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Hyperactivité et dépression de l'individu "hypermoderne
LE BIEN-ÊTRE EST-IL DANS L'EXCÈS ?
LE MODE D'ACTION EN URGENCE EST DEVENU LA RÈGLE"

Date : Mardi 30, Septembre 2003
Objet : [Hyperactivit é et dépression de l'individu "hypermoderne"]
Marc le dit lui-même : il était une sorte de "toxicomane de l'action" (Le Monde daté 1er octobre 2003)

[Hyperactivité et dépression de l'individu "hypermoderne"]

** L'EXPÉRIENCE DU "LÂCHER-PRISE"

Marc le dit lui-même : il était une sorte de "toxicomane de l'action".

"Lorsque je voyais qu'un week-end à venir n'était pas rempli par un projet de fête, de sortie culturelle ou sportive, j'avais un sentiment de mort psychique et sociale." Et puis Marc a eu un accident de moto. Fracture du bassin, des mois allongés immobile.

"J'ai alors fait deux rencontres incroyables : ma future femme, infirmière dans le service où j'étais hospitalisé. Et le repos. Simplement bouquiner, regarder par la fenêtre les nuages passer dans le ciel, écouter de la musique... (...) Je n'avais jamais fait ça de ma vie, moi ! Du coup, j'ai commencé à me sentir dans un état bizarre : heureux. Et je me suis aperçu que c'était, là aussi, la première fois de ma vie. Avant, je pouvais être joyeux, excité, soulagé, content... Mais pas heureux. J'ai compris que le bonheur ne pouvait exister que dans un minimum de lenteur. Et comme la lenteur me faisait peur..."
Des hyperactifs, Christophe André en reçoit beaucoup. Psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne (Paris), il sait que la plupart d'entre eux tirent un réel plaisir de l'action, de ces sensations d'intensité et de stimulation qui seules leur donnent le sentiment d'exister.

Lorsqu'ils craquent, ou que survient, comme pour Marc, une rupture accidentelle dans leur fonctionnement, il leur arrive pourtant de se remettre en question.

Pour les soulager de leur activisme, Christophe André préconise une thérapie en apparence toute simple : le "lâcher-prise". "Nous recommandons à beaucoup de patients d'apprendre à ne rien faire ou, plutôt, à ne pas toujours faire quelque chose : ne pas mettre l'autoradio dès qu'ils montent dans la voiture, ou la musique (pis, la télévision) dès qu'ils rentrent chez eux ; ne pas toujours lire lors des moments de repos, mais regarder le plafond, ou le ciel" , écrit-il dans son dernier livre, Vivre heureux (Odile Jacob, 334 p., 21,50 ¤).

"Nous leur apprenons aussi à déléguer et laisser faire les autres, au travail ou en famille, même si ces autres font moins bien, à leur avis, qu'ils ne l'auraient fait eux-mêmes." Ainsi parviennent-ils, peu à peu, à ralentir le temps...

C. V.
Le Monde daté 1er octobre 2003


LE BIEN-ÊTRE EST-IL DANS L'EXCÈS ?

Dans une société individualiste, marquée par l'urgence et l'intensité, la quête du bonheur devient un exercice complexe
Les gens heureux n'ont pas d'histoire : s'il faut croire l'adage, nos contemporains ont alors beaucoup à dire. Peut-on apprendre à être heureux ? (Albin Michel) , Travailler pour être heureux ? (Fayard), S'épanouir en couple et en famille (InterEditions), Et si le bonheur dépendait de moi ? (Le Courrier du livre)... Rarement le monde de l'édition a à ce point exploité le concept de bien-être, de développement personnel et, plus généralement, de bonheur.

Pourquoi cet engouement ? Comment expliquer que cette notion, philosophique s'il en est, suscite à ce point l'intérêt des vulgarisateurs de tout bord - et de leurs lecteurs ? On peut, bien sûr, objecter que le bonheur ne se cache pas dans un livre de recettes, si pertinent soit-il. Mais ces ouvrages se vendent, et se vendent bien. Dans une société en pleine mutation, marquée par l'instabilité et l'individualisme, leur succès est révélateur d'un malaise. Malaise dont ont longuement débattu les sociologues et autres spécialistes des sciences humaines participant au colloque sur "L'individu hypermoderne", qui s'est tenu à Paris, du 8 au 11 septembre, sous l'égide de l'Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP-EAP).

