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Malaise dans les institutions publiques
Vincent de Gaulejac Octobre 2011

Origine : http://www.revueforum.fr/2011/09/article-extrait-du-livre-%E2%80%9Cmalaise-dans-les-institutions-publiques-%C2%BB/

Universitaire, sociologue, Vincent de Gaulejac analyse l’origine et le mécanisme de la nouvelle gestion publique. Son dernier avatar, la RGPP, entraîne souffrance et perte de sens chez des fonctionnaires confrontés à un conflit de loyauté entre les valeurs de leur métier et ses modalités d’exercice.

On peut constater une corrélation entre la mise en place de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et la montée du mal-être. Cette «révision» consiste à importer la «révolution managériale» dans toutes les institutions publiques, jusqu’au cœur de l’État. Elle veut favoriser le passage d’une culture de moyens à une culture de résultats, l’introduction d’une gestion des ressources humaines, le développement de la culture client et de l’évaluation, l’application d’une comptabilité analytique permettant de gérer les dépenses de façon plus rationnelle… De multiples transformations sont apparues, adaptant la gestion de ces institutions aux normes managériales. Il convient donc d’essayer de comprendre pourquoi ces changements destinés à rendre les institutions publiques plus efficientes, ce qui n’est pas en soi un objectif contestable, produisent des effets contradictoires. La qualité du service rendu s’améliore sur certains points et se détériore sur d’autres. La réduction des coûts n’est pas démontrée. La montée du mal-être au travail semble en revanche être l’effet le plus patent de la «modernisation».

Pour quelles raisons la nouvelle gestion publique est-elle facteur de stress? Pour- quoi la RGPP conduit-elle certains agents de la fonction publique, parmi les meilleurs, à vouloir se suicider? [...] Pourquoi l’évaluation de l’activité des salariés de la fonction publique semble-t-elle inadéquate et contre-productive? Pourquoi le mal-être se diffuse-t-il aujourd’hui dans la sphère publique, qui semblait jusqu’à présent relativement protégée? La fonction publique représentait, et représente encore pour beaucoup, un cadre stable offrant la sécurité, la stabilité et la tranquillité. Être fonctionnaire c’était l’assurance d’un emploi à vie, d’une protection garantie, d’un avancement assuré, d’un mode de vie sans risque. Pour beaucoup, ce n’est plus le cas.
L’idéologie du new public management et la notion de capital humain

La doctrine du new public management prend sa source dans les entreprises multinationales. Ce modèle managérial va tendre à s’appliquer à l’ensemble des organisations de la planète sous l’impulsion des gouvernements néolibéraux et l’inspiration de la théorie du capital humain. Conçu et appliqué dans les entreprises multinationales anglo-saxonnes comme IBM, Rank Xerox, Hewlett-Packard, American Express…, il a été complété par un arsenal d’outils de gestion destiné à optimiser l’utilisation des ressources humaines et à améliorer la productivité pour augmenter la rentabilité. Ce modèle a intégré différentes influences venant d’autres cultures, tel le modèle japonais (toyotisme). Il a été formalisé et vendu dans le monde entier par l’entremise des grands cabinets de consultants comme Arthur Andersen, McKinsey, Accenture, Ernst & Young, Deloitte, KPMG, Pricewater house Coopers, Boston Consulting Group… Il est aujourd’hui enseigné dans les écoles de gestion et relayé par une littérature abondante [...]. Il sert désormais de vernis scientifique pour légitimer le processus de «modernisation» des organisations publiques.

Sous l’impulsion donnée par Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher en Angleterre dans les années quatre-vingts, le new public management a inspiré l’ensemble des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC, OCDE). Les institutions européennes et les gouvernements des pays «développés» ont été des relais extrêmement puissants de cette doctrine qui a influencé les gouvernements de droite comme de gauche. Elle s’est banalisée au point de devenir l’idéologie dominante de notre temps et de se répandre dans l’ensemble de la société.

