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Etre un bon chef : essai de définition
par Manfred Kets de Vries
2003 - L'Expansion

Origine : http://www.lexpansion.com/economie/etre-un-bon-chef-essai-de-definition_20222.html

La chute des modèles - autocratie, paternalisme - n'a pas tari la demande d'autorité et de gratification. Le nouveau dirigeant se distingue par son rôle de guide et d'architecte.

Le leader est celui ou celle qui marche en tête. Ce terme anglo-saxon dérive du radical « laed », qui signifie « chemin » ou « route ». Les opinions divergent sur le rôle exact des leaders. Ce que nous pourrions appeler l'« école du timonier » se divise en deux sous-groupes : le premier voit dans les leaders des joueurs d'échecs qui déplacent les pions sur le gigantesque échiquier de la vie, alors que le second les considère comme des individus qui en appellent à l'imagination collective de leurs subordonnés pour les convaincre de se joindre au voyage. Les leaders de la première catégorie guident les hommes, ceux du deuxième groupe les motivent pour les inciter à s'engager et à se dépasser.

Une troisième conception a vu le jour. Ses partisans envisagent le leader comme la figure de proue d'un navire - le jouet de son environnement. Selon eux, peu importe qui dirige ; seules les forces sociétales commandent les actions des individus. Ils estiment que le leader contrôle à peine, voire pas du tout, sa direction et exerce encore moins d'influence sur ceux qui le suivent.

Le rôle dual du leader

Etant fermement convaincu du pouvoir de la volonté et de l'action humaines, je rejette absolument cette vision du leadership considéré comme une simple illusion. Il ne constitue pas tout, non plus. Il ne se limite pas aux actes d'un individu unique, prétendument « héroïque » ; il s'inscrit plutôt dans un contexte qui fait intervenir des hommes - les salariés -, une entreprise, un secteur de l'économie et l'environnement social au sens large. Il n'y a pas de leader sans subordonné, et il n'y a de leadership qu'en situation.

Les leaders efficaces jouent deux rôles : un rôle de chef (rôle charismatique) et un autre d'architecte (rôle architectural). Dans le premier, ils donnent des perspectives pour l'avenir, ils délèguent leur pouvoir et mobilisent leurs subordonnés. Dans le second, ils privilégient les questions liées au projet de l'entreprise et aux systèmes de récompense et de contrôle.

Formuler la vision

Une part essentielle du rôle charismatique consiste pour les leaders à définir une vision dynamique de l'avenir de l'entreprise. La formulation comporte plusieurs niveaux ; il s'agit pour le leader d'indiquer la direction à prendre, de mobiliser l'ensemble des salariés de l'entreprise autour de l'objectif, d'instituer l'ordre dans le chaos, de susciter la confiance et la foi en ses compétences de chef. Par la vision d'un avenir meilleur, les leaders donnent un sens, ils forgent un lien entre eux et les autres membres de l'organisation, ils bâtissent l'identité du groupe qui fédère les individus et leur permet de rêver.

Le développement d'une vision ne ressemble pas à l'histoire de Moïse, qui annonce les dix commandements du haut du mont Sinaï. Toutes les parties prenantes à l'entreprise doivent être sollicitées. Percy Barnevik, PDG jusqu'en 1996 du conglomérat helvético-suédois ABB, a déclaré un jour que seulement 10 % de sa tâche de PDG concernaient la prise de décisions stratégiques, alors que leur application absorbait les 90 % restants.

Les chefs charismatiques efficaces ne se contentent pas de rassembler autour d'eux la majorité de l'entreprise ; leur rayonnement va bien au-delà. On interrogeait un jour trois maçons sur ce qu'ils étaient en train de faire. Le premier répondit simplement : « Je pose des briques. » Le deuxième répliqua : « Je travaille pour nourrir ma famille. » Quant au troisième, vraisemblablement sous les ordres d'un patron charismatique, il annonça : « Je construis une cathédrale ! » Si la vision du leader est chargée d'inspiration, si elle en appelle à l'imagination, si elle promet un avenir exaltant, alors elle engendre un sentiment de fierté parmi les membres de l'entreprise et les pousse à se dépasser pour réussir. La fierté motive également les leaders eux-mêmes. Jack Welch, ancien patron de General Electric, estime ainsi qu'une entreprise qui n'est pas n° 1 ou n° 2 de son secteur n'a aucune raison d'exister.

Beaucoup de dirigeants commettent l'erreur d'annoncer une fois pour toutes leur vision et de s'en tenir là. Même si l'annonce originelle est convenablement orchestrée, le message a néanmoins besoin d'être réitéré sans cesse.

Le fait d'avoir devant soi des concurrents puissants génère dans l'entreprise un formidable courant d'énergie. De plus, les leaders doivent s'interroger sur son idéologie fondamentale, c'est-à-dire sur le trait essentiel qui la distingue des autres organisations et qui conditionne sa réussite.

