Origine :
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article585
article de la rubrique prisons
date de publication : jeudi 14 avril 2005
Le taux d’activité des détenus en France a
diminué depuis 2001, passant de près de 48 % à
33,5 % en 2004. Les entreprises délocalisent et confient
de moins en moins de productions aux ateliers pénitentiaires.
Parallèlement, la paupérisation gagne du terrain
: en cinq ans, le revenu moyen des détenus est passé
de 4 à 1,6 euros par jour.
Ci-dessous : des extraits d’un dossier paru dans Le Monde
du 10 avril 2005.
Le chômage en prison
Le Monde, éditorial du 10 avril 2005
La prison a pour mission, inscrite dans la loi, de préparer
la réinsertion des détenus. L’un des moyens
de cette réinsertion est le travail, outil de socialisation,
de formation et d’apprentissage de la discipline.
La dégradation des conditions de détention du fait
de l’inflation du nombre de personnes incarcérées
(60 000 personnes) mais également la raréfaction du
travail disponible rendent cette mission de plus en plus difficile.
Le mauvais état des prisons s’ajoute au mauvais état
du marché du travail pour rendre de plus en plus dérisoire
cette obligation légale d’insertion.
Le travail des détenus n’est plus obligatoire depuis
1987. Il se fait sur la base du volontariat. La rémunération
est inférieure à ce qui se pratique à l’extérieur
et les conditions de travail n’autorisent que du temps partiel.
Néanmoins près de la moitié des détenus
avaient encore une activité en 2001. Ils ne sont plus qu’un
gros tiers (35 %) au début 2005. La situation s’aggrave
vite.
Beaucoup des petites tâches de montage ou d’emballage
offertes aux détenus ont été réintégrées
par les donneurs d’ordres dans la période de basse
conjoncture en 2002 et 2003, mais, plus structurellement, elles
sont peu à peu délocalisées dans des pays aux
bas coûts de salaires, en Europe de l’Est ou en Asie.
Il reste de menues tâches de "service général",
comme le ménage dans la prison elle-même, mais cela
ne peut suffire.
La première conséquence de ce qu’on peut appeler
la montée du chômage en prison est de priver les détenus
de toute ressource. Or, comme tout est payant dans les cellules,
du savon à la télévision, il faut 200 euros
par mois pour y vivre, avait calculé Paul Loridant, alors
sénateur (chevénementiste), dans un rapport remis
en 2002.
L’extrême dénuement vient alors aggraver les
conditions de vie des détenus, le désordre, les trafics
en tout genre et l’exploitation des plus faibles par les caïds.
D’où la spirale, dans laquelle s’enfonce tout
le système carcéral, d’une gestion à
la petite semaine, dominée toujours plus par le seul impératif
de sécurité.
Les prisonniers, dont 20 % sont analphabètes, n’ont
que l’espoir de trouver un travail déqualifié.
Quand celui-ci disparaît, la seule issue est la formation.
Ce n’est sans doute pas simple pour l’Etat, qui manque
de gardiens et plus encore de formateurs. Mais, pour enrayer la
spirale répressive, il faut que s’impose une autre
logique.
Le premier volet en est de mieux répartir les détenus
selon leur volonté de réinsertion et de formation.
Aux plus volontaires devraient être offertes des conditions
plus souples en y associant une rémunération suffisamment
gratifiante.
Le second, le principal, est de réviser la répartition
des budgets pour que la formation cesse d’en être la
part résiduelle. Le Canada pourrait servir d’exemple
: il dépense le tiers de son budget à l’alphabétisation
puis à la formation des détenus. La société
y trouve son bénéfice puisque le taux de récidive
y a diminué.
La concurrence met en péril le travail en
prison
par Nathalie Guibert, Le Monde du 10 avril 2005
Pourtant inscrite dans la loi, la mission de réinsertion
confiée à la prison est plus incertaine que jamais.
Conjuguée à l’inflation carcérale
59 200 personnes écrouées au 1er janvier , la
dégradation de la situation économique se fait encore
plus sentir dans les prisons. Le travail se délocalise dans
des pays d’Europe de l’Est ou d’Asie. La paupérisation
des détenus s’enracine. Leurs chances de se réinsérer,
déjà faibles, s’amenuisent.
La situation est très contrastée selon les prisons
mais l’administration pénitentiaire gère une
pénurie générale. Tout manque : l’emploi,
la formation professionnelle, les travailleurs sociaux... Le taux
d’activité des détenus diminue. Il s’établissait
à 47,6 % au 1er janvier 2001. Il a chuté à
33,5 % au 1er janvier 2004, pour remonter légèrement
à 35,2 % début 2005.
Dans la période, aucune mesure particulière n’a
été prise pour développer le travail et la
formation. Les instructions récentes sont allées dans
le sens d’un durcissement des règles de sécurité,
notamment depuis l’évasion, en juillet 2004, sous un
camion de livraison, d’un détenu de la centrale de
Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime). Les contraintes carcérales,
plus fortes, achèvent de décourager les entreprises.
Le seul signe positif est venu du ministre de la cohésion
sociale. A l’issue d’un colloque organisé, le
12 février, par Emmaüs et l’Observatoire international
des prisons (OIP) sur la pauvreté, Jean-Louis Borloo a promis
que les sortants de prison bénéficieraient des nouveaux
contrats d’avenir sans attendre le délai de six mois
imposé aux bénéficiaires des minima sociaux.
L’obligation faite aux détenus de travailler a été
supprimée en 1987. Depuis, l’administration pénitentiaire
doit prendre "toutes les dispositions pour assurer une activité
professionnelle aux détenus qui le souhaitent". Le dernier
"plan d’action pour la croissance du travail et de l’emploi"
prévoyait même que, fin 2003, l’administration
serait "en mesure d’apporter une réponse adaptée
aux demandes d’emploi des détenus". Un voeu pieux.
Le travail, outil de socialisation, reste, en prison, à
l’écart des normes en vigueur dans la société.
Hormis quelques ateliers prestigieux dépendant directement
du service de l’emploi pénitentiaire (1 200 détenus),
la majorité des prisonniers occupent des postes non qualifiés
et à temps partiel : tâches de ménage au "service
général" de leur établissement (6 600
détenus) ou emplois de montage (8 900) proposés par
des concessionnaires.
Qu’ils emballent des oignons ou qu’ils plient des chemises,
les détenus sont rémunérés à
la pièce, à des salaires inférieurs aux minima.
Ils sont affectés à la discrétion de l’administration.
Les maisons d’arrêt, réservées aux détentions
provisoires ou aux courtes peines sont particulièrement défavorisées
: leur taux d’activité est parfois nul.
Ces problématiques sont anciennes. Mais des indicateurs
témoignent d’une dégradation récente.
Le rapport d’activité de la maison d’arrêt
de Nanterre (Hