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Origine : www.cairn.info/l-individu-hypermoderne--9782749203126-page-129.htm
Vincent de Gaulejac « Le sujet manqué », in
L'Individu hypermoderne, érès, 2006, p. 129-143.
L'individu « par défaut » et les contradictions
de l'hypermodernité
Vincent de Gaulejac : sociologue, professeur à l’université
Paris VII, directeur du Laboratoire de changement social, président
du comité de recherche Sociologie clinique de l’Association
internationale de sociologie. Ses derniers ouvrages sont Les sources
de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996 et L’histoire
en héritage, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
L’hypermodernité se caractérise par l’exacerbation
des tensions dans le rapport entre l’individu et la société.
Elle évoque un monde hyperparadoxal qui confronte chaque
individu à des contradictions multiples, hétérogènes,
objectives et subjectives. La « perte de sens » éprouvée
par beaucoup de nos contemporains est l’expression d’un
monde vécu comme incohérent, dans lequel « chacun
cherche son chat », pour reprendre le titre d’un film
emblématique, qui décrit des individus un peu paumés
à la recherche de cohérences improbables. La société
hypermoderne offre des possibilités pour favoriser l’émergence
d’individus, sujets en quête d’autonomie dans
des univers contrastés. Les uns dominés par une prescriptophrénie
galopante (maladie de la prescription), les autres par l’anomie.
Les uns souffrent d’un excès de normes, les autres
de leur absence. Après avoir évoqué différentes
injonctions paradoxales qui caractérisent l’hypermodernité,
nous montrerons, à partir de l’histoire de Richard
Durn, les pièges de l’injonction à être
soi-même. Si l’individu contemporain n’a d’autre
objectif que de réaliser son auto-accomplissement (Gauchet,
1998), qu’en est-il de tous ceux qui n’arrivent pas
à « se » réaliser ? Et pourquoi cette
exigence débouche-t-elle sur une soif inassouvie de reconnaissance
?
De quelques contradictions de l’hypermodernité
L’individu hypermoderne doit se présenter comme un
homme libre, responsable, créatif, capable de faire des projets,
et en même temps de se couler dans des modèles (être
bon élève, diplômé, bien dans sa peau…),
des contraintes (concours, sélection, embauche…), des
normes très strictes. On lui prescrit d’être
autonome, mais la conquête de l’autonomie passe par
l’acceptation de cadres, l’incorporation d’habitus,
l’intériorisation de façons de faire et d’être.
On le constate dans les institutions, notamment l’école,
les entreprises, l’ensemble des organisations qui médiatisent
le rapport individu/société. On le voit également
dans les familles, dans lesquelles l’enfant doit faire preuve
très tôt d’autonomie pour pouvoir répondre
à l’exigence du projet parental. L’enfant doit
faire ce qu’il veut, c’est-à-dire prouver qu’il
est autonome pour se conformer à ce que ses parents souhaitent
qu’il soit. L’exigence d’autonomie est fondamentalement
paradoxale.
L’individu doit donc se « couler dans des moules de
socialisation conformes, tout en affirmant une singularité
irréductible » (Kaufmann, 2003). Il doit être
commun et hors du commun, semblable et différent, affilié
et désaffilié, ordinaire et extraordinaire. Lorsque
les définitions sociales de l’identité, liées
à la généalogie, à l’appartenance
de classe, au statut scolaire ou professionnel, sont de plus en
plus différenciées, relatives et instables, chaque
individu est conduit à se définir lui-même pour
affirmer une existence, pour mettre de l’unité face
à la diversité, de la cohérence face aux contradictions.
Mais il faut plus encore. Il s’agit de se distinguer, d’affirmer
une spécificité, de mettre en acte l’exigence
d’autonomie par des caractéristiques remarquables,
d’être « hors du commun ». On se définit
moins comme un semblable que comme une exception. Comme si être
« comme les autres » était irrémédiablement
être quelconque. Il faut donc sortir de l’ordinaire,
se dépasser, se surpasser. Il faut échapper aux catégories
ordinaires pour se projeter dans la conquête d’un soi
grandiose. La définition de soi et la quête identitaire
passent par la nécessité de réaliser «
de petits ou de grands exploits personnels », selon l’expression
de J.C. Kaufmann.
L’individu doit se « réaliser » quelles
que soient par ailleurs les conditions objectives qui favorisent
ou empêchent de réussir. À partir du moment
où la responsabilité de « son destin »
est renvoyée à l’individu lui-même, où
la vie même s’inscrit dans un projet entrepreneurial
d’excellence et de dépassement perpétuel, il
devient responsable de sa réussite ou de son échec.
Il ne peut donc s’en prendre qu’à lui-même.
