Dans la philosophie, l'espace à la fois sanctionne le tragique
de l'humanité qui est d'être séparée et représente
une chance offerte à l'humanité, puisque la séparation
est ce qui nous permet d'avoir des individualités, des identités,
et de ne pas vivre dans un état de fusion et de coagulation collective,
à l'intérieur de laquelle aucune personnalité ne
pourrait se détacher. D'une certaine manière, dans le
cadre de ce séminaire, vous vous trouvez confrontés à
la nécessité de faire un peu d'unité à partir
de la séparation, de donner une issue heureuse aux catastrophes
et tragédies.
à propos de Gilles Deleuze, je voudrais rappeler cette phrase
de Michel Foucault écrivant que le XXIe siècle ne sera
peut-être pas religieux mais deleuzien. Qu'a donc trouvé
Foucault de prophétique chez Deleuze ? Il y a chez Deleuze une
conception de la mobilité que je vais chercher à approfondir
ici. Pour comprendre le concept de mobilité, il est nécessaire
de comprendre la situation philosophique dans laquelle nous sommes dès
que nous abordons cette notion.
En premier lieu, nous nous trouvons confrontés à une
position conservatrice qui fait de la mobilité une chute, une
dégradation. J'en donnerai trois exemples. Chez Platon, mais
aussi dans la mentalité dite "sacrée", la mobilité
est l'équivalent de la mort. Tout ce qui est mobile est appréhendé
comme ce qui nous use, nous dégrade, nous désordonne.
La mobilité est synonyme de désordre.
Au niveau psychologique, nous pouvons tous en faire l'expérience
: une extrême mobilité accompagne les états d'agitation
pathologique et d'hystérie.
Au niveau politique également, trop d'agitation dans la Cité
est le signe du désordre, d'une déflagration interne de
celle-ci.
à l'inverse, nous trouvons une autre position vis-à-vis
de la mobilité que je qualifierai de "progressiste",
qui consiste à valoriser la mobilité et à diaboliser
la fixité, laquelle devient signe de stagnation aux niveaux matériel
et psychologique. La fixité, c'est la pulsion de mort, la répétition
; c'est la stagnation, le refus du progrès au plan politique.
Nous nous trouvons face à une opposition qu'il faut manier avec
précaution car elle nous fait courir le risque de considérer
le mouvement comme un anti-repos et le repos comme un anti-mouvement.
Elle nous fait courir le risque d'une oscillation entre ces deux pôles,
qui nous place dans une situation cancérigène. La tentation
est grande de croire pouvoir échapper à la stagnation
par l'agitation, et à l'agitation par la stagnation. Le résultat
est qu'à force d'engendrer de la stagnation pour échapper
à l'agitation, nous engendrons des stagnations qui nous agitent
beaucoup, et à force d'engendrer des agitations pour riposter
à la stagnation, nous engendrons des agitations qui nous font
stagner. En clair, nous vivons dans un état de confusion et nous
confondons "mouvement/repos" avec "agitation/stagnation".
L'originalité de Gilles Deleuze est d'essayer de nous faire sortir
de ce couple infernal, en nous posant trois questions.
La première question est la suivante : peut-on vraiment opposer
le mouvement au repos et qualifier le mouvement de pure et simple agitation
? La thermodynamique ne nous a-t-elle pas appris que c'est le mouvement
précisément qui ordonne un système et le repos,
au contraire, qui le désordonne ?
La psychanalyse ne nous a-t-elle pas appris que c'est le mouvement
du désir qui engendre le désir et, au contraire, que la
fixité a des effets de mort ? La vie économique n'illustre-t-elle
pas le fait que c'est l'échange qui ordonne et la clôture
qui induit des effets de destruction politique ?
La deuxième question de Deleuze revient à interroger
la pertinence de l'assimilation du repos à la fixité.
Le repos peut se révéler très créatif. Dans
les lenteurs, les ralentissements, il se passe des tas de phénomènes.
Il faut du repos pour que les systèmes ne s'emballent pas. Pour
l'homme, le repos est le moment du regard et, dans le regard, de la
mise en coexistence avec les choses. Il s'opère une sorte de
simultanéité entre le spectateur et la chose regardée.
Des choses se passent ; des idées fusent et, avec elles, il se
produit une accélération du rapport. Il est formidable
de constater combien un repos peut devenir un extraordinaire facteur
d'accélération et de vitesse.
En termes de désir et de rapports humains, le repos est nécessaire
pour qu'il y ait rencontre, échange et, à partir de là,
un foisonnement de possibles.
La troisième question de Deleuze consiste à demander
s'il ne faut pas sortir de l'opposition "mouvement/repos"
et avoir une approche beaucoup plus fine de la mobilité.
Si la mobilité était autre chose que l'opposition "mouvement/repos",
si elle était "une différence" ! Différence
ne veut pas dire ici ne pas être pareil. Différence signifie
"une non-indifférence". Non-indifférence signifie
"événement". Événement veut dire
"une production". Ainsi la mobilité devient-elle une
production. On l'aura compris, la mobilité n'est ni un concept
temporel ni un concept spatial, c'est un concept "productif".
