternité, c'était beau ", se souvient, ému, le natif de Relizane, ancien sous-officier de l'armée algérienne. Elle était belle, la France black, blanc et beur, comme on disait à l'époque, avant qu'elle ne retombe dans ses travers. Mais lorsque les projecteurs se sont éteints, les autorités françaises ont joué les prolongations. Et Nasser, Zizou ou pas, a été vite déclaré hors-jeu. Comme tous les autres. Lui a même connu la honte des tribunaux. Il est ainsi assigné dix mois à résidence dans l'Allier puis part vers Nancy avant d'échouer non loin de Dunkerque. Il travaillera plusieurs mois comme aide-cusinier comme l'attestent les fiches de paie. " Un jour, une femme voulait même m'embaucher en contrat en durée indéterminée ! " raconte-t-il, hilare. L'homme n'est d'ailleurs pas dépourvu de papiers. De son portefeuille, lentement, il sort une belle carte vitale bien verte, un numéro de caisse d'allocations familiales, des feuilles d'impositions obtenus par la grâce d'un récépissé d'asile territorial.
Quatre ans plus tard, le revoilà à Perpignan toujours sans papiers, du moins pas LE plus important. Comme d'autres, il travaille de temps en temps. La vigne, avant tout. " Certains viticulteurs possèdent nos numéros de téléphone, précise Nasser. Ils appellent la veille au soir pour le lendemain matin, selon leurs besoins. Ils ne bossent qu'avec des Gitans et des Arabes, au noir. C'est payé 150 francs par jour pour neuf heures de boulot. C'est dur, sans temps morts. Un jour, dans un vent glacial, on a sorti 3 600 pieds à la barre à mine. " Un autre jour, il trouve un " bon plan artisan ". " Il fallait poser le parquet chez des gens. Trois cents francs la journée. J'ai malheureusement fait une chute. Le lendemain, je n'ai pas pu aller bosser. J'ai appelé le patron. Il m'a dit : "C'est pas la peine de revenir, j'ai trouvé un remplaçant." Y a beaucoup de gars comme nous sur le marché du travail au black. Les patrons le savent. Et ils se servent ".
Lui aussi, comme tous ceux que nous avons rencontrés, en a marre de travailler au noir, marre de se cacher, marre de vivre dans la misère. " Je suis venu ici pour vivre dignement, travailler, fonder une famille. Au lieu de ça, on survit au jour le jour, poursuit Nasser. Parfois, je dors souvent sur un banc dans le parc de l'avenue Foch, parfois chez des copains. " Lui ne retournera pas au bled. Jamais. Autour de lui, les autres acquiescent. " S'ils veulent me faire rentrer, d'accord, mais les pieds devant ! " Dire que ceux de Zizou n'ont pas de prix.
Portraits réalisés par L. F.


