Origine : http://www.lexpansion.com/economie/etre-un-bon-chef-essai-de-definition_20222.html
La chute des modèles - autocratie, paternalisme - n'a pas
tari la demande d'autorité et de gratification. Le nouveau
dirigeant se distingue par son rôle de guide et d'architecte.
Le leader est celui ou celle qui marche en tête. Ce terme
anglo-saxon dérive du radical « laed », qui signifie
« chemin » ou « route ». Les opinions divergent
sur le rôle exact des leaders. Ce que nous pourrions appeler
l'« école du timonier » se divise en deux sous-groupes
: le premier voit dans les leaders des joueurs d'échecs qui
déplacent les pions sur le gigantesque échiquier de
la vie, alors que le second les considère comme des individus
qui en appellent à l'imagination collective de leurs subordonnés
pour les convaincre de se joindre au voyage. Les leaders de la première
catégorie guident les hommes, ceux du deuxième groupe
les motivent pour les inciter à s'engager et à se
dépasser.
Une troisième conception a vu le jour. Ses partisans envisagent
le leader comme la figure de proue d'un navire - le jouet de son
environnement. Selon eux, peu importe qui dirige ; seules les forces
sociétales commandent les actions des individus. Ils estiment
que le leader contrôle à peine, voire pas du tout,
sa direction et exerce encore moins d'influence sur ceux qui le
suivent.
Le rôle dual du leader
Etant fermement convaincu du pouvoir de la volonté et de
l'action humaines, je rejette absolument cette vision du leadership
considéré comme une simple illusion. Il ne constitue
pas tout, non plus. Il ne se limite pas aux actes d'un individu
unique, prétendument « héroïque »
; il s'inscrit plutôt dans un contexte qui fait intervenir
des hommes - les salariés -, une entreprise, un secteur de
l'économie et l'environnement social au sens large. Il n'y
a pas de leader sans subordonné, et il n'y a de leadership
qu'en situation.
Les leaders efficaces jouent deux rôles : un rôle de
chef (rôle charismatique) et un autre d'architecte (rôle
architectural). Dans le premier, ils donnent des perspectives pour
l'avenir, ils délèguent leur pouvoir et mobilisent
leurs subordonnés. Dans le second, ils privilégient
les questions liées au projet de l'entreprise et aux systèmes
de récompense et de contrôle.
Formuler la vision
Une part essentielle du rôle charismatique consiste pour
les leaders à définir une vision dynamique de l'avenir
de l'entreprise. La formulation comporte plusieurs niveaux ; il
s'agit pour le leader d'indiquer la direction à prendre,
de mobiliser l'ensemble des salariés de l'entreprise autour
de l'objectif, d'instituer l'ordre dans le chaos, de susciter la
confiance et la foi en ses compétences de chef. Par la vision
d'un avenir meilleur, les leaders donnent un sens, ils forgent un
lien entre eux et les autres membres de l'organisation, ils bâtissent
l'identité du groupe qui fédère les individus
et leur permet de rêver.
Le développement d'une vision ne ressemble pas à
l'histoire de Moïse, qui annonce les dix commandements du haut
du mont Sinaï. Toutes les parties prenantes à l'entreprise
doivent être sollicitées. Percy Barnevik, PDG jusqu'en
1996 du conglomérat helvético-suédois ABB,
a déclaré un jour que seulement 10 % de sa tâche
de PDG concernaient la prise de décisions stratégiques,
alors que leur application absorbait les 90 % restants.
Les chefs charismatiques efficaces ne se contentent pas de rassembler
autour d'eux la majorité de l'entreprise ; leur rayonnement
va bien au-delà. On interrogeait un jour trois maçons
sur ce qu'ils étaient en train de faire. Le premier répondit
simplement : « Je pose des briques. » Le deuxième
répliqua : « Je travaille pour nourrir ma famille.
» Quant au troisième, vraisemblablement sous les ordres
d'un patron charismatique, il annonça : « Je construis
une cathédrale ! » Si la vision du leader est chargée
d'inspiration, si elle en appelle à l'imagination, si elle
promet un avenir exaltant, alors elle engendre un sentiment de fierté
parmi les membres de l'entreprise et les pousse à se dépasser
pour réussir. La fierté motive également les
leaders eux-mêmes. Jack Welch, ancien patron de General Electric,
estime ainsi qu'une entreprise qui n'est pas n° 1 ou n°
2 de son secteur n'a aucune raison d'exister.
Beaucoup de dirigeants commettent l'erreur d'annoncer une fois
pour toutes leur vision et de s'en tenir là. Même si
l'annonce originelle est convenablement orchestrée, le message
a néanmoins besoin d'être réitéré
sans cesse.
Le fait d'avoir devant soi des concurrents puissants génère
dans l'entreprise un formidable courant d'énergie. De plus,
les leaders doivent s'interroger sur son idéologie fondamentale,
c'est-à-dire sur le trait essentiel qui la distingue des
autres organisations et qui conditionne sa réussite.
Déléguer du pouvoir
L'exécution de la vision repose en bonne part sur la délégation
de pouvoir. Mais comment déterminer qui est capable de prendre
des décisions et qui ne l'est pas ? Deux sociopsychologues
de Harvard, Robert Rosenthal et Leonore Jacobson, ont mené
une expérience révélatrice à la fin
des années 60. Ils ont formé un groupe d'enfants,
au hasard. Puis ils ont rencontré plusieurs professeurs et
leur ont proposé de prendre en charge ce groupe d'élèves
qui, affirmaient-ils, possédaient des dons exceptionnels.