On doit la notion de «capital humain» à l’économiste américain Theodore William Schultz, qui l’a inventée dans les années cinquante. [...] Selon cette théorie, chaque individu est en lui-même un capital qu’il peut valoriser par sa formation initiale et continue, son expérience professionnelle, sa carrière, le soin apporté à sa santé, ses activités culturelles et de loisir, ses relations personnelles, etc. [...] À chacun donc de se comporter comme un capitaliste dont le capital ne serait autre que sa propre personne. [...] En transformant le «facteur humain» en ressource, les gestionnaires instrumentalisent l’humain. [...] Cette conception de l’humain conduit à considérer ceux qui ne font pas fructifier leur capital comme des improductifs. [...] Cette approche fait l’impasse sur le poids des déterminations sociales dans l’aptitude de chaque individu à affronter le marché scolaire et le marché du travail. [...] Le «capital humain» n’a pas la même valeur que le capital financier. Il ne donne pas les mêmes «ressources», ni en termes de pou- voir, ni en termes de conditions de vie. Assimiler l’un à l’autre dans les équivalences théoriques conduit à occulter les conflits d’intérêts qui les opposent et les inégalités qui les caractérisent.

Les principes de la nouvelle gestion publique

Cette théorie du capital humain est le socle principal à partir duquel ont été élaborés les principes de la nouvelle gestion publique. L’idée de base est que les formes de gestion des entreprises publiques et de l’État sont bureaucratiques, archaïques, coûteuses, inefficaces. Il convient donc de «moderniser» les administrations et les institutions [...].

Les inspirateurs du new public management vont introduire la culture managériale dans les services publics, fondée sur l’approche client, la concurrence, le management par objectifs, la comptabilité analytique, l’affectation des budgets par enveloppes globales, l’évaluation chiffrée des résultats, la gestion des ressources humaines, l’avancement au mérite, la démarche qualité. [...] Les principes et les outils de gestion de la nouvelle gestion publique sont porteurs de valeurs et de normes spécifiques qui font la part belle au monde de l’entreprise privée et de la pensée managériale. [...] L’introduction de la nouvelle gestion publique dans les services publics a pour conséquence «l’émergence des contradictions internes qui mettent les agents publics dans des situations extrêmement difficiles à vivre, car ils sont pris dans un système bureaucratique encore largement traditionnel, alors qu’ils doivent manipuler et utiliser des outils propres au secteur privé» (Giauque, 2006, p.41). [...] Les résistances en question sont dues au fait que les nouvelles formes d’organisation empêchent de bien faire son travail, c’est-à-dire de remplir les missions pour lesquelles les uns et les autres ont été embauchés.

<La RGPP: objectifs et conséquences

Lancée en 2007, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) est «une réforme de l’État sans précédent» (selon la présentation officielle sur le site du gouvernement). Elle a pour objet de réformer l’ensemble de la fonction publique et de l’État. [...] Ses objectifs sont contradictoires: l’amélioration du service rendu est en contradiction avec la réduction des moyens. La volonté réflexive est antagoniste avec l’approche technocratique et normalisatrice induite par l’implication d’indicateurs de mesure des résultats. Parler en termes de «besoins» et d’«attentes collectives», sans préciser les acteurs concernés, neutralise le fait que les besoins et les attentes sont différents entre les fournisseurs de ressources, les personnels des institutions, les usagers et les contribuables. En fait, un objectif prévaut sur tous les autres: réduire les effectifs à hauteur de trente mille équivalents temps plein chaque année et faire des économies. Comme dans le privé, on mesure les résultats à partir de la réduction des effectifs, selon un principe de la «bonne» gestion des ressources humaines: les effectifs sont un coût, il convient donc de faire plus avec moins.

Par ailleurs, la «révision» est confiée à un certain nombre d’experts, conseillés par des cabinets de consultants, qui appliquent la réforme sans que soit prévue une implication des personnels dans sa conception. [...] La RGPP a exacerbé les tensions dans la fonction publique. [...]

