Origine : http://iresmo.jimdo.com/2011/04/18/lu-vincent-de-gaujelac-travail-les-raisons-de-la-col%C3%A8re/
Vincent de Gaujelac est un chercheur en sociologie du travail déjà
auteur de nombreux travaux sur le sujet. Il utilise pour ce faire
la perspective clinique qu’il présente de la manière
suivante: “la perspective clinique consiste à aller
“au plus près du vécu des acteurs” pour
comprendre comment ils vivent les phénomènes, comment
ils les éprouvent [...] et ce qu’ils peuvent en dire.
Le clinicien cherche à partager ce vécu, à
le comprendre avant de l’expliquer” (p.15) Cette ouvrage
propose une synthèse accessible au grand public sur les transformations
actuelles du travail.
L’ouvrage se propose d’analyser les transformations
intervenues ces dernières années sous l’effet
de la révolution managériale en faisant intervenir
plusieurs niveaux d’analyse: niveau macro-économique,
analyse politique et idéologique, gouvernance des organisations,
dimensions existentielles du travail. Trois parties organisent le
volume: 1) les mutations dans le monde du travail et la notion de
risques psychosociaux 2) le mal-être dans les institutions
publiques 3) les sources du malaise.
La perspective de Gaujelac entend traiter en même temps les
dimensions objectives et subjectives des phénomènes
étudiés. Il s’agit d’articuler une approche
issue de la sociologie compréhensive et une analyse des mutations
structurelles.
I - Le mal être au travail . Premiers constats.
L’auteur part du constat d’une double identité
du travail: à la fois activité pénible et source
de réalisation de soi. Le travail se présente comme
étant de l’ordre du registre de l’avoir (on travaille
pour gagner de l’argent), mais également de l’ordre
de l’être et du faire (le travail nous transforme).
Il est ainsi à la foi de l’ordre du devoir (devoir
gagner sa vie) et de l'accomplissement de soi (se réaliser,
s’accomplir dans son travail...).
Néanmoins, le travail a, selon l’auteur, connu ces
dernières années d’inquiétantes mutations.
Celles-ci sont tout d’abord marquées par une intensification
du travail et par une augmentation de l’insatisfaction au
travail en France. Un des éléments qui apparaît
symptomatique est celui des suicides au travail. Ces mutations se
caractérisent également, pour pouvoir faire face aux
exigences en termes d’objectifs, par le recours à la
tricherie qui met ainsi à mal l'éthique professionnelle
qui régissait les métiers.
L’ensemble de ces transformations a aussi mis en avant la
question des violences au travail, de la souffrance, du mal-être,
du stress et plus généralement des risques psycho-sociaux.
L’auteur revient ici sur l’écheveau de ces différentes
terminologies.
Or quelles sont les raisons qui peuvent expliquer ces situations
de violence psychique ? L’auteur examine les résultats
de plusieurs rapports publics qui ont été effectués
sur le sujet: les travaux de la commission “violence, travail,
emploi, santé”, dont les conclusions ont été
rédigées par Christophe Dejours en 2004, le “rapport
sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux
au travail” commandé par Xavier Bertrand en 2008, la
“commission de réflexion sur la souffrance au travail”
présidée en 2009 par Jean-François Copé
et enfin “bien-être et efficacité au travail
-10 propositions pour améliorer la santé psychologique
au travail” commandé par François Fillon.
Enfin, la première partie de l’ouvrage propose des
études de cas - dont certains ont particulièrement
été médiatisés - touchant les problèmes
psychosociaux: France telecom, Renault, IBM et la SNCF.
II- Malaise dans les institutions publiques
La seconde partie de l’ouvrage se centre sur l’introduction
de la logique de la RGPP (Revision générale des politiques
publiques) et donc du New public management au sein de la fonction
publique. L’auteur commence par rappeler les origines de ces
techniques de management issues des grandes entreprises multinationales.
Il revient également sur la genèse de la RGPP en France.
Sont examinées ensuite les déclinaison de ces nouvelles
méthodes de gestion publique dans différents secteurs:
les exigences quantitatives en termes de publication à l’université,
les objectifs chiffrés au sein de la police, les obligations
de résultat au Pôle emploi . La fonction publique hospitalière
n’est pas oubliée: l’auteur souligne en particulier
les modalités de rationalisation des pratiques des soignants,
qui aboutissent à une nouvelle pseudo-forme d’organisation
scientifique du travail.
La présentation que fait Vincent de Gaujelac met en avant
la rationalité technicienne et calculante qui semble totalement
dominer ces modes d’organisation: évaluation, quantification...
L’usage de procédures quantifiées et rationalisées
semble apparaître comme un gage de scientificité et
de légitimité. Le problème, c’est qu’il
ne s’agit pas de machines, mais d’êtres humains.
…
Les nouvelles formes de rationalisation du travail confrontent
donc le salarié du secteur public à un conflit entre
les valeurs qui avaient présidé à son choix
d’emploi et les nouveaux objectifs qu’on lui impose.
III- Les sources du mal-être
Les systèmes managériaux se caractérisent
par trois aspects: ce sont des systèmes complexes, impliquant
à la fois des dimensions mentales et sociales, et ce sont
des systèmes capables de s’adapter. Mais ce système
a connu depuis les années 1990 de nouvelles transformations
liées entre autres à la déconnexion de la logique
productive et de la logique financière. Le visage réel
de la “révolution managériale” n’est
pas la réconciliation des travailleurs avec leur entreprise,
mais un ensemble de techniques pour les engager subjectivement davantage
dans la logique de la production et les objectifs fixés.
Ainsi l’auteur analyse plusieurs logiques qui sont aussi
bien liées aux marchés financiers qu’aux formes
d’organisation du travail, comme le modèle Walmart.
Il met en relief la logique de systèmes qui semblent selon
lui fascinés par le mouvement perpétuel, le désordre,
les paradoxes (double bind)... Or ces éléments ne
peuvent que créer un sentiment d’insécurité
et déstabiliser psychologiquement les salariés.
Il examine également le rôle et les effets des nouvelles
technologies de l’information et de la communication dans
ces transformations: ces dernières pouvant apparaître
comme des outils utilisables pour renforcer les contrôles
et imposer de nouvelles normes.
Enfin l’auteur s’attache à montrer comment cette
révolution managériale appuie son pouvoir en jouant
sur le psychisme des salariés par l’intermédiaire
de l’imaginaire ou en façonnant les subjectivités.
Elle se sert ainsi de leur désir de reconnaissance, leur
désir narcissique de toute puissance....
Remarques conclusives:
Il est interessant de relever que Vincent de Gaujelac réhabilite
le sentiment de colère. Les formations professionnelles tendent
à apprendre au salarié à rester calme, à
gérer les situations sans conflit. Cependant, le caractère
pénible des situations que vit le salarié génère
un sentiment de colère qu’il ne peut exprimer et qu’il
retourne donc contre lui: c’est la souffrance au travail,
le mal-être...
Or la colère face à l’injustice n’est
pas nécessairement un sentiment négatif, elle peut
même être souhaitable. Cependant, le délitement
des collectifs de lutte - les sections syndicales - dans différents
secteurs professionnels fait que les salariés ne trouvent
plus les ressources capables de les aider à transformer leur
colère individuelle en action collective.
De fait, l’intérêt que les entreprises peuvent
accorder à la lutte contre les risques psychosociaux pourrait
ainsi n’avoir d’autres conséquences que de palier
les dégâts de leurs méthodes afin de produire
de nouveau l’engagement des subjectivités dans le processus
de production et la course aux résultats.
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