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UNE MEME VOIX
Revendications d'égalité
1992-01-09


Origine : http://www.humanite.presse.fr/journal/1992-01-09/1992-01-09-645355

Le rendez-vous de tous ceux qui refusent la haine et les exclusions est plus qu’une riposte morale à l’extrême droite. Ensemble soixante organisations appellent à se rassembler contre le racisme et pour l’égalité des droits

LE graphisme est rétro et les personnages bien typés. Un grand Noir coiffé à la Yannick Noah joue de l’accordéon. Une vieille dame style Mamie Nova 100% française martyrise gaiement un tam-tam africain. Un couple couleur café crème s’embrasse tendrement sous l’oeil goguenard d’un porteur de béret basque.

Si toute cette joyeuse bande restait muette, on lirait l’affiche annonçant la manifestation du 25 janvier à Paris comme un pied de nez au racisme. Cocktail savoureux dosé de tous les ingrédients servis contre l’intolérance.

Mais l’arrêt sur image est sonore. Nos héros parlent et se lancent quelques mots bien choisis : non aux exclusions, égalité des droits, contre l’extrême droite et le racisme, nouvelle citoyenneté, droit de vote des immigrés. Et, par ces mots-là, le rendez-vous du 25 janvier prend une autre tournure. Avec quelque chose de plus qu’une réponse morale à la montée du racisme et de l’extrême droite.

On l’a nettement senti hier en écoutant les représentants du collectif des associations et organisations appelant et préparant cette manifestation qui partira à 15 heures de la place de la Bastille. « Etre anti-Le Pen aujourd’hui, dit d’emblée Malek Boutih, c’est la moindre des choses quand on est démocrate.

Il n’en reste pas moins que l’extrême droite continue de prospérer. D’où la nécessité de remonter à la racine du mal, en posant le problème de la faiblesse des valeurs et des exclusions sociales. »

L’idée est aussitôt appuyée par la présidente de la Ligue des droits de l’homme, Madeleine Ribérioux : « La bonne manière de combattre Le Pen n’est pas de crier tous les jours : A bas Le Pen ! mais de se rassembler sur des opinions constructives et positives, l’égalité des droits, la citoyenneté, le droit de vote pour les étrangers. »

Et qu’affirme de son côté le secrétaire général du MRAP, Mouloud Aounit ? « Avec cette manifestation, nous donnons un carton rouge à la progression de l’extrême droite, et un carton jaune au gouvernement dont la politique privilégie une logique sécuritaire et répressive, au détriment d’une logique d’intégration sur la base des droits économiques, sociaux, culturels, civiques. » Et n’est-ce pas cette conviction que partage Harlem Désir, le président de S.O.S.-Racisme, en ces termes : « Pour faire reculer Le Pen, il faut assécher les marécages sociaux dans lesquels il prospère, régler les problèmes dont il tire profit. »

Ce n’est certes pas la première fois que le mouvement antiraciste se dresse contre les sorciers de la haine. Mais le seul réflexe de l’émotion a montré ses limites. Surtout quand la pire des démagogies trouve quelque crédit à droite et ailleurs au détour d’une phrase. Ici on parle d’invasion et d’odeurs, là de charters et de seuil de tolérance.

La déclaration qui cimente la participation à cette manifestation, souligne que « si le discours dérape aujourd’hui, c’est aussi parce qu’on a laissé la situation se dégrader sur le terrain et les inégalités s’accroître, ce qui favorise les réflexes sécuritaires et le recours au populisme ». Et de revendiquer du même coup « le droit au logement, une justice égale pour tous sans double peine, le respect du droit d’asile, le droit au travail et à la protection sociale pour tous ».

Ce texte, une soixantaine d’organisations en sont déjà signataires.

Outre les principales associations de lutte contre le racisme et de défense des droits de l’homme (LDH, LICRA, MRAP, S.O.S., Fasti, CIMADE...), on citera notamment toutes les communautés immigrées structurées en France, trois grandes centrales syndicales (CGT, CFDT, FEN), plusieurs mouvements de jeunesse dont la JC, la JOC, l’UNEF, l’UNEF-ID, le Syndicat de la magistrature, l’Association française des juristes démocrates, et deux partis politiques d’audience nationale, le PCF et les Verts.

Evidemment, l’absence du PS dans cette liste ne passe pas inaperçue. Illustration symptomatique de la crise d’un parti qui parle à gauche et gouverne à droite, le PS doit naviguer entre le refus de soutenir un texte critique à l’égard d’une politique qui cultive tous les terreaux où poussent les mauvaises herbes du racisme et de l’extrême droite et la nécessité de ne pas se couper d’un mouvement dans lequel nombre de ses militants ou électeurs s’impliquent. L’exercice périlleux ne pouvait aboutir qu’à une contorsion. Le PS n’est donc pas signataire de l’appel à manifester, mais soutient cependant la manifestation.

Simple anecdote ? Pas tout à fait. « Au fond, insiste Mouloud Aounit, l’immigration est le révélateur de ce qui ne va pas dans cette société. » La déclaration commune ne tourne donc pas autour du pot : « Jeunesse et habitants des banlieues relégués aux stages et aux petits boulots, discrimination à l’embauche, contrôle de police au faciès, menace sur le droit d’asile, est-ce ainsi que l’on pense favoriser l’intégration des immigrés ? »

La manifestation du 25 janvier trouve aussi son ressort dans des urgences. Par exemple, pour que soit mis un terme au véritable calvaire que vivent des dizaines de milliers de résidents étrangers déboutés du droit d’asile, et dont Carlos Bravo, représentant de la FASTI, a rappelé le combat actuel dans sept grandes villes. Par exemple, pour en finir avec cette véritable législation d’exception que constitue la double peine, et qui place tout étranger condamné à de la prison en situation d’expulsion du territoire à l’issue de sa détention.

Les raisons de se retrouver du côté de la place de la Bastille le 25 janvier sont forcément multiples. A l’image d’un mouvement qui ne cache rien de ses diversités, mais qui a su trouver ses marques pour parler d’une même voix. Celle du président Pierre-Bloch, représentant la LICRA en témoigne : « L’essentiel pour moi aujourd’hui est de voir ce qui nous unit, et non ce qui nous divise. »

Gilles Smadja.

Article paru dans l'édition dujournal l'Humanité du 9 janvier 1992.