La dénonciation des inégalités objectives cède
le pas à la mise en évidence des carences et des incompétences
individuelles. L’individu est « condamné à
réussir » (Bonetti et de Gaulejac, 1982). Et cette
réussite est sans limite, sans fin, sans repos. Il ne s’agit
pas d’atteindre un but, il s’agit d’être
le meilleur. Chacun doit progresser sans cesse. La réussite
devient un but en soi. Les traductions concrètes du succès
– un diplôme, un emploi, un salaire, un niveau de vie
– disparaissent derrière une nécessité
psychique : satisfaire un idéal de perfection et d’excellence.
Il s’agit de se dépasser. Et l’on sait que l’idéal
de perfection s’étaye sur un désir de toute-puissance.
La condamnation à réussir est bien sûr non pas
la conséquence du jugement d’un tribunal, mais une
exigence qui s’enracine dans les normes d’une société
de compétition. Lorsque cette exigence rejoint les désirs
mégalomaniaques inconscients, elle est intériorisée
comme un absolu. Plus le sujet se vit comme étant condamné
à réussir, plus l’échec est inéluctable
puisque la perfection reste à jamais inaccessible. On voit
alors pointer l’angoisse de l’échec, la crainte
de ne plus être à la hauteur, la peur de ne plus y
arriver, le sentiment d’être mauvais, la « fatigue
d’être soi » (Ehrenberg, 1998), le sentiment d’être
pompé, vidé et sans ressort, toutes ces « pathologies
de l’hypermodernité » évoquées
par ailleurs dans cet ouvrage.
La société industrielle fixait les individus dans
des cadres sociaux (la classe, le sexe, le métier, la profession,
l’habitat) et des normes de comportement qui définissaient
les contours d’identités stables et reconnues. Il n’en
va plus de même aujourd’hui. « À notre
époque de modernité “liquide”, non seulement
le placement des individus dans la société, mais les
places même auxquelles ils pensent avoir accès et dans
lesquelles ils peuvent souhaiter s’établir, se confondent
perpétuellement et peuvent à peine servir de but à
des projets de toute une vie » (Bauman, 2003). Mais comment
se socialiser durablement tout en étant flexible, mobile
et adaptable ?
Ainsi, la question de l’identité se pose de moins
en moins dans la gestion des passages et des écarts entre
l’identité héritée, l’identité
espérée et l’identité acquise. Elle se
construit face à des choix aléatoires, des modèles
instables construits sur des places et des statuts menacés
de disparaître. Le souci principal n’est plus de monter
dans l’échelle sociale, dont chaque échelon
était relativement précis, puis de s’installer
dans une place étayée par un cadre bien établi,
de s’y faire reconnaître et de projeter sur ses enfants
le projet de consolider la position acquise ou de poursuivre l’ascension
amorcée (de Gaulejac, 1987). Le problème aujourd’hui
se présente plutôt dans une quête identitaire
permanente, qui s’exprime par des appartenances multiples,
successives, concomitantes, sans que l’individu veuille ou
puisse se fixer durablement.
Plus les « mondes sociaux » s’ouvrent les uns
aux autres, plus la globalisation produit de l’indifférenciation,
plus les modèles culturels tendent à s’interpénétrer,
plus l’individu éprouve le besoin de se distinguer.
Chaque individu-sujet peut établir des relations avec différents
mondes sociaux et développer une socialité réticulaire
(en réseaux). Mais lorsque les relations sont multiples,
chacune d’elle est plus fragile, plus instable, plus éphémère.
Si l’individu hypermoderne peut se brancher dans l’instantanéité,
il peut aussi se débrancher ou être débranché
tout aussi rapidement. Et c’est bien parce qu’il est
confronté à l’instabilité permanente
et à des injonctions paradoxales multiples qu’il est
condamné à se positionner comme sujet. Il lui faut
s’affirmer, effectuer des choix, résister aux ballottements
de l’histoire, rebondir après une exclusion, se transformer
pour s’adapter aux changements. Un sujet incertain face aux
questions qu’il lui faut résoudre : comment exister
socialement ? Comment se faire une place dans le monde ? Comment
la garder ? Comment être « branché » ?
Comment ne pas se laisser « débrancher » ? L’histoire
de Richard Durn met en évidence la difficulté d’être
sujet pour un individu pris en défaut d’existence.
Richard Durn : l’excès dans l’inexistence
Dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 mars 2002, Richard Durn
abat huit conseillers municipaux de Nanterre et en blesse dix autres.
Arrêté, interrogé au quai des Orfèvres,
il se suicide le 28 mars en se jetant dans le vide.
Dans les jours qui suivent, la vie de Richard Durn sera reconstituée
dans les médias. Le 10 avril, Le Monde titre en première
page : « Les confessions de Durn qui voulait vivre en tuant
», et publie des extraits de son journal intime [1]. On apprend
qu’il est né en 1968 d’une mère slovaque
et d’un père qu’il n’a jamais connu. Sa
mère a divorcé de son mari une semaine avant la naissance
de celui-ci. Elle dit qu’il n’est pas le père
de Richard et refusera de révéler à son fils
la vérité sur son père. Elle travaille comme
ouvrière puis comme femme de ménage. Richard, dans
un premier temps, a un parcours scolaire plutôt brillant.
