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Origine http://fr.wikipedia.org/wiki/Victime_%C3%A9missaire
Cet article décrit la victime émissaire et explique
en quoi la distinguer du bouc émissaire.
La victime émissaire de l'esprit de revanche : le 31 juillet
1914, la presse écrite titre : « ils ont assassiné
Jaurès ». L'union sacrée se forge sur cette
victime expiatoire, et le conflit mondial est lancé.
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La victime émissaire de l'esprit de revanche : le 31 juillet
1914, la presse écrite titre : « ils ont assassiné
Jaurès ». L'union sacrée se forge sur cette
victime expiatoire, et le conflit mondial est lancé.
Introduction
Au plus simple, la victime émissaire est immolée
pour ramener la paix sociale après une crise de violences
généralisées issue du désir mimétique
où les uns et les autres s’imitent et se haïssent.
Cette partie expose, dans les grandes lignes, la théorie
de René Girard concernant les persécutions collectives
et le dispositif du bouc émissaire. En d'autres termes, notre
auteur explique comment se créent des situations où
surgit une violence écrasante qui mobilise les foules. Quand
ce genre de violence survient, il y a des victimes, qui ne sont
pas choisies par hasard. En effet, le dispositif du bouc émissaire
explique comment sont choisies les victimes persécutées
par les foules en colère. Ce que Girard donne ici, c'est
un moyen de comprendre les origines de la violence et les attitudes
de l'homme pour en sortir. Étrangement, ce sont parfois les
mêmes raisons qui valent dans les deux cas. Ainsi, le thème
qui intéresse René Girard dans "le bouc émissaire"
est la compréhension des persécutions collectives
à l'égard de groupes minoritaires dans une société.
Que signifie " persécution collective "?
"[…] Par persécutions collectives, j'entends
les violences commises directement par des foules meurtrières,
comme le massacre des juifs pendant la peste noire "
Les persécutions
Il faut bien comprendre, pour commencer, que l'idée de collectivité
implique nécessairement celle de groupes minoritaires: dans
toute société, on trouve des exclus, des gens un peu
à part, et on a le sentiment qu'il est impossible qu'une
société sans exclusion existe. C'est peut-être
intuitivement une drôle d'idée : pourquoi, en effet,
ne pourrions-nous pas imaginer une société dans laquelle
chacun soit effectivement l'égal de l'autre, et dans laquelle
tout le monde vit en harmonie et dans le respect? C'est ce que ce
livre de Girard, " Le bouc émissaire ", explique
en grande partie. Parce qu'une chose étrange, c'est que les
exclus sont souvent la cibles de grandes violences, physiques ou
verbales, alors que dans les fait ils sont rarement la source de
nuisances qui gênent la société dans son ensemble.
Les victimes de ces persécutions, dont notre auteur va tenter
une analyse complète, sont ce qu'il appelle les bouc émissaires.
Girard va se livrer à une analyse des persécutions
: comment se déclenchent-elles, pourquoi, comment fonctionnent-elles
dans le choix d'une victime? Quels sont les dispositifs qui motivent
et sous-tendent ce genre d'événement? On verra très
vite le dispositif du sacrifice, déjà révélé
dans " Des choses cachées depuis la fondation du monde
", traverser toute l'analyse. Les persécutions sont
un élément très intéressant pour la
réflexion contemporaine sociale et philosophique. Et même,
en réalité, au niveau individuel. Les mécanismes
expliqués ici se retrouvent à petite échelle
dans bon nombre de situations de la vie quotidienne.
Voici déjà un terme important: dispositif. Qu'est-ce
qu'un dispositif, ici? C'est un enchaînement dans les comportements
humains auquel les individus semblent ne pas pouvoir résister,
et qu'ils effectuent sans même s'en rendre compte. On peut
comparer un dispositif social à undispositif biologique:
par exemple, respirer. La plupart du temps, nous respirons automatiquement,
sans y prêter attention. Nous effectuons le dispositif de
la respiration. On peut aussi comparer un dispositif social à
celui d'une machine: une série de causes et d'effets produisent
un résultat, comme appuyer sur l'accélérateur
et tourner le volant permettent à la voiture de bouger. Dans
l'idée de dispositif, il y a ces deux aspects : d'une part
les personnes qui sont prises par le dispositif ne s'en rendent
pas compte, et d'autre part elles agissent selon une série
de causes et d'effets qui vont produire à un résultat
bien déterminé. Un dispositif mène toujours
au même résultat si on l'applique deux fois de la même
façon. Ainsi, le dispositif du bouc émissaire, ou
le dispositif de la persécutions vont-ils toujours mener
aux même situations.