L'individu hypermoderne ? Autrement dit : nous tous, habitants de pays riches dont les fondements actuels sont ceux de la compétition et de la guerre économique. Lancé - pour ne pas en être exclu - dans la logique du profit immédiat, désabusé face aux espoirs en un avenir meilleur, qu'il prenne la forme de la vie éternelle, de la victoire du prolétariat ou de la marche irréversible vers le progrès, l'hypermoderne vit au jour le jour.
"Comme s'il devait être le seul ou le dernier qui nous soit donné pour combler nos attentes ou réaliser nos désirs" , souligne la sociologue Nicole Aubert, principale organisatrice de ce colloque. D'où une course permanente vers le "toujours plus, toujours plus vite", dans une société qui se caractérise avant tout par l'excès.

Excès de consommation, excès de sensations, excès d'activité... Excès de changement, également. "Il ne s'agit plus de vénérer des figures anciennes, des sages qui imposent le respect, les pères de la science, de l'Etat ou encore les maîtres d'une technique particulière, mais d'admirer celui qui apporte du nouveau" , remarque Jean-Paul Dumond, docteur en gestion, management public et conduite de projet à l'Ecole nationale de la santé publique, pour qui le changement "est devenu une valeur" .

Dans notre économie libérale, la puissance se mesurerait ainsi à la vitesse de réalisation des mutations. Vitesse encore amplifiée par les technologies de l'information et de la communication, d'où leur succès.

Conséquences pour tout un chacun ? Dans l'entreprise, les personnels ne sont plus considérés comme une donnée, mais comme une variable. L'individu lui-même, bénéficiant d'une formation continue, doit être en perpétuel mouvement. Même pour ceux qui travaillent dans une entreprise publique ou dans une administration, et qui ne sont donc pas menacés de perdre à tout moment leur emploi, les effets de cette dynamique de changements incessants finissent par se faire sentir. Pas facile d'être confiant et sûr de soi quand les liens se défont sans cesse, et que l'on est censé faire face, pour prouver ses compétences, à des demandes de plus en plus versatiles.

Dans la sphère privée également les bouleversements s'accumulent. De nouveaux comportements collectifs apparaissent, dont le but, souvent, ne semble pas dépasser la sensation d'être ensemble : immenses rassemblements de rollers ou attroupements éclairs ( flashmobs ), ces étranges rituels urbains, entre canular et spectacle, se multiplient actuellement dans les grandes villes ( Le Monde du 17 septembre). Les projets collectifs, en revanche, se font rares, et restent le plus souvent ponctuels : ainsi la mobilisation massive contre Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, puis de nouveau l'éparpillement et l'abstention aux législatives.

Dans le même temps se sont répandus des moyens de communication faisant apparaître de nouvelles façons de composer avec les autres - quand ce n'est pas avec soi-même. Messagerie électronique, répondeurs, portables : en dissociant l'espace et le temps, les technologies de communication instantanée permettent désormais de choisir le moment et l'endroit où nous contactons les autres, de se sentir, à tout moment, partout et nulle part.
Et que dire d'Internet, qui permet, en dialoguant sur ses réseaux de chat , de prendre des visages multiples, et, par là même, de cacher sa véritable identité ? Si l'on ajoute à cette virtualisation de soi-même la multiplication de ses existences réelles (parcours professionnel, recompositions conjugales et familiales), on admettra que l'hypermodernité puisse engendrer une certaine instabilité... et une légère perte de sens.

Comment s'y retrouver dans une société qui préconise avant tout l'ubiquité, la polyvalence, la mobilité ? Certes, cette flexibilité poussée à l'extrême ne présente pas que des inconvénients. Ainsi que le soulignaient plusieurs intervenants du colloque, elle génère aussi de la créativité. Le tissu social devient plus fragile, mais plus élastique, les relations humaines sont moins fortes, mais plus nombreuses... Selon la logique du libéralisme, chacun devient également plus libre de construire son destin. Mais ce surplus de liberté individuelle se paie cher. En premier lieu pour ceux qui n'auront pas su ou pu en profiter, et qui, livrés à la précarité, vivent le plus souvent dans une grande solitude sociale. Mais aussi pour bien d'autres, auxquels cette vie effrénée et compétitive procure un sentiment croissant d'insécurité et d'angoisse.

