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Origine : http://voila-le-travail.fr/2009/06/05/comme-si-le-salarie-etait-responsable-de-son-propre-malaise/
Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie à Paris VII,
s’exprimait lors d’une conférence sur la souffrance
au travail. Pour l’auteur de La société malade
de la gestion, paru en mars 2009, l’idéologie gestionnaire
appliquée en entreprise est responsable d’une crise
du sens dans le travail.
Michel Foucault parlait du ‘’corps disciplinaire’’,
soumis, assujetti pour obéir. Aujourd’hui, dans le
travail, c’est la psyché qui devient force utile, soumise
et assujettie. Le management transforme l’énergie libidinale
en énergie rentable. Il transforme l’angoisse, le plaisir,
le stress en forces de travail, productives.
Les symptômes liés au monde du travail se sont donc
déplacés. Aujourd’hui, le symptôme principal
est internalisé : c’est le stress.
Dans les années 70, primait la contradiction suivante :
les salariés adhéraient aux objectifs de l’entreprise,
mais les refusaient comme travailleurs. Aujourd’hui, cette
contradiction s’est transformée en paradoxe. Le salarié
ne change pas de casquette pour s’opposer à l’entreprise.
Le salarié s’oppose à lui-même. Car l’entreprise
lui donne à la fois des ordres tout en lui proposant des
tickets psy, un coach, un séminaire, pour apprendre à
gérer son stress, à mieux vivre son travail. Implicitement,
ce discours signifie que c’est le salarié qui se vit
comme responsable de son malaise, qu’il n’a qu’à
effectuer un travail sur lui, et que ça l’aidera à
supporter la situation. Ce discours permet de faire l’impasse
sur les transformations des organisations, du management, des relations,
et le stress qu’elles génèrent. Et le salarié,
face à cette injonction paradoxale, ne comprend plus ce qui
lui est demandé.
Il se retrouve dans une plainte permanente, car c’est le
seul moyen qu’il lui reste pour s’exprimer : il ne peut
plus critiquer le management, il ne peut s’en prendre qu’à
lui, et son travail n’a plus de sens pour lui.
Pour différentes raisons. Il peut simplement ne plus rien
comprendre au but de son activité. Il peut aussi ne pas être
d’accord avec ce qui lui est demandé. Enfin, il peut
estimer être évalué avec des outils qui n’ont
pas de sens pour, qui ne mesurent pas sa performance d’après
lui, par rapport à des critères qui ne correspondent
pas à la réalité du travail. Et ça le
rend fou.
Prenez l’exemple des entretiens d’évaluation.
Le salarié doit toujours avoir des résultats au-delà
des attentes. Il doit faire mieux que mieux. L’idéal,
l’excellence, c’est-à-dire ce qui est hors du
commun, devient la norme. On parle aujourd’hui d’ ‘’excellence
durable’’. Alors, forcément, certains cadres
se dopent. On leur demande du ‘’zéro défaut’’,
de la ‘’qualité totale’’, de faire
plus avec moins… Ca n’a plus de sens.
Et ce n’est pas en réunissant les salariés
en séminaires pour parler du stress que ça va les
aider. C’est en leur donnant les outils théoriques
et pratiques qui leur permettent de comprendre ce qu’il se
passe : le décalage entre les objectifs et les moyens, etc.
Il faut permettre aux travailleurs d’être des sujets,
de donner du sens à leurs symptômes pour ne plus les
subir. Il faut discuter des conflits vécus, pour le comprendre,
et envisager les transformations des organisations nécessaires.
Il y a une vraie bataille idéologique derrière ce
thème du stress au travail. D’ailleurs, il vaudrait
mieux parler de ‘’violence’’ que de ‘’souffrance’’
au travail : cela permettrait de passer du discours de la victime
à celui du contestataire.
Le management est devenu un des symptômes de notre société
» post-moderne » : on gère son temps, sa famille
et sa vie tout comme on tente de gérer les motivations de
ses collaborateurs ou la bonne marche d’un service. Bien gérer
ne suffit d’ailleurs pas. La quête de qualité
totale et de » zéro défaut » qui imprègne
de plus en plus l’univers de l’entreprise s’étend
désormais hors de ses frontières. Il s’agit
de réussir sa vie, d’être performant en tout,
bref de » gagner » dans une société qui
ne veut connaître que le succès et n’a que faire
des perdants. Parallèlement, un autre mouvement s’amorce
qui se préoccupe de la dimension » spirituelle »
de l’entreprise et cherche à lui conférer le
statut d’une instance de développement personnel :
on parle de l’identité, voire de l’âme
de l’entreprise et c’est par elle, à travers
elle, grâce à elle que l’individu est aussi censé
se développer et réaliser son idéal. Or l’excellence
a un coût : le stress permanent, les » décompressions
» physiques et psychiques, la » brûlure interne
» de ceux qui se consument dans l’obsession de la performance
constituent la face cachée de cette course à la réussite…
L’entreprise, en effet, n’est pas seulement pourvoyeuse
de succès et de carrière, elle est aussi, parfois,
pourvoyeuse de mal-être et d’angoisse. C’est toute
cette face d’ombre de notre société de conquête
qui cette face d’ombre de notre société de conquête
qui constitue le coeur de ce livre, qui s’appuie sur une recherche
approfondie dans l’univers managérial et intègre
de nombreux témoignages.
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