Il est également très intéressant d'observer
autour de soi comment, dans notre société contemporaine
qui prétend avoir dépassé le stade de la persécution,
se créent et sont sacrifiés chaque jour une série
importante de bouc émissaires. D'autre part, de nombreuses
régions du monde sont encore enfermées dans la perpétuation
de ces dispositifs de violence, et on pourra trouver ici des éléments
importants et facilement manipulables pour arriver à mieux
lire une actualité mondiale qui nous dépasse souvent
par son absurdité, et qui donne l'impression de n'avoir ni
début ni fin. C'est d'ailleurs précisément
l'objet de cette partie que de recenser à la lumière
des théories de René Girard les occurrences régulières
de la " bouc-émissarisation " dans notre société.
Quelles sont les persécutions ?
Les causes.
Quelles sont les causes des persécutions, à travers
l'histoire et dans toutes les régions du monde? Le premier
élément est l'émergence d'une situation d'aplatissement
des ordres culturels, ce que l'on appelle " l'indifférenciation
", dans laquelle les institutions perdent leur pouvoir, leur
légitimité, et cessent (ou presque) de fonctionner.
Il est nécessaire de bien expliquer ce que tout ceci signifie.
Commençons par ce qu'on appelle " l'émergence
d'une situation ". Quand on dit qu'une situation " émerge
", cela signifie qu'une transformation de la vie en société
se fait subrepticement à l'intérieur de celle-ci,
sans prévenir. Quelque chose change tout doucement, et un
beau jour la situation a changé, mais personne ne réalise
vraiment pourquoi, parce qu'aucune cause extérieure visible
n'est venue perturber les choses. Tout d'un coup, les gens ne s'entendent
plus, alors qu'ils s'entendaient avant. Mais personne n'arrive à
saisir pourquoi. On dit qu'une situation a " émergé
". C'est littéralement une "crise", la croisée
des chemins, une bifurcation, l'incapacité de la reproduction
à l'identique. En sociologie de Durkheim, c'est l'anomie
où on ne sait plus à quelles règles s'appuyer,
en contraste à l' "autonomie" de ses propres règles
et l'"hétéronomie" des règles des
autres. Voir ""autonomie et hétéronomie",
"crise et conflit" et "crise et catastrophe".
Ensuite, que signifie " l'aplatissement des ordres culturels
"? Que sont les ordres culturels? C'est tout ce qui, dans une
société, donne une place à chacun. Nous sommes
tous égaux en droit, mais dans les faits, chacun occupe une
place différente dans la vie de tous les jours. Il suffit
de penser au nombre de métiers différents qui existent.
Nous avons tous une place sociale. Celle-ci est rendue possible
par les institutions. Ce sont les ordres culturels: ils définissent
ce que chacun peut faire quand il est à telle ou telle place
dans la société: un plombier et un avocat n'ont pas
les mêmes actions dans la société, tout comme
un artiste et un sportif non plus. La société crée
des " ordres ", des " hiérarchies ",
mais qui se veulent respectueuses. Nous dirons " horizontales
". L'avocat n'a pas plus de valeur humaine en face du plombier,
mais ils ne peuvent prétendre aux même occupations.
Chacun son rôle, en somme. L'aplatissement des ordres culturels,
c'est quand on ne fait plus la différence entre les personnes,
et quand les institutions non plus de caratéristiques distinctives.
Plus rien ne se retrouve à sa place, les relations entre
les gens sont perturbées. Tout devient un mélange
confus. C'est la confusion, dans ses deux significations de "prendre
l'un pour l'autre" et de "fondre l'un dans l'autre".
Cette confusion est dans l'imitation des uns aux autres qui conduit
à l'indifféreciation des semblables.
