"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Etude comparée de La société malade de gestion de Vincent de Gaulejac
et Le mythe de l’entreprise de Jean Pierre Le Goff
Hicham étudiant Lille3     11-09-2009

1 \ Introduction

L’idéologie d’entreprise est ici le sujet de critique et d’analyse proposé dans ces deux essais. Ils présentent ce facteur social en expliquant les conséquences et les causes de la mise en place de cette idéologie managériale dans le monde du travail de nos jours, tout en essayant de trouver des solutions afin de changer cette conception de la société, du travail et de l’homme.

Ces deux ouvrages présentent une analyse de type sociologique et “ politique ” de ce phénomène, mais également historique en ce qui concerne Le mythe de l’entreprise.

Jean Pierre Le Goff était philosophe de formation avant de devenir sociologue au Conservatoire National des Arts et Métiers. Vincent de Gaulejac est professeur de sociologie à l’Université Paris VII, il préside également le Comité de recherche sociologique clinique à l’association internationale de sociologie.

Dans cette synthèse, je vais présenter les idées communes en présentant les thèmes développés conjointement par ces auteurs et leurs manières de les aborder dans les parties 2, 3, 4, 5 .Puis, je mettrais en évidence le point de vue original qu’ils défendent dans leurs ouvrages respectifs dans les parties 6 et 7 avant de conclure brièvement en partie 8.

2 \ Idéologie gestionnaire et pouvoir managérial

Le monde de l’entreprise a développé des outils et des concepts en vue d’emporter l’adhésion des collaborateurs. Fort de son expérience, il propose à présent, de manière plus ou moins explicite, d’appliquer ces approches à la société en général, dans le but d’ôter toute entrave à son fonctionnement. L'entreprise moderne et son système produisent de l'adhésion, offrent un objet d'idéalisation et une incitation permanente à se dépasser, à devenir un “ winner ”. Les autres, ceux qui ne s’adaptent pas, ne rentrent pas dans les critères de ce système sont délaissés, nous approfondirons cela en partie 4. Les employés eux-mêmes sont invités à participer à la création de leur propre charte comme chez EDF par exemple.

Le pouvoir managérial demande aux employés de s’investir totalement, même en dehors du lieu de travail : les ordinateurs et téléphones portables participent à garder l’employé connecté avec l’entreprise. Il n’y a plus de barrières entre vie privée et vie professionnelle. L’idée principale de Le Goff est de montrer que la nouvelle idéologie managériale n’apporte pas de réelles avancées au niveau des libertés pour le salarié au sein de l’entreprise et invite à élaborer une réflexion sur la manière de mettre l’humain au centre de l’entreprise et de la société, comme nous le verrons plus en détail en partie 5 et 7.

Il cherche à comprendre cette idéologie notamment à la lecture des chartes et autres “ politiques ” d’entreprise tout en nous présentant les outils “ miracles ” du management. Les stages de motivation ou autre séminaire pour arrêter le tabac par exemple sont en vogue chez Apple ou IBM. Les chartes d’entreprise et règlements intérieurs cherchent une implication totale des salariés dans leur travail.

Gaulejac s’intéresse à la logique guerrière du managering qui cherche à développer les vertus militaires pour “ la guerre économique ”, le champ lexical de la guerre est utilisé et galvanise l’idée de travail qui ainsi est considéré comme un but dans cette guerre menée par les entreprises pour les besoins de l’économie et de l’humain. La logique de cette conception du travail est que toutes les réponses aux problèmes de sociétés sont d’ordres économiques. Pour cela il faut une gestion rigoureuse et une utilisation efficiente de toutes les ressources, y compris humaines. Cela suppose donc une implication à part entière du salarié dans le contrat d’entreprise.

Un autre aspect développé conjointement dans ces ouvrages est l’idée d’une extension de la gestion du “ managering ” absolu dans d’autres sphères de la société, c’est notamment l’idée que développe Gaulejac : cette idéologie se transmet aux sphères politiques. Pour Le Goff, celle-ci touche également le service public notamment les hôpitaux qui sont de plus en plus soumis à cette manière de gérer le temps et l’humain.

Les auteurs constatent également un fossé entre salariés, patrons et actionnaires. Leurs quêtes ne sont pas identiques, mais l’idéologie les rassemble de manière absurde et incohérente. La production est scindée, séparée de la finance : plus on annonce de licenciements, plus on fait monter le cours des actions.

