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Vincent de Gaulejac
Séance du 15 avril 2008 - La performance : jusqu’où ?

Origine : http://www.ulipo.com/blog/

Intervention

Vincent de Gaulejac est universitaire, il travaille au laboratoire de changement social, fondé à Dauphine. Cette faculté a vécu une transformation symptomatique : de la compréhension de la gestion elle est passée à son application sur le mode des écoles de commerce. Ceci reflète le pouvoir managérial qui transforme la société.

Un des sujets de Vincent de Gaulejac est la névrose de classe, qu’il étudie à l’aide de la sociologie clinique qu’il a fondé et qui consiste en l’étude de la dimension existentielle des rapports sociaux. A dauphine avec Max Pagès il a développé un programme de recherche sur le management dans les années 70. Une seule entreprise bien voulu leur ouvrir ses portes : IBM, considérée comme un modèle de gestion. De leur étude, ils ont tiré un livre : L’emprise de l’organisation (1979).

Il a ensuite écrit Le coût de l’excellence (1991) avec Nicole Aubert, qui se voulait le contre-pied du Prix de l’excellence, par deux consultants de Mac Kinsey. Ce dernier se voulait être une doctrine basée sur l’observation du management dans les 60 entreprises les plus performantes. Vincent de Gaulejac et N. Aubert ont voulu montrer les conséquences de ce modèle. Il se trouve que quelque années après, un des auteurs de Mc Kinsey a écrit un livre sur la théorie du “chaos management”, disant qu’il valait mieux échouer six mois avant les concurrents pour avoir une chance de mieux repartir. Cela montre en quoi cette organisation est faite de paradoxe : plus l’organisation est rationnelle, moins elle a de sens pour ceux qui la vivent, plus on prend en considération la personne, plus il y a de gens psychiquement malades. Et aujourd’hui on assiste à une épidémie de suicides. Ce modèle est exporté à travers ce qu’on appelle la « modernisation du secteur public ». Il touche l’école, l’état, l’hôpital et est présenté comme le nec-plus-ultra. Dans son dernier livre, La société malade de la gestion, Vincent de Gaulejac décrit le passage d’une société de discipline à une société de contrôle. Il fait trois hypothèses :

- On est passé à un pouvoir managérial,

- C’est la « lutte des places »,

- La gestion est une idéologie (alors qu’elle se présente comme un pragmatisme).

Michel Foucault dans Surveiller et punir montre que les prisons représente un nouveau modèle de pouvoir, qui veut une normalisation des corps, pour qu’ils soient utiles, dociles et productifs. C’est cette société qui est remise en cause par le management. Aujourd’hui on a besoin de sujets autonomes, il faut faire adhérer à un nouveau modèle. On transforme l’énergie libidinale en force de travail. Ce que dit Foucault sur le contrôle des corps peut dans ce nouveau système être appliqué à la psyché. Dans La société malade de la gestion, Vincent de Gaulejac décrit cette mutation : on cible la mobilisation psychique sur des objets. On dit « réalisez vous à travers votre carrière », « l’entreprise va remplir vos besoins ». Vincent de Gaulejac expose une brochure intitulée « The Philips Way », de l’entreprise Philips et qui se veut un « modèle de comportement pour aujourd’hui ». Il cite : « Nous sommes tous d’accords pour dire que notre entreprise a besoin d’actes et non de mots ». Cette phrase contient deux paradoxes : ce ne sont que des mots, et le « nous » qui incluse le lecteur sans qu’il ait donné son assentiment. Ce système marche imparfaitement, il y en a qui pètent les plombs. Avant, il y a avait des conflits de classe, aujourd’hui la lutte est individualisée, on se retrouve seul face à une entreprise. C’est la lutte des places : pour le côté excellence, les parents sont anxieux pour leurs enfants, il faut les envoyer dans les meilleures écoles etc. De l’autre côté c’est l’exclusion des improductifs, des non employables. Au milieu, on se sent menacé, on tient à sa place. C’est le paradoxe de la croissance : elle créée et détruit des emplois et ce ne sont pas les mêmes. On remplace par des emplois précaires, flexibles. Le modèle qui comportait la sécurité de l’emploi et l’assurance d’une ascension pour les enfants éclate. Retour à Philips. Les ressources humaines (RH), considérées comme un progrès transforme en fait l’humain en ressource. On renverse le rapport : la société doit se mettre au service de l’économie pour faire du social. Le moi devient un capital à faire fructifier, c’est le culte de la performance dans tous les domaines. La contradiction pénètre les individus. La représentation marxiste a éclatée, ceux qui n’ont pas de place n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. La responsabilité de l’existence sociale est renvoyée à soi : c’est la lutte des places plutôt que la lutte des classes. On doit devenir des gens excellents, performants, c’est l’adaptabilité.

