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Origine : http://www.monde-diplomatique.fr/2003/09/DA_SILVA/10369
Jamais les prisons françaises n’ont été
aussi remplies depuis la Libération. Répression plus
forte, allongement des peines et recours accru à la détention
provisoire conduisent à une augmentation du nombre des détenus,
qui, en juillet 2003, a atteint le chiffre record de 60 963... pour
48 600 places. Si les femmes sont nettement moins nombreuses que
les hommes (2 275), leur effectif a quasiment doublé depuis
1980 (1 159).
« Lorsqu’une femme arrive en prison :
a) On la met dans une baignoire et on l’asperge d’un
produit désinfectant, on la laisse macérer un quart
d’heure et on la rince...
b) On la conduit chez un docteur, on la vaccine contre la rage,
le choléra, la malaria...
c) On l’enferme dans une cellule avec son paquetage et elle
attend.
Pourquoi le poivre est-il interdit en prison ?
a) Parce que c’est un aphrodisiaque.
b) Pour éviter que les détenues en jettent dans les
yeux du personnel.
c) Pour qu’en l’avalant elles ne se transforment pas
en dragons...
Combien gagne une femme qui travaille en prison ?
a) Deux euros par heure.
b) Trois.
c) Onze. »
Aujourd’hui, c’est Fanny Ardant qui est ainsi soumise
à la question. Il y en a dix. Posées par l’équipe
de Radio-Meuf, sous le charme de leur invitée tout comme
la cinquantaine de femmes qui constituent le public de cette singulière
émission, réalisée hebdomadairement par les
détenues à Fleury-Mérogis. Conduite par des
« pros » formées à la diction, la respiration,
l’écriture, cette expérience unique en Europe
existe depuis seize ans grâce à l’Association
de recherche d’animations culturelles, qui milite pour la
réinsertion (1). Accueillie par un « Elle est canon
! » admiratif, la vedette n’échappera pas pour
autant aux questions impertinentes et pertinentes : « D’où
vous vient cette réputation de mythomane ? » ; «
Que pensez-vous de la guerre contre l’Irak ? ». Mais
le courant passe et le moment est joyeux. Pour un peu, on oublierait
où l’on est...
Dans les coulisses, l’émission terminée, on
est vite rattrapé par la réalité : «
Je passe toute une journée à ranger des perles, et,
au bout de mille tubes, j’ai à peine gagné 10
euros », jette Laure, qui a tout juste 20 ans (2). Elodie,
à peine plus âgée, a fermement décidé
que, pour ces tarifs-là, elle n’était pas près
de travailler. Une contrainte économique à laquelle
elle peut échapper et qui lui permet de reprendre des études.
Fleury-Mérogis pourrait presque faire figure de prison «
haut de gamme », car les activités, cours, formations
y sont nombreux, et des programmes pédagogiques d’aide
aux femmes détenues semblent attester un réel souci
de réinsertion. Pour Carole, toutes ces dispositions ne sauraient
faire oublier la brutalité de l’enfermement, qui génère
régulièrement des suicides, « parfois plusieurs
sur une période très courte ». La prison, ce
n’est pas seulement les conditions de détention, c’est
aussi la longueur des peines. « Depuis la nomination de Nicolas
Sarkozy, on voit les femmes rentrer du tribunal avec des condamnations
qui ont été multipliées par deux ou par trois
pour des délits mineurs. Ce prix à payer pour la promotion
de sa campagne sécuritaire, c’est très angoissant.
» Les prisons françaises ont atteint en juillet 2003
un record historique de surpopulation(3). Dénoncé
par le Syndicat de la magistrature, le projet de loi Perben va entraîner
une sur-répression des populations défavorisées.
A Fleury-Mérogis, elle est déjà à l’oeuvre.
Mayra, 23ans, est guatémaltèque. Sa fillette de trois
mois a ouvert les yeux en prison. Elle était enceinte de
quelques semaines lorsque « le ciel [lui] est tombé
sur la tête ». Elle transporte un demi-kilo de cocaïne
avec son mari, qui en a ingurgité le double. « Une
capsule s’est déchirée. Il est mort sur le coup.
Je ne savais même pas que cela pouvait arriver ! » De
la France, elle ne verra que Roissy et Fleury-Mérogis. «
Dans mon pays, la situation économique est terrible. j’avais
un diplôme de secrétariat mais pas de travail, mon
mari non plus. Nous vivions chez mes parents avec mon petit garçon,
qui a aujourd’hui six ans. Nous avons tenté le tout
pour le tout. »
Liliane vit depuis quinze ans en France. En Guyane. Après
avoir fui le Surinam déchiré par la guerre. «
En 1987, j’ai tout perdu. Toute ma famille a été
tuée sauf ma mère, blessée, amputée,
et ma soeur, réfugiée en Hollande, avec laquelle je
suis restée en contact. J’ai passé trois ans
dans un camp de réfugiés à Saint-Laurent-du-Maroni.