Déléguer du pouvoir

L'exécution de la vision repose en bonne part sur la délégation de pouvoir. Mais comment déterminer qui est capable de prendre des décisions et qui ne l'est pas ? Deux sociopsychologues de Harvard, Robert Rosenthal et Leonore Jacobson, ont mené une expérience révélatrice à la fin des années 60. Ils ont formé un groupe d'enfants, au hasard. Puis ils ont rencontré plusieurs professeurs et leur ont proposé de prendre en charge ce groupe d'élèves qui, affirmaient-ils, possédaient des dons exceptionnels. Les professeurs, enthousiasmés, acceptèrent de travailler avec des enfants à la réputation si brillante. A votre avis, quelles performances scolaires réalisèrent ces élèves ? Ils obtinrent tous des résultats excellents. Les performances dépendent des exigences de départ. Napoléon avait compris ce phénomène d'extension de nos propres limites quand il déclara que chaque soldat avait dans sa musette un bâton de maréchal.

Motiver les subordonnés

Etre un dirigeant ou un employé efficace suppose une énergie considérable, agressive ou affectueuse, au choix. Les leaders dignes de ce nom s'efforcent de canaliser l'agressivité vers l'extérieur. Comme l'explique Jack Welch : « Battez-vous avec DuPont si vous voulez, ou avec ABB, mais laissez votre voisin de bureau tranquille. » L'énergie affectueuse n'existe dans une entreprise que si les dirigeants ont appris à la cultiver. Le leader est une sorte de « réceptacle » des émotions des autres. Cependant, le management par l'affectivité peut se révéler contre-productif, en poussant les salariés à simuler de fausses émotions.

Les leaders efficaces sont des rêveurs d'une certaine façon, mais ce sont aussi des hommes d'action en ce sens qu'ils concrétisent leurs rêves. Percy Barnevik a dit un jour : « La meilleure chose que vous puissiez faire dans cette entreprise, c'est de prendre la bonne décision ; la deuxième meilleure chose est de prendre la mauvaise décision ; en revanche, si vous ne prenez aucune décision, vous êtes automatiquement renvoyé. »

Le rôle architectural

Pour que leur vision prenne corps, les leaders doivent remodeler les systèmes de récompense et de contrôle dans le but d'encourager les attitudes et les comportements qu'ils souhaitent voir se déployer dans l'entreprise. Il leur faut aussi revoir le projet de l'entreprise pour harmoniser les valeurs et l'idéologie de fond. Richard Branson, fondateur de Virgin, le souligne : « S'il y a plus de cinquante personnes dans une structure, il est temps de fractionner, sinon les gens finissent par perdre le sens de leur identité. »

Cinq stratégies génératrices de sens

1. Les dirigeants doivent susciter le sens de la mission chez leurs salariés en énonçant la vision de l'organisation pour l'avenir, ses objectifs fondamentaux et sa culture. En incitant les salariés à s'engager dans cette voie et à la soutenir, ils forgent une identité qui renforce la cohésion du groupe et crée une signification et des objectifs collectifs.

2. Ils doivent susciter le sens de l'autodétermination. Il ne faut pas que les salariés se considèrent comme de simples pions sur un échiquier, mais comme des acteurs ayant la possibilité d'effectuer des choix.

3. Ils doivent créer le sens de l'impact, donner aux salariés le sentiment de leur importance. Il est en effet primordial que chaque membre de l'organisation soit convaincu de jouer son rôle dans le destin collectif et d'apporter une contribution déterminante. C'est là qu'intervient la nécessité de déléguer le pouvoir. Les dirigeants doivent fournir à leurs salariés la possibilité de faire entendre leur voix.

4. Ils doivent souligner le sens et la valeur de leur compétence, afin que chacun prenne conscience de sa progression et de son développement personnels. A ce titre, l'apprentissage permanent est un élément capital ; ce n'est que lorsque les individus trouvent un exutoire à leur besoin d'exploration que leur créativité s'épanouit pleinement.

5. Ils se doivent de développer le sens des valeurs partagées, atouts des entreprises qui réussissent : travail en équipe, sincérité, respect de l'individu, délégation du pouvoir, orientation client, objectif de réussite, plaisir de travailler, responsabilisation, apprentissage continu, ouverture au changement et confiance.
Ce qui différencie leader et manager

Le terme manager vient du latin « manus », qui signifie « main ». Cette racine a donné en italien « maneggiare » et en vieux français « manège », le lieu où l'on dresse les chevaux. Le verbe « laeden » veut dire voyager, un terme qui suggère un objectif moins immédiat, à portée plus lointaine que le dressage d'un cheval.

J'ai souvent entendu dire que telle ou telle entreprise souffrait de la carence de ses leaders et de la toute-puissance de ses managers. Lorsque Jack Welch devint président de General Electric, il adopta comme mot d'ordre : « Assez de managers, davantage de leaders. »

Sur quels autres critères peut-on encore faire la différence entre ces deux groupes ?

Les leaders sont tournés vers l'avenir, alors que les managers se concentrent sur le présent.

Les leaders apprécient le changement, alors que les managers préfèrent la stabilité.

Les leaders privilégient le long terme, alors que les managers s'orientent vers le court terme.

Les leaders sont engagés dans une vision, alors que les managers (soucieux des règles et des réglementations) sont centrés sur la procédure.

Les leaders cherchent à connaître le pourquoi, et les managers, le comment.

Les leaders savent déléguer, alors que les managers veulent contrôler.

Les leaders simplifient, alors que les managers se plaisent dans la complexité.

Les leaders se fient à leur intuition, alors que les managers s'appuient sur le raisonnement logique.

Les leaders tiennent compte dans leur vision de l'environnement social au sens large, alors que les managers se limitent davantage à ce qui se passe dans l'entreprise.