Philips : on va vous proposer de devenir excellent. Qui peut être contre ? Qui peut être contre la qualité ? C’est en quelque sorte la maladie de la mesure : on mesure toutes les activités. On montre qu’on fait de la qualité plutôt que de faire de la qualité. A l’ANPE par exemple, on est passé d’une logique d’aide à trouver un emploi à une logique de chiffre. Philips : devenir l’entrepreneur de sa propre vie. Le management intègre la famille, il faut être performant partout.

« Pour nous managers, notre credo doit être.. », on devient des croyants. On est interpellé en tant que sujet : « je comprend le projet de l’entreprise et j’y adhère… ». Vous êtes libres de travailler 24h sur 24 ! C’est la mise en place d’un nouveau contrôle. Le téléphone, internet… s’ils sont des facteurs de libertés indéniables, vont dans le sens d’un culte de l’urgence (Le Culte de l’urgence de Nicole Aubert) Ainsi, l’excellence produit l’exclusion, l’excellence tue le politique (être excellent, c’est être hors du commun quand la politique a pour objet de créer du commun). C’est l’idée de la réforme de l’état : on doit faire plus avec moins. Il faut toujours être au delà des attentes. Il y a de plus une logique d’obsolescence. On détruit ce qu’on a produit par nécessité de produire autre chose. La production devient complexe, changeante. Chez Renault par exemple au centre de Guyancourt, on est passé de la conception de 7 modèles par an, à 22 grâce à Carlos Ghosn. D’où l’épidémie de suicides ? Dans Le coût de l’excellence, écrit en 1991, Vincent de Gaulejac décrit le suicide d’un employé d’IBM : l’entreprise l’avait obligé à tricher. Il avait écrit une lettre de deux pages pour expliquer ça. Il y a deux mois, une femme d’IBM se tue à nouveau. Elle laisse comme seul mot : « trop de pression ». Quand on arrive plus à produire du sens, on tombe malade. On se défonce pour se protéger de la pression. Pourquoi par exemple y a-t-il une augmentation du nombre de suicides dans les commissariats de police ?

Réponses aux questions.

Vincent de Gaulejac n’a pas la nostalgie de la lutte des classes. Il y a un éclatement de la classe ouvrière, qu’on peut observer aux résultats du PC. Il existe une nostalgie d’un monde où on pouvait identifier le pouvoir. Aujourd’hui il faut faire une analyse de l’abstraction et de l’invisibilité du pouvoir. En effet l’hyperbourgeoisie aussi peut éclater. Il faut aller voir les traders, et leurs fonctionnements. Vincent de Gaulejac dénonce non la performance mais sa perversion, la perte de sens, le toujours plus. Par exemple quand le PDG de Danone décide il y a quelque année d’être numéro un, cela signifie abandonner les secteurs où Danone ne l’est pas. Y compris LU, usine qu’a visité Jospin lors de sa campagne et où interpellé par une femme qui avait perdu son emploi pour savoir ce que la gauche avait fait pour elle, il répond qu’il a baissé les chiffres du chômage. Là où on parle d’existence sociale, il reste dans le chiffre. De même, donner l’exemple de Zidane aux jeunes gens des quartiers nord de Marseille sans emploi c’est d’une violence symbolique inouïe. Un gagnant produit toujours des perdants. De même on est toujours pour l’avancement au mérite. Mais il produit le harcèlement, et il ne suffit pas ensuite d’arrêter celui qui harcèle pour faire cesser le harcèlement.

Concernant les remèdes :

le premier point est de savoir si on d’accord sur le diagnostique.

Ensuite, il s’agit de sortir du paradoxe, par la déconstruction du discours, car on a toujours tendance à intérioriser les paradoxes qui nous sont imposés.

Il faut passer au collectif. L’entreprise individualise. Les syndicats ont abandonné la lutte sur les conditions de travail, et refuse d’en parler pour ne pas faire face à leur échec.

Il faut changer de paradigme et mener une bataille idéologique majeure contre l’idéologie gestionnaire qui dit qu’il faut toujours mesurer l’activité humaine. Il faut donner aux gens le moyen de comprendre pourquoi ils vont mal.

Refuser le culte de l’urgence. Le pouvoir n’est dans ce cas pas une personne mais un ensemble de mesures et d’actions qui prend cohérence à postériori non voulue. Dans ce système la jouissance est toujours après, c’est un mouvement auquel on peut opposer le désœuvrement. Bergson : “seul l’immobilisme permet de penser”.

Il faut alléger la pression.

Il faut mettre l’économie au service de la société et ne pas attendre la croissance pour faire du social.