Il y a mobilité à chaque fois qu'il y a production, c'est-à-dire
qu'il y a engendrement de rapports inédits à l'existence.
Ainsi, avec la question de la mobilité, nous touchons à
la question de la création à tous les niveaux : au niveau
matériel, au niveau psychique et au niveau social et politique.
C'est pourquoi il est nécessaire dès lors de redéfinir
les notions de mouvement et de repos, et de reprendre les choses à
la base.
Le repos, tout d'abord, est quelque chose de nécessaire ; le
fixe, quelque chose d'absolument indispensable. Il convient de rappeler
que le premier mouvement de la philosophie a été de lutter
contre le mouvement et de s'opposer à la fascination pour le
mouvement, pour des raisons qui ne sont pas seulement éthiques
ou psychologiques, mais pour des raisons logiques. Souvenons-nous de
l'opposition entre Platon et Héraclite. Héraclite disait
: "nous ne nous baignons jamais dans le même fleuve",
ce qui était une autre manière d'affirmer à la
fois l'éternelle mobilité et le fait que le temps emporte
tout. Mais Platon rappellera, avec justesse, que l'instable à
l'état pur est pure fiction. Pourquoi ? Parce que pour percevoir
l'instable, encore faut-il que l'instable soit identique à lui-même
et que l'impermanence soit permanente vis-à-vis d'elle-même.
Il ne peut y avoir de différence, de mobilité, que sur
fond d'identité et de fixité.
On retrouve une polémique voisine entre Hume et Descartes, au
plan philosophique. Selon Hume, le sujet humain est éternellement
changeant, ce qui signifie que nous ne sommes jamais les mêmes.
Nous ne sommes pas l'enfant que nous fûmes, ni le vieillard que
nous serons. Notre identité est fluctuante.
Encore faut-il, pour s'apercevoir changeant, avoir une identité
; encore faut-il que ce soit le même qui perdure à travers
le différent. Si nous n'avions pas en nous ce "je pense",
ce cogito, dont parle Descartes, nous ne pourrions pas nous percevoir
comme changeant.
En ce qui concerne l'histoire sociale et politique, certains pourraient
dire que nous avons affaire à une suite de bouleversements, à
un chaos universel. Mais la réponse de Hegel à Pascal
sera de dire que, si nous percevons l'histoire comme chaotique, c'est
précisément parce qu'il y a un être qui perdure
à travers l'histoire, c'est-à-dire l'identité collective
de l'humanité qui prend forme à travers un état,
avec une organisation spatiale et géographique, historique et
politique.
En clair, la philosophie a rappelé au départ la nécessité
de la stabilité. Si nous avons tous les jours l'expérience
du mouvement et de la mobilité, ce n'est paradoxalement ni le
mouvement ni la mobilité qui sont les choses les plus certaines
au monde, mais la fixité, les structures, les stabilités
invisibles.
Deleuze intervient alors pour dire que la philosophie a raison mais
qu'il ne faut pas oublier que les choses ont un revers de la médaille.
Au niveau matériel, s'il faut de l'identité, celle-ci
ne vient jamais ex abrupto : il y a une continuité de la vie,
un dynamisme de la matière. La notion de repos absolu est un
non-sens. Supposer un repos absolu signifierait qu'il y a du néant,
puis qu'il y a une fixité, entre lesquels il n'y aurait rien
avant et rien après. En termes logiques, supposer une fixité
qui ne serait bordée par rien apparaît doublement contradictoire,
d'une part parce que de rien ne peut pas venir quelque chose et, d'autre
part, parce que quelque chose ne peut pas aboutir à une complète
négation. De fait, nous sommes dans un dynamisme universel et
le repos n'est qu'une apparence. Certes, nous observons des ralentissements
: Leibniz dira, par exemple, que du point de vue de l'homme, le repos
existe, mais il ne s'agit que de ralentissements.
Ce dynamisme universel et ces ralentissements se confirment au niveau
psychologique, car là encore il est assez contradictoire de supposer
qu'il existe une identité absolue comme il existe un repos absolu.
Toute identité est prise dans un dynamisme. Leibniz dira que
lorsque nous percevons les choses, nous avons toujours déjà
commencé de les percevoir. Au-delà de la perception, les
choses se mémorisent en nous, sans que nous nous en apercevions.
En d'autres termes, si la nature ne se percevait pas en nous et ne se
mémorisait pas en nous, nous ne pourrions pas percevoir. Il s'agit
là d'une autre façon de dire qu'il n'y a d'identité
humaine, de perception et de conscience que sur fond d'un dynamisme.
Au niveau économique et politique, s'il faut nécessairement
un territoire, un État ou un espace, ceux-ci ne sont possibles
qu'à partir des flux d'échanges qui président à
l'organisation économique de l'humanité. Sans dynamisme
économique, sans dynamisme productif au départ, il n'y
aurait pas d'État possible.