Enfin, les managers et cadres eux-mêmes subissent et exercent à la fois ce pouvoir,ils en sont les outils, aussi bien que les acteurs. Le cercle vicieux est ainsi mis en place, l’individu ne trouve sa place qu’à travers ce que lui demande l’entreprise et ne peut concevoir d’autres finalités en dehors de l’entreprise. Ces incohérences trouvent une justification par les valeurs que mettent en avant les entreprises.

3 \ Morale et éthique

L’entreprise est au centre de l’intérêt commun et individuel. Cette évolution est le constat commun que font ces deux auteurs. L’entreprise se fait garante de valeurs, de morale et d’éthique. Ainsi face aux problèmes que rencontre la société notamment ceux liés au chômage et aux crises économiques, le managering tente de se réapproprier l’idée de progrès social en liant les idées d’efficacité et d’éthique.

L’entreprise se fait vertueuse et porteuse de valeurs parfois antinomiques ; elle réconcilie profit et développement durable, épanouissement de soi et dévotion pour l’entreprise. L’éthique est instrumentée, elle est un outil aux mains des managers justifiant le rôle social de l’entreprise. Les normes sont ainsi intériorisées par les employés, ou mieux en partie élaborées par eux.

L’entreprise replace ainsi d’autres régulateurs sociaux qui n’existent plus ou peu, la famille, l’école, la religion, etc.…Elle justifie son action par la morale.

Cette morale exige une adhésion pleine et entière de la part du salarié, elle comporte des devoirs essentiellement. L’éthique vue par l’entreprise consiste le plus souvent en un mélange de grands principes, de valeurs, de règles morales et de comportements attendus du collaborateur. En pratique, après l’énoncé de valeurs telles que la loyauté et l’honnêteté, on se retrouve souvent rapidement dans une liste de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, sous la forme de “ préceptes ”.

Cette manière d’envisager l’entreprise induit également une autre manière d’envisager le travail qui n’est plus un simple moyen de subsistance, mais d’épanouissement. On remarque que cette vision est assez déconnectée de la réalité, car pour la majeure partie des salariés, le travail reste un moyen de “ gagner sa vie ”.

L’entreprise du troisième type est donc l’entreprise citoyenne (ou se réclamant ainsi), prenant en compte les aspirations de ces employés. Pour Le Goff, la culture d’entreprise n’a rien à voir avec l’idée qu’on se fait de la culture qui est un héritage des civilisations passées. Elle ne correspond qu’à une idée artificiellement créée afin de donner du sens à son action qui est l’enrichissement et la quête absolue de performance. Ceci répond aux critères de guerre économique et de concurrence, pour cela la logique est d’aller à l’essentiel, à l’utile.

4 \ Logique utilitaire et culte de la performance

Chez ses deux auteurs, “ l’idéologie ” de l’entreprise sous des aspects pragmatiques et éthiques ne cherche qu’à imposer une manière de concevoir le monde et la société. La recherche de l’efficacité et de la performance est présentée comme un but en soi tout en niant les problèmes et les souffrances que cela engendre.

Le manager pour ces deux auteurs est celui qui maîtrisera toutes les ressources à disposition et qui les soumettra à la rentabilité financière. Les ressources y compris humaines sont gérées de manière gestionnaire. C’est ici une des contradictions majeures que révèlent notamment Le Goff dans sa critique des incohérences des projets d’entreprise .Ce qui est censé être une amélioration des qualités de vie devient un joug de rentabilité absolue.

Le principal moteur pour l’entreprise selon Gaulejac est la recherche de la rentabilité sous tous les plans : matériel, financiers et humains. L’être humain n’est qu’un outil, ce dernier évoque même une gestion rationnelle de l’être humain. Il s’intéresse également à l’aspect psychologique de la gestion sur les salariés qui consiste à réaliser des performances.

L’utilitarisme conduit à traiter l’homme comme un moyen et comme une fin en soi.

Ceci est en partie dû à la notion de concurrence, entre entreprises et au sein même de l’entreprise : il faut être le meilleur, se dépasser continuellement. Ce culte de la performance doit être intériorisé par l’employé

Pour Gaulejac, la société est en plein paradoxe : elle apporte des réponses économiques notamment par le biais de la gestion à des problèmes de quête de sens de l’homme dans la société. En ne vivant que pour son travail, l’homme salarié essaye de trouver un sens à sa vie. Selon lui n’existe que ce qui est quantifiable, mesurable ainsi l’agent est invité à s’auto évaluer sans cesse et les gestionnaires des ressources humaines inviter à optimiser le “ temps entreprise ”.L’Humain est un facteur qui doit s’adapter à la quête effrénée de performance, son épanouissement passe par sa soumission à la logique d’entreprise.

