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Origine : http://www.miroirsocial.com/interview/on-attend-des-employes-une-implication-subjective-et-affective
La société malade de la gestion : Idéologie
gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social
Enjeux et tabous de la prévention des risques psychosociaux
15 juillet 2009
Pour vous, dans la crise actuelle, c’est un modèle
de gestion des organisations qui est en cause. Pourquoi ?
Dans l’absolu, la gestion n’est ni bonne, ni mauvaise.
Mais elle se pervertit quand elle favorise une vision du monde dans
laquelle l’humain devient une ressource au service de l’entreprise.
Là, on peut parler d’idéologie gestionnaire,
ou de gestion managériale.
Or, cette gestion managériale se présente comme un
progrès notable face au caractère oppressif et statique
du système disciplinaire. Ses principales caractéristiques
sont pourtant bien connues : le primat des objectifs financiers,
la production de l’adhésion, la mobilisation psychique.
On attend des employés une implication subjective et affective.
A la répression se substitue la séduction, à
l’imposition l’adhésion, à l’obéissance
la reconnaissance. Le travail est présenté comme une
expérience intéressante, enrichissante et stimulante.
Michel Foucault parlait du « corps disciplinaire »,
soumis, assujetti pour obéir. Aujourd’hui, dans le
travail, c’est la psyché qui devient force utile, soumise
et assujettie. Le management transforme l’énergie libidinale
en énergie rentable. Il transforme l’angoisse, le plaisir
en forces de travail, productives. Tout se passe comme si ce que
l’homme avait gagné en temps, grâce au progrès
technique, il le paie en intensité, et ce qu’il gagne
en autonomie, il le paie en implication. Les symptômes liés
au monde du travail se sont donc déplacés. Aujourd’hui,
le symptôme principal s’est internalisé : c’est
le stress.
D’où vient ce stress ?
Il faut aussi travailler en équipe, mais l’évaluation
des performances est individuelle La violence dans l’entreprise
hypermoderne n’est pas répressive, même s’il
subsiste des formes de répression : c’est surtout une
violence psychique liée à des exigences paradoxales.
Il faut aussi travailler en équipe, mais l’évaluation
des performances est individuelle. On parle de qualité totale,
mais l’entreprise est dominée par le souci de la rentabilité
financière et les résultats quantitatifs. Il faut
être autonome, mais dans la limite des procédures.
Surtout, il faut faire toujours plus, avec toujours moins.
Pour ne pas devenir fous, les agents acceptent de se laisser prendre,
du moins en apparence. Ils font « comme si ». Ils mettent
en place des mécanismes de défense pour supporter
cet univers à moindre coût psychique. D’où
le stress, mais également la suractivité de certains
: pour lutter contre le sentiment de vacuité provoqué
par le non-sens.
Comment lutter contre cette souffrance au travail ?
Passer du discours de la victime à celui du contestataire
La contestation de ce pouvoir est particulièrement difficile,
comme tout système qui enferme les individus dans des paradoxes.
Et ce n’est pas en réunissant les salariés en
séminaires pour parler du stress que cela va les aider. C’est
en leur donnant les outils théoriques et pratiques qui leur
permettent de comprendre ce qu’il se passe : le décalage
entre les objectifs et les moyens, etc. Il faut permettre aux travailleurs
d’être des sujets, de donner du sens à leurs
symptômes pour ne plus les subir. Il faut discuter des conflits
vécus, pour les comprendre, et envisager les transformations
des organisations nécessaires.
Il y a une vraie bataille idéologique derrière ce
thème du stress au travail. D’ailleurs, il vaudrait
mieux parler de « violence » que de « souffrance
» au travail : cela permettrait de passer du discours de la
victime à celui du contestataire.
Et à la résistance collective de se faire davantage
entendre ?
Peut-être. Les gens souffrent aussi beaucoup de cette impression
d’être seuls à résister dans leur coin,
alors qu’ils sont des milliers. La traduction politique de
ce malaise a du mal à se faire. Cette année, les enseignants
chercheurs sont descendus dans la rue, mais ça n’a
pas entraîné de grands mouvements collectifs. Pourtant,
les Suisses, les Belges, les Québécois, les Sud-Américains
nous observaient avec curiosité bienveillante, pour savoir
si, nous, on allait y arriver, et faire entendre notre contestation.
Mais les leaders n’ont pas encore pris la mesure de ce qui
se trame. C’est un temps de maturation…
Des recherches sont d’ailleurs menées sur de nouveaux
modèles de résistance collective, qui commencent à
porter leurs fruits.
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