D’après sa mère, « il n’avait que
des A ». En 1990, il passe un deug d’histoire à
l’université de Nanterre et mettra trois ans pour obtenir
la licence. À cette époque, il fait une première
tentative de suicide pour échapper à ses obligations
militaires. Il avale des médicaments et reste quarante-huit
heures dans le coma. Il sera immédiatement réformé.
En 1995, il s’inscrit en maîtrise d’histoire sans
passer les examens. L’année suivante, il prépare
une maîtrise de sciences politiques qu’il réussit
en deux ans. En 1998, il s’inscrit en première année
de langues étrangères appliquées (lea) en suivant
le cursus par correspondance. Il échoue aux examens trois
années de suite et abandonne ses études en juin 2001.
Pendant ses études, il est surveillant dans plusieurs établissements
scolaires de Nanterre. Entre 1999 et 2002, il écrit un journal.
« Je n’ai pas vécu, je n’ai rien vécu
à trente ans » (carnet du 9 février 1999). Coupé
du monde, il attend désespérément une lettre,
ou un coup de téléphone. « Je n’existe
plus pour personne, je suis oublié de tous. » Syndrome
dépressif, diraient les psychiatres, confirmé par
Richard Durn lui-même : « Marre d’être le
dépressif et le type qui fait pitié dans le meilleur
des cas ! » D’autant qu’il ne dit pas qu’il
« fait » une dépression, comme on tombe malade,
mais qu’il est « le » dépressif, comme
s’il incarnait l’essence même du phénomène.
Ce n’est plus « la fatigue d’être soi »,
c’est le néant, le vide, la béance : «
Je n’ai rien, je ne suis rien au monde. » L’histoire
de Richard Durn se résume à cette formule. Il aurait
voulu être sujet, il se retrouve anéanti.
Que faut-il donc être pour exister ? Selon la psychanalyse,
une des caractéristiques majeures de la dépression
est la tension entre le moi et l’idéal du Moi. Le moi
n’étant pas à la « hauteur » des
exigences de l’idéal, le sujet se ne contre lui-même,
il se vit comme bon à rien. Faute de s’élever
pour correspondre à l’idéal, il se rabaisse
; faute de valorisation, il se dévalorise ; faute d’exister
en correspondance avec les exigences de son idéal, il se
déconsidère : « Je suis un vaurien. »
L’idéologie de la réalisation de soi-même
comme valeur collective alimente les idéaux du moi. Elle
renvoie chacun à l’obligation de se faire une place,
de s’insérer, de se socialiser. Le coût psychique
est alors insupportable lorsqu’il se trouve dans des écarts
trop radicaux entre sa position acquise, celle qu’il aurait
souhaité obtenir, et les opportunités qui lui sont
proposées.
L’individu hypermoderne se doit d’acquérir les
qualités nécessaires pour vivre dans le monde d’aujourd’hui
: mobilité, réactivité, efficacité,
responsabilité, etc. Autant de vocables constamment évoqués
dès l’école, relayés par l’entreprise
et les institutions, ainsi que par une partie du monde politique.
Nous l’avions analysé à propos des bénéficiaires
du revenu minimum d’insertion, qui doivent faire la preuve
de leur volonté de s’en sortir en élaborant
un projet d’insertion, en se montrant dynamiques, en se conformant
à l’image attendue d’eux, image de quelqu’un
qui souhaite réellement « s’en sortir ».
Le pare (pacte de à l’emploi) sous-tend la même
idéologie de la réalisation de soi-même.
Richard Durn est l’antimodèle par excellence, le looser
de l’hypermodernité. Il ne correspond pas à
l’individu tel qu’il est sollicité dans la société
d’aujourd’hui : un être autonome, adaptable, capable
de réaliser ses aspirations Il n’est ni autonome, ni
responsable, ni flexible, ni dynamique. Faute d’être
dans la séduction, il va basculer dans la destruction. «
Je suis bloqué parce que je n’ai pas de femme. Je me
sens bloqué parce que je n’ai pas appris à être
indispensable pour un groupe de personnes ; je suis foutu parce
que je n’ai plus de repères sociaux et affectifs. »
Derrière le vide de l’altérité émerge
la négation de soi que représente l’incapacité
de répondre à l’exigence de développement,
de progression, de réalisation de soi. Richard Durn est le
prototype du laissé pour compte, du laissé sur place.
Lorsque tout le monde progresse, celui qui stagne est inévitablement
coupé des autres par un écart qui ne fait que croître.