La mise en œuvre de la RGPP est justifiée, selon ses promoteurs, par la nécessité de réduire la dépense publique. Dans le secteur public, ce n’est pas la pression de l’actionnaire qui détermine la logique de réduction des effectifs et l’exigence d’efficience, mais la dette, comme si celle-ci était la conséquence d’un coût exorbitant des dépenses de l’État et des collectivités territoriales. On peut constater que ce point de vue est partagé par la plupart des gouvernements européens, qui appliquent avec frénésie une politique drastique de réduction des effectifs des fonctionnaires et des budgets alloués aux institutions publiques. La thèse selon laquelle la montée de la dette publique serait la conséquence de la hausse des dépenses publiques est pourtant contestable puisque celles-ci sont stables ou en baisse dans l’Union européenne depuis vingt ans. L’accroissement de la dette provient plutôt d’un effritement des recettes publiques dû à la faiblesse de la croissance économique et à la baisse de la pression fiscale. [...] L’application acharnée de la RGPP introduit un bouleversement profond des pratiques et de la culture du service public, qui se traduit par une exacerbation des tensions.

L’introduction de pratiques fondées sur des valeurs étrangères à la culture du service public plonge son personnel dans un désarroi complet. Au nom de l’amélioration du fonctionne- ment des institutions, objectif que personne ne peut contester, on met en place des pratiques totalement opposées à l’esprit du service public que partage la majorité des agents de la fonction publique. Les conséquences de ce hiatus sont de plus en plus visibles. Elles érodent l’adhésion profonde des salariés à leur mission, elles suscitent un désinvestissement de leur travail et, dans certains cas, une désespérance qui peut mener au suicide. [...]

La majorité des fonctionnaires, soit parce qu’ils s’estiment tenus par un devoir de réserve, soit parce qu’ils s’estiment privilégiés, n’osent pas exprimer publiquement le mal-être qu’ils ressentent. Pourtant, les symptômes sont aussi importants que dans le privé. Les cas de dépression, de burn-out, de harcèlement, ainsi que les suicides, sont de plus en plus fréquents. [...]

La contradiction que l’on trouve aujourd’hui dans la plupart des institutions publiques entre les logiques organisationnelles et les finalités institutionnelles, ou, pour être plus précis, entre les conceptions qui sous-tendent la nouvelle gestion publique et les missions de service public confiées à ces institutions. [...] Ces tensions entre les logiques organisationnelles et les logiques institutionnelles sont la cause principale du déchirement vécu par bon nombre des agents des «services publics» entre ce que la hiérarchie leur demande de faire et la conception qu’ils se font de leur mission. [...] Le phénomène est d’autant plus préoccupant que les institutions sont au fondement de l’ordre social, de l’être social qui caractérise les éléments structurants de la société. C’est toute la société qui se dégrade sous l’effet d’une crise du symbolique. Les exemples de l’université, de la police ou de Pôle emploi illustrent les différents aspects d’un malaise grandissant. [...] De nombreux exemples illustrent la crise de confiance et le malaise qui règnent aujourd’hui dans toute la fonction publique au point de pousser ses agents, souvent les plus zélés, au suicide, et les autres, une grande majorité, à résister à une modernisation qu’ils vivent comme une régression. Ces résistances sont interprétées par les responsables de la RGPP comme des résistances au changement. On perçoit ici le caractère pervers de ce discours. Dans un premier temps, on met le service public en crise en le discréditant parce qu’il coûterait trop cher, en réduisant de façon drastique ses moyens et ses effectifs, en détruisant les valeurs qui fondent sa culture. Dans un second temps, on utilise la crise ainsi provoquée pour justifier la nécessité de la réforme et de la «modernisation». On introduit alors la «révolution managériale», qui ne peut que renforcer la crise. La crise accentue le mal-être, le mal-être rend encore plus nécessaire le changement…Toutes les conditions sont réunies pour mettre en place un système paradoxant. [...]

L’obsession évaluatrice

Modernisation et évaluation sont énoncées comme deux exigences impérieuses et incontournables. L’évaluation est dès lors présentée comme un outil pragmatique et nécessaire pour rationaliser la gestion, mettre en regard les résultats obtenus et les objectifs assignés, comparer différentes façons de procéder, calculer le coût et l’efficacité du fonctionnement des organisations. L’évaluation va transformer en profondeur le fonctionnement des organisations à partir de critères qui mettent en avant la performance plutôt que l’efficience, le résultat plutôt que les moyens, la rentabilité plutôt que la qualité du service rendu, la culture commerciale centrée sur le client plutôt que la culture administrative centrée sur l’usager. [...]

