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L'idéologie managériale comme perversion sociale
Vincent de Gaulejac

Origine : www.cairn.info/perversions--9782749206639-page-189.htm

Vincent de Gaulejac « L'idéologie managériale comme perversion sociale », in Perversions, érès, 2006, p. 189-206.

Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie à l’université Paris-VII, directeur du laboratoire de changement social, membre fondateur de l’Institut international de sociologie clinique.

Les différents points présentés dans cet article sont développés dans deux ouvrages : Le coût de l’excellence, avec N. Aubert, Le Seuil, 1991 et La société malade de la gestion, Le Seuil, 2005.


Le point de vue que je vais développer n’est pas celui d’un psychanalyste ou d’un praticien confronté à des comportements pervers, mais celui d’un chercheur qui se réclame de la sociologie clinique. Il s’agit de décrire un phénomène social qui tend à se répandre avec ce que l’on nomme la « globalisation », que je propose d’identifier sous le terme d’idéologie gestionnaire. S’il peut paraître inopportun de désigner cette idéologie comme « perverse », nous allons montrer qu’elle engendre des effets paradoxaux chez ceux qui la mettent en œuvre comme chez ceux qui la subissent.

L’idéologie managériale

La gestion est largement conçue, par les praticiens et la grande majorité de ceux qui l’enseignent, comme un ensemble de techniques destinées à rechercher l’organisation de la meilleure utilisation des ressources financières, matérielles et humaines, pour assurer la pérennité de l’entreprise.

Désigner ici le caractère idéologique de la gestion, c’est montrer que derrière les outils, les procédures, les dispositifs d’information et de communication, sont à l’œuvre une certaine vision du monde et un système de croyances. Comme le souligne Janine Chasseguet-Smirgel, l’idéologie est « un système de pensée, apparemment rationnel, qui prône en fait l’accomplissement de l’Illusion [1] ». Illusion de la toute-puissance, de la maîtrise absolue, de la neutralité des techniques et de la modélisation des conduites humaines.

Le souci d’objectivité mis en avant par les gestionnaires conduit à occulter, dans les organisations, les dimensions subjectives, psychiques et symboliques. L’individu ne peut se réduire à un objet, une ressource ou une variable à maîtriser, comme les études sur le comportement humain dans les organisations l’ont trop longtemps considéré. Le succès des méthodes comportementalistes dans les entreprises, est largement dû aux effets de pouvoir qu’elles génèrent. En imposant l’idée d’une rationalité dans les décisions prises, elle occulte un des fondements de toute réalité sociale : l’affrontement d’intérêts plus ou moins contradictoires et de points de vue divergents. L’apparente neutralité du discours de l’expert camoufle la réalité de ses liens avec ceux au service desquels il produit ses connaissances. L’objectivité et la neutralité des discours qui veulent faire autorité, sous le masque de la rigueur méthodologique, ne font que recouvrir d’un vernis scientifique certains points de vue. Les autres sont alors discrédités puisqu’ils n’ont aucune légitimité particulière. On sait qu’il est dans la nature du pouvoir de présenter sa vision du monde comme universelle.

La réflexion au service de l’efficacité

Dans l’univers managérial chaque acteur cherche à « maximiser ses utilités », c’est-à-dire à optimiser le rapport entre les résultats personnels de son action et les ressources qu’il y consacre. La préoccupation d’utilité est aisément concevable dans un univers où les soucis d’efficience et de rentabilité sont constants. Il faut être toujours plus efficace et productif pour survivre. La compétition est considérée comme une donnée « naturelle » à laquelle il faut bien s’adapter. Dans ce contexte, la recherche et la connaissance ne sont considérées comme pertinentes que dans la mesure où elles débouchent sur des solutions opérationnelles. La gestion s’est engagée à partir du taylorisme dans un processus d’autolégitimation mettant en avant « le pragmatisme comme but, l’empirisme comme méthode et la rhétorique comme moyen. La recherche de la vérité scientifique s’efface devant les proclamations d’efficacité, la démonstration devant la force de conviction ».

L’optimisation règne en maître. « Soyez positifs ! » est une injonction permanente. Il convient de pratiquer l’« approche solution », c’est-à-dire de n’évoquer un problème qu’à partir du moment où l’on peut le résoudre. On entend souvent des responsables déclarer à leurs subordonnés : « Ici, il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions ! » La pensée est considérée comme inutile si elle ne permet pas de contribuer à l’efficience du système. Chaque individu est reconnu en fonction de ses capacités à en améliorer le fonctionnement. La pertinence de la connaissance est mesurée à l’aune de son utilité pour l’organisation. Il est difficile, dans ce contexte, de développer une pensée critique, sauf si la critique est « constructive ». On peut exercer sa liberté de pensée et de parole à condition que cette liberté serve à améliorer les performances. Celui qui soulève un problème sans en apporter la solution est perçu comme un gêneur, un être négatif, ou même un contestataire qu’il vaut mieux éliminer. Le conformisme est le pendant du primat de l’utilitarisme.