» A 35 ans, elle est mère de deux filles de 14 et 15ans,
dont l’une a été confiée à une
amie et l’autre est restée avec le père, dont
elle est sans nouvelles. Condamnée sur dénonciation
à quatre ans de prison pour trafic de drogue, elle est perdue,
sonnée. « En arrivant ici, je ne savais pas parler
français. En Guyane, tous les gens comprennent notre langue,
le taki-taki. Mais ici, personne. Cette solitude, c’est trop
dur. Je suis toujours malade, c’est trop de stress. »
Pour Maria, 20ans n’est pas le plus bel âge de la vie.
Américaine métisse, née dans le Bronx, élevée
seule par sa mère qui a de graves problèmes de santé
et qui est à sa charge, elle se retrouve seule à son
tour avec un enfant et doit subvenir aux besoins de « ce trio
mal ficelé par le destin » en travaillant dans des
bars. « Après le 11 septembre, économiquement
c’est devenu beaucoup plus dur. » Francfort-Paris-New
York : 6 kg d’ecstasy dans ses bagages. « Je pense qu’on
m’en aurait donné à peine de quoi vivre quelques
mois, mais je n’ai pas réalisé. »
Elles sont algériennes, polonaises, angolaises, nigérianes,
sud-africaines, boliviennes, brésiliennes, philippines...
Avec 68 % de femmes étrangères emprisonnées,
Fleury-Mérogis semble devenue l’annexe du tiers-monde
et occupe une place particulière dans le paysage carcéral
français. « Toutes les femmes arrêtées
à Roissy atterrissent à Fleury », indique la
directrice de l’établissement, pour qui la multiplicité
des origines pose des problèmes spécifiques «
de communication mais aussi de repères culturels ou de pratiques
alimentaires ». Trafic de drogue, proxénétisme,
infraction à la législation sur les étrangers
sont les délits les plus représentés. Pour
les premiers, les femmes se retrouvent aussi condamnées à
des amendes douanières exorbitantes. Incapables de les acquitter,
elles se voient appliquer des contraintes par corps qui les cloîtrent
encore un an ou deux au moment où elles seraient libérables.
Au sein même de l’administration pénitentiaire,
le constat de ces délits fabriqués par la pauvreté
est évident : « La plupart des femmes travaillent et
envoient de l’argent à leur famille. Non seulement
elles ne sont pas assistées, mais ce sont elles qui soutiennent
l’extérieur. » Pour cette surveillante-chef qui
a auparavant travaillé dans des établissements pour
hommes, ce qui singularise la population carcérale féminine,
c’est sa très grande vulnérabilité. «
Les femmes sont peu nombreuses à exercer la violence, mais
elles l’ont en général toujours subie. »
Dans l’univers carcéral, la femme est loin d’être
la moitié du ciel... En France, elles sont 2 275, pour presque
60 000 hommes, soit 3,7 %. Un chiffre stable, à l’image
du paysage mondial. En Europe, ce sont l’Espagne et le Portugal
qui embastillent le plus les femmes (9 % et 10 %), très au-dessus
de la moyenne qui reste celle de la France. Des données qui
ne semblent pourtant pas piquer la curiosité. Le nombre de
travaux et de recherches sur le sujet est assez restreint.
Pour MeBenoît Dietsch, si les femmes sont moins délinquantes
que les hommes, elles sont aussi moins sanctionnées, ce qui,
à l’heure de la revendication de la parité,
fait figure d’anachronisme : « Mais, si l’ensemble
de la population pénale est avant tout caractérisé
par la pauvreté, la précarité et l’exclusion,
c’est encore plus vrai pour les femmes, dont la détresse
est toujours plus patente. » Cette fragilité sociale
et psychologique serait donc prise en compte. Elles seraient la
plupart du temps considérées comme des complices,
entraînées par des hommes plus que par leur propre
volonté. Sur cette approche juridique se greffe aussi la
question de la maternité, qui va inciter les juges à
une plus grande clémence.