"Pour beaucoup, la vie est devenue une espèce de course individuelle - au bonheur, à la réussite, au développement personnel. Le bien-être tend ainsi à se déplacer du niveau social et politique au niveau individuel et psychologique", souligne le sociologue Vincent de Gaulejac, directeur du laboratoire de changement social de l'université Paris-VII. De quoi ne plus savoir, en effet, à quel bonheur se vouer.


Catherine Vincent Le Monde daté 1er octobre 2003

>> Nicole Aubert, sociologue, professeur à l'Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP-EAP) :

"LE MODE D'ACTION EN URGENCE EST DEVENU LA RÈGLE"

- Dans votre dernier ouvrage, le culte de l'urgence (flammarion, 376 p., 19¤), vous parlez d'une société "malade du temps" ...

Notre époque est en train de vivre une mutation radicale dans son rapport au temps, qui nous conduit à agir dans l'urgence permanente. Pourquoi ? Parce que l'accélération du temps se situe au c¦ur même du système capitaliste (plus le capital tourne vite, plus le taux de profit annuel est élevé), et du fait de la révolution survenue dans le domaine des télécommunications et de l'informatique. En se conjuguant, ces deux phénomènes ont instauré le règne d'une économie financière régie par la dictature du "temps réel" . Le mode d'action en urgence, autrefois exceptionnel, est devenu la règle.

- Cette mutation, dites-vous, se joue aussi à l'intérieur de nous. L'urgence deviendrait une construction mentale ?
On constate que cette urgence extérieure affecte profondément notre manière de vivre et de travailler. On voit ainsi émerger un nouveau type d'individu, flexible, pressé, centré sur le court terme et l'instant. Certains, sans doute, ont toujours fonctionné de la sorte. Mais le phénomène se généralise.
Jamais, dans la vie de tous les jours, on n'a autant entendu les expressions "manquer de temps", "perdre son temps" ,"gagner du temps" : comme si le temps devenait une donnée quantitative que nous cherchons à saisir, à soumettre, à dominer.

- Pour certains, et plus encore dans le monde ultracompétitif de l'entreprise, cette pression permanente devient néfaste. Pouvez-vous décrire ce que vous appelez les "pathologies de l'urgence"?
On observe une gradation des symptômes. Dans les témoignages que j'ai recueillis - récits de cadres d'entreprises majoritairement, mais aussi d'employés, d'infirmières hospitalières et d'ouvriers -, une chose m'a frappé : de plus en plus, les individus au travail ressentent être dans l'hyperfonctionnement. A tel point qu'ils ne peuvent même plus, bien souvent, se demander quel est le sens de ce qu'ils font.

Quand la pression devient trop forte, survient ce que j'appelle la "corrosion du caractère", qui entrave progressivement la capacité de communiquer avec les autres. Hypernerveux, irritables et agressifs, ceux qui en sont atteints se comportent comme s'ils étaient attaqués dans leur enveloppe protectrice, comme s'ils étaient à vif. Souvent, ils s'en rendent compte, et se plaignent de ce qu'ils sont en train de devenir. Et le plus grave, c'est que certaines entreprises semblent trouver ça tout à fait normal... Peuvent alors apparaître des symptômes proprement physiologiques, allant des plus légers (insomnies, migraines) aux plus graves : ulcères, cancers ou dépression.

- Quelles que soient ses causes, la dépression, justement, se manifeste toujours par un fort ralentissement d'activité. Serait-ce la parade suprême pour freiner le temps ?
D'une certaine façon, oui... Ce qui est certain, c'est que la dépression est devenue une pathologie sociale dominante à partir du moment où s'est produite cette accélération du temps dans notre vie quotidienne... Tout se passe comme si le mécanisme dépressif se mettait en marche, tant sur un plan biologique que symbolique, pour contrebalancer les effets d'une précipitation contre nature...

On constate par ailleurs que les dépressions en augmentation sont des dépressions dites "d'épuisement", dont le principal symptôme est précisément... le ralentissement psychomoteur. Chez ces déprimés-là - ces déprimés de l'urgence - pas de tristesse, pas de perte de l'estime de soi...
Seulement une immense fatigue empêchant de faire quoi que ce soit.

Propos recueillis par C. V.


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