Plus profondément, tout ce qui n’est pas utile est considéré comme n’ayant pas de sens. Le seul critère reconnu comme donnant du sens est le critère d’utilité. La question n’est plus alors de produire de la connaissance en fonction de critères de vérité, mais selon des critères d’efficience et de rentabilité à partir des objectifs fixés par le système. C’est un autre aspect de la rationalité instrumentale qui tend à considérer comme irrationnel tout ce qui ne rentre pas dans sa logique. Ce que Herbert Marcuse, dans L’homme unidimensionnel (1972), appelait l’univers du discours clos « qui se ferme à tout autre discours qui n’emploie pas ses termes ».

En définitive, dans le secteur marchand, seul ce qui rapporte a du sens. L’imaginaire social est dominé par la logique capitaliste qui canalise les fantasmes, les désirs, les aspirations, mais aussi la « pulsion épistémologique », c’est-à-dire la curiosité qui pousse à produire de la connaissance. La gestion devient, en quelque sorte, la science du capitalisme, dont la caractéristique essentielle, mise en évidence par Cornelius Castoriadis, est la poussée vers une maîtrise qui se présente comme fondamentalement rationnelle. Cette maîtrise n’a pas pour seule visée le champ de l’économie, mais la société tout entière. « Ce n’est pas seulement dans la production qu’elle doit se réaliser, mais aussi bien dans la consommation, et non seulement dans l’économie, mais dans l’éducation, le droit, la vie politique, etc. Ce serait une erreur – l’erreur marxiste – de voir ces extensions comme secondes relativement à la maîtrise de la production et de l’économie qui serait l’essentiel. C’est la même signification imaginaire sociale qui s’empare des sphères sociales les unes après les autres [2]. »

La justification de cet état de choses est de rationaliser la production au moindre coût pour favoriser la croissance et satisfaire les « besoins » des consommateurs. On peut être admiratif de l’efficience de cette vision du monde. On peut aussi s’inquiéter des coûts qui ne sont pas pris en compte, qu’il s’agisse des atteintes à l’environnement, du pillage de certaines matières premières, de la pression du travail, de ses conséquences psychologiques comme le stress ou le harcèlement moral, ou encore de l’exclusion de tous ceux qui ne peuvent accéder à ce monde ou en ont été rejetés. Le paradigme utilitariste transforme la société en machine à produire et l’homme en agent au service de la production. L’économie devient la finalité exclusive de la société, participant au discrédit du service public, à l’impuissance du politique et à la transformation de l’humain en « ressource ».

Affirmer que l’humain est un facteur de l’entreprise conduit à opérer une inversion des rapports entre l’économique et le social. C’est bien l’entreprise, comme construction sociale, qui est une production humaine et non l’inverse. Il y a là une confusion des causalités, expression supplémentaire de la primauté accordée à la rationalité des moyens sur les finalités. Considérer l’humain comme un facteur parmi d’autres, c’est entériner un processus de réification de l’homme. Le développement des entreprises n’a de sens que s’il contribue à l’amélioration de la société, donc du bien-être individuel et collectif et, en définitive, s’il est au service de la vie humaine. Gérer l’humain comme une ressource, au même titre que les matières premières, le capital, les outils de production ou encore les technologies, c’est poser le développement de l’entreprise comme une finalité en soi, indépendante du développement de la société, et considérer que l’instrumentalisation des hommes est une donnée naturelle du système de production.

En fin de compte la conception managériale conduit à interpeller chaque individu pour qu’il devienne un agent actif du monde productif. La valeur de chacun est mesurée en fonction de critères financiers. Les improductifs sont rejetés comme « inutiles au monde » (R. Castel, 1996). On assiste au triomphe de l’idéologie de la réalisation de soi-même. Chacun est invité à devenir l’entrepreneur de sa propre existence. La finalité de l’activité humaine n’est plus de « faire société », c’est-à-dire de produire du lien social, mais d’exploiter des ressources, qu’elles soient matérielles ou humaines.

Pouvoir managérial et mobilisation psychique

« C’est pour une bonne part comme force productive que la psyché est investie de rapports de pouvoir et de domination. La psyché ne devient force utile que si elle est à la fois énergie productive et énergie assujettie. » On peut reprendre presque mot pour mot l’analyse de Michel Foucault [3][3] « C’est pour une bonne part, comme force de...

suite en substituant la psyché au corps comme objet du pouvoir dans les entreprises hypermodernes. Certes, en changeant d’objet, les modalités du contrôle vont considérablement se transformer. Mais la finalité reste identique. Il ne s’agit plus de rendre les corps « utiles et dociles », mais de canaliser le maximum d’énergie libidinale pour la transformer en force productive.