Ainsi Deleuze procède-t-il à un renversement complet
contre Platon, contre Descartes, contre Hegel, qui présupposent
au départ une fixité, antérieure au mouvement.
Deleuze, avec des philosophes comme Héraclite, Hume, Marx, pense,
au contraire, que le repos est engendré par le dynamisme. La
notion de dynamisme renvoie pour ces philosophes à une notion
de continuité. C'est parce qu'il est absurde de supposer que
les choses tombent du ciel et ne sont pas en continuité avec
la nature, avec les forces inconscientes de l'individu, avec les forces
historiques de l'humanité, qu'il est nécessaire de présupposer
la notion de dynamisme. Ce n'est pas par désir de voir bouger
les choses que les philosophes font appel à la notion de dynamisme,
c'est pour mieux les comprendre et les expliquer.
Cette notion de dynamisme induit trois concepts majeurs qui permettent
de comprendre la notion de mobilité : le mécanisme physique,
l'inconscient en psychanalyse et la notion d'économie afin d'expliquer
les phénomènes politiques. La production de la mobilité
dans notre culture a été rendue possible à partir
d'une révolution intellectuelle. Ce que nous appelons l'automobile
est le résultat de cette révolution. N'oublions pas que,
en Grèce, avec Aristote, on privilégiait le lieu ; l'auto-mobilité
était réservée à un seul : Dieu. Dieu est
le premier moteur à l'origine de tout le mouvement de la création.
Installé dans son lieu, il jouit de lui-même, meut toutes
les choses en les attirant à lui...
La production de l'automobile n'aurait pas été possible
sans le fait d'envisager de généraliser le dynamisme à
l'ensemble de l'univers. Sans le mécanisme, dans la notion de
dynamisme psychique, sans la notion de dynamisme politique, il n'aurait
pas pu y avoir de révolution des transports. La notion de transport,
philosophiquement parlant, commence avec les débats des Grecs
sur ce qui du statique ou du dynamique précède l'autre.
J'en arrive à un deuxième point : après avoir
relativisé le repos, il convient de relativiser aussi le mouvement.
Certes le mouvement est nécessaire : il faut du mouvement pour
qu'il y ait de la vie. Et comme l'enseigne la thermodynamique, c'est
le mouvement qui ordonne les choses et non pas le repos, dans la mesure
où un système n'est viable que s'il s'ouvre sur de l'hétérogénéité.
à l'inverse, si ce système vit replié sur lui-même,
il tend à se désordonner de plus en plus. En clair, hétérogénéité
et ordre vont ensemble ; clôture sur soi et désordre vont
ensemble.
Au niveau psychique, ce que dit Clausius en termes physiques, Freud
le dit en termes de désir : le système humain s'ordonne
en continuité avec la nature et le corps. Il y a un texte célèbre
de Freud, dans Les essais de psychanalyse appliquée, où
il écrit que si un individu aspire à vivre en autosuffisance,
en maîtrisant les forces de son corps et de son désir,
il tombera malade. à l'inverse, s'il accepte de ne pas être
le maître chez lui, et donc de devenir en quelque sorte un système
fracturé et ouvert, il évitera de tomber malade.
Toute la psychanalyse nous apprend à vivre en faisant le deuil
de notre narcissisme et en essayant d'apprendre à vivre en n'étant
pas les maîtres chez nous.
Au niveau politique, la fin des idéologies n'est pas une catastrophe,
elle n'est autre chose que la découverte de ce qu'il ne peut
y avoir de système politique cohérent qui ne soit ouvert.
Il faut renoncer à l'utopie de la cité idéale et
parfaite pour apprendre à vivre une socialité cohérente.
La deuxième originalité de Deleuze est de nous montrer
que le mouvement est quelque chose de très relatif.
Au niveau physique tout d'abord, il rappelle qu'il y a mouvement et
mouvement. Je vous renvoie à un très beau texte de Deleuze
sur Bergson, dans lequel il déclare, au grand dam des intellectuels
de l'époque, que Bergson est un auteur sérieux qui a posé
les problèmes les plus importants de notre époque. La
discussion entre Bergson et Einstein, notamment, fixe à la fois
le destin de la science moderne et le sens de la mobilité dans
la modernité.
Deleuze dit d'Einstein qu'il est le premier penseur nietzschéen
au niveau de la science, dans la mesure où il pense les choses
dans la multiplicité. Je précise que la notion de multiplicité
ne correspond pas à celle de pluralité ; elle renvoie
à la notion de richesse : vivre dans la multiplicité signifie
démultiplier les choses, les enrichir, faire apparaître
une pluralité de facettes et donc être inventif.
Pour quelle raison Einstein est-il inventif ? Parce qu'il introduit
un rapport inédit au temps et à l'espace, en élaborant
l'hypothèse géniale d'analyser les choses à des
vitesses proches de celles de la lumière. à ces vitesses,
on constate que le successif qui caractérise le temps a tendance,
à très grande vitesse, à devenir du simultané.
En d'autres termes, le temps tend à se spatialiser. Le temps
peut se faire espace et se courber, comme disent les physiciens. La
même chose vaut par ailleurs pour le spatial : dans la vitesse
de la lumière, le spatial abrite du successif extrêmement
rapide.