5 \ L’entreprise,lieu d’épanouissement ou d’investissement de soi ?

Pour ces deux essayistes, le bien-être en entreprise ne répond qu’à des critères de rentabilité pour l’entreprise. Un employé détendu, mieux formé est un employé plus productif et donc plus intéressant pour l’entreprise. La liberté est réduite aux loisirs, le sens au travail. Tout cela dans le but de satisfaire à l’intérêt commun.

Le management moderne prétend avoir comme finalité humaine essentielle l’épanouissement du personnel. En fait, il s’agit d’impliquer totalement les salariés dans le travail, pour en obtenir le rendement maximal. Pour cela, certaines compagnies proposent des services variés à ses employés (conciergerie, salles de sport sur site, repas du soir offert). Tout est fait pour impliquer au maximum l’employé dans l’entreprise, quitte à confondre vie privée et professionnelle.

La pression endurée par les salariés est également évoquée comme une dérive de cette idéologie. Le Goff précise que "l’entreprise broie les hommes et se nourrit de leurs blessures".Pour Gaulejac, ceci vient des paradoxes que demande l’entreprise à ces salariés notamment chez les cadres intermédiaires, qui sont un tampon entre les exigences de l’entreprise et la réalité sur le terrain.

Dans nos sociétés, chaque individu est un maillon sur lequel s’exercent les pressions de rentabilité et de performance le plaçant à la fois comme harcelé et harceleur. Gaulejac parle de “ harcèlement social ” ; les suicides, le stress, les dépressions sont des conséquences de la gestion utilitariste de l’homme.

Les politiques d’entreprise mettent en avant la volonté de bien-être de leurs employés, car c’est dans l’entreprise (et pour elle) que les employés doivent se sentir épanouis et trouver un sens à leur vie. Un autre aspect est la course à la concurrence qu’elles développent est la volonté d’être le meilleur, la réussite est une fin en soi.

L’incohérence majeure réside dans le fait que l’humain, un simple facteur entre les mains du manager, doit trouver son bonheur, son épanouissement au sein de l’entreprise. Ainsi dans les chartes évoquées par Le Goff on demande aux salariés de faire preuve de créativité alors même que leur emploi ne leur permet pas de la développer. Cependant pour ces deux auteurs le manager est souvent victime également de sa propre soumission aux politiques d’entreprise.

Une soumission est tacitement mise en place, bien que les chartes soient souvent présentées comme des modèles à suivre, presque imposé finalement els deviennent une servitude volontaire selon Le Goff. C’est aux managers et aux cadres de veiller à l’application de ces mesures.

6 \ La “ mythologie ” de l’entreprise et les sources de cette idéologie chez Le Goff

Le Goff cherche à comprendre les sources de l’idéologie managériale née dans les années quatre-vingt. Ainsi, une des idées propres à ce dernier est que le management moderne, base de la culture d’entreprise prenant part dans toutes les sphères de la société,retrouve des thèmes avec certaines idéologies nées durant la révolution industrielle et trouve même des justifications dans la religion catholique.

La principale question de Le Goff dans la deuxième partie de son ouvrage est de définir ce qu’est l’idéologie managériale et sur quoi se fonde cette doctrine. Il propose une analyse historique de cette idéologie en revenant au fondement de l’essor industriel et des bouleversements sociaux que cela a engendrés, ainsi que sur la remise en question du travail et de la place, du rôle de l’homme par rapport à celui-ci. ¬

Le modèle premier est le paternalisme du XIXe siècle, dont certains traits sont repris par les managers modernes. Les agissements des patrons d’aujourd’hui ayant pour but d’imposer une saine hygiène de vie à leurs employés, comme l’arrêt du tabac est directement inspiré du paternalisme.

Saint-Simon, autre précurseur voit l’avènement de l’industrie comme le moteur ultime pour parvenir à l’âge d’or de l’humanité, le règne de l’abondance et de la fraternité à venir.

“ Science, philosophie, morale et religion se trouvent entièrement redéfinies et intégrées à l’industrie ”. Le personnalisme fondé par Emmanuel Mounier est une référence incontournable du management éthique. Faisant de la valeur travail, un moyen d’affirmation de soi.