Les techniques de management perdent leur caractère disciplinaire. La surveillance n’est plus physique, mais communicationnelle. Si par certains aspects la surveillance reste ininterrompue, grâce aux badges magnétiques, aux portables, aux ordinateurs, aux bips-bips, elle n’est plus directe. Elle porte davantage sur les résultats du travail que sur ses modalités. Si la liberté s’accroît sur les tâches à accomplir, elle trouve une contrepartie dans une exigence drastique sur les résultats. Il s’agit moins de réglementer l’emploi du temps et de quadriller l’espace que d’obtenir une disponibilité permanente pour que le maximum de temps soit consacré à la réalisation des objectifs fixés et, au-delà, à un engagement total dans la réussite de l’entreprise. Il s’agit donc toujours de constituer un temps intégralement rentable. On l’obtient non par un contrôle tatillon de l’activité pour adapter le corps à l’exercice du travail, mais par des dispositifs qui consistent à mobiliser l’individu sur des objectifs et des projets qui canalisent l’ensemble de ses potentialités. Et comme les horaires de travail ne suffisent plus pour répondre à ces exigences, la frontière entre le temps de travail et le temps hors travail va devenir de plus en plus poreuse.

Une publicité de Philips en 1996 décline parfaitement ce phénomène : « Être joignable n’importe où, à n’importe quel moment, c’est la liberté d’être branché ! »

Les nouvelles technologies de communication permettent une utilisation démultipliée du temps puisque tout temps « mort » peut être immédiatement rempli par une autre activité. Les pertes de temps liées aux trajets, aux attentes, aux contretemps, sont occupées à régler des problèmes en instance, à passer des coups de téléphone, à prendre des rendez-vous, à compléter des notes sur son ordinateur. La voiture équipée d’un téléphone portable et d’un ordinateur est le prolongement du bureau. Au point que certaines entreprises, suivant l’exemple d’Andersen Consultant, ont mis au point des bureaux virtuels. Chaque employé est équipé d’un ordinateur portable et d’un téléphone mobile. Il peut installer son bureau dans n’importe quel endroit, il suffit d’une prise électrique.

Si le temps de travail devient illimité, l’espace doit l’être également. Il convient de pouvoir travailler à tout moment et en tout lieu. Le manager hypermoderne est obligatoirement « branché ». Il peut travailler en permanence avec l’ensemble de ses « interfaces » dans le monde entier. C’est dire qu’il n’a plus besoin de bureau fixe, mais d’un bureau qu’il transporte avec lui. « Ce qu’il faut, c’est utiliser le mobile avec le temps comme on utilise en informatique un multiprocess : on double ou l’on triple et l’on fait travailler parallèlement les choses. Là on gagne du temps. D’habitude, on estime une action, on l’entreprend sur le fait et après, on a le résultat et l’on décide de l’action suivante. C’est le schéma traditionnel. Tandis que là, pendant qu’une action est en cours, vous en lancez une autre au téléphone en parallèle. Vous multipliez par trois ou quatre l’espace-temps que vous avez devant vous [4] . »

Au temps de la planification, de l’exactitude, de la programmation linéaire de l’emploi du temps, se substitue la polychronie, l’urgence et l’aléatoire dans la gestion du temps. Instrument de liberté, les technologies de communication permettent de se relier de multiples façons, au-delà des frontières entre le professionnel et le privé, le travail et l’affectif, le familial et le social.

Il ne s’agit plus d’une disponibilité contrainte pendant les heures de travail, mais d’une disponibilité permanente et libre. « Si vous êtes disponible tout le temps, vous n’êtes plus qu’un citron qu’on presse comme on veut… », remarque un cadre de multinationale. La réduction des coûts conduit à une colonisation progressive de l’espace-temps intime par des préoccupations professionnelles. Colonisation légitimée par l’urgence, l’exigence de réactivité immédiate. L’agent est moins dépossédé de son temps personnel, que possédé par le temps de son travail. Il ne s’agit pas d’une exigence autoritaire, mais d’une conséquence logique de son désir de bien faire et de réussir.

De la soumission à un ordre à l’engagement dans un projet

Pour nous, managers, notre credo doit être : « Je comprends le projet d’entreprise et j’y crois. Je me sens personnellement engagé à contribuer personnellement à sa réalisation à travers mon adhésion à nos convictions, nos valeurs et nos idéaux de management. » Sources : The Philips Way [5] .

L’efficacité du système disciplinaire voulait que l’ordre soit exécuté sans discussion, sans explication et sans délai. Il sollicitait de la part des agents une soumission totale au règlement et une docilité obéissante face à la hiérarchie. Il mettait en œuvre une surveillance directe et un système de sanctions normalisé. Le système managérial est en rupture par rapport à ce modèle. D’un gouvernement par les ordres, on passe à un management par la réalisation de projets. On passe d’une surveillance hiérarchique à la mise en œuvre d’une autonomie contrôlée. L’objet du contrôle tend à se déplacer de l’activité physique à l’activité mentale. Plutôt que d’encadrer les corps, on cherche à canaliser les pulsions et à mobiliser les esprits : « Plus qu’une philosophie d’entreprise ou un idéal à atteindre dans le futur, c’est un modèle de comportement pour aujourd’hui », peut-on lire dans la brochure.