En clair, à travers l'élaboration du continuum espace-temps,
Einstein produit une nouvelle conception de la science, profondément
nietzschéenne, dionysienne, multiple. Le problème d'Einstein
est qu'il ne va pas jusqu'au bout de sa découverte, parce que,
nous dit Deleuze, il s'en est tenu à une multiplicité
quantitative et n'est pas allé au niveau d'une multiplicité
qualitative. Il s'agit là de la critique de Bergson à
l'égard d'Einstein, qui observe que ce dernier, et avec lui la
science moderne, en ne passant pas au stade de la multiplicité
qualitative, n'a pas su généraliser l'interaction espace-temps,
découverte au niveau de la physique, à l'ensemble de l'univers.
Que se serait-il passé si Einstein avait franchi le pas pour
tenter de généraliser la découverte de l'interaction
espace-temps à l'ensemble de l'univers ? Nous serions arrivés
à une autre conception de l'univers, à un univers conscience
ou encore une conscience univers, car la multiplicité qualitative
signifie passer de l'interaction espace-temps à l'interaction
homme univers. Cela revient en quelque sorte à tenter de relier
la conscience et l'univers. Chose que les successeurs d'Einstein ont
fait, tout comme Bergson dans Matière et Mémoire, où
il n'hésitera pas à faire de l'univers un grand cerveau
et du cerveau un grand univers. Tentative que reprend Deleuze à
la fin de son dernier ouvrage Qu'est-ce que la philosophie ?, dans lequel
il montre que le problème de la mobilité est le problème
du cerveau et de la pensée. On comprend dès lors pourquoi
Foucault a pu dire que "demain, le monde sera deleuzien".
Deleuze nous dit qu'avoir le sens de la mobilité passe par la
connaissance du cerveau. En d'autres termes, il s'agit de comprendre
ce qui se passe à l'extérieur dans l'espace et le cosmos
en nous-mêmes, dans notre propre boite crânienne.
Au niveau psychique, Deleuze intervient là encore pour critiquer
le mouvement. Il déclare que la psychanalyse a manqué
le rendez-vous avec l'inconscient, et donc avec la mobilité psychique,
dès lors qu'elle a reterritorialisé la découverte
de l'inconscient. Pour le démontrer, il fait appel une nouvelle
fois à Bergson. Au début de Matière et Mémoire,
Bergson dit que ce que nous connaissons de la matière est un
flux d'images. Si la matière est un flux d'images, et si notre
perception perçoit les images, cela signifie que notre perception
se confond avec l'univers. Et par-delà, si notre perception se
confond avec l'univers, cela signifie que notre identité est
l'univers. Ainsi Bergson, à travers son analyse de la matière
et de la perception, fait une découverte phénoménale,
à savoir que notre identité, notre conscience, c'est l'univers.
Nous sommes le cosmos. Quand je perçois, ma conscience est la
conscience de la terre, la conscience de la galaxie. Je ne suis pas
en phase avec le monde, je suis le monde. En clair, la découverte
de Bergson, la découverte de Deleuze, renvoient à la notion
de corps cosmique. L'identité profonde de l'homme est d'être
un corps cosmique, ce que Deleuze appelle un "corps sans organes".
Rapportée à la psychanalyse, cette découverte
permet de comprendre le jugement de Deleuze à son propos. La
psychanalyse a fait un bond formidable en découvrant la notion
d'inconscient, mais elle s'est arrêtée en route. Car au
lieu de déboucher sur le corps cosmique, elle nous explique que
l'homme n'a de sens que rapporté à une scène familiale
primitive dont il traîne le manque éternellement toute
sa vie. Elle fait l'impasse sur la notion de corps cosmique et celle
d'inconscient cosmique, sur ce que Deleuze appelle la "mémoire
bio-cosmique". La psychanalyse a en quelque sorte manqué
le virage de la mobilité psychique.
Au plan politique, Deleuze a fait scandale à l'époque
en saluant le capitalisme, comme Marx lui-même l'avait fait, en
reconnaissant que c'était la première fois que l'individu
ne vaut que par l'échange. Il n'y a plus de substance en tant
que telle, rien qu'un réseau d'échanges. Situation qu'il
juge formidablement libératrice.
Mais le problème vient de ce que la politique, à l'instar
de la science et de la psychanalyse, a reterritorialisé tout
ce qu'elle avait déterritorialisé. En d'autre termes,
elle n'a pas été capable d'envisager un socio-cosmique.
La société a été pensée soit en termes
d'individus et de propriété, soit en termes de prolétariat.
En bref, Deleuze a une vision très pointue des virages qui ont
été manqués par la modernité avec le mécanisme,
avec l'inconscient, avec l'économie. Alors qu'il était
possible de déboucher sur un nouveau type d'homme : l'homme cosmique,
doté d'une conscience cosmique, nous manquons cette mobilité
du fait du mécanisme et de la politique telle qu'elle s'est pratiquée.