On comprend ici l’ambiguïté du terme « exclusion
» qui induit un mouvement de mise à l’écart.
En fait, c’est la stagnation qui exclut. Dans une société
en mouvement, lorsque tout le monde avance, celui qui fait du sur-place
est perçu comme reculant. Le fait de progresser est devenu
une exigence. Tout le monde doit se développer, se former,
se mobiliser pour trouver une place et la conserver. Les autres
se retrouvent comme suspendus au-dessus du vide social. La place
qu’ils occupaient ou qu’ils auraient pu occuper s’est
déplacée. Et comme eux-mêmes n’ont pas
fait l’effort de la suivre, ils la perdent.
La trajectoire scolaire de Richard Durn est exemplaire de ce processus.
Il n’a que des A à l’école primaire et
au collège. Il est en tête et il est reconnu comme
un bon élève. Il occupe donc les meilleures places.
À l’université, la réussite est plus
difficile. Il arrive à passer sa licence. Ensuite, il semble
que les choses se mettent à patiner. Il met plusieurs années
pour passer sa maîtrise, et il échoue trois années
de suite en lea. Non seulement il échoue, mais il régresse.
Après avoir fait du « sur place », il semble
revenir en arrière. Mais dans le même temps, sa «
génération » continue son chemin : finir ses
études, se marier, entrer dans la vie professionnelle, obtenir
une indépendance financière. Alors que lui se retrouve
fixé dans un travail de pion qu’il déteste,
cohabitant avec sa mère, sans perspective, sans projet, sans
espoir.
D’autant qu’il ne peut s’en prendre qu’à
lui-même. Ses difficultés ne sont pas attribuables
à des conditions objectives particulièrement difficiles.
Dans les premières années de son existence, il semble
au contraire porté vers un avenir de réussite scolaire
et professionnelle. Jusqu’au moment où il décroche
: « Je suis fatigué de constater que le temps passe
et que je n’ai rien […] Je ne peux plus être au
bas de l’échelle et voir tous les gens que j’ai
côtoyés, progresser dans la vie [mariage, vie en couple,
indépendance financière, rupture ombilicale avec la
famille, carrière professionnelle et manœuvres pour
y progresser]. » Il égrène ici tous les registres
autour desquels s’organisent l’autonomie et l’insertion
: fonder un couple, subvenir à ses besoins, posséder
son propre logement, trouver un emploi, mettre en œuvre des
stratégies sociales pour obtenir de la reconnaissance. Il
est défaillant sur l’ensemble de ces plans. Et il se
vit comme étant dans une impasse.
Pourquoi devrais-je me détruire et souffrir seul
comme un con ?
Puisqu’il ne peut devenir ce qu’il voudrait être,
puisqu’il n’a pas été reconnu par ceux
qui représentent du pouvoir, le désir d’ascension
et de réussite va laisser la place au poison de l’envie.
Faute d’obtenir ce qu’il désire, l’envieux
détruit l’objet même de son désir, en
l’occurrence les figures du pouvoir, de la notabilité,
de la considération.
L’envie est un sentiment qui ronge de l’intérieur,
remplit l’individu de fiel, de ressentiment devant la réussite
des autres, et de dégoût de soi-même. Dégoût
de non réussir, dégoût d’éprouver
un sentiment aussi détestable, dégoût de voir
les autres posséder ce que l’on souhaiterait avoir.
L’envie ouvre la porte aux pulsions de destruction. Faute
de posséder ce que l’autre possède et qu’il
ne peut obtenir, l’envieux, submergé de colère
et de haine, cherche à détruire l’objet même
de son désir. Il est prêt à se détruire
lui-même pour entraîner l’autre dans sa chute.
Celui qu’il valorisait, qui suscitait son admiration, qui
représentait un modèle, il faut l’éliminer,
l’entraîner avec soi dans la spirale du malheur. L’envie,
c’est la revanche de l’orgueil bafoué. Elle renvoie
au sujet sa médiocrité, sa bassesse, son impuissance,
sa mauvaiseté. Contrairement à l’ambitieux qui,
pour échapper à la honte, mobilise toute son énergie
afin de s’accaparer ce qu’il désire, l’envieux,
incapable de l’atteindre, mobilise toute son énergie
à détruire l’objet de sa convoitise. L’envie
combine la colère de ne pas devenir ce que l’on voudrait
être, le sentiment de dévalorisation éprouvé
face à celui qui l’incarne, et le dégoût
de soi, la honte de se reconnaître impuissant et envieux,
d’être habité par des sentiments aussi détestables.
C’est l’existence même qui devient alors intolérable,
parce qu’elle est porteuse d’une invalidation permanente.
Le sujet, ne pouvant se réaliser du côté d’Éros,
cherche une issue du côté de Thanatos.