Les professeurs, enthousiasmés, acceptèrent de travailler
avec des enfants à la réputation si brillante. A votre
avis, quelles performances scolaires réalisèrent ces
élèves ? Ils obtinrent tous des résultats excellents.
Les performances dépendent des exigences de départ.
Napoléon avait compris ce phénomène d'extension
de nos propres limites quand il déclara que chaque soldat
avait dans sa musette un bâton de maréchal.
Motiver les subordonnés
Etre un dirigeant ou un employé efficace suppose une énergie
considérable, agressive ou affectueuse, au choix. Les leaders
dignes de ce nom s'efforcent de canaliser l'agressivité vers
l'extérieur. Comme l'explique Jack Welch : « Battez-vous
avec DuPont si vous voulez, ou avec ABB, mais laissez votre voisin
de bureau tranquille. » L'énergie affectueuse n'existe
dans une entreprise que si les dirigeants ont appris à la
cultiver. Le leader est une sorte de « réceptacle »
des émotions des autres. Cependant, le management par l'affectivité
peut se révéler contre-productif, en poussant les
salariés à simuler de fausses émotions.
Les leaders efficaces sont des rêveurs d'une certaine façon,
mais ce sont aussi des hommes d'action en ce sens qu'ils concrétisent
leurs rêves. Percy Barnevik a dit un jour : « La meilleure
chose que vous puissiez faire dans cette entreprise, c'est de prendre
la bonne décision ; la deuxième meilleure chose est
de prendre la mauvaise décision ; en revanche, si vous ne
prenez aucune décision, vous êtes automatiquement renvoyé.
»
Le rôle architectural
Pour que leur vision prenne corps, les leaders doivent remodeler
les systèmes de récompense et de contrôle dans
le but d'encourager les attitudes et les comportements qu'ils souhaitent
voir se déployer dans l'entreprise. Il leur faut aussi revoir
le projet de l'entreprise pour harmoniser les valeurs et l'idéologie
de fond. Richard Branson, fondateur de Virgin, le souligne : «
S'il y a plus de cinquante personnes dans une structure, il est
temps de fractionner, sinon les gens finissent par perdre le sens
de leur identité. »
Cinq stratégies génératrices de sens
1. Les dirigeants doivent susciter le sens de la mission chez leurs
salariés en énonçant la vision de l'organisation
pour l'avenir, ses objectifs fondamentaux et sa culture. En incitant
les salariés à s'engager dans cette voie et à
la soutenir, ils forgent une identité qui renforce la cohésion
du groupe et crée une signification et des objectifs collectifs.
2. Ils doivent susciter le sens de l'autodétermination.
Il ne faut pas que les salariés se considèrent comme
de simples pions sur un échiquier, mais comme des acteurs
ayant la possibilité d'effectuer des choix.
3. Ils doivent créer le sens de l'impact, donner aux salariés
le sentiment de leur importance. Il est en effet primordial que
chaque membre de l'organisation soit convaincu de jouer son rôle
dans le destin collectif et d'apporter une contribution déterminante.
C'est là qu'intervient la nécessité de déléguer
le pouvoir. Les dirigeants doivent fournir à leurs salariés
la possibilité de faire entendre leur voix.
4. Ils doivent souligner le sens et la valeur de leur compétence,
afin que chacun prenne conscience de sa progression et de son développement
personnels. A ce titre, l'apprentissage permanent est un élément
capital ; ce n'est que lorsque les individus trouvent un exutoire
à leur besoin d'exploration que leur créativité
s'épanouit pleinement.
5. Ils se doivent de développer le sens des valeurs partagées,
atouts des entreprises qui réussissent : travail en équipe,
sincérité, respect de l'individu, délégation
du pouvoir, orientation client, objectif de réussite, plaisir
de travailler, responsabilisation, apprentissage continu, ouverture
au changement et confiance.
Ce qui différencie leader et manager
Le terme manager vient du latin « manus », qui signifie
« main ». Cette racine a donné en italien «
maneggiare » et en vieux français « manège
», le lieu où l'on dresse les chevaux. Le verbe «
laeden » veut dire voyager, un terme qui suggère un
objectif moins immédiat, à portée plus lointaine
que le dressage d'un cheval.
J'ai souvent entendu dire que telle ou telle entreprise souffrait
de la carence de ses leaders et de la toute-puissance de ses managers.
Lorsque Jack Welch devint président de General Electric,
il adopta comme mot d'ordre : « Assez de managers, davantage
de leaders. »
Sur quels autres critères peut-on encore faire la
différence entre ces deux groupes ?
Les leaders sont tournés vers l'avenir, alors que les managers
se concentrent sur le présent.
Les leaders apprécient le changement, alors que les managers
préfèrent la stabilité.
Les leaders privilégient le long terme, alors que les managers
s'orientent vers le court terme.
Les leaders sont engagés dans une vision, alors que les
managers (soucieux des règles et des réglementations)
sont centrés sur la procédure.
Les leaders cherchent à connaître le pourquoi, et
les managers, le comment.
Les leaders savent déléguer, alors que les managers
veulent contrôler.
Les leaders simplifient, alors que les managers se plaisent dans
la complexité.
Les leaders se fient à leur intuition, alors que les managers
s'appuient sur le raisonnement logique.
Les leaders tiennent compte dans leur vision de l'environnement
social au sens large, alors que les managers se limitent davantage
à ce qui se passe dans l'entreprise.
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