Ce glissement vers une conception économique et financière de l’évaluation va se consolider dans les années quatre-vingt-dix. L’objectif est d’accentuer la rationalisation dans la gestion de l’action publique pour la rendre plus «performante». La performance est évaluée en termes de rentabilité financière, comme dans le secteur privé. Il s’agit de faire plus, sinon mieux, avec des moyens constants et des effectifs réduits. Les principes du new public management deviennent la référence. Des critères de performance sont établis et s’imposent de l’extérieur, fixant des normes standardisées déconnectées de l’analyse de l’activité concrète (par exemple, ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux). Le résultat à atteindre n’est pas défini par les organisations elles-mêmes dans une logique de progression entre une situation de départ et une situation d’arrivée, mais en fonction d’un étalon dont la définition est imposée de l’extérieur, à partir d’une analyse comparative entre différentes institutions. L’évaluation n’est plus effectuée à partir de l’activité réelle, mais à partir de modèles construits sur l’analyse des meilleures pratiques traduites en indicateurs de performance. Les pratiques les plus efficaces sont présentées comme l’objectif à atteindre pour chaque service équivalent. L’heure est à l’excellence. À l’univers bureaucratique du contrôle de la régularité, puis à l’univers technique du calcul comparatif pour définir the one best way, se substitue la culture de la haute performance. L’idéal devient la norme (Dujarier, 2006). [...]

La perte de sens

L’une des mutations essentielles dans le rapport au travail et son évaluation, dans le privé comme dans le public, vient de la dissociation entre le faire et le penser, entre la théorie et la pratique, entre la part du concret et le degré d’abstraction introduit dans le processus de fabrication. Cette dissociation n’est pas nouvelle. Elle a été instaurée par l’organisation scientifique du travail selon les principes du taylorisme [...].

La notion de travail bien fait se perd. Les salariés ne savent plus s’ils! peuvent se fier à leur jugement intuitif, fondé sur une connaissance pratique, à partir du moment où l’évaluation de leur activité est sou- mise à des principes de codification fondés sur des modèles abstraits. D’autant que, dans la majorité des cas, ils n’ont pas été associés à l’élaboration de ces modèles, dont la «logique» leur est inaccessible. Cette perte de sens dans l’abstraction est d’autant plus flagrante que la qualité du travail dépend de toute une série de causes sur lesquelles le salarié n’a pas de prise. Lorsque l’activité n’est plus incarnée dans des tâches concrètes, la valeur de l’œuvre, des façons de faire, de l’activité tangible, n’est plus directe- ment accessible. Le jugement se déplace alors sur les comportements, les façons d’être, entraînant une surcharge psychique et mentale du côté des salariés comme de l’encadrement. [...]

La valeur travail est dénaturée lorsque le travailleur n’est plus maître du sens qu’il donne à ce qu’il fait. Son activité est alors dévaluée. Si au «travail bien fait» selon les critères du groupe de pairs se substituent des critères de mesure qui n’en rendent plus compte, c’est le travail lui-même qui en sort déprécié. La «perte de sens» exprimée comme une plainte lancinante est la conséquence de ce processus: l’acte de travail n’est plus mesuré à l’aune de celui qui le fait mais à l’aune de celui pour qui il est fait. La perte de sens est d’autant plus mal vécue que le travailleur est encouragé à s’identifier à ce qu’il fait. S’il ne peut en fixer lui- même la valeur, cette invalidation le touche dans son être même: c’est lui-même qui est dévalué. Le besoin de reconnaissance et de revalorisation de soi-même est d’autant plus intense qu’il ne se reconnaît plus dans ce qu’il fait. Le dispositif même de l’évaluation impose de nouvelles normes, de nouvelles façons de procéder. Elle a des conséquences en termes d’organisation du travail. [...] L’évaluation est donc nécessaire pour comprendre en quoi ses formes technocratiques et objectives, mises en œuvre avec la RGPP, sont facteurs de démobilisation, de désenchantement et de désubjectivation. Loin de redonner de la valeur à l’activité, l’évaluation managériale la dévalorise. La politique du chiffre participe à l’inclusion et à la domination de la rationalité instrumentale au sein du service public. C’est une des raisons essentielles de la perte de confiance, dans le personnel comme chez les usagers, dans les institutions. [...] L’évaluation devrait être un guide pour répondre à une préoccupation majeure: en quoi les organisations et les institutions favorisent ou inhibent-elles l’émergence de citoyens qui, comme travailleurs, usagers ou clients, participent à la production d’un «monde commun», un monde où l’être ensemble est plus important que le produire plus.

