Origine : http://www.psychasoc.com/Textes/La-societe-malade-de-la-gestion-commentaire
INTRODUCTION
J’ai récemment été amené à
introduire une conférence de Vincent De Gauléjac à
Tarnos à propos de son ouvrage La société malade
de la gestion. Voici le texte de mon intervention.
Vincent De Gauléjac vient présenter le 2ième
grand axe de ses travaux : la société malade de la
gestion, idéologie gestionnaire, pouvoir managérial
et harcellement social.
Nous allons donc voyager au sein des entreprises multinationales
et des logiques de colonisation des psychées humaines via
les techniques du management au seul service ultime du profit financier.
Ces logiques de gestion se répandent tout azimut dans les
sociétés.
* Problématique centrale du livre :
Commençons par la fin : V de G écrit : « il
convient d’abord de penser la gestion autrement en la réinscrivant
dans une préoccupation anthropologique : une gestion humaine
des ressources plutôt qu’une gestion des ressources
humaines. » (p.116). La formule est belle, elle résume
bien la thèse centrale du livre qui peut être également
illustrée par une autre citation :
Castoriadis écrit : « Les institutions sont aliénantes
(séparation des classes, pouvoir d’une catégorie
sociale déterminée sur les autres). Il y a aliénation
de la société toutes classes confondues à ses
institutions : une fois posée, l’institution semble
s’autonomiser, elle possède son inertie et sa logique
propre, elle dépasse, dans sa survie et dans ses effets,
sa fonction, ses fins et sa raison d’être. Les évidences
se renversent ; ce qui pouvait être vu « au départ
» comme un ensemble d’institutions au service de la
société devient une société au service
des institutions 1 ».
* En quoi cela peut intéresser le secteur social
et médico-social ?
Les travaux de V de G. nous parlent, peut-être d’abord
parce que sa sensibilité au secteur est issue d’une
partie de son histoire de vie : il a exercé comme éducateur
de rue dans les années 70.
Plus généralement, un des enjeux de la Loi 2002-2
me semble osciller entre les 2 logiques qu’il épingle
: l’idéologie gestionnaire et l’idéologie
anthropologique :
* Promouvoir des institutions sociales et médico-sociales
au service de l’humain en mettant les droits des usagers au
centre des dispositifs (comme dit Saül Karsz, si on met les
usagers au centre alors où étaient-ils donc jusqu’à
présent ? Ca fait penser à la chanson « laver
nos amours à la machine pour voir si les couleurs d’origine
peuvent revenir ») : peut-être s’agit-il là
de retrouver la dimension de l’idéologie anthropologique,
du moins j’ai la faiblesse de le penser.
§u au service de la gestion ? (ex le décret budgétaire
Hardy, un des tout premiers décrets sortis suite à
la Loi 2002-2…), les logiques d’évaluation interne,
externe, la gestion peut-être positionnée au niveau
de l’instance idéologique : même si elle se présente
comme a-idéologique, pragmatique, technique, elle s’impose
aujourd’hui comme représentation dominante du monde.
Toute son « astuce » consiste à se présenter
justement comme simples techniques « a-idéologique
» que l’on ne pourrait pas interroger : c’est
la définition même d’une idéologie que
de ne pas pouvoir être mise en interrogation : « idéologie
gestionnaire ? »
IDEES CENTRALES DU LIVRE :
* Le champ disciplinaire de la sociologie clinique :
Fruit de + de 20 ans de travail et de partenariats, ce travail
s’inscrit dans le champ disciplinaire de la sociologie clinique
qui peut articuler alternativement des éléments d’approches
sociales des organisations et des approches psychanalytiques.
Prof de sociologie clinique à Paris VII, directeur du laboratoire
de changement social, Vincent de Gauléjac. donne un socle
à la sociologie clinique que l’on pourrait définir
ainsi : « Rien n’est au dedans, rien n’est au
dehors, ce qui est au dedans est aussi au dehors » - GOETHE.
La sociologie clinique tente d’apporter des modifications
significatives dans le champ social en intervenant non pas sur la
société dans son ensemble mais sur des segments importants
de la société (entreprises, administrations, quartiers,
collectivités locales…). Elle tient compte du rôle
du psychisme humain, du groupe, de l’organisation. Changements
individuels vont de pairs avec changement social.
Elle vise à aider les sujets à mieux percevoir ce
qui les étouffe voir les opprime.
* Présentation très synthétique du
contenu du livre :
Il traite du pouvoir managérial qui atteint des paroxysmes
depuis les années 80. Le modèle gestionnaire est à
l’œuvre au sein des grandes entreprises capitalistes
multinationales. La production est scindée, séparée
de la finance : plus on annonce de licenciements, plus on fait monter
le cours des actions. C’est comme si la logique de la valeur
pour l’actionnaire était la seule logique guidant les
choix stratégiques des multinationales. On « embarque
» l’adhésion des acteurs par des logiques tel
que les stocks options ou les techniques d’évaluation
des performances individuelles et autres logiques managériales…
Le livre est organisé en 3 parties :
* Analyse du management et de la gestion : sous une apparence
pragmatique et rationnelle, l’idéologie gestionnaire
impose une représentation du monde performant, efficace,
compétition, mobilité, évaluation en niant
la souffrance, l’insécurité, l’accroissement
démesuré des inégalités…
* Cette idéologie se répand tout azimut dans
la société : monde non marchand, les villes,
le monde politique, les administrations, les institutions et aussi
la famille, les relations amoureuses, la sexualité…
il convient aujourd’hui de devenir l’entrepreneur de
sa propre vie, être plus performant, plus productif, vieillir
sans jamais mourir, voir rajeunir pourquoi pas, améliorer
ses performances sexuelles et soigner ses humeurs dépressives
à l’aide des produits licites ou non.