La troisième originalité de Deleuze réside dans
la démonstration de ce que le véritable concept de mobilité
se situe au-delà de l'opposition mouvement/repos. Le mouvement
est créateur de repos, comme nous l'avons vu précédemment
; de même, il n'est pas si mobile que nous pouvons le croire.
Ce constat nous oblige à approfondir la notion de mobilité.
Qu'est-ce qu'une mobilité ? Une mobilité, ai-je dit antérieurement,
est une production. Or une production d'événements conjugue
des vitesses et des lenteurs. Je prendrai trois exemples. Le premier
est la notion même d'intelligence. L'intelligence est à
la base de la notion de cosmos. Elle n'est rien d'autre qu'une composition
de vitesses et de lenteurs. Pour avoir des idées, il faut s'arrêter.
Cet arrêt devant les choses est créateur d'un espace qui
laisse la place à la création. Pour caractériser
l'intelligence, nous usons souvent d'une métaphore intéressante
: nous disons que "ça va vite". Qu'est-ce que quelqu'un
d'intelligent ? C'est quelqu'un qui est capable d'aller vite, de passer
d'une chose à une autre, de faire des transitions, de se transporter
d'une nuance à une autre. Dans Logique du sens, Deleuze montre
que le sens réside précisément dans le fait d'aller
vite, de passer par toutes sortes de nuances, de transitions. Pourquoi
est-ce si important d'aller vite ? Parce qu'aller vite tend vers le
repos, vers la coexistence entre nous et le monde, vers l'objectivité,
vers le point où tout à coup l'idée frappe juste.
Dans la vie de l'intelligence, il faut des vitesses qui créent
des repos d'où jaillit la rencontre avec le monde ; il faut des
repos qui font surgir des accélérations de rapports.
L'intelligence et la mobilité ne sont rien d'autre qu'une composition
de vitesses et de lenteurs. Il en va de même pour le fonctionnement
du désir. Un acte amoureux, une rencontre de désirs, un
transport amoureux, ne sont rien d'autre qu'une composition de vitesses
et de lenteurs. Deux êtres qui se rencontrent, ce sont deux êtres
qui arrivent à coïncider l'un avec l'autre et à créer
un espace qui leur est propre, l'espace du coeur, l'espace du désir.
à l'inverse, le repos, la coïncidence entre deux êtres,
sont un formidable accélérateur de rapports et de vertiges.
On parle à juste titre de vertige amoureux, on "tombe"
amoureux, illustrant ainsi cette précipitation et cette explosion
que représente la mobilité du désir.
Au niveau social, une troisième métaphore permet d'illustrer
cette notion de mobilité, il s'agit de l'art. L'art est l'expression
même de la mobilité collective. L'art également
est composition de vitesses et de lenteurs. Dans un très beau
texte sur la littérature, Maurice Blanchot parle "d'espace
littéraire", qu'il définit comme ce moment où,
tendant au repos avec les choses, les idées, les intuitions,
les émotions se mettent à fuser. Il se produit un état
extraordinaire d'interpénétration entre nous et les objets
artistiques, entre nous et la beauté du monde.
Il est clair que le temps artistique, ce temps particulier, ce temps
de l'émotion et du regard, ce temps de la rencontre avec les
choses, crée des états de simultanéité entre
nous et le monde, et donc des espaces, qu'il s'agisse d'espace littéraire,
pictural ou musical.
De fait, Deleuze ne cesse de parler de la vitesse et de la lenteur,
que ce soit dans l'ordre du désir, dans l'ordre de l'art, dans
l'ordre de l'intelligence, pour nous signifier finalement qu'il n'y
a rien derrière les choses, qui ne sont elles aussi que vitesses
et lenteurs, composition de vitesses et de lenteurs...
D'une certaine manière, la question des transports qui vous
préoccupe ici revient peut-être à atteindre ce point
de composition de vitesses et de lenteurs, à partir duquel il
y a production d'événements au-delà et à
travers les choses et l'existence.
Ainsi pour conclure, Deleuze nous propose de sortir du rapport mouvement/repos
pour essayer de penser l'homme de façon créatrice, de
penser le cosmos, le psychique, le social de façon créatrice.
L'homme deleuzien voudrait devenir l'homme réellement mobile,
l'homme cosmique, dont l'identité est d'être l'univers,
l'homme qui perçoit l'univers en mouvement, en constante création.
En ce sens, cette pensée sort des cadres habituels de la philosophie
: Deleuze, comme Levinas, ne cesse de déplorer qu'elle ait été
embarrassée par le problème de l'Être.
Aristote dit que la philosophie est la science de l'être en tant
qu'être. Penser consiste à ramener le réel à
trois choses : 1) le réel empirique : on pense juste quand on
a un référent ; 2) le réel idéal : il s'agit
de ramener le réel aux idées qui structurent les choses
et qui peuvent permettre de leur donner une forme ; 3) le réel
du réel, qui revient à ramener tout à une cause.