Le discours gestionnaire, qui s’appuie sur des paradigmes fonctionnalistes et utilitaristes, débouche sur des exigences et inutiles. Et pour- tant celles-ci sont soutenues par la direction, les cadres et certains agents au nom de la modernité, du progrès, de la rationalité technique, d’une représentation dominante selon laquelle les résistances au changement sont des réflexes «naturels» qu’il faut dépasser. [...] La question n’est plus de savoir si le changement est judicieux ou opportun, mais comment faire pour éliminer ceux qui lui font obstacle. Le problème n’est pas de savoir si la maîtrise de l’outil informatique est indispensable pour effectuer la tâche. [...]

Les institutions produisent l’exclusion contre laquelle elles sont censées lutter. Ce renversement est invisible, la violence qu’il induit est «innocente», ceux qui la mettent en œuvre sont parfaitement légitimes, ceux qui la subissent se sentent coupables. [...]

Conclusion

Le mal-être au travail est à l’œuvre dans les entreprises privées et dans les institutions publiques. Les causes de ce malaise sont plurielles, comme les symptômes qui le révèlent. La révolution managériale et l’idéologie des ressources humaines focalisent un aspect essentiel de la dégradation subjective des conditions de travail. Elles produisent une tension perceptible dans l’ensemble de la fonction publique entre l’institution et l’organisation, entre le registre des missions à accomplir et le registre des modalités opérationnelles, entre les va- leurs de service public et l’introduction d’un modèle de gestion conçu pour améliorer la rentabilité financière et le renforcement des contrôles en termes d’efficacité productive.

Le personnel de l’ensemble des institutions publiques est confronté à un conflit de loyauté entre les valeurs qui, pour bon nombre d’entre eux, ont présidé à leur choix professionnel –un métier au service du public– et les modalités d’exercice de ce métier, de plus en plus soumis aux paradigmes de l’idéologie gestionnaire. L’objectivisme, l’utilitarisme, le positivisme et le fonctionnalisme, qui sous-tendent la nouvelle gestion publique, sont à l’opposé des valeurs d’humanisme, de solidarité, d’égalité et de fraternité défendues par les agents des services publics. Ces oppositions d’idéaux les soumettent à des tensions, les confrontent à des systèmes de valeurs contradictoires, jusqu’à pousser certains agents au suicide, d’autant que la prescriptophrénie et l’obsession évaluatrice produisent des injonctions paradoxales. La colère gronde. Mais faute d’expression collective, elle se manifeste sous d’autres formes. On peut penser qu’à la moindre occasion, elle s’exprimera dans un refus massif d’une modernisation vécue comme destructrice.

Biographie Infos

Vincent de Gaulejac est sociologue, professeur de sociologie à l’UFR de sciences sociales de l’université Paris VII-Diderot, directeur du Laboratoire de changement social.

Il est membre fondateur de l’Institut international de sociologie clinique. La sociologie clinique est une approche qui tente d’articuler les dimensions sociales et psychiques en se penchant sur la singularité des parcours et des expériences. Ses recherches consistent à développer une sociologie clinique autour de plusieurs axes dont, notamment, l’axe clinique du travail et des organisations.

Prix de sociologie en 2008: prix Sokorin, décerné par l’Association russe de sociologie.

Auteur de nombreux ouvrages dont Travail, les raisons de la colère (Seuil, 2011)

et La société malade de la gestion (Seuil, Paris, 2005).

Site internet: www.vincentdegaulejac.com

Travail, les raisons de la colère, Vincent de Gaulejac éditions du Seuil.

Extraits choisis de l’ouvrage Travail, les raisons de la colère, Seuil.

Intertitres ajoutés par la rédaction de Forum