La modélisation des comportements est conçue à partir d’un système de valeurs que chaque manager doit intérioriser : la valorisation de l’action, l’exemplarité des attitudes, l’adhésion aux idéaux de management, le primat des résultats financiers, la mobilisation permanente pour répondre aux exigences des clients, des actionnaires, des collaborateurs et des fournisseurs. On attend une identification totale à l’entreprise dont le nom doit inspirer « fierté et confiance ». Chacun est incité à prendre des initiatives, à faire preuve de créativité et d’autonomie dans le sens des orientations et des convictions de l’entreprise. Il s’agit d’adhérer librement, spontanément et avec enthousiasme au projet de l’entreprise. Les chartes d’entreprises glorifient l’esprit d’équipe, le challenge et l’exigence de qualité. On recherche l’excitation du désir et la mobilisation subjective pour les mettre en synergie avec les besoins de l’entreprise. Le désir n’est plus considéré comme une faiblesse coupable qui doit être encadrée par des interdits solides, mais comme une source de créativité qui doit être mobilisée au service de la compagnie.

Le pouvoir managérial fonctionne moins comme une « machinerie » qui soumet des individus à une surveillance constante que comme un système de sollicitation qui suscite un comportement réactif, flexible, adaptable, capable de mettre en acte le projet de l’entreprise. Projet qui peut évoluer dans le temps, en fonction du contexte, des fluctuations du marché, des découvertes technologiques, des stratégies de la concurrence, mais dont la finalité numéro un reste la profitabilité (« Attribuer aux objectifs financiers une priorité n°1 »). Chaque service est un centre de coût et un centre de profit. L’ensemble des activités est évalué en fonction de leur rentabilité financière. Mais si les objectifs financiers restent la priorité numéro un, le projet concerne surtout les ressources humaines : « Développer un ensemble de convictions qui sous-tendent nos actions quotidiennes : faire du bon travail, valoriser les collaborateurs, encourager la réussite et le sens des responsabilités, développer une communication franche et ouverte, développer les compétences, reconnaître les mérites de chacun. »

« Vous devez vous impliquer librement »

La gestion managériale préfère l’adhésion volontaire à la sanction disciplinaire, la mobilisation à la contrainte, l’incitation à l’imposition, la gratification à la punition, la responsabilité à la surveillance. Sa force s’enracine dans un système de valeurs qui favorise l’engagement individuel dans lequel la recherche du profit est couplée à un idéal. Le travail doit devenir le lieu de la réalisation de soi-même, de l’épanouissement de chacun, de l’esprit d’équipe, de l’amélioration de l’existence des clients comme des collaborateurs, du respect de tous, en particulier « des communautés dans lesquelles nous évoluons ». Il s’agit enfin de conduire ces activités avec le sens de l’éthique. Projet et idéal vont de pair. Personne ne peut se satisfaire de se consacrer totalement à son travail pour une finalité uniquement financière. Depuis Max Weber, on a compris que les hommes travaillent pour leur salut et pas seulement pour de l’argent.

L’entreprise propose un idéal commun qui doit devenir l’idéal des employés. Cette captation de l’idéal du moi de chaque individu ne s’effectue pas mécaniquement. Il convient d’abord que les valeurs individuelles ne soient pas trop en rupture avec celles de l’organisation. Sur ce point, les procédures de sélection sont très sophistiquées. Elles opèrent un ajustement entre la « personnalité » des candidats et les attentes de l’organisation. Des tests, des entretiens, des mises à l’épreuve, des analyses graphologiques et psychologiques, permettent de décrire, mesurer, évaluer, classer, comparer, jauger, ceux qui ont les meilleures caractéristiques pour s’adapter au modèle de comportement attendu. Les élèves des écoles d’ingénieur et des écoles de commerce sont, a priori, les plus aptes à intérioriser des façons de faire et de penser conformes aux attentes de l’entreprise. Les cours de formation internes, les dispositifs d’évaluation et les procédures de promotion tiennent compte des résultats obtenus, mais également et peut-être surtout, des « motivations », c’est-à-dire de l’aptitude et de la volonté à se mobiliser pour remplir les objectifs et pour adhérer aux projets de l’entreprise.

On ne recherche donc plus des individus dociles mais des « battants », des winners qui ont le goût de la performance et de la réussite, qui sont prêts à se dévouer corps et âme. Deux autres qualités sont aussi exigées : le goût de la complexité et la capacité de vivre dans un monde paradoxal, ce qu’illustrent ces quelques citations entendues dans les entreprises, parmi des milliers d’autres :

On nous dit : « Vous devez être tournés vers l’extérieur », et on nous reproche : « Vous n’êtes jamais là quand on a besoin de vous. »

On nous dit : « La qualité, c’est de donner des délais de livraison au client et de s’y tenir », et il y a une directive écrite selon laquelle le fait de s’engager sur un délai de livraison est une faute professionnelle.