Le geste philosophique de Deleuze consiste à dire que le réel
ne se passe pas dans le réel, mais dans le quasi-réel,
lequel est le réel sur le point d'apparaître ou de disparaître.
C'est le réel plein de lui-même, gonflé de promesses
et de nostalgies.
Jankélévitch dit qu'on saisit le réel dans l'imperceptible,
dans "le je ne sais quoi, le presque rien", en étant
soi-même en état de "quasi-existence" à
travers des états imperceptibles d'intuition. Deleuze, lui, cherche
à nous montrer que tout se passe dans ce qu'il appelle les devenirs
imperceptibles. En clair, pour appréhender le cosmique, les compositions
de vitesses et de lenteurs, il faut recourir à des gestes imperceptibles,
à des micro-analyses...
De ce point de vue, l'analyse du transport a besoin du détail,
parce que c'est là que les choses se passent, dans le petit rien
qui fait tout.
S'il est poétique de nous conduire à penser un homme
cosmique, le revers de la médaille chez Deleuze, en termes critiques,
c'est que cet homme cosmique prend la forme d'un devenir sans être,
d'un homme sans visage, animé d'un désir sans loi. Deleuze
rêve d'un homme qui serait un homme nomade, d'un homme qui pourrait
être l'univers, qui pourrait jouir de l'univers par toutes les
facettes de son corps. Malheureusement, le monde dans lequel nous sommes
montre que cet espèce d'éclatement deleuzien débouche
non pas sur le nomadisme mais sur l'errance, au point qu'il est permis
de se demander si le cosmique, parfois, n'est pas le plus grand ennemi
du cosmique lui-même.
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Débat
B. Vergely rappelle que l'objectif de son exposé est, conformément
à la demande du Plan urbain, de "donner un aperçu
sur la manière dont les philosophes contemporains pensent le
mouvement et analysent la mobilité".
à propos de la mobilité
•Un participant se demandant s'il est possible de "parler
de la même manière de la mobilité mentale, psychique
et physique", B. Vergely observe que : "c'est ce que Deleuze
ne cesse de faire. Il tient ensemble le triple registre du biologique
et du physique, du mental et du politique. Cela fait partie de son "matérialisme",
il ne s'agit pas de confusion chez lui".
"Il est intéressant de voir qu'il n'y a pas que les avenues
d'une ville qui sont embouteillées, il y a les psychismes qui
sont embouteillés, il y a les corps qui sont complètement
congestionnés. Il y a des problèmes de circulation également
dans le corps et les choses interagissent. Je croise les métaphores
pour signifier que tout cela travaille de concert, fermente ensemble.
La manière du philosophe d'être empirique est de faire
circuler les métaphores et d'analyser la façon dont les
choses peuvent se connecter. On peut s'apercevoir ainsi que le transport
qui est quelque chose de technique, de politique, de social, a des répercussions
en amont et en aval. En amont, du côté de la sphère
de la terre, du bios, de la matière, il faudrait analyser le
transport comme un état de la matière. à l'aval,
sur un mode idéal, c'est aussi du psychisme, des idées,
des pensées qui sont en circulation. L'ensemble interagit."
•B. Vergely relève deux sources "d'inspiration"
dans l'approche de Deleuze de la mobilité et du repos : "l'Amérique
et le Tao". •B. Vergely souligne que l'approche de la mobilité
de Deleuze passe par le refus de la représentation sociale qui
signifie "écran", violence du sujet sur l'objet...
"Deleuze essaye de dépasser le problème de la représentation,
parce que représentation veut dire un sujet vis-à-vis
d'un objet. Représenter les choses, c'est toujours être
en situation de sujet vis-à-vis d'un objet et, en quelque sorte,
le spatialiser sur un écran. Deleuze va inventer un nouveau type
de spatialisation et c'est pour cette raison qu'il pense la pensée
en termes de vitesse et de lenteur. Il refuse d'opposer un sujet à
un objet, parce que cela implique une rupture, une identité ex
abrupto qui tombe tout à coup et qui décide que les choses
ont un début et une fin. La représentation est critiquable
pour Deleuze parce qu'elle implique arbitrairement un début et
une fin. La représentation de la conscience et du psychisme rend
impossible la compréhension du dynamisme psychique ou du dynamisme
social. Dès lors que l'on veut faire exister une représentation
sociale, on tombe dans la violence. Elle implique le pouvoir d'un sujet
qui instaure un rapport d'asservissement sur ce qui est représenté."
•à la suite de l'observation selon laquelle la psychanalyse
aurait raté le rendez-vous de l'inconscient, un participant se
demande si ce jugement s'applique également à Jung. •B.
Vergely précise que "Jung et Deleuze posent la même
question. Selon eux, l'inconscient et la mobilité psychique ne
sont pas ce que Freud en dit. Mais Jung fuit vers le haut, vers la religion,
en disant que c'est le grand oublié de l'inconscient, et Deleuze
se retourne vers la nature, en disant que c'est la grande oubliée
de l'inconscient. Selon Deleuze, il faut revenir vers la biologie...".
