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Origine : http://www.journalmetro.com/carrieres/article/779172--souffrance-au-travail-desamours-managinaires
Conférence de Vincent de Gaulejac Université de Montréal
Un livre : À paraître aux éditions du Seuil,
un ouvrage qui vise à «travailler mieux pour vivre
mieux» : Travail, les raisons de la colère par Vincent
de Gaulejac
«De plus en plus de gens prennent conscience du problème
de la violence managériale. Les syndicats ont été
en retard sur ce sujet, mais moins au Québec qu’en
France, grâce à un plus grand intérêt
pour les questions de santé.» -Vincent de Gaulejac,
sociologue
Les nouvelles pratiques managériales ont introduit une forme
de violence dans les entreprises. Lundi soir, à l’Université
de Montréal, le sociologue Vincent de Gaulejac présentera
les ressorts de ces méthodes et leurs liens directs avec
la souffrance au travail.
C’est une petite révolution, qu’on doit aux
théoriciens de l’école de Chicago et qui a été
expérimentée dans les années 1960 et 1970 dans
des entreprises, comme IBM, spécialisées dans les
technologies de pointe. On l’appelle la «nouvelle gouvernance».
Cette méthode de gestion des ressources humaines, dont l’objectif
est d’obtenir toujours plus d’implication personnelle
de la part des salariés, le sociologue et professeur à
l’université Paris VII Vincent de Gaulejac l’étudie
depuis 1979 et en a fait l’un de ses principaux axes de recherche
au Laboratoire de changement social. «J’ai vu arriver
des gens spécialisés dans la gestion qui s’interrogeaient
sur ces nouvelles pratiques, raconte-t-il, des gens inquiets qui
cherchaient un lieu de recherche pour les étudier. Nous étions
en première ligne pour essayer de comprendre.»
Sur quoi se basent ces nouvelles pratiques? En premier lieu, sur
un renforcement du contrôle du salarié, notamment grâce
à des outils de gestion informatisée. Par exemple,
les logiciels comptables sont capables de mesurer, et donc de comparer,
la productivité de chaque cellule et de chaque individu.
Mais le cœur du changement est ailleurs. Si, auparavant, l’entreprise
exerçait un contrôle sur le corps de l’individu,
en quadrillant l’espace de travail ou en usant d’instruments
comme la pointeuse (ce que le philosophe et historien français
Michel Foucault définissait dans son livre Surveiller et
punir comme le «système disciplinaire»), la nouvelle
gouvernance, elle, a déplacé ce contrôle vers
l’imaginaire de l’individu. D’où le néologisme
employé par Vincent de Gaulejac : le système «managinaire».
Il s’agit de mettre le salarié dans les conditions
psychologiques idéales pour qu’il donne son maximum
à l’entreprise. «Dans ce système, les
concepts managériaux comme la motivation, la flexibilité
et la performance sont intériorisés par le salarié
pour favoriser son adhésion aux objectifs de l’entreprise,
explique le sociologue. La réussite personnelle devient la
réussite professionnelle.»
Ce salarié, qui redoute la perte de son emploi, vécue
avec honte comme un échec personnel, va alors tout mettre
en œuvre pour concilier l’inconciliable, faire toujours
plus avec toujours moins. Un impératif qui le met sous pression,
le soumet au stress, à l’épuisement professionnel,
parfois à la dépression.
Autant de souffrances qui peinent à trouver un relais syndical.
En cause, la volonté patronale de désamorcer les moyens
d’expression de la colère; Vincent de Gaulejac rappelle
à cet égard la politique anti-syndicale de WalMart.
«Beaucoup de dirigeants d’entreprises estiment que la
souffrance psychologique est une question personnelle, ajoute-t-il.
Il y a un poids idéologique du patronat, qui refuse de voir
le problème.»
Pourtant, une prise de conscience s’opère, lente et
encore peu étendue. Des politiques de prévention des
risques sont mises en place pour tenter de limiter les dégâts
humains et économiques. Économiques, oui, car le stress,
la dépression, les congés maladies… tout cela
coûte à l’entreprise. La contre-productivité
pourrait, alors, de la manière la plus comptable qui soit,
constituer le frein mis à la nouvelle gouvernance.
Harcèlement
En France, la violence des pratiques mana¬gé¬ria¬les
a fait la manchette au moment où l’entreprise publique
France Télécom est passée dans le domaine privé.
Une politique systématique de harcèlement managérial,
appelée Next, a été programmée entre
2006 et 2008 pour pous¬ser à la démission 22 000
em¬ployés. S’en est suivie une vague de suicides
qui a forcé la société française à
s’interroger sur ses pratiques.
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