On nous dit : « Vous devez travailler en équipes », mais l’évaluation des performances est individuelle.

On nous dit : « Qualité totale », mais l’entreprise est dominée par le souci de la rentabilité financière et des résultats quantitatifs.

On nous dit : « Avancement au mérite », mais c’est celui qui arrive à se mettre en avant au détriment des autres qui est promu.

On nous dit : « Approche-solution », mais on n’a jamais le temps de prendre du recul.

Le monde de l’entreprise est un univers de plus en plus contradictoire. Le quotidien du manager est une suite ininterrompue de décisions à prendre face à des interfaces multiples dont chacune émet des demandes, des recommandations, des procédures, des injonctions, des attentes, de telle façon que le fait de répondre à l’une ne permet pas de répondre à l’autre alors que toutes sont pourtant nécessaires. Il convient donc de négocier, de discuter, de tempérer, de louvoyer entre des logiques fonctionnelles dont chacune doit être prise en considération pour la bonne marche de l’ensemble, quand bien même elles s’opposent, jusqu’à être parfois incompatibles. Le manager est en quête de médiation. Il lui faut supporter un univers paradoxal sans pour autant sombrer dans la folie. Le moindre des paradoxes étant qu’on lui demande d’être autonome dans un monde hyper-contraignant, d’être créatif dans un monde hyperrationnel et d’obtenir de ses collaborateurs qu’ils se soumettent en toute liberté à cet ordre.

Une autonomie sous contrainte

La violence dans l’entreprise hypermoderne n’est pas répressive. S’il peut subsister des formes de répression, c’est surtout une violence psychique liée à des exigences paradoxales. Dans le modèle hiérarchique, le contrat est assez clair : il faut être au bureau ou à l’usine pendant un nombre d’heures fixé à l’avance, dans un lieu déterminé pour effectuer une tâche précise, tout cela en contrepartie d’une rémunération. Il y a donc un engagement réciproque et formalisé. Dans le modèle managérial, l’essentiel du contrat se joue ailleurs. Nous avons évoqué sa dimension narcissique. L’entreprise propose à l’homme managérial de satisfaire ses fantasmes de toute-puissance et ses désirs de réussite contre une adhésion totale et une mobilisation psychique intense. L’idéalisation et l’identification le mettent dans une dépendance psychique importante. Si l’entreprise va mal, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Si elle le met sur la touche, c’est qu’il n’a pas été à la hauteur de ses exigences. Ce n’est plus un engagement réciproque qui règle les rapports entre l’individu et l’organisation, mais une injonction paradoxale. Plus il « réussit », plus sa dépendance augmente. Là ou l’entreprise progresse, c’est en définitive la part du sujet qui régresse. Plus il s’identifie à l’entreprise, plus il perd son autonomie propre. Il croit jouer « gagnant-gagnant », selon l’expression consacrée, alors que le fait de gagner le mène à sa perte. Double perte, puisqu’un jour il sera inéluctablement mis sur la touche à partir du moment où ses performances diminueront, mais aussi parce qu’il est mis en tension psychique permanente.

Eugène Enriquez évoque la perversion à propos de cette forme de pouvoir dans la mesure où il met en scène un système manipulateur qui piège les individus dans leur propre désir [6]. Il est vrai que l’individu se trouve capté dans des modes de fonctionnement qui présentent toutes les caractéristiques de la perversion et conduisent au harcèlement qui est un des symptômes courants dans ce type d’organisation. Mais il faut insister sur un point. Il ne s’agit pas ici de psychopathologie au sens où ce type de pouvoir serait soutenu et produit par des individus présentant des caractéristiques mentales particulières. Si le système lui-même apparaît comme pervers, c’est qu’il capte les processus psychiques pour les mobiliser sur des fonctionnements organisationnels. Ce faisant, il met les individus sous tension, en particulier parce qu’il les met en contradiction avec eux-mêmes.