•Un participant s'interroge sur la parenté pouvant exister
entre Deleuze et Heidegger, à propos de la mobilité. •B.
Vergely fait la réponse suivante : "Il existe un point de
départ méthodologique commun : il y a dans la phénoménologie
de Heidegger et dans l'approche de Deleuze, la volonté de revenir
aux choses mêmes. Il s'agit d'analyser les choses dans la matérialité,
dans le vécu, dans le souci de coller à la terre. Ceci
dit, le retour à la terre de Heidegger n'est pas le retour à
la terre de Deleuze. Chez Deleuze, il n'y a aucune nostalgie de l'être,
ni oubli de l'être. La grande différence entre Deleuze
et Heidegger tient à ce que, chez le premier, il n'y a jamais
le voilement de l'être. Il ne pense pas en termes de tragique,
comme si l'homme était coupé de ses racines. Il constate
que nous sommes des êtres qui vivons, circulons, confrontés
à des problèmes qui naissent des échanges et de
la société. Mais ces problèmes ne sont pas pour
lui des catastrophes ontologiques. Pour Deleuze, tout est positif, ce
qui le conduit d'ailleurs à des effets d'errance. Il y a des
textes de Deleuze qui font penser à Levinas. Dans un très
bel article de Levinas dans Difficile liberté, intitulé
"Heidegger, Gagarine et nous", Levinas s'interroge sur les
raisons pour lesquelles Gagarine nous a libérés. Ce n'est
pas parce que la technique nous libère en nous procurant du confort.
La technologie nous libère parce qu'elle arrache les hommes à
la magie du lieu, parce que, pour la première fois, un homme
a vécu dans un monde sans horizon.
Pour Heidegger, la civilisation moderne est épouvantable. Les
voitures engendrent des pollutions, des accidents de la route. L'homme
moderne est fou. Deleuze répond : "pas du tout !" Avec
la voiture, il est possible d'expérimenter des états "cosmiques".
Heidegger est incapable de rendre compte de l'expérience de Deleuze,
parce qu'il est incapable de penser la beauté du monde contemporain,
de s'extasier sur une autoroute, de trouver de la poésie à
la voiture, à une gare... Être cosmique pour Deleuze, cela
signifie être capable de vivre un embouteillage avec humour, se
réjouir de la création circulatoire du monde moderne,
se réjouir des nouvelles voitures, de la construction des choses..."
à propos du cadre spatio-temporel de la réflexion de
Deleuze sur la mobilité
•Un participant note que la recherche contemporaine en physique
et en cosmologie s'intéresse au problème de la naissance
de la dynamique et que ce problème revient à s'interroger
sur la notion de causalité.
"Au niveau spatio-temporel, la recherche actuelle en matière
de physique et de cosmologie s'intéresse tout particulièrement
à cette question de la naissance de la dynamique. La théorie
qui prévaut actuellement revient à dire qu'il n'y a pas
plus de sens à raisonner sur un milliardième de seconde
à partir du big-bang que sur un milliard d'années. Cette
observation, en liaison avec la question de la naissance de la dynamique,
est au coeur du problème évoqué à propos
d'Einstein. Quand vous dites qu'Einstein n'a pas osé aller dans
la direction d'une conscience-univers, je suis persuadé que c'était
volontaire de sa part car il est notoirement connu qu'il était
croyant et qu'il adhérait à la notion de principe de causalité
première.
Personnellement, il me semble que la pensée qui tend à
dire qu'il existe un principe explicateur général et qui
va chercher à englober, par exemple, la mobilité dans
une grande explication cosmique, est réductionniste. Einstein
a toujours veillé à ne pas tomber dans une explication
réductionniste. Il n'en reste pas moins que les idées
globales de cette époque sont passées et que, actuellement,
on est sur un modèle de l'espace-temps qui est ce fameux big-bang,
qui présuppose quasiment un principe de causalité première.
Cela signifie qu'il faudra bien qu'on étudie la question de la
causalité de façon objective. La causalité est-elle
quelque chose qui nous provient de l'espace-temps, auquel cas on est
effectivement conscience-univers, ou est-elle une préoccupation
essentiellement humaine, liée à des échéances,
liée à l'absence de conscience qu'on a de notre passé
? On se serait inventé un principe de causalité première
pour ne pas avoir à se reposer sans cesse la question du "pourquoi"..."
En réponse à cette analyse, B. Vergely précise
que "la force de Deleuze réside dans le recours à
la théorie de la relativité pour penser la mobilité.
Il fait l'hypothèse qu'il faut aller au-delà d'Einstein
pour penser l'interaction conscience-univers. Il débouche sur
cette notion de corps cosmique, de conscience cosmique, dont parle également
Bergson. Cette grande mémoire bio-cosmique peut entraîner
des effets d'errance. De ce point de vue, heureusement qu'Einstein n'ait
pas été deleuzien !