Richard Durn illustre dans ses carnets ces différents éléments
qui décrivent la morsure de l’envie. Il évoque
sa vie de « lâche et de crétin », sa mentalité
« d’esclave et de faible » ; il dit qu’il
« ne mérite pas de vivre » et qu’il est
« immature et déglingué ». « Je
ne veux plus être soumis, je ne veux plus manquer d’audace.
» Il voudrait atteindre les cimes, il se retrouve «
au bas de l’échelle ». Le constat de la vacuité
de son existence débouche sur l’idée de destruction
et de carnage. « Depuis des mois, les idées de carnage
et de mort sont dans ma tête. Je ne veux plus être soumis,
je ne veux plus manquer d’audace et me planter. Pourquoi devrais-je
me détruire et souffrir seul comme un con ? Même si
on me maudira, si on me prendra pour un monstre, je ne me sentirai
plus floué et humilié » (carnet du 9 février
1999).
Le poison de l’envie est violent. Lorsque le sujet se sent
bafoué, humilié, en dessous de tout, l’orgueil
le pousse à entraîner les autres dans sa chute, en
particulier ceux qu’il estime responsables. Ceux-là
même qu’il a estimés mais qui n’ont pas
su, pas pu, peut-être pas voulu le « sortir de là
». Ceux qui n’ont pas su le reconnaître, ceux
dont il quémandait l’attention, ceux dont il aurait
voulu partager la considération. « Puisque j’étais
devenu un mort-vivant par ma seule volonté, j’ai décidé
d’en finir en tuant une mini-élite locale qui était
le symbole et qui étaient les décideurs dans une ville
que j’ai toujours exécrée » (audition
du 27 mars à 12 h, quai des Orfèvres). Une ville qu’il
hait puisqu’elle n’a pas su l’aimer. Une ville
dans laquelle il a passé toute son existence et dans laquelle
il aurait aimé réussir. Une ville qui lui a même
offert les « supports » nécessaires pour cette
réussite. Comme tout orgueilleux qui ne peut devenir un champion
du côté de l’excellence, il va chercher la gloire
du côté du mal. Un héros du mal pour tenter
une fois seulement de transformer son existence en attirant la lumière.
Mourir sous les projecteurs pour sortir de l’ombre. «
Le conformiste que je suis a besoin de briser des vies, de faire
du mal pour, au moins une fois dans ma vie, avoir le sentiment d’exister.
Le goût de la destruction parce que je me suis toujours vu
et vécu comme un moins que rien, doit cette fois se diriger
contre les autres, parce que je n’ai rien et que je ne suis
rien » (carnet du 2 janvier 2002). Mourir dans la jouissance
morbide, faute de pouvoir jouir de l’existence. « Je
ne mérite pas de vivre. Mais je dois crever au moins en me
sentant libre et en prenant mon pied. C’est pour cela que
je dois tuer des gens. Une fois dans ma vie, j’éprouverais
un orgasme. J’éprouverais le sentiment de puissance,
d’être quelqu’un [2]. »
Être quelqu’un, c’est se conformer à l’image
brillante et séductrice des « gagnants ». Ceux
qui peuvent afficher une identité flamboyante, ceux qui réussissent
leurs études, leurs carrières, mais aussi leur vie
sexuelle et affective. Il convient d’être performant
sur tous les registres. La plupart arrivent à compenser ;
faute d’être bons partout, ils se satisfont de l’être
sur tel ou tel point. Richard Durn se décrit comme le looser
absolu. Il aurait souhaité être au-dessus du lot et
il se retrouve en dessous. Il ne peut se résigner à
être dans la moyenne, encore moins dans la médiocrité.
Il va alors se laisser couler, jusqu’au dernier sursaut, pour
trouver dans la mort la puissance et la gloire qu’il n’a
pu construire dans sa vie. Quand bien même la puissance est
destruction et la gloire est maudite. Puisqu’il ne peut être
le héros du bien, il deviendra celui du mal.
Son histoire illustre les deux faces de l’individualisme
hypermoderne. Le côté positif pour ceux qui accèdent
à l’autonomie et trouvent, dans notre société,
considération et reconnaissance. Avec pour rester sur le
versant flamboyant de l’hypermodernité, le risque de
se brûler soi-même dans l’hyperactivité,
l’urgence, le stress, l’épuisement professionnel
ou le burn out. Le côté négatif pour ceux qui
sont en échec, renvoyés à eux-mêmes,
rongés par le dépit, l’envie et le vide. À
l’intensité de l’existence de l’hyperactif
s’oppose la vacuité de celle de l’hypoactif.
Sollicité par personne, incapable de saisir les opportunités
qui passe, il décroche, brutalement ou lentement, dans une
vie sans consistance, sans intensité et, au bout du compte,
sans occupation. Destin d’autant plus insupportable qu’il
porte seul la responsabilité d’une existence médiocre,
inutile et désespérée.