L’engagement du salarié est sans fin à partir du moment où il projette son propre idéal sur l’entreprise. L’engagement de l’entreprise n’est que partiel puisqu’elle conditionne le maintien de l’emploi aux performances de chaque agent, sans tenir compte du fait que celles-ci dépendent de l’ensemble. C’est à chacun de faire la preuve de son utilité, de sa productivité et de sa rentabilité, donc de démontrer qu’il sait tenir sa place et, au besoin, de s’en faire une. L’entreprise attend de ses salariés qu’ils montent des projets, justifient leur emploi, calculent leur contribution, et qu’ils aillent toujours au-delà des objectifs qu’elle leur fixe. Elle ne leur demande plus de s’adapter à un cadre stable, mais d’exister dans un réseau flexible, dans un univers virtuel. Chaque employé doit prouver ses compétences et justifier sa fonction. Mais en même temps, il est soumis à des prescriptions extrêmement contraignantes. C’est l’univers de l’autonomie contrôlée. La liberté dans l’organisation du travail se paye d’une obligation à respecter des normes et d’une surveillance permanente quant aux résultats, à la réalisation des objectifs, aux performances réalisées. Chaque agent participe à un centre de coût et de profit dont les résultats peuvent être mesurés en temps réel. La liberté d’aller et de venir recouvre un contrôle à distance. Chacun est libre de travailler où il veut, à partir du moment où il est « branché » en permanence sur le réseau. Lorsqu’on transporte son bureau avec soi, on devient libre de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre heures !

Un sentiment de toute-puissance qui rend impuissant

En passant de l’organisation hiérarchique à l’organisation réticulaire, on change profondément les registres sur lesquels s’exerce le pouvoir :

* d’une structure rigide fixant à chacun une place déterminée dans un ordre stable, à des structures flexibles, fonctionnant en réseaux et favorisant la mobilité horizontale et verticale ;

* d’un système de communication formelle, descendant et centralisé, à un système informel, interactif et polycentré ;

* d’un gouvernement par les ordres à un gouvernement par les règles, de l’imposition à l’incitation : on n’ordonne plus mais on discute, on suscite, on anime, on négocie ;

* d’un encadrement centré sur la surveillance, le respect des directives, à un management centré sur l’atteinte des objectifs, l’adhésion à des logiques.

Dans l’entreprise hypermoderne, l’objet du contrôle tend à se déplacer du corps à la psyché, de l’activité physique à l’activité mentale : plutôt que d’encadrer les corps on cherche à canaliser les pulsions et à contrôler les esprits. L’entreprise attend de ses employés qu’ils se dévouent « corps et âme ». Sur le plan psychologique, on passe d’un système fondé sur la sollicitation du surmoi, le respect de l’autorité, l’exigence d’obéissance, la culpabilité, à un système fondé sur la sollicitation de l’idéal du moi, l’exigence d’excellence, l’idéal de toute-puissance, la crainte d’échouer, la recherche de satisfaction narcissique. L’identification à l’entreprise et son idéalisation suscitent la mobilisation psychique attendue. Chacun se vit comme son propre patron. Les agents s’autocontrôlent, s’autoexploitent. La puissance de l’organisation à laquelle ils s’identifient leur permet de croire à une toute-puissance individuelle, celle d’un moi en incessante expansion ne rencontrant pas de limites. Mais, si les satisfactions sont profondes, les exigences le sont également. L’individu doit se consacrer entièrement à son travail, tout sacrifier à sa carrière. L’exigence de réussite trouve son fondement dans le désir inconscient de toute-puissance. L’entreprise offre une image d’expansion et de pouvoir illimité dans laquelle l’individu projette son propre narcissisme. Pris dans l’illusion de son désir, il est animé par la peur d’échouer, de perdre l’amour de l’objet aimé (ici l’organisation), la crainte de ne pas être à la hauteur, l’humiliation de ne pas être reconnu comme un bon élément. Il est mis sous tension entre son moi et son idéal, pour le plus grand bénéfice de l’entreprise.

La prescription de l’idéal

L’univers managérial promet un idéal sans borne : zéro délai, zéro défaut, zéro papier, qualité totale, etc. Dans ce contexte, il n’est plus normal d’être limité. Il est demandé d’accroître en permanence les performances tout en diminuant les coûts. On crée des exigences de plus en plus élevées, au-delà de ce que l’on sait pouvoir faire. L’idéal devient la norme. Les procédures ne sont pas établies à partir d’une analyse concrète des processus de production et des activités réelles, mais pour des clients parfaits, des travailleurs toujours au sommet de leur forme, jamais malades, dans un contexte sans obstacle. La faiblesse, l’erreur, le contretemps, l’imperfection, le doute, tout ce qui caractérise l’humain « normal », n’a plus lieu d’être. La gestion prône l’idéal dans un monde sans contradiction. L’idéal n’est plus un horizon à atteindre, mais une norme à appliquer.

Faute de pouvoir le réaliser, et devant le déni de sa vulnérabilité, chaque agent est constamment pris en défaut d’insuffisance. Puisqu’il ne peut jamais être à la hauteur des performances attendues, il se vit comme incapable, incompétent ou insuffisamment motivé. C’est lui qui devient responsable des défauts du système [7].