A l’inverse, constate un autre avocat, Me Jean-Louis Chalanset,
« lorsqu’elles sont vraiment tenues pour responsables,
pour trafic de stupéfiants, proxénétisme aggravé
ou dans les affaires politiques et de terrorisme, elles reçoivent
des sanctions plus lourdes et sont traitées plus durement
». A Fleury, « les prisonnières politiques sont
toujours stigmatisées par des étiquettes rouges »,
rapporte aussi Fabienne Maestracci(4), qui fut emprisonnée
treize mois dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat
du préfet Erignac, et « leurs déplacements relèvent
de stratégies élaborées afin qu’elles
ne se croisent pas et ne communiquent pas entre elles ». Mmes
Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon, les deux prisonnières
d’Action directe, classées « détenues
particulièrement surveillées », y sont restées
incarcérées sous un régime d’isolement
très strict entre février 1987 et octobre 1999(5),
alors que leurs condamnations, prononcées en 1994, auraient
dû leur permettre d’être affectées dans
un établissement pour longues peines(6) et de bénéficier
ainsi de conditions de détention améliorées.
Soixante-trois établissements pénitentiaires sur
cent quatre-vingt-six peuvent recevoir des femmes. Quatre maisons
d’arrêt, Fleury-Mérogis, Fresnes, Rennes et Versailles,
et trois centres de détention, Rennes, Bapaume et Joux-la-Ville
- sur des critères d’identification parfois flous,
les maisons d’arrêt abritant souvent des femmes condamnées
-, sont situés dans la moitié nord de la France, ce
qui pose des problèmes considérables de maintien des
liens avec les proches. « Les coûts en train, taxi,
hôtel rendent les visites inaccessibles aux familles, alors
que les femmes pâtissent déjà de situations
d’abandon décuplées », constate Geneviève,
visiteuse bénévole en région.
Les autres établissements constituent des annexes au sein
des établissements pour hommes, où le faible nombre
de femmes autorise toutes les absences de formations, de services
et d’activités. Il n’existe pas de quartiers
différenciés pour les mineures, et seulement vingt-cinq
établissements sont équipés pour recevoir les
mères et leurs enfants - qu’elles peuvent garder avec
elles jusqu’à dix-huit mois. Une cinquantaine de mères
incarcérées donnent la vie chaque année.
Hilaria n’en finit plus de sourire. Elle a des yeux vifs
et pétillants, et, arc-boutée sur ses jambes, elle
prend un plaisir évident à marcher, trotter, s’échapper.
Hilaria a tout juste douze mois. Née d’un moment d’intimité
volé par ses parents, tous deux emprisonnés, «
elle est un "bébé-parloir", en quelque sorte
un "bébé-bombe" pour l’administration
pénitentiaire ». « J’ai aussitôt
été transférée de Marseille à
Joux-la-Ville, près de Dijon, puis à Fleury-Mérogis,
et j’attends une conditionnelle que je n’obtiens pas
», indique sa mère, qui, condamnée il y a dix
ans à dix-huit ans de prison pour homicide, a le sentiment
que « chaque année supplémentaire passée
en prison construit de la haine ».
La nurserie semble pourtant un îlot privilégié.
Les cellules sont plus spacieuses et plus aménagées,
et surtout restent ouvertes durant toute la journée. Mères
et enfants peuvent aller de l’une à l’autre et
partager des espaces communs. Il y a des parcs à jeux et
un jardin. « L’enfant est libre, déclare sans
sourciller la surveillante de journée, et c’est plutôt
la mère qui bénéficie du traitement qui est
mis en place pour lui. Les enfants sont suivis une fois tous les
quinze jours par une équipe médicale (psychologue,
pédiatre, sage-femme...), avec qui nous avons des réunions
régulières. Notre rôle est d’alerter.
Il existe des cas d’enfants maltraités, mais ce n’est
pas la règle, et, aussi surprenant que cela puisse paraître,
les enfants sont plutôt très éveillés.
Sans doute parce que, jusqu’à dix-huitmois, c’est
la relation avec la mère, dont ils ne sont pas séparés,
qui est vitale. »
Mais comment savoir ce qu’intègre le tout-petit en
l’absence de lignes d’horizon, des bruits et des rythmes
de la ville ou de la campagne ? Que produiront cette relation exclusive
avec la mère et le manque de repères affectifs élargis,
en tout premier celui du père, mais aussi d’autres
proches, et de toute présence masculine ? Et le sevrage brutal
après dix-huitmois d’avec celles qui n’auront
pas accompli leur peine ? Si certains enfants sortent quasi quotidiennement
pour aller dans leur famille, des familles d’accueil ou des
haltes-garderies, c’est loin d’être le cas pour
tous.
