Origine : http://pro.01net.com/editorial/233348/ibm-80-ans-et-toutes-ses-dents/
Vincent de Gaulejac directeur du Laboratoire de changement social
de Paris-VII et coauteur de L'emprise de l'organisation , avec Max
Pagès, Michel Bonetti, et Daniel Descendre (Desclée
de Brouwer, 1998), et du Coût de l'excellence , avec Nicole
Aubert (Editions du Seuil, 1991).
Vincent de Gaulejac a observé le management, la culture et
l'organisation d'IBM il nous présente les mécanismes
d'une culture d'entreprise établie sur un système
¬ fondé sur l'excellence et la déification de
l'organisation ¬ qui assure l'adhésion du personnel aux
idéaux de compétitivité et de performance économique
des actionnaires.
Vous décrivez l'organisation d'IBM comme un système
de pouvoir très efficace. En quoi est-il si original ?
Dans une entreprise, il est difficile de dissocier les questions
de pouvoir et d'organisation. Comme n'importe quelle autre, IBM
cherche à établir un équilibre entre les intérêts
de ses différents contributeurs, actionnaires, salariés
ou clients. Mais c'est la première entreprise à avoir
posé aussi clairement une philosophie de conciliation et
à l'inscrire dans ses dispositifs organisationnels.
Ces dispositifs définissent-ils une nouvelle forme de
management ?
Tout à fait. Définie dans l'organisation de l'entreprise
par un système de règles, cette philosophie de la
conciliation génère un pouvoir managérial d'autant
plus efficace qu'il est abstrait. Il est difficile de saisir qui
le détient. Fondé sur l'adhésion et l'identification,
prescripteur et normalisateur, il s'exerce indépendamment
des managers. Les gens changent, le pouvoir reste. C'est là
toute la faculté d'adaptation du système.
Cela explique-t-il aussi le nombre relativement peu élevé
de présidents qui se sont succédé à
la tête d'IBM ?
Les présidents d'IBM sont des purs produits de son organisation.
A l'exception de Lou Gerstner, tous ont fait carrière au
sein de l'entreprise.
Vous définissez ce système de pouvoir comme un
mécanisme d'évitement des conflits. Explique-t-il
également la longévité d'IBM ?
Ce n'est pas forcément l'unique raison. Mais je suis frappé
par le fait qu'IBM a réussi à maintenir l'adhésion
de ses salariés, alors même qu'ils ont été
floués. L'entreprise a connu des crises ¬ par exemple,
à l'occasion de l'évaluation des performances ¬
qui auraient dû provoquer des levées de boucliers.
Or, à ma connaissance, il n'y a pas eu de réaction
massive, car ce système de désamorçage des
revendications collectives par l'abstraction du pouvoir marche bien.
Ce système de management fondé sur l'adhésion
aux règles ne comporte donc aucune faille ?
Ce système a une extraordinaire capacité à
externaliser les contradictions et les conflits. Il n'y a plus de
luttes à l'intérieur des entreprises, car les gens,
dont les fantasmes et les pulsions ont été canalisés
sur l'excellence, ont intériorisé ces conflits. Dans
la culture de la haute performance, on cache ses faiblesses. Ce
qui, à mon sens, est l'un des gros points faibles de ce type
d'organisation. Un autre en est l'exportation des problèmes
à l'extérieur par l'essaimage. Sans oublier le syndrome
de la réorganisation permanente, qui produit du désordre.
Pris dans un chaos permanent, les gens deviennent très vulnérables.
Françoise Gri (IBM France) : ' l'innovation est
au coeur de notre stratégie '
Le patron de la filiale française explique le succès
d'IBM en grande partie par un investissement massif en R&D et
une présence mondiale.
L'année 2004 marque non seulement le quatre-vingtième
anniversaire de la création de la marque IBM, mais aussi
les quatre-vingt-dix ans de sa filiale française. A cette
occasion, Françoise Gri, président-directeur général
d'IBM France depuis août 2001, a précisé à
01 Informatique la stratégie du constructeur en matière
de recherche et développement.
Quelle place occupe la R&D chez IBM ?
L'innovation est au c?"ur de notre stratégie. Nous
investissons chaque année près de 6 milliards de dollars
en recherche et développement, avec plus de 3 000 chercheurs
et ingénieurs, et huit laboratoires répartis dans
six pays ! Le but est d'anticiper les besoins du client en concevant
aujourd'hui ce dont il aura besoin demain. Notre engagement soutenu
en R&D explique notre position de leader en matière de
brevets et constitue un facteur important de l'avance d'IBM sur
le plan des solutions informatiques.