Le problème de la causalité nous renvoie à deux
théologies possibles : une première théologie créationniste
qui suppose un commencement du monde, et une deuxième théologie,
qui est celle de Deleuze, qui consiste à dire : "Dieu, c'est
le monde". Si Einstein s'est retenu de conclure à la conscience-univers,
c'est peut-être en réaction contre cette théologie
déclarant que "Dieu, c'est le monde". Dès lors,
pour en revenir à la notion de causalité, je ne crois
pas que la causalité première soit un truc que les hommes
se sont inventés parce qu'il y avait urgence, qu'il fallait arrêter
la réflexion. La causalité n'est pas une béquille
psychologique ou épistémologique, c'est un statut fondamental
de la matière et qui a des répercussions sur tous les
plans de l'existence et du politique."
à propos des transports
•Un participant souligne que le transport implique beaucoup plus
que le fait de se déplacer d'un endroit à un autre.
B. Vergely, tout en approuvant cette remarque, précise qu'il
ne faut pas chercher à "fonctionnaliser" ce qui "déborde"
du transport à l'occasion du déplacement.
"(à propos d'un homme associant la Guinée ou la
Guyane au métro) La fonction de l'ailleurs, ce qui échappe,
il ne faut pas le traiter en termes de fonction. On pourrait répondre
que tout homme a besoin de merveilleux, d'évasion. La réponse
de Deleuze est plus intéressante. Il dira que l'homme est à
la recherche de son corps cosmique et que, en tout homme, il y a ce
besoin précisément que les transports soient aussi un
peu un voyage, que le transport déborde le transport, parce qu'il
est impossible d'oublier l'appartenance de l'homme à la terre,
à l'espace. (...) Peut-être que si nous avions une vision
plus cosmique des choses, au lieu, dirait Deleuze, d'avoir une vision
paranoïaque, c'est-à-dire ramenée à nous-mêmes,
nous serions plus créatifs dans nos transports et peut-être
ne connaîtrions-nous pas ce phénomène d'agitation
ou de stagnation, d'embouteillages dont nous parlons".
•Une participante esquisse une critique de Deleuze en rappelant
que la société ne fonctionne pas sur le modèle
décrit par Deleuze qui est celui "d'un mode de vie nomade,
sans culpabilité, éternellement adolescent"...
"Au corps sans organe du paranoïaque, Deleuze répond
par le corps sans organe du schizophrène. Sa plus belle métaphore
est celle du surf, par laquelle il nous propose un mode de vie nomade,
sans culpabilité, qui nous permettrait de vivre en tant qu'individu
et de faire de la glisse. Malheureusement les sociétés
ne fonctionnent pas comme ça et la paranoïa a encore de
beaux jours. Il y a une différence fondamentale entre l'idéal
du schizo, l'idéal du créateur et une société
qui fabrique à la fois du paranoïaque et du schizophrène.
Deleuze est fils de 68, c'est l'homme schizo, c'est l'homme qui joue.
Face à lui, il y a une machine de guerre extrêmement forte,
et la parole du technocrate, d'une certaine manière, vise à
adoucir les angles. S'il est une éthique du technicien qui intervient
au sein du politique, c'est d'essayer de stopper la machine technocratique
d'un côté et de stopper l'adolescence perpétuée
de Deleuze de l'autre. à travers la technique, la question que
nous nous posons, c'est la question des processus sociaux, qui sont
des processus qui bloquent ou qui débloquent, qui fabriquent
alternativement du paranoïaque ou du schizophrénique. Deleuze
ignore la lutte contre la loi, il déclare qu'il faut ignorer
la loi, il ignore le conflit, il va ailleurs. Lui le peut peut-être
; nous, nous sommes confrontés à des captifs ou à
de vrais nomades qui fonctionnent avec des rituels extrêmement
réglés, qui ont des femmes qui ne sont pas tellement émancipées..."
•B. Vergely précise qu'il n'est pas deleuzien et que "dans
la pratique, on est obligé de prendre des décisions. On
est responsable de l'autre, ce que Deleuze ne comprend pas. Levinas
pense qu'on est responsable de l'autre et que l'autre a un visage. On
ne peut pas faire n'importe quoi. Cette image de surf généralisé,
de glisse, est une notion effectivement adolescente..."
Au total, l'intérêt de Deleuze pour B. Vergely réside
peut-être davantage dans le fait qu'il pose "les questions
de son siècle", que dans les réponses qu'il apporte,
lesquelles ne sont pas toujours convaincantes.
"Ce que je trouve intéressant chez Deleuze, c'est qu'il
pose des questions extrêmement importantes à la science,
à la psychanalyse, à la politique. On peut bien sûr
discuter de la manière dont il y répond. Il est intéressant
de voir que, à propos de la mobilité, il nous entraîne
jusqu'au statut de la conscience-univers et jusqu'au tréfonds
du corps social et du corps psychique. Je crois qu'on peut quand même
accorder le crédit à Deleuze de poser les questions de
son siècle et de les mettre en perspective avec l'histoire de
la philosophie en rappelant que les stoïciens, Spinoza, Leibniz...,
se posaient déjà ces questions".
Le lien d'origine :
http://www.urbanisme.equipement.gouv.fr/cdu/datas/docs/ouvr1/seance5.htm#p10