L’acte criminel de Richard Durn est une tentative désespérée
pour mourir dans l’excès après avoir vécu
dans le manque. Il a certainement un comportement pathologique qui
relève de la psychiatrie. Pourtant, cette pathologie est
tout autant sociale que psychique. Cela apparaît très
clairement lorsqu’on accepte l’idée que son acte
est réfléchi, qu’il est commis en connaissance
de cause par un sujet conscient de ce qu’il fait. Tuer systématiquement
des élus locaux, de toute tendance, c’est s’en
prendre au pouvoir public, aux représentants du peuple, à
ceux qui sont garants du contrat social. La paranoïa de Richard
Durn est porteuse d’un sens qui déborde les interprétations
en termes de pulsion de destruction du mauvais objet ou d’homosexualité
refoulée [3]. Son comportement est une réponse à
la violence sociale subie par tous ceux qui n’ont pas d’existence
sociale, parce qu’ils n’ont pas de place dans la société
et ne sont pas reconnus comme être social à part entière.
Si, sur le plan juridique et moral, la responsabilité de
son acte lui incombe totalement, s’il est totalement condamnable,
si rien ne peut le justifier, il est l’expression de la violence
de la lutte des places qui caractérise nos sociétés
hypermodernes. Il exprime la nécessité, pour chaque
individu, de s’affirmer comme sujet pour se faire reconnaître
malgré tout, quel qu’en soit le prix.
Richard Durn n’est pas principalement un individu par défaut
au sens où l’entend Robert Castel, c’est-à-dire
un individu qui n’aurait pas bénéficié
des supports objectifs pour accéder à l’autonomie
et devenir un individu à part entière. Pourtant, il
incarne tous les symptômes de l’incomplétude,
du manque, de l’insatisfaction radicale. C’est l’absence
d’estime de soi qui le ronge et va le conduire à en
finir avec une vie ordinaire, terne et vide. Finir par un «
exploit », afin d’être reconnu en « prouvant
aux autres et surtout à soi-même, que l’existence
a bien l’intensité désirable » (Kaufmann,
2003, p. 147).
Dites-moi que j’existe !, ou le besoin inassouvi
de reconnaissance
L’individualisation, qu’elle soit positive ou négative,
par excès ou par défaut, débouche sur une quête
de reconnaissance identitaire. Plus l’individu est renvoyé
au sentiment qu’il est responsable de ce qu’il est,
plus il cherche des confirmations, des signes, des messages, des
indications sur ce qu’il est. Il a besoin qu’on [4]
lui dise ce qu’il vaut, qu’on le réassure sur
ses capacités, sur sa consistance, et même sur son
identité. L’exigence d’autonomie fait entrer
l’individu dans la nécessité d’être
quelqu’un. Quand l’idéologie de la réalisation
de soi-même condamne le sujet à un travail permanent
sur lui-même, quand l’identité assignée
au départ ne correspond plus à l’identité
qu’il convient d’acquérir, le besoin de reconnaissance
est infini.
Hegel distinguait trois formes de reconnaissance. La reconnaissance
juridique, qui recouvre les conditions requises pour être
respecté en droit et en dignité dans une communauté
sociale. La reconnaissance dans l’amour, c’est-à-dire
l’affection qui fonde l’estime de soi et permet de se
révéler à soi-même sous le regard de
l’autre. La reconnaissance sociale, c’est-à-dire
l’estime manifestée par des gratifications sociales
qui fondent l’existence sociale de chaque individu, son appartenance
à un groupe, son identité sociale, son utilité
pour une communauté donnée, autant d’éléments
qui contribuent à la socialisation et à la cohésion
sociale. Ces trois formes de reconnaissance correspondent aux trois
registres indispensables à l’émergence de l’individu
comme sujet de droit, comme sujet de désir, et comme sujet
socio-historique. Un quatrième registre est également
nécessaire du côté du sujet réflexif
: la capacité de comprendre les situations auxquelles il
est confronté de donner du sens. Reconnaissance « cognitive
» de l’individu qui développe de la connaissance
sur le monde et sur lui-même et, par ces réflexions,
ses capacités d’agir sur le monde comme sur lui-même.
Sur ces différents registres, Richard Durn a pu connaître,
à un moment ou à un autre, des signes de reconnaissance.
La reconnaissance juridique lui est acquise puisqu’il est
né en France ; la reconnaissance affective ne semble pas
être absente, du moins du côté maternel ; la
reconnaissance sociale aurait pu le satisfaire par le biais de ses
diplômes, de son travail et de ses activités humanitaires
; quant à la reconnaissance réflexive, il l’évoque
à propos de l’écriture. « J’écris
parce que j’espère me prouver que je suis toujours
en vie, même si objectivement tout prouve le contraire »
(carnet du 2 mai 1998). Mais sur les quatre registres, il y a également
des failles. Le père est inconnu, Richard a le sentiment
de ne pas être aimé, il n’arrive pas à
se faire accepter ni dans l’univers du travail ni dans l’univers
de l’action sociale. Ses carnets démontrent une complaisance
morbide à entretenir sa propre impuissance. Il se sent méprisé
dans un aspect essentiel de son être, ravagé par la
honte qui lui fait perdre toute estime de soi et toute estime pour
ceux qui l’entourent, rongé par le ressentiment envers
ceux qui représentent la notoriété et le pouvoir.