Les brevets sont aussi une source de revenus...
En effet. Ils génèrent 1 milliard de dollars en chiffre
d'affaires chaque année. Et cela depuis onze ans. Il n'est
donc pas étonnant que le reste du marché observe avec
beaucoup d'attention et d'envie notre modèle de management
de la propriété intellectuelle. Mais là n'est
pas le principal. Les brevets ne sont, à nos yeux, qu'une
première étape vers la véritable innovation.
Notre succès se mesure avant tout à notre capacité
à utiliser ces inventions pour rapidement délivrer
à nos clients des produits et des solutions d'avant-garde.
Que représentent les revenus issus de la R&D en
pourcentage du chiffre d'affaires d'IBM ?
Il est difficile de donner des chiffres. Les innovations de nos
laboratoires se traduisent aussi par des améliorations apportées
à des produits et services déjà existants.
Les utilisateurs peuvent-ils être des acteurs à
part entière de cette recherche ?
Oui. En 2002, IBM a annoncé la création de On Demand
Innovation Services, sa première entité de recherche
directement tournée vers les clients. Nos clients ont désormais
accès à une équipe de chercheurs spécialisés
dans le conseil de haut niveau. Cela en matière de technologies
et de transformation opérationnelle. La nouvelle entité
travaille en partenariat avec la division Business Consulting Services
d'IBM pour que les clients bénéficient directement
des innovations, des outils et de l'expertise d'IBM Research. Ainsi,
les chercheurs d'IBM continuent de développer des technologies,
et mettent aussi leur capacité d'innovation, leurs outils
et leur expertise à la disposition de nos clients.
Comment les décisions de se lancer dans les nouvelles
technologies se prennent-elles ?
Nos investissements s'effectuent dans un cadre bien délimité,
que nous avons défini dès la création de la
division logiciels en 1984 se positionner au-dessus des systèmes
d'exploitation et rester dans le monde de l'infrastructure. Cette
tactique s'est construite par des acquisitions stratégiques
¬ Lotus, Tivoli, Rational, Informix ¬ et par d'autres acquisitions
d'ordre technologique -Green Pasture, Crossworlds, Tarian, Metamerge,
Holosofx, etc. ¬ afin de compléter notre gamme de produits
et de réduire leur mise sur le marché. Si nous sommes
aujourd'hui dominants sur le marché de l'infrastructure,
c'est aussi parce que nous suivons une valeur fondamentale le respect
des standards comme J2EE.
Comment parvenez-vous à réaliser des économies
d'échelle entre des spécialités aussi différentes
que l'électronique et le développement logiciel ?
Nous pouvons plus facilement amortir nos investissements du fait
de notre présence au niveau mondial et de notre taille. IBM
est, en effet, l'un des plus grands employeurs privés au
monde avec 319 000 collaborateurs ¬ dont la plupart évoluent
dans les services. Ce à quoi vous pouvez ajouter notre écosystème
45 000 partenaires commerciaux, les nombreux étudiants chercheurs
et experts dans leur domaine que nous accueillons, et les liens
avec les universités et les centres de recherche, notamment
en Europe. Ce réseau mondial et notre stratégie d'innovation
nous permettent d'apporter une palette de technologies et de services
globale et différenciée par rapport à nos concurrents.
La taille d'IBM n'est donc pas un inconvénient...
Non. Elle nous permet même d'offrir à nos clients
une rapidité d'exécution et de mise en ?"uvre
unique sur le marché. Par exemple, pour le déploiement
rapide de projets complexes, nous sommes en mesure de mobiliser
des équipes importantes de consultants et d'experts dans
le monde entier et de mutualiser les expertises, qu'elles soient
technologiques ou sectorielles. Nous sommes également capables
d'accompagner les entreprises dans tous les aspects de la complexité
des projets d'externatisation en leur apportant une aide non seulement
sur le plan technologique et métier, mais aussi juridique,
ressources humaines ou comptable. Pour ce faire, il faut posséder
des ressources en termes de consultants et d'experts. Mais également
une capacité financière ces projets entraînent
parfois la reprise d'actifs, mais aussi l'embauche de salariés.
Dans le domaine des services, outre les compétences, une
taille critique est donc indispensable.
La R&D d'IBM
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