* Le livre se termine par quelques pistes visant à penser
la gestion autrement au service d’un monde moins injuste,
plus harmonieux un monde où le lien social serait plus important
que le bien matériel.
* Transposition au secteur social et médico-social :
§n veut opposer la rationalité économique aux
soucis de solidarité collective. On ne veut pas penser, on
veut gérer !
Pourquoi laisser la logique gestionnaire prendre le pas sur l’idéal
social ? Vincent De Gauléjac nous rappellera que le lien
(entre les gens…) vaut mieux que le bien (accumulation des
valeurs marchandes et financières). Il est temps de s’en
souvenir et de choisir entre ces deux sens du mot « valeur
».
Il faut gérer et bien gérer les fonds publics qui
nous sont confiés, évidemment, mais il nous faut prendre
garde au glissement idéologique qui semble s’effectuer
actuellement du côté de la rationalisation gestionnaire
et ré affirmer que nos organisations sont d’abord au
service de l’humain et non de la LOLF (Loi Organique des Lois
de Finances). La finance n’est qu’un des moyens d’assurer
cette mission.
§n pourrait écrire un petit lexique à usage du
travail social. (Merci à celui où celle qui le souhaite
d’enrichir ce lexique)
Comme par exemple
* Solvabilité plutôt que rentabilité !
la solvabilité se définit comme la capacité
d’une organisation à rembourser ses dettes à
tout moment, ce qui me paraît une gestion financière
saine alors que la rentabilité consiste à dégager
de la valeur ajoutée, de l’E.B.E. (ratios financiers
du haut de compte de résultat qui permettent d’évaluer
la productivité des agents) et du résultat, (sans
« s »), du profit donc.
* GHR (gestion humaine des ressources) plutôt que GRH
(gestion des ressources humaines) ! selon la belle expression
de Vincent de Gauléjac.
* Association à but non lucratif ou fondation…
plutôt qu’organisme gestionnaire ; les mots ne
sont pas innocents. Pourquoi « organisme gestionnaire »
, où passe le projet de la société civile porté
par ces associations, leurs valeurs leurs conceptions de la vie
en société ?
* Instances de tarification pour nommer les « fournisseurs
de ressources, les tutelles, les collectivités publiques
territoriales… Pourquoi mettre d’abord l’accent
sur le financement de l’action sociale et médico-sociale
? Il me semble que la fonction première des pouvoirs publiques
consiste fondamentalement à définir et à soutenir
des missions, de s’assurer que ces missions sont effectivement
assurées et d’attribuer les ressources en conséquences.
* ….
Le scoop qu’on voudrait nous faire avaler, c’est que
l’économique pourrait être la réponse
à des problématiques humaines, de lien social…
Que veut dire la « satisfaction du client » sinon que
seuls les clients solvables sont concernés. Rappelons que
les « nôtres » de clients, ils ne sont pas solvables,
ils sont dans le besoin.
§r c’est d’une démarche de déconstruction
de l’idéologie gestionnaire vers la reconstruction
d’une idéologie anthropologique de référence
que nous invite Vincent De Gauléjac.
Je pense que nous devons le suivre dans cette démarche ,
nous séparer de cette idéologie gestionnaire, c’est
à dire la déconstruire pour mieux mettre en visibilité
ce modèle ET continuer de promouvoir une démarche
centrée sur l’humain :
* S’appuyer sur des conceptualisations des sciences socio-humaines
* S’appuyer délibérément sur des approches
cliniques légitimes – non pas en catiminie –
mais en toute clarté (c’est probablement là
où je me démarque de toi Joseph Rouzel : l’approche
clinique n’est pas à glisser dans les interstices qu’on
voudra bien lui laisser, elle doit être mise selon moi au
centre des dispositifs) . Non pas clandestinement mais en connaissance
de cause car nous savons que ce sont ces approches qui sont pertinentes
pour l’action sociale.
* Se positionner dans les discours, pouvoir se référer
aux 4 formes d’éthiques que nous rappelle Enriquez
:
§ de conviction : avoir confiance en ses dires et
le courage de les énoncer et maintenir un style de travail
cohérent et consistant (l’éthique est un comportement)
§ de responsabilité : primum ne pas nuire,
tenir compte du devenir des structures et des hommes, examiner en
quoi notre action peut favoriser un changement accepté
§ de discussion pour reconnaître l’autonomie
des personnes et la reconnaissance de l’altérité,
le débat, le conflit. Il nous faut réaffirmer que
le conflit au sein des organisations n’est pas un signe de
mauvaise santé, au contraire c’est un signe de bonne
santé.
§ de la finitude pour accepter nos propres limites,
admettre la castration symbolique, pour comprendre aussi les éléments
narcissiques que nous projetons parfois sur les autres et qui peuvent
devenir des éléments destructeurs du côté
de la pulsion de mort.
CONCLUSION
Je termine cette présentation par la citation en conclusion
du livre, celle d’Augusto BOAL créateur du théatre
des l’opprimés – théatre-forum, militant
par excellence de la condition humaine et cher à Vincent
de Gauléjac :
« Etre citoyen, ce n’est pas vivre en société,
c’est changer la société ».
Les choix théoriques et idéologiques vers lesquels
nous irons pour le secteur social et médico-social seront
déterminants pour l’avenir. « Choisir »
c’est de l’ordre du possible, c’est à dire
que « ça peut-être » mais également
de l’ordre du contingent, c’est à dire «
ça peut ne pas être ». A nous de voir….
1 Castoriadis C.(1975), L’institution imaginaire de la société,
Le Seuil. Pages 164..
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