Une gestion instrumentale de la psyché

L’entreprise suscite la construction d’un imaginaire dont le management doit assurer la consistance et la permanence. L’imaginaire de l’individu devient l’objet principal du management, avec pour objectif de canaliser ses aspirations sur des objectifs économiques. Deux processus majeurs provoquent la mobilisation psychique :

* l’identification par introjection de l’organisation, image de toute-puissance et d’excellence, et par projection sur elle des qualités qu’il voudrait pour son propre moi ;

* l’idéalisation par intériorisation de l’idéal de perfection et d’expansion que l’organisation propose. L’idéal du moi trouve ainsi dans l’entreprise multinationale, une formidable caisse de résonance pour élargir ses limites et satisfaire le « soi grandiose ».

Nous avons proposé le terme de système managinaire pour décrire l’ensemble de ces processus de transactions entre l’entreprise et l’individu [8][8] Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac, Le coût de l’excellence,...

suite. Il s’agit d’un autre aspect du contrat de travail, implicite mais bien réel, qui complète les aspects formels (juridiques et financiers) par une transaction psychique équivalente à un contrat narcissique. L’individu cherche dans l’organisation un moyen de satisfaire ses désirs de toute-puissance et de canaliser ses angoisses. L’organisation lui offre un objet d’idéalisation et une excitation/incitation permanente à se dépasser, à être le plus fort, à devenir un « gagnant ». Elle lui offre les moyens de combattre son angoisse en suscitant un mode de fonctionnement défensif pour lui et utile pour l’organisation. Par ce biais, la tension se transforme en énergie productive, c’est-à-dire en force de travail, canalisée sur les objectifs fixés par l’entreprise.

L’objectif du système managinaire est de mettre en synergie le fonctionnement organisationnel et le fonctionnement psychique. L’organisation donne beaucoup d’avantages et beaucoup de contraintes, l’individu éprouve beaucoup de satisfaction et beaucoup d’angoisse. Pour lutter contre l’angoisse, il s’investit totalement dans son travail. Il obtient des résultats, ce qui lui amène de la reconnaissance sous forme de promotion, de salaire, mais également des responsabilités qui viennent renforcer le couple avantage/contrainte et par contrecoup le plaisir et l’angoisse, et ainsi de suite. L’individu est pris dans une spirale dont il ne peut plus se détacher. L’attachement des individus est produit, non par une contrainte physique, mais par une dépendance psychique qui s’étaie sur les mêmes processus que le lien amoureux, c’est-à-dire la projection, l’introjection, l’idéalisation, le plaisir et l’angoisse.

C’est à ce niveau que résident le succès et la faille de l’entreprise managériale. Les conflits se posent de moins en moins au niveau de l’organisation en termes de luttes revendicatives ou de respect de l’autorité hiérarchique. Ils se posent au niveau psychologique en termes d’insécurité, de souffrance psychique, d’épuisement professionnel, de troubles psychosomatiques, de dépressions nerveuses. Autant de conflits face auxquels les syndicats ou les contre-pouvoirs sont démunis.

Une soumission librement consentie

La contestation de ce pouvoir est particulièrement difficile, comme tout système qui enferme les individus dans des paradoxes. C’est un pouvoir que l’on exerce et que l’on subit en permanence sans que le manager puisse clairement distinguer la différence. On pourrait évoquer à ce propos une aliénation dans la mesure où l’individu est gouverné de l’intérieur par des forces étrangères à lui-même. Mais le terme ne permet pas de rendre compte du paradoxe selon lequel chaque manager est invité à cultiver son autonomie, sa liberté, sa créativité pour mieux exercer un pouvoir qui renforce sa dépendance, sa soumission et son conformisme. S’il y a aliénation, il y a également exaltation de la subjectivité. On pourrait sans doute évoquer ici une « aliénation à la puissance deux » puisque c’est le sujet lui-même qui en devient le principal moteur.

C’est un pouvoir difficile à contester, d’une part, parce qu’il opère dans l’intériorité, ce qui conduit à se contester soi-même, mais surtout, parce que la critique ne peut se faire qu’en extériorité. L’école de Palo Alto a montré qu’on ne pouvait échapper à une communication paradoxale qu’en se mettant à un niveau « méta », c’est-à-dire en communiquant sur le paradoxe lui-même. De même, on ne peut échapper à un pouvoir paradoxal qu’en démontant ses différents mécanismes. Mais comment procéder quand on est soi-même à l’intérieur du système ? C’est comme si on voulait faire avancer une voiture tombée en panne tout en restant à l’intérieur du véhicule.

Celui qui dénonce les contradictions est souvent perçu comme mettant en cause les dirigeants. Surtout, il se heurte de front à la demande d’adhésion, à l’attente d’un investissement psychologique sans faille, au besoin de croire que l’entreprise offre un espoir de progrès, une cohérence interne, une finalité acceptable. Plutôt que d’invoquer les injonctions contradictoires auxquelles il est soumis, le « bon agent » préférera évoquer des « disfonctionnements », des problèmes à résoudre. Il est prêt à se mobiliser pour faire fonctionner le système malgré tout, si possible même l’améliorer en intériorisant les contraintes. Les injonctions contradictoires sont alors normalisées et internalisées. Ce n’est plus l’entreprise qui est incohérente, c’est l’individu qui doit prendre en lui la charge psychique induite par la contradiction : comment faire toujours plus avec toujours moins ? Comment être à deux endroits en même temps ?