Axel Honneth (1997) poursuit la réflexion de Hegel sur la
reconnaissance à partir d’une analyse phénoménologique
des blessures morales, qui accordent une place centrale au sentiment
d’injustice. Sentiment qui naît lorsqu’une personne
se trouve intentionnellement méprisée dans un aspect
essentiel de son bien-être : « C’est la conscience
de ne pas être reconnu dans sa propre compréhension
de soi qui constitue la condition de la blessure morale »,
écrit Axel Honneth. Il existe un lien constitutif entre la
blessure morale et le déni de reconnaissance. « La
spécificité des blessures morales consiste à
ne pas respecter une personne dans certains aspects de la relation
positive à soi-même, tout en la renvoyant […]
à la nécessité que cette relation soit confirmée
par d’autres sujets. » Dans un contexte où l’accomplissement
de soi devient une exigence centrale pour accéder à
l’existence sociale, le déni de reconnaissance provoque
un ébranlement psychique : « Toute blessure morale
constitue donc, parce qu’elle détruit un présupposé
essentiel de la faculté individuelle d’agir, un acte
de lésion personnelle. » Lésion dont les effets
seront plus ou moins profonds selon le type de relation que l’individu
entretient avec lui-même – confiance en soi, valeur
attribuée à son propre jugement, sentiment de sa propre
valeur – et selon la nature des blessures morales qu’il
a subies – mauvais traitements qui altèrent l’intégrité
physique, processus d’invalidation, situation d’humiliation
qui porte atteinte au sentiment de représenter une valeur
sociale.
L’analyse d’Axel Honneth conduit à insister
sur le rapport entre la vulnérabilité du sujet, les
situations sociales vécues et les effets psychiques de ces
situations. On peut considérer que Richard Durn est un psychotique,
et que son acte révèle une folie furieuse. L’explication
psychopathologique est sans doute nécessaire pour comprendre
l’excès, mais elle est insuffisante. Elle permet de
désigner un coupable en lui renvoyant la charge de la faute.
Explication d’autant plus recevable que sa vie témoigne
de troubles sérieux – instabilité, dépression,
tentatives de suicide, marginalité – qui sont autant
de symptômes de ses difficultés d’être.
Mais ces symptômes révèlent également
les contradictions de notre monde. Richard Durn se vit comme un
raté absolu, comme l’exemple typique de l’inaccomplissement
de soi, indiquant en négatif une exigence sociale : chaque
sujet est confronté à la nécessité de
s’accomplir, et cet accomplissement dépend de la reconnaissance
des autres. Les sujets humains, pour parvenir à l’intégrité
de la relation à eux-mêmes, ont besoin d’être
reconnus sur différents plans : comme un individu dont les
besoins et les souhaits ont, pour une autre personne, une valeur
unique (ce qui est au fondement du sentiment amoureux) ; comme un
individu ayant la même capacité de discernement moral
que tous les autres (ce qui est au fondement de l’altérité)
; comme un individu dont les capacités ont une valeur constitutive
pour une communauté concrète (ce qui est au fondement
de la citoyenneté).
Richard Durn incarne le déni de reconnaissance dans ces
trois registres. Il est le mal aimé, ses tentatives pour
s’impliquer dans la cause humanitaire se soldent par un échec,
son utilité sociale est récusée à plusieurs
reprises. Comment, dans ces conditions, se faire reconnaître
? L’horreur de son acte prend ici tout son sens. Il va détruire
ceux dont il attendait la reconnaissance, ceux qui pouvaient légitiment
confirmer la valeur de ses facultés, ceux qui pouvaient lui
conférer une utilité sociale. Il y a là une
folie qui n’est pas insensée. Le déni de reconnaissance
a une double face : celle qui dénie, celle qui est déniée.
Aux confins de l’identité négative radicale
s’exprime le déni radical des instances qui fondent
la reconnaissance jusqu’à leur destruction. À
partir du moment où il n’est « plus rien au monde
», le sujet en arrive à tuer implacablement ceux qui
lui dénient son existence. Et c’est dans la mort qu’il
cherche la reconnaissance qui lui faisait cruellement défaut
(Bauman, 2003).