« Il y a actuellement neuf enfants et seulement deux places
de garderie. Ce sont prioritairement les Françaises qui en
bénéficient. Je ne peux ni travailler ni m’échapper
pour suivre le moindre cours. Etrangère, je ne bénéficie
d’aucune aide ni allocation. L’argent est un vrai problème
en prison. Toutes les relations passent par là. Je voudrais
louer une télévision pour ma petite Pamela, mais,
à 9 euros la semaine, c’est impossible. » Pamela
et sa mère attendent de regagner la Colombie. Elles sont
libérables depuis deux mois, mais, bizarrement, la procédure
d’expulsion est extrêmement longue. Sans ressources,
sans famille, sans amis, elles se sont vu répondre par une
éducatrice débordée qu’il fallait «
écrire à la préfecture ». Une logique
qui, au lieu de s’en prendre à la pauvreté,
s’en prend aux pauvres !
« La taille moyenne d’une cellule est de 9mètres
carrés. Ce n’est jamais un espace à soi. On
doit y être visible de jour comme de nuit. On se sent harcelée
jusque dans le sommeil. Les cellules sont fouillées régulièrement
et arbitrairement, chaque fois que l’administration le décide.
On est dépossédée de toute intimité.
J’ai vu des femmes pleurer d’impuissance. » A
son arrivée, Marietta a l’impression qu’«
être en prison, c’est être morte ». Depuis
1983, le droit de correspondance avec toute personne, pour les condamnées
comme pour les prévenues, est reconnu. Depuis 1987, le travail
n’est plus obligatoire. Il reste incontournable pour toutes
celles qui sont privées de ressources : cuisine, ménage,
intendance, couture, pliage de cartons, conditionnements divers...
pour des salaires dérisoires et extrêmement élastiques,
entre 100 et 800 euros par mois, selon les tâches et les lieux,
et sur lesquels seront encore décomptés des frais
d’entretien par l’administration pénitentiaire.
La législation du travail ne s’applique pas aux détenues,
qui n’ont aucune garantie sociale et aucun recours en cas
de perte de leur activité.
Outre la liberté, en rentrant en prison, les femmes ont
toutes le sentiment de perdre leur identité. « J’entendais
mon nom prononcé comme s’il était devenu un
autre. Peut-être parce qu’il était amputé
de son prénom. En plus de l’enfermement, du manque
à vivre, du manque à être et à aimer,
il y aurait cette relation permanente de frottement et d’affrontement
avec la gardienne. Elle aurait cent visages et reviendrait comme
cent cauchemars hacher les heures de la journée. »
Pour Betty, cela confisquait tout espace de tranquillité.
Evelyne, qui n’avait jamais supporté la solitude, mangeait
debout devant sa glace, « pour voir quelqu’un, pour
ne pas me sentir seule », et réalisait qu’«
on n’a soudainement plus personne à regarder et [qu’]on
n’est plus regardée par personne ». Annie découvrait
que « n’importe qui pouvait atterrir en prison, mais
surtout les personnes défavorisées, comme si les rôles
étaient déjà distribués » et que
les transgressions des femmes racontaient surtout « d’effrayantes
fragilités et dangerosités pour elles-mêmes
». Paradoxalement, « la prison peut, pour certaines,
représenter un asile. Imaginez alors d’où elles
viennent... ».
En animant un atelier d’arts plastiques à Fleury-Mérogis,
Marie-Paule, qui rencontre quelque 60détenues par an, les
plus structurées, « l’élite » qui
garde des capacités de sociabilité, est aussi frappée
par cette grande misère - sociale, affective et intellectuelle
- et par l’hétérogénéité
des personnes. « Lorsqu’il y a des parcours de vie difficiles,
n’importe qui peut se retrouver en prison. Or la méconnaissance
et les préjugés restent forts. La prison consiste
à se débarrasser des problèmes. Cela protège
la société et on ne veut pas savoir ce qui s’y
passe. »
Les infractions pour lesquelles les femmes sont condamnées
sont pourtant révélatrices de leur condition : elles
sont surreprésentées dans les contentieux familiaux
et économiques, et sous-représentées dans les
infractions à caractère violent. Selon la photographe
Jane Evelyn Atwood, qui a travaillé depuis 1989 sur l’incarcération
féminine en Europe, en Russie, aux Etats-Unis(7), «
si les femmes en prison sont plus nombreuses aujourd’hui,
c’est parce que les lois concernant la drogue ont été
modifiées et que la politique pénale a changé
; 89 % des femmes sont enfermées pour des délits non
violents, chèques sans provision, vols de chéquiers,
fausses cartes de crédit, usage ou vente de stupéfiants.
