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Origine : http://birenbaum.blog.20minutes.fr/archive/2007/07/05/%C3%A9cole.html
Selon les Échos, le gouvernement souhaite supprimer 17.000
postes dans l'Education nationale l'an prochain, et non 10.000,
comme l'a indiqué la semaine dernière le ministre
Xavier Darcos...
Hier, j'ai eu la chance de passer deux belles heures avec un prof
qui enseigne dans une école primaire. Je ne vais pas le citer
nommément (son prénom - François - est modifié),
ni le localiser précisément, pour qu'il n'ait aucune
difficulté à cause de moi. Disons simplement qu'il
a la cinquantaine et 20 ans d'ancienneté dans une même
zone ; surtout, il ne travaille pas dans un quartier a priori défavorisé.
Pourtant, ce qu'il m'a expliqué sur l'évolution de
son métier et, surtout, sur les modifications profondes de
la population - de la société - est alarmant.
François, au cours de ces dix dernières années,
a vu ses collègues, ses élèves et leurs parents
devenir totalement "différents". "Changer"
comme dirait l'Autre.
Quand il a commencé par là, j'ai tout d'abord bêtement
cru qu'il voulait me parler, sans oser l'exprimer directement et
brutalement, des problèmes spécifiques que poserait
l'augmentation du nombre d'enfants d'origine étrangère.
"Tu veux dire qu'il y a trop d'étrangers dans l'école
?" ai-je alors osé, sur la pointe des pieds, me surprenant
moi-même des mots qui venaient de se bousculer maladroitement
dans ma bouche. Il m'a souri. Un peu tristement. Désolé
que j'ai pu dire ça. J'étais complètement à
côté de la plaque.
Non, François me parlait simplement d'une modification sociale
de fond. Il voulait m'expliquer l'aggravation de la situation de
TOUS les enfants, toutes origines confondues et surtout tous milieux
sociaux mêlés. François voulait me faire toucher
du doigt un climat général détérioré
qui, dans son école, ne provenait absolument pas de problèmes
d'origine, de langue ou d'"identité nationale"
! Nous n'avons d'ailleurs JAMAIS utilisé ces mots dans notre
conversation... Non, ce dont François me parlait déjà,
là, d'entrée, c'est d'une crise globale et massive
qui atteint de plein fouet tous les "acteurs" du "système"
(quel vocabulaire de merde...) : parents, élèves et
profs.
En gros, de plus en plus de mômes arrivent à l'école
totalement "largués". Parce qu'ils sont comme "abandonnés"
par des parents qui vont eux-même très mal, trop mal.
Ce sont donc les profs - qui, souvent, ne vont pas mieux du tout
- qui doivent sortir ces mômes de la flotte, comme ils le
peuvent...
Les profs justement.
François l'a vu venir l'élection Présidentielle...
Lui, pour le coup, il l'a anticipée.
La parole de ses collègues, en salle des profs, s'était
libérée - décomplexée ! - depuis de
longs mois. Le boulot est si dur, l'afflux de problèmes si
quotidien, le stress si présent, que nombre de ces profs
ont été intéressés puis séduits
par les discours de Nicolas Sarkozy. Autorité, mérite,
efficacité, professionnalisme... La mayonnaise a pris chez
certains.
Là, il faut être bien calé dans sa petite chaise
et rengainer ses certitudes pour entendre et respecter la sévérité
de François sur la gestion par la gauche les socialistes
de l'Éducation. C'est bien simple, avec ses termes comptés
- jamais une virgule de trop - et son phrasé précis,
François n'a utilisé que deux mots dans toute la conversation
pour qualifier la façon dont les gouvernements socialistes
ont traîté du problème de l'Éducation,
lorsqu'ils étaient aux affaires : une "attitude suicidaire".
François a tout de même voté Royal (il ne m'a
jamais parlé de Bayrou) mais il l'a fait par habitude et
en ayant deviné que la défaite était au bout.
Mais laissons la politique. Le plus intéressant est venu
lorsque François en est arrivé à me raconter
ce qu'il voit de plus flagrant et de plus grave. Ce qu'il nomme
"le sentiment de culpabilité" des collègues,
qui n'y "arrivent plus" ; parce qu'ils ont le sentiment
de ne "pas faire assez" pour les enfants. Et qui du coup
perdent pied, petit à petit. De plus en plus stressés.
De plus en plus coupables, ils fuient l'école à la
sortie, dès 16h30 ; "la tête rentrée dans
leurs épaules" - il mime le geste et l'attitude - ,
et rentrent bien vite chez eux. Le lendemain, ils reviennent, souvent
en retard, se sentant encore plus coupables...
Bien sûr, avec des bouts de ficelles, de la bonne volonté
et du courage, il y a toujours des héros (ce mot là
est de moi, il ne parlerait jamais comme ça de lui, de ses
collègues et de son travail, François...) qui parviennent
à tirer des gamins de dix ans du gouffre qui est déjà
bien ouvert sous leurs petits petons. Comme François... Pour
à peine deux Smic par mois (avec vingt ans d'ancienneté,
c'est moi qui le rappelle...). 2000 euros qu'il parvient à
atteindre difficilement, mais parce qu'en plus des heures de cours,
il surveille la cantine - donc il ne prend pas de pause le midi...
-. Mais, il ne se plaint pas. Il vit bien. Il va bien.
Il faut surtout l'entendre en parler de ces ses mômes, François.
Voir ses yeux pétiller et irradier toute la terrasse du
café, à Montparnasse, lorsqu'il évoque modestement
son sentiment d'avoir réussi à leur expliquer un tout
petit truc. Rien. Un machin modeste. Juste à la fin d'un
film qu'il leur a projeté la veille. Ils ont compris. Il
est heureux.
L'écouter s'inquiéter pour l'un d'entre-eux qui va
plus mal ou juste moins bien que d'autres.
Lire simplement l'humanité qui tient presque toute entière
au fond de ses yeux fatigués. Et dans son sourire aussi...
Le regarder refaire le geste qu'il a du accomplir, quelques semaines
plus tôt, quand un gamin s'est trouvé mal dans la classe.
Là, au café, devant moi, François ne me raconte
pas l'histoire banale d'un malaise. Il revit complètement
la scène. Il l'a vu tout d'un coup, ou il l'a senti peut-être,
qui tombait de sa chaise, le gamin. Il a réussi tout doucement
à amortir sa chute pour l'empêcher de se fracasser
la tête sur le sol.
Là, au café, François, sa tête penchée,
en face de moi, vient d'ouvrir grand ses deux bras et d'embrasser
le vide ; certainement très exactement comme il les a ouverts
puis refermés ce jour-là, pour protéger l'enfant...
Il accompagne toujours la chute. Il le serre fort. Il allonge l'enfant.
Il le rassure. Il prévient.
Tout va bien se passer.
Ils ont quand même de la chance ces nos mômes d'avoir
des gars pareils pour leur tendre les bras et les rattraper. Juste
avant qu'ils ne tombent.
Selon les Échos, le gouvernement souhaite supprimer 17.000
postes dans l'Education nationale l'an prochain, et non 10.000 comme
l'a indiqué la semaine dernière le ministre Xavier
Darcos...
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