Comment gagner du temps quand on en a moins ?

« Nous n’avons pas le choix, on l’accepte ou l’on part », disent la plupart des managers. En s’enfermant ainsi dans une alternative radicale, ils tentent de rationaliser leurs propres positions et, ce faisant, de légitimer leur conduite. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que d’un côté ils célèbrent les vertus du libéralisme et de la libre entreprise, et que de l’autre ils se présentent comme totalement dépendants et soumis aux exigences d’un système dont ils sont à la fois les producteurs et les produits. Pris individuellement ils semblent n’adhérer que partiellement à ce pouvoir. Certains en font même une critique virulente. Ce qui ne les empêche pas de l’exercer sur leurs collaborateurs et leurs subordonnés. On pourrait parler ici de duplicité dans la mesure où la plupart des managers sont spécialistes du double langage. Il semble plus juste d’y voir les conséquences d’une socialisation à cet « ordre paradoxal ». On ne peut y survivre qu’en devenant soi-même paradoxal, moins par duplicité que par nécessité. L’appel récurent à l’éthique est l’expression du souhait de remettre de la cohérence et du symbolique dans un univers incohérent et chaotique.

Conclusion

La gestion comme système symbolique

Comme tout univers social, le monde de l’entreprise combine trois registres qui sont tout aussi nécessaires les uns que les autres :

* la réalité concrète et matérielle de l’organisation comme ensemble de biens, de lieux, d’objets, d’agents, de procédures et de modes de fonctionnement ;

* les représentations construites sur cette réalité par tous ceux qui contribuent à la produire ;

* les normes, les règles, les langages, les significations qui fixent l’ordre symbolique, c’est-à-dire le système de référence permettant de produire du sens sur cette collectivité humaine.

La gestion a tendance à coller au registre matériel sans se rendre compte qu’elle construit un système de représentation partielle et tronqué. C’est la raison pour laquelle elle n’apporte pas des réponses satisfaisantes sur le registre symbolique. La valeur de chaque chose et de chaque homme est moins fonction de son utilité économique, que de l’ensemble des contributions qu’il apporte à cette collectivité. La « valeur » symbolique attache plus de prix à la reconnaissance qu’à la productivité, aux qualités humaines qu’aux ratios financiers, au bien-être collectif qu’aux résultats économiques.

Les hommes ne peuvent pas travailler et vivre sans donner du sens à leur action. L’homme rationnel qui cherche à optimiser ses ressources et défendre ses intérêts par des comportements stratégiques est un homme amputé de ses passions, de ses capacités imaginatives, et surtout amputé du besoin de donner du sens à son existence. L’ordre symbolique est l’expression de ce besoin. En premier lieu par le langage qui permet de communiquer, d’élaborer, de mettre en mots. En second lieu dans la construction permanente de symboles qui fixent les repères et les références nécessaires à la vie sociale. Lorsque l’éthique de résultat se substitue aux autres considérations, elle produit une forme de symbolisation abstraite et désincarnée qui ne peut satisfaire le besoin de croire. La quantophrénie (la maladie de la mesure), le « parler creux », l’insignifiance, la normalisation de l’idéal, sont autant de processus qui illustrent la faillite symbolique des discours gestionnaires.

Le paradoxe, outil du pouvoir managérial, fait perdre la raison, au sens propre et au sens figuré.

Notes

[1] Janine Chasseguet-Smirgel, « Quelques réflexions d’un psychanalyste sur l’idéologie », Pouvoirs, n° 11, 1981.

[2] Cornelius Castoriadis, « La “rationalité” du capitalisme », Revue internationale de psychosociologie, vol. IV, n° 8, 1997, p. 31-52.

[3] « C’est pour une bonne part, comme force de production que le corps est investi de rapports de pouvoir et de domination… Le corps ne devient force utile que s’il est à la fois corps productif et corps assujetti » (Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975).

[4] Interview avec un cadre, réalisée par Francis Jauréguiberry dans le cadre d’une recherche menée sur le téléphone mobile : « Un désir d’ubiquité », université de Pau, set-cnrs (umr 5603), 2002, p. 27.

[5] Les citations qui suivent sont extraites d’une brochure diffusée par la société Philips.

[6] Eugène Enriquez, Les jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise, Paris, Desclée de Brouwer, 1998.

[7] Marie-Anne Dujarier, « L’idéal au travail. Le déni des limites comme norme dans les organisations du service de masse », thèse de sociologie, laboratoire de changement social, université Paris-VII-Denis-Diderot, 2004, publiée au puf/Le Monde, 2005.

[8] Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac, Le coût de l’excellence, Paris, Le Seuil, 1991.