Presque toujours, les premiers délits sont liés à
la drogue, et de plus en plus de femmes sont arrêtées
et condamnées pour ces motifs ».
Les femmes emprisonnées sont jeunes : une sur quatre a moins
de 25ans et une sur deux moins de 30ans. Elles ont été
très fortement marquées par des bouleversements dans
leur milieu d’origine : décès, séparations,
divorces, placements ou situations d’alcoolisme et de violence.
20 % d’entre elles sont illettrées et 50 % ont un niveau
d’instruction primaire, selon l’Observatoire international
des prisons. Un grand nombre ont été suivies pour
troubles psychiatriques avant leur incarcération. Elles sont
plus nombreuses que les hommes à prendre - et se voir proposer
- des psychotropes : 45 % contre 18 %.
Pour elles, le sentiment de honte et de culpabilité lié
à la détention est plus intense, le corps devient
le premier lieu d’expression de la plainte : elles somatisent,
tombent malades, connaissent des troubles alimentaires ou digestifs.
Elles n’ont plus de règles, parfois durant toute leur
détention. La question de la violence se pose davantage pour
elles-mêmes que pour les autres. Les états de prostration
ou de dépression grave, les taux de suicide ou d’automutilation
sont très élevés. Une centaine de suicides
sont annuellement répertoriés par l’administration
pénitentiaire, un chiffre en augmentation constante, deux
fois plus important qu’il y a quinze ans(8). Dans certains
établissements, les tentatives de suicide sont souvent sanctionnées
de mises au mitard, provoquant désespoir et récidives,
amplifiant ce qui est déjà vécu comme une véritable
torture mentale.
En cherchant à mettre des visages et des histoires sur ces
femmes en prison, on découvre qu’elles sont moins nombreuses
que les hommes, mais plus nombreuses que jamais. La durée
moyenne des détentions, dans leur ensemble, a progressé
de 50 % en quinze ans, et le taux de récidive reste à
un niveau record - environ 70 %(9). La prison fonctionne comme un
simple instrument de gestion des inégalités et entraîne
une rupture toujours plus grande des liens sociaux. Elle est «
privation de liberté mais aussi d’humanité »,
comme l’indiquait déjà le rapport du Sénat
et de l’Assemblée nationale du 5juillet 2000 s’alarmant
du « nombre important de personnes n’ayant pas leur
place en prison : toxicomanes, malades "psy", étrangers
en situation irrégulière, personnes très âgées
ou malades en phase terminale, jeunes majeurs, prévenus...
».
Alors que les biens de consommation leur sont inaccessibles et
étalés avec toujours plus d’ostentation, comment
imaginer que, cloîtrées durant des mois ou des années,
dans une passivité constante, des femmes qui ont fui dans
la transgression leurs difficultés à exister, leurs
blessures affectives et leur absence de perspectives sociales vont
être rendues à la société dans de nouvelles
dispositions ?
Marina Da Silva
(1) L’émission est diffusée en interne. Le
20 juin 2003, sur le même principe, a eu lieu l’inauguration
de la première télévision en milieu carcéral.
(2) Séverine Vatant, « Droit du travail au rabais
pour les détenus », Manière de voir, n°
71, octobre-novembre 2003.
(3) 60 963 détenus. Avec des taux d’occupation des
cellules pouvant atteindre 200 %.
(4) Les Murs de vos prisons, Albiana, 2002.
(5) Lire Edgar Roskis, « Les prisons françaises, d’Action
directe aux droits communs », Le Monde diplomatique, juillet
2001.
(6) Maisons centrales : condamnées à de longues peines,
multirécidivistes ; maisons d’arrêt : prévenues,
condamnées ayant moins d’un an à effectuer ;
centres de détention : fins de peine ou peines inférieures
à trois ans ; centres pénitentiaires : établissements
comprenant des quartiers à régimes de détention
différents.
(7) Jane Evelyn Atwood, Trop de peines, femmes en prison, Albin
Michel, Paris, 2000.
(8) Il y a eu 120 suicides en 2002, hommes et femmes confondus,
un taux sept fois plus important qu’à l’extérieur.
(9) François Hulot, secrétaire du syndicat CGT-Pénitentiaire,
dans « Compte rendu des travaux de la commission justice du
Parti communiste français », Paris, février
2001.
Édition imprimée — septembre 2003 — Pages
28 et 29
Le Monde Diplomatique
Archives — Septembre 2003
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