Ces courants de pensée ont cherché à légitimer l’existence du capitalisme naissant et de l’entreprise en recherche constante du profit pour que l’humain en tire un bénéfice existentiel. Les valeurs comme l’éthique, l’épanouissement deviennent ainsi des moyens que l’entreprise met en place pour garantir sa légitimité. Ainsi, il explique que la religion, notamment catholique, est garante des valeurs que l’entreprise a cherché à créer au moment de l’essor industriel et de la production. De nos jours, cela se traduit par exemple par du “ mécénat ” spirituel par les entreprises ou l’utilisation de mots tels que “ foi ” ou “ quête de sens ” dans les chartes d’entreprise. C’est une recherche de légitimité qui a poussé l’industrie capitaliste à adopter cette quête de sens. L’éthique est le nouveau discours fondateur de beaucoup d’entreprises.

7 \ Une nouvelle politique et une gestion humaine chez Gaulejac

Gaulejac affirme qu’il faut travailler à construire un imaginaire social qui permette de penser différemment les rapports entre l'économique, le social, le politique. Les managers pourront se sentir investis de la mission de développer des régulations nouvelles entre les actionnaires, les clients et les employés. Il souligne la disparition de véritables classes sociales qui deviennent des places sociales, les ouvriers sont devenus employés et la bourgeoisie à tendance à disparaître pour laisser place à une hyper bourgeoisie sans frontière et sans représentation sociétale. Ceci a pour conséquences de favoriser l’individualisme et donc l’appartenance et la soumission à l’entreprise.

Gaulejac estime qu’il est normal de faire appel à la gestion pour organiser la vie d’entreprise tant que cette gestion intègre des idéaux humains et sociaux Pour lui cette dérive sociétale peut être évité par une nouvelle manière de faire de la politique. L’accumulation de richesses ne doit pas être une fin en-soi, mais un moyen d’améliorer le sort de l’humanité.

Les “ collaborateurs ne savent plus à quel sens se vouer ”, comme l’affirme Vincent de Gaulejac. La mise en oeuvre de l’idéologie gestionnaire se traduit, par des symptômes bien connus (stress, sentiment de harcèlement, désillusion, fatigue d’être soi), mais aussi par un sentiment d’inexistence sociale.

Phénomène d’autant plus grave que le travail reste un élément-clé de structuration de l’Homme, même si la vie au travail et la vie en dehors sont de moins en moins séparées.

On pourrait résumer en citant l’auteur pour qui “ il convient d’abord de penser la gestion autrement en la réinscrivant dans une préoccupation anthropologique : une gestion humaine des ressources plutôt qu’une gestion des ressources humaines. ”

Ceci passe également par une autre volonté politique, qui doit être différente de celle des entreprises. Sans pour autant apporter de réponses précises, Gaulejac renvoie les politiciens à réfléchir sur la manière de concevoir une société où l’Homme serait au centre et non plus le profit.

8 \ Conclusion

Pour ces auteurs, s’il y a bien dénonciation des méthodes pernicieuses utilisées en entreprise, il y a également critique de la volonté de plus en plus explicite d’exportation du modèle de fonctionnement de l’entreprise à la société tout entière. Il s’agit de (faire) croire que l’objectif fondamental de l’entreprise est de s’intéresser aux hommes et au destin de la planète et qu’il faut donc utiliser les outils de l’entreprise afin de “ réguler ” le monde et les hommes.

Cependant, Gaulejac bien que critique envers l’idéologie managériale affirme que "la gestion n’est pas un mal en soi. Il est légitime d’organiser le monde, de rationaliser la production, de se préoccuper de rentabilité. A condition que ces préoccupations améliorent les relations humaines et la vie sociale ”. Pour lui cette dérive sociétale peut être évitée par une nouvelle manière de faire de la politique. Le Goff à une démarche similaire en affirmant qu’il faut davantage prendre en compte la liberté citoyenne au sein de l’entreprise. Sa critique a ici pour but de rendre “ la liberté au citoyen dans l’entreprise ” comme dans toute la société.

L’Homme doit retrouver sa place dans cette société, et ne plus être pensé que comme une ressource pour cela il s’agit d’abandonner la logique de performance pour celle des besoins. Car cette logique pousse à l’individualisme, à l’heure où la globalisation nous pousse à penser à l’échelle mondiale. Il faut repenser le modèle de gestion en intégrant les notions de qualité de vie et développement solidaire.