Exemple extrême, qui n’a d’intérêt
que comme exemplarité négative. Figure symbolique
qui montre en creux la difficulté d’être sujet
aujourd’hui, face aux contradictions de la société
hypermoderne dans laquelle chaque individu est renvoyé à
lui-même pour avoir une existence sociale. Dans la lutte pour
la reconnaissance, la grande majorité des sujets choisissent
d’autres voies. Bien d’autres figures de l’individu
hypermoderne sont décrites dans cet ouvrage. Du côté
des conquérants, des branchés, des flexibles, de ceux
qui se consument pour construire une identité flamboyante.
Du côté des perdants, des laissés pour compte,
des jeunes en quête de place, des adultes délogés
de celles qu’ils occupaient. Ou encore de la cohorte des «
inutiles au monde » qui cherchent désespérément
un moyen de subsistance et une reconnaissance nécessaire
pour exister socialement. Du côté de tous les autres,
la majorité, qui ne sont ni des individus par excès,
ni des individus par défaut, mais qui éprouvent les
tensions de l’hypermodernité.
Monde instable et agité dans lequel chaque individu cherche
des lieux pour rompre l’isolement et l’errance : «
Les hommes et les femmes, explique Zygmund Bauman (ibid.), recherchent
des groupes auxquels ils peuvent appartenir, assurément et
pour toujours, dans un monde dans lequel tout bouge et change, dans
lequel tout le reste est incertain. D’où la tentation
communautaire de s’installer dans un groupe qui prenne en
charge les angoisses et les incertitudes que la quête d’identité
porte en elle. Tentation de la secte, du repli identitaire vers
les rives traditionnelles et intégristes des religions, ou
encore au refuge dans des « tribus » qui donnent le
sentiment d’exister.
Cette vision d’un monde brownien [5], dans lequel chaque
individu est une particule élémentaire qui erre à
la recherche de groupes auxquels il puisse se raccrocher, permet
de comprendre l’un des aspects essentiels des angoisses contemporaines
et du sentiment d’insécurité. Nous avions évoqué
cette question dans La lutte des places : lutte de l’individu
pour exister socialement et pour éviter de basculer dans
la désinsertion sociale ; lutte solitaire qui tend à
briser les solidarités parce qu’elle met chacun en
compétition avec tous les autres ; lutte pour décrocher
les meilleures notes, les meilleurs diplômes, effectuer la
meilleure carrière du côté de la compétition
pour le pouvoir ; lutte pour trouver un emploi, pour être
accepté par les institutions, pour avoir un minimum de reconnaissance,
pour sortir d’une assignation stigmatisant des résistances
à l’exclusion.
Angoisse d’être soi, insécurité, solitude,
désespérance… Ainsi décrit, le monde
de l’hypermodernité semble impitoyable pour l’individu.
Pourtant, ce monde tant décrié est aussi celui dans
lequel l’individu peut exprimer sa liberté. La réalisation
de soi-même est une chance et un fardeau. L’autonomie
est une conquête face au risque permanent d’hétéronomie
(Castoriadis, 1975). La mobilité remet en question un monde
dans lequel les places de chacun étaient assignées
au départ sans espoir de changement. Si le moi de chaque
individu est devenu un capital qu’il faut faire fructifier,
tous les fruits ne sont pas amers. Reste à chacun à
lutter du côté d’Éros plutôt que
de Thanatos, pour les forces de vie et de bien-être plutôt
que pour celles qui sont porteuses de mort, de chaos et de mal-être.
Si l’on peut espérer qu’Éros soit victorieux,
la contradiction est toujours là, tapie à l’ombre
du sujet face à son désir. « Entre l’amour
de soi jusqu’à l’éviction du reste [narcissisme]
et la volonté d’abolition de soi dans ses expressions
les plus variées, entre l’absolu de l’être
et l’être rien, peut-être n’aurons nous
plus jamais fini de balancer. Voilà en tout cas la douleur
lancinante, journalière, que nul objet sacral ne nous permettra
d’oublier : l’inexpiable contradiction du désir
inhérente au fait même d’être sujet »
(Gauchet, 1985, p. 305).
Notes
[1] « Le journal de Richard Durn ou le récit d’une
vie de lâche et de crétin », cité par
Pascal Céaux et Piotr Smolar, Le Monde, 10 avril 2002. Les
citations qui suivent sont issues du journal écrit par Richard
Durn, retrouvé après sa mort.
[2] Impuissance sexuelle et impuissance sociale se rejoignent pour
constituer un nœud socio-sexuel (V. de Gaulejac, 1996).
[3] Pour reprendre les théories de Melanie Klein et de Sigmund
Freud.
[4] L’impersonnel est ici important : cela peut être
n’importe qui, à condition que ce soit une figure qui
ait une certaine consistance symbolique.
[5] De Charles-Hébert Brown, chimiste ayant étudié
l’étude du comportement des structures moléculaires,
prix Nobel de chimie en 1979 avec G. Wittig.
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