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Date: 20 Mai 2006
À: multitudes-info multitudes-infos@samizdat.net
Objet: [multitudes-infos] les prémisses d'une nouvelle forme
de précarisation : "j'ai pas de temps" (entretien
avec Bifo)
Ci-après une interview de Bifo parue dans le supplément
Ecrans du Libé de ce week-end :
"La surcharge d'informations crée la panique"
- Lors d'une récene conférence à Beaubourg
consacrée à l'activisme électronique, vous
vous êtes inquiétés des effets pathogènes
de l'hypermédiatisation...
- Je crois que la médiatisation a produit une maladie de
l'immédiateté.
L'accélération de l'infosphère a un effet pathogène
sur l'émotion. Nous n'avons pas le temps d'élaborer
émotionnellement la masse d'informations dont nous sommes
récepteurs. Dans son roman Fury, Rushdie raconte cela : une
certaine incapacité à toucher le corps de l'autre,
une certaine maladie de l'immédiateté.
Cette séparation de la communication et de la corporéité
est un problème majeur de notre époque. La transformation
technologique et économique du système de communication
nous pose un problème d'ordre politique (l'influence des
médias de masse sur l'opinion publique) mais elle nous pose
surtout un problème d'ordre anthropologique, psychique, psychopathologique.
Virilio a déjà analysé les effets de l'accélération
au niveau politique, il s'agit d'analyser aussi les effets de l'accélération
au niveau psychique.
- Selon vous, est-ce la première génération
vidéo-électronique qui est la plus touchée
?
- 15% des infotravailleurs (surtout parmi les femmes) souffrent
d'un symptôme relativement nouveau pour les psychiatres :
la panique. Qu'est-ce que la panique ? C'est la réaction
d'un organisme en état de surcharge d'informations. Lorsque
que l'organisme est frappé par une masse de stimulation informative
qui ne peut pas être élaborée, énoncée,
lorsqu'il sait que sa survie (économique, relationnelle,
émotionnelle) est liée à son habileté
à décodifier l'info, lorsqu'il n'est plus en mesure
de distinguer et évaluer de façon séquentielle
l'information, il peut entrer dans un état d'hypermobilisation
et de désagrégatin de la conscience qu'on peut appeler
panique. Je crois que la panique est le signe fondamental de l'époque
actuelle. Le cerveau politique de l'organisme social contemporain
est en état de surcharge, de compétition anxiogène,
et cela produit une paralysie de la capacité d'élaboration
critique et rationnelle. La fanatisme, la violence, l'explosion
sucidaire, tout cela fait partie de cette dérive panique
de l'organisme collectif.
- Quel est le risque ?
- La panique peut déboucher sur la désactivation
de l'énergie libidinale, sur la déprime. La pandémie
de déprime, évidente dans la vie quotidienne des Européens,
nous autorise à parler de l'époque présente
comme celles des Passions Tristes, pour reprendre le titre de l'ouvrage
de Benasayag et Schmitt. Mais l'autre débouché possible
est l'acting out agressif, la violence gratuite : Columbine est
un paradigme inquiétant du comportement de la première
génération vidéo-électronique.
- Sont-ce les prémisses d'une nouvelle forme de
précarisation ?
- La précarisation est fondamentalement ainsi : un fractionnement
de l'activité, du temsp vécu, de la perception de
soi-même. Le capital n'a plus besoin de la personne physique
et juridique du travailleur. Le capital n'achète plus votre
vie. Vous êtes libres, au niveau juridique, vous êtes
les entrepreneurs de vous-mêmes. Mais vous êtes dépossédés
de votre temps.
Le temps mental de la collectivité n'appartient plus aux
individus, il est transformé en une étendue infinie
de temps sans vie, sans corporéité, sans individualité.
"Je n'ai pas de temps" est la phrase qui caractérise
le mieux la culture contemporaine. C'est une phrase monstrueuse,
un absurde pataphysique, mais réelle, parce qu'elle exprime
le sentiment d'être dépossédé de son
temps.
- Comment s'en sortir ?
- L'économie capitaliste veut imposer son modèle
sémiotique et son rythme pulsionnel (la croissance, l'accumulation,
l'entreprise, le risque, la compétitivité) sur un
univers technique et sensible qui ne peut plus tenir ce rythme-là.
Il ne s'agit pas de revenir à une ère prémédias.
Ca n'aurait pas de sens. Guattrai, lui, parlait d'une ère
postmédias. Nous devrions être capables de briser la
dépendance à l'économie capitaliste, et de
libérer les puissance du savoir, de la limite du profit,
de la rentabilité économique, de la propriété
privée.
(recueilli par Marie Lechner)
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