Clandestins.
Tayeb, plutôt sapeur-pompier que maçon au noir


Heureusement que l'homme est sage. La colère a beau monté, investir les mains, la gorge, les yeux, elle n'arrive jamais à enserrer complètement Tayeb. Sans doute parce que sa carrure, imposante, semble résister à la folie de ce monde. Sans doute, aussi et surtout, parce qu'il s'est fait une raison sur les hommes en général et sur la vie en particulier. La sienne ressemble à un labyrinthe. Sans porte de sortie, sans même issue de secours. Quarante et un ans bien sonnés dont vingt sans papiers avec des allers-retours incessants entre la France et l'Algérie. Entre 1987 et 1989, il a séjourné en Avignon. Déjà le travail au noir comme maçon dans le bâtiment. " Jamais de contrôles ", sourit-il. Retour au pays. Nouveau départ à Perpignan depuis deux ans. " J'ai mis peu de temps à retrouver du travail. Le bouche-à-oreille fonctionne bien, ou plutôt le téléphone arabe. " Rires. Car ce drôle de bonhomme a choisi d'en rire. Durant vingt-deux jours dans une petite entreprise du bâtiment des Pyrénées-Orientales, il sera donc manouvre. " Jamais de contrôles " là non plus. Vingt-deux jours à trimer comme une bête. " C'était dur ", lâche-t-il. Vu sa carcasse, on n'ose pas imaginer la souffrance. Le patron bien de chez nous ne lui paiera que trois petits jours de boulot. " Il n'a rien voulu savoir. J'ai laissé des messages sur son répondeur : il n'a jamais rappelé. Qu'est-ce que je pouvais faire. Appeler la police ? " Il s'esclaffe.
Dégoûté, il a juré de ne plus jamais travailler au noir. " Je sais que demain je peux avoir un nouveau boulot mais je veux bosser de manière réglo, c'est tout ! " répète-t-il. L'homme respire la droiture et la fierté. C'est ce qu'il veut inculquer à ses trois fils de quinze, quatorze et quatre ans qui vivent avec lui et avec sa femme qui, elle, possède des papiers. Il ne peut se résoudre à vivre en cachette, à regarder ses chaussures lorsque passe un uniforme. " Je ne veux pas vivre comme une bête traquée car je pense à mes gamins. Je ne veux pas être en marge. Avec cette situation, ils te poussent à être hors la loi. Moi, si mon fils me demande de nouvelles baskets, je n'irais pas lui voler. On attendra d'avoir l'argent. " Il avoue d'ailleurs survivre grâce à leurs bourses. Des enfants bien entendu scolarisés à Perpignan, qui portent bien entendu son nom. Parfois, il est même convoqué à l'école pour des réunions avec les professeurs. Comme les autres parents. Une vie normale, enfin presque. Lui ne rêve que de ça, une vie normale. Il se verrait bien sapeur-pompier en France, pour " aider les gens ", ce qu'il faisait à Annaba avant de choisir l'exil. " J'ai des diplômes, vous savez. Je suis compétent. " Tayeb exhibe sa carte. On le voit en uniforme de sapeur-pompier. Beau comme un camion. Un ange passe. Fin du rêve. Réveil douloureux dans un bureau de la préfecture. " Le gars nous reçoit. Cela ne dure pas plus de dix minutes. Il parle vite. Ma femme pleure. Il m'a dit :Vous n'avez qu'à retourner deux, trois ans en Algérie, histoire que ça se tasse et revenir ensuite. Je lui ai demandé : Et vous allez vous occuper de mes gosses ? OK, prenez-les chez vous et je repars. J'attends toujours sa réponse. " Aucune haine dans ses yeux. " Vous savez, je me considère français. Je n'en veux à personne. Et surtout pas aux Français. Ce sont les lois qui ne sont pas belles. Sinon c'est un beau pays. Je voudrais juste un peu plus de chaleur humaine. "


Perpignan, le 20 janvier 2003

Droit de réponse
concernant l'article sur les sans papiers paru dans l'Humanité hebdo du 18/01/2003

Rappel d'un point du compte rendu n° 12 de la réunion du collectif de sans papiers et du comité de soutien du 16 décembre 2002 :
" Pour éviter tout malentendu, il est préférable que les projections, débats ou autres initiatives impliquant les sans papiers soient co-organisées par le collectif et le comité plutôt que par une seule organisation dans son coin "
L'article paru dans " l'Humanité Hebdo " du samedi 18 janvier 2002, concernant " les sans papiers salariés (au noir) des Pyrénées-Orientales. " qui témoignent, nous pose un certain nombre de questions quant à la manipulation opérée en la circonstance.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de remettre en cause les témoignages dénonçant les pratiques délictueuses du recours au travail au noir par le patronat des P.O.
En revanche, nous rappelons dans un premier temps, que l'inscription des 443 sans papiers perpignanais s'est faite en présence de l'ensemble des membres du comité de soutien. C'est à cette occasion que le collectif des sans papiers a été créé.

Nous condamnons le fait que la liste des membres qui composent le comité de soutien n'ait pas été citée in extenso. Elle représente 21 organisations :
APMFA, ASTI, CG.Anarchistes, CGT, CIMADE, CNT 66, Emmaüs, ERC, Femmes Solidaires, FSU, L'Art ou cochon, LCR, LDH, Les Verts, LO, MDS, MRAP, PCF , RAS L'FRONT, Tremplin, UNEF.
Nous précisons que certaines d'entre elles n’offrent pas toute la présence et la disponibilité souhaitées...
Nous insistons sur le fait que certaines organisations citées dans le corps de l'article ne font pas partie du dit comité.
Voilà ce que le collectif des sans papiers ainsi que les membres du comité de soutien présents ce jour, lundi 20 janvier 2003, pour la 15ème réunion - CIMADE, UD-CGT, LCR, CGA, CNT 66, LES VERTS , ASTI, MRAP, et des individuels

(*)- tiennent à affirmer avec force et sans souci de polémiquer. Nous tenons à ce que ce communiqué paraisse au sein de " l'Humanité " dès que possible afin de rectifier le tir.

(*) : ce qui précise l'absence des autres organisations à cette réunion)



Actions prévues: <http://bok.net/pajol/ouv/liens/manifs.html>

Adresses des collectifs:   <http://bok.net/pajol/ouv/liens/collec.html>

Coordination Nationale des Sans-Papiers
Tél: 06.75.44.60.02 - Fax: 01.53.36.86.38

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Soutien financier: compte bancaire: CMDP N°801 87 841
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