* C'est ce que signifie le terme d'indifférenciation. "
Quand tout cesse d'être différent ". Autrement
dit, quand tout devient le même. Un état d'indifférenciation,
c'est une situation où on arrive plus à faire la part
des choses, où les distinctions habituelles deviennent floues.
Il est important de comprendre ici que "indifférencier",
cela revient à " rendre pareil ". On peut, pour
prendre un exemple, penser aux situations où des gens se
sentent non-respectés pour cause d'indifférenciation.
Un adolescent dit bonjour à son père comme si c'était
un vulgaire copain, et le père s'énerve, il lui dit
" tu ne me parles pas comme à n'importe qui ".
Ce qui s'est passé, c'est que le père ne se sent pas
respecté parce que la façon que son fils a eu de lui
parler revenait à l'indifférencier, c'est-à-dire
à ne pas prendre en compte sa différence par rapport
aux autres personnes que fréquente son fils. Son fils l'a
traité comme si il était le même que ses copains.
Il n'a pas marqué de différence. Manque de différence
et " mêmeté " sont ici totalement liés
l'un à l'autre. Il faut garder à l'esprit que parler
d'indifférence c'est aussi parler de même, et réciproquement.
* Venons-en à la légitimité des institutions.
Tout d'abord, qu'est-ce qu'une institution? C'est un organisme officielle
qui remplit une fonction au sein de la société. Il
s'agit d'un groupe souvent large de personnes qui assurent le fonctionnement
d'un aspect ou l'autre de la vie en société. Les institutions
sont censées régler les problèmes de la vie
en communauté, parce que toute société recèle
des conflits. Les gens se disputent, font des accidents de voiture,
s'assassinent, etc. Les institutions regroupent des gens qui sont
compétents pour s'occuper de tel ou tel aspect, et ce sont
les actions des institutions qui ont une valeur reconnue par toute
la communauté. Cette valeur, c'est ce qu'on appelle la légitimité
d'une institution. Cela signifie que les décisions qu'elle
prend et que ses actions sont acceptées par la communauté
comme étant valables et qu'il faut les respecter. La légitimité
c'est aussi en quelque sorte l'autorité d'une institution.
La police est une institution, les administrations aussi. Quand
une institution perd sa légitimité, cela signifie
que plus personne ne l'écoute. On fait comme si elle n'avait
plus aucune autorité. La première cause de l'apparition
des persécutions collectives, c'est donc cet aplatissement
des ordres culturels, cet état des choses où les institutions
perdent leur légitimité. La société
se retrouve comme dans un état apocalyptique : tous les repères
sont perdus, personne ne sait qui a raison, qui il faut écouter,
qui est coupable des problèmes qui continuent de se poser
chaque jour.
* La disparition de la différence des ordres culturels signifie
notamment que tous les membres de la société souffrent
d'une calamité de la même façon. Riches ou pauvres,
les hommes subissent une situation qui affecte la collectivité
dans son "entièreté".On a dit que les institutions
jouent un rôle qui est de s'occuper des aspects problématiques
dans le fonctionnement d'une société. Il faut approfondir
un peu cette définition pour comprendre la suite. Ce que
font les institutions, plus généralement, à
un niveau plus " philosophique ", c'est jouer le rôle
de médiateur entre les individus. Quand un conflit éclate
entre plusieurs personnes, l'institution est là avec ses
règles pour départager les individus, elle est l'autorité.
Elle va trancher de la façon la plus juste possible. Si les
institutions n'existaient pas, deux personnes en désaccord
et sans autorité extérieure pour trancher n'auraient
d'autre choix que de se battre pour déterminer le gagnant.
Par exemple lors d'un accident de voiture, si il n'y avait pas de
code de la route, ni de police, ni de tribunaux, les conducteurs
auraient vite fait de se casser la figure pour déterminer
qui a tort ou raison (et même avec tout ça, ils le
font parfois). Cela signifie que l'institution a un rôle de
médiation : plutôt que de laisser les gens livrés
à eux-mêmes, en prise avec le moment présent,
ils peuvent compter sur elle pour régler les problèmes
en son temps. Cette notion est très importante. L'institution
a un effet crucial sur les conflits : elle permet de les gérer
dans le temps. Lors de l'accident, les conducteurs font un constat,
en avertissent la police, puis la justice fait son travail et une
décision est rendue sur qui est responsable. Les conducteurs
ne doivent pas en décider sur place, dans la minute, au moment
présent. Le conflit est temporellement différé,
remis à plus tard.
D'une manière plus générale encore, tout ce
qui permet de différer les conflits joue le même rôle
qu'une institution (du moins partiellement). Ainsi, une tradition
avec ses règles informelles, ses habitudes, permet aussi
de gérer les conflits dans le temps. Ce n'est qu'un exemple,
mais cela explique que pour Girard, les institutions et en général
les rapports de différence (par exemple les rapports entre
personnes qui sont transmis par une tradition) servent à
différer (temporellement) les échanges. Les échanges,
ce sont les interactions entre les gens. Nous expliquons toujours,
ici, la première cause de l'apparition des persécutions,
c'est-à-dire l'indifférenciation. L'aplatissement
des ordres culturels. Mais un élément manque à
l'explication pour l'instant : qu'est-ce qu'une culture? En effet,
pour comprendre ce qu'il se passe dans un état d'indifférenciation,
il faut aussi comprendre ce que c'est qu'une culture. Or pour notre
auteur, ce sont les systèmes d'échange qui sont (et
font) les cultures. La culture est ainsi définie par Girard
comme étant un système d'échange.
* Cette définition signifie beaucoup de choses en même
temps :La culture est ce qui permet l'échange entre personnes
dans une communauté, elle est, si on veut, l'ensemble des
règles officielles ou non qui vont permettre à des
gens de procéder à des rapports dans lesquels ils
vont s'échanger des choses, des idées, des promesses,...
* Un système d'échange signifie que ces échanges
sont réglés, par des institutions ou autre dispositif
jouant le même rôle ; ce qui signifie aussi que les
échanges prennent place dans le temps, ils sont différés,
étalés, médiatisés... (c'est à
dire pas immédiats).
* Si la culture est un système d'échange, cela signifie
qu'elle est basée sur la différence. En effet : si
tout le monde possédait la même chose dans tous les
domaines, il n'y aurait aucune nécessité d'échanger
quoi que ce soit avec qui que ce soit. Toute culture, de part le
fait qu'elle permet les échanges, suppose aussi que les membres
de la communautés sont tous différents. Si ils ne
l'étaient pas, la culture ne pourrait pas exister! Or, comment
pourrait-on appeller une situation dans laquelle tout le monde se
ressemble, tout le monde est le même? Un état d'indifférenciation.
* L'indifférenciation signifie la fin de la culture. En
crise, les échanges d'une société se "
raccourcissent ", et deviennent négatifs (c'est-à-dire
violents) et immédiats. Ils ne sont plus médiatisés.
Il se font dans le très court terme, " en direct ",
et ne passent plus par des conventions ou des dispositifs qui les
régulent dans le temps. En état d'indifférenciation,
comme tout le monde est " le même ", les échanges
n'ont plus de sens, ils ne peuvent plus prendre place dans le temps,
ils ne peuvent plus être pris en charge (médiatisés)
par les institutions. Tout se passe dans le très court terme,
sans possibilité de faire autrement. Il n'y a plus de système
d'échange. C'est la crise. Un premier paradoxe apparaît
dans la réflexion ici: bien qu'elle oppose les hommes les
uns aux autres (dans un climat de violence généralisé)
la situation d'indifférenciation uniformise pourtant les
conduites (les comportements des gens), et c'est ce qui entraîne
une prédominance du même. Nous touchons ici à
quelque chose de central car ici s'instaure le mouvement spécifiquement
philosophique de l'analyse. Un dénominateur commun va unir
les hommes : leur désunion totale. Le fait que tout le monde
s'oppose donne un point commun à tout le monde. Le même
émerge. Ce qu'il faut comprendre par là, c'est que
toute situation qui peut se comprendre comme étant une situation
dans laquelle il y a une prédominance du concept de "
même " est dangereuse. Le " même " c'est
un concept, donc c'est flou, c'est abstrait. C'est aussi, nécessairement,
toute la force d'un concept, l'abstraction. C'est pouvoir englober
des situations particulières sous une idée unique.
Ici, l'idée, c'est que le même se manifeste et prédomine
dans la réalité. Mêmeté et indifférenciation
sont les deux faces d'une même pièce. Quand tout converge
vers la " mimesis ", l'imitation, le même, la disparition
des différences... le processus de la persécution
peut commencer. L'indifférenciation est vécue comme
telle mais conserve une dimension " mythique ", dans le
sens où les hommes peuvent vivre cela alors que les circonstances
réelles n'ont pas vraiment d'influence en ce sens. En d'autres
termes : les circonstances réelles, les éléments
" extérieurs " du monde réel ne poussent
pas par eux-même à cette situation d'indifférenciation
qui émerge quand même. Les hommes la vivent, mais ce
sont eux-mêmes qui la font émerger et restent convaincus
du contraire, étant persuadés de vivre une calamité
qui s'abat sur eux. A cause de quelqu'un.
René Girard appuie, se permet d'affirmer cela par le fait
que les descriptions de situations d'uniformité (c'est-à-dire
d'indifférenciation) se retrouvent toujours semblablement
décrites dans les textes, anciens ou récents. L'histoire
nous enseigne que la prédominance de même s'accompagne
toujours des mêmes circonstances sociales. Elle engendre toujours
les mêmes mécanismes. C'est une thèse assez
forte, qu'il faudrait nuancer bien entendu. Comme nous nous limitons
ici à donner une introduction à la pensée de
Girard, nous n'irons pas plus loin pour l'instant dans cette explication.Mais
cette indifférenciation est paradoxale aussi pour une autre
raison : elle est solipsiste (seule en soi), elle est causée
par un repli de l'individu sur lui-même. C'est un paradoxe
car cette situation d'indifférenciation transformer une pluralité
de personnes en " foule ", alors que c'est par un réflexe
individuel qu'elle émerge. Ce sont les individus qui se révoltent,
et par là cessent d'être des individus pour se fondre
dans une masse en colère. Notons ici que ce phénomène
peut se dérouler à divers niveaux d'échelle:
qu'il s'agisse d'une société entière ou d'un
simple groupe de personnes, le processus reste pratiquement la même.
Cela correspond en fait très précisément au
fait que l'indifférenciation est la fin du culturel. En effet
: la fin du système d'échange (c'est-à-dire
la culture) renvoie les hommes à eux-mêmes puisqu'ils
n'ont plus de milieu pour avoir des contacts entre eux. Le medium,
les contextes d'échange, disparaissent et séparent
les individus les uns des autres. C'est donc la fin du culturel,
la fin du collectif organisé. L'homme singulier se retrouve
désemparé.
* Face à cet effacement du culturel, les hommes se sentent
impuissants. Suivant la croyance selon laquelle connaître
un phénomène permet de le maîtriser, il cherchent
une explication à la dégradation des relations humaines
de la société dans son ensemble. Puisqu'il s'agit
de relations humaines qui se dégradent, on y cherche des
causes humaines et/ou morales. Une cause humaine serait quelqu'un
(une personne, un groupe...) agissant contre la société
de façon physique (par des agressions, des dégâts
matériels, etc.) ; une cause morale se définissant
davantage comme un comportement qui enfreint les règles morales
en vigueur dans la communauté, et dont on dira que c'est
de cette infraction que sont nés les problèmes. Et,
de préférence, quelqu'un d'autre fera toujours mieux
l'affaire que soi même. La foule cherche un groupe d'individus
que l'on pourra identifier comme l'explication de la nuisance. Car
il n'y a pas de fumée sans feu, comme on dit : tout effet
a une cause qui l'explique. Il faut trouver laquelle. C'est le début
du mouvement de la persécution, qui s'accompagne des accusations
envers les persécutés. En effet, la foule qui cherche
son bouc émissaire, sa victime, va l'accuser. De quoi ?
* De crimes ou de violences à l'encontre de personnes, qu'il
est horriblement criminel de violenter: père, enfant, autorité
suprême...
* De crimes sexuels, et/ou qui transgressent les plus grands tabous.
* De crimes religieux : profanation, violations de tabous également...
Nous touchons ici à la deuxième cause des persécutions.
La première était l'état d'indifférenciation,
la seconde est celle de l'accusation.
Pourquoi les persécuteurs accusent-ils de cela? Parce que
ce sont là des crimes fondamentaux et on les invoque pour
persécuter car ils tendent par leur nature à troubler
l'ordre culturel même. C'est pourquoi en accuser quelqu'un
permet de lui donner une valeur explicative concernant la crise
vécue par la société. Ils détruisent,
par ces crimes, le lien social. Il est par exemple clair que l'acte
de pédophilie, de parricide ou d'inceste semble tellement
immoral qu'aucune société ne peut accepter en son
sein des individus qui les pratiquent.Mais les persécuteurs
doivent pouvoir faire le lien entre un petit groupe d'individus
et leur capacité à nuire à la collectivité
toute entière : comment un petit groupe peut-il être
la source d'une nuisance qui touche à tous?
Ce lien est effectué par ce que l'on appelle les accusations
stéréotypées. C'est cet acte même d'accusation
qui est important pour faire le lien, car il mélange une
représentation que les persécuteurs se font des persécutés,
et leur action persécutrice. Ils mélangent l'idée
qu'ils se font de leurs victimes et leur action de persécution.
C'est simplement sur base de l'image que les persécuteurs
se font des persécutés que va se justifier leur acte
de persécution. La terreur de la perte du culturel cause
l'indifférenciation et provoque ce mécanisme accusatoire,
qui a lui aussi une fonction. Celle de faire un retour à
la normale par le sacrifice du bouc émissaire.Le bouc émissaire,
la victime, avait, on l'a dit, pour fonction d'être l'explication
de la nuisance. C'est donc tout logiquement que l'accusation a elle
aussi la fonction de répondre aux besoins de la collectivité,
un besoin de normalité. Puisque le bouc émissaire
est la source du problème, l'éliminer revient à
éliminer le problème.
Faisons un bref rappel de Quels sont les stéréotypes
(ou causes) de la persécution :
Stéréotype 1: l'indifférenciation.
Stéréotype 2: l'accusation stéréotypée.
Stéréotype 3: les traits universels de sélection
victimaire (culturels, religieux, physiques).
On a déjà parlé des deux premiers stéréotypes
qui permettent de détecter que nous sommes face à
une persécution. Le troisième est important, car il
explique comment la foule choisit son bouc émissaire. Elle
va lui trouver des traits particuliers qui vont la désigner
comme étant la victime. C'est ce que l'on appelle les traits
(de sélection) victimaires. Ces signes victimaires peuvent
être réels ou non. On trouve par exemple parmi ceux-ci
le handicap physique, ou mental. Les handicapés, nous rappelle
Girard en guise d'illustration, sont toujours l'objet de discriminations
sans commune mesure par rapport aux nuisances réelles qu'ils
occasionnent à la fluidité des échanges sociaux.
La troisième cause, le troisième déclencheur,
de la persécution: les traits victimaires
Les traits victimaires vont en fait servir à désigner
quelqu'un comme étant anormal. L'anormalité polarise
la violence autour d'elle, à quelque extrême que ce
soit. Cela signifie que ce sont les personnes qui dénotent
qui seront sélectionnées comme victimes, qu'elles
soient pauvres, ou riches, laides, ou très belles. Ils sont
différents au sein même de cette situation d'indifférenciation.
Parfois cette différence est réelle, comme dans le
cas du handicap physique. Parfois la foule va juste inventer un
trait distinctif pour justifier son action persécutrice (par
exemple, dire que tel groupe de personne ne contient que des voleurs,
etc.).
C'est pour cela que les minorités ethniques ou religieuses,
ou tout simplement les personnes mal intégrées ou
distinctes polarisent contre elles les majorités.
Ce que Girard dit, donc, c'est qu'au sein de cette situation d'indifférenciation,
certains individus vont quand même être (ou être
désignés comme étant) différents de
tous les autres. Mais comment définir la différence
dont il est question dans l'indifférenciation puisqu'il existe
des différences culturelles et différents signes victimaires.
Est-ce que c'est simplement une différence culturelle qui
va faire en sorte qu'un groupe minoritaire va être accusé?
Ou est-ce plus compliqué? Il y a deux types de différence,
ici. D'une part une différence liée à la culture,
l'autre liée aux signes victimaires. Quelle est la signification
de la différences par les signes victimaires? Ils signifient
que la différence survient " hors système ",
dans le sens où, au sein d' pour un même système
(une culture, un groupe, une société...) il y a toujours
des différences entre les individus au sein de ce système.
Mais quand le système diffère de sa propre différence,
c'est-à-dire quand il est plongé dans l'indifférenciation,
il cesse d'être un système. La différence au
sein du système est une situation normale. C'est bien pour
ça que notre auteur peut définir la culture comme
un système d'échange : si on s'échange des
choses, c'est bien parce que nous sommes tous différents
; si nous étions tous semblables, avoir des échanges
n'aurait aucun intérêt. Quand tout s'aplatit, que tout
est indifférencié, la différence du système
diffère d'elle-même. Les individus ne sont plus différents
entre eux, ils deviennent une foule.
La différence que l'on appelle " hors système
" c'est une différence, la seule, qui subsiste dans
l'indifférenciation générale qui accable le
système de départ. Celle-ci révèle la
vérité du système lui-même, dans le sens
où elle montre sa fragilité. C'est pour cela qu'elle
est monstrueuse. Quand on accuse quelqu'un d'être différent,
on ne l'accuse pas vraiment d'être différent en tant
que tel, mais de ne pas l'être " comme il faut ".
À la limite, on peut même l'accuser de ne pas différer
du tout. Ainsi, c'est quand la différence dans un système
est menacée que l'on a recours à la persécution,
car ce qui fait peur, c'est l'indifférenciation (la fin du
culturel, la fin des échanges). Le même, la "mêmeté
". Les humains détestent cela. Par conséquent,
la création du culturel, c'est-à-dire du système
d'échange, passe par la possibilité au sein d'un système
d'être dans une situation de différence. En effet,
comment un système d'échange pourrait-il fonctionner
si tout le monde était le même. Il n'y aurait plus
rien à échanger. L'échange suppose lui-même
la possibilité de la différence. La culture suppose
la différence, et quand la "mêmeté"
surgit, la culture est menacée, le système en tant
que système est mis en péril.
Ce qui fait le sens de la persécution, donc, c'est de donner
une valeur explicative aux victimes de celle-ci pour le fléau
que subit la communauté. La pression effectuée sur
les victimes par la foule est telle que celles-ci ne peuvent généralement
pas se justifier. Désignées comme victime, la réalité
de leurs crimes n'a plus aucune importance, car aux yeux de la collectivité,
elles sont l'explication du fléau, et leur suppression supprimera
celui-ci. C'est ce que l'on appelle le mécanisme sacrificiel.
C'est par ce mécanisme que s'effectue le retour à
la normale. Le mécanisme du bouc émissaire, qui revient
donc dans une situation de crise à désigner un coupable,
qui sera accusé d'être la source d'un gros problème,
et qui sera désigné en fonction de signes victimaires
qu'il présente (tout ce qui le rendra anormal aux yeux des
autres), a pour fonction de permettre à la société
de sortir de la crise. Plus fort encore: la communauté va
réussir à se ressouder autour de l'accusation qu'elle
adresse au bouc émissaire, qui finit par jouer un rôle
d'unification de celle-ci, un rôle de créateur d'une
communauté par le fait qu'il oppose tout le monde contre
lui. Le bouc émissaire transformé en Dieu par son
sacrifice pour ramener la paix, comment s'en passer?
Conclusion
Un exemple illustratif “léger” de la vicime
émissaire est dans “L’hécatombe”
de Georges Brassens.
* “[…] Dès qu’il s’agit d’rosser
les cognes .Tout le monde se réconcilie."
Voir aussi
Références bibliographiques
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" (1961) ISBN 2012789773
* "Dostoïevski : du double à l'unité "
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* "Le Bouc émissaire " (1982) ISBN 2253037389
* "La Route antique des hommes pervers " (1985) ISBN 2253045918
* "Shakespeare : les feux de l'envie " (1990)
* "Quand ces choses commenceront " (1994)
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* "Celui par qui le scandale arrive " (2001) ISBN 2220050114
* "La voix méconnue du réel " (2002) ISBN
2253130699
* "Les origines de la culture " (2004) ISBN 2220053555
Article connexe
* Bouc émissaire http://fr.wikipedia.org/wiki/Bouc_%C3%A9missaire
Liens externes
(fr) http://www.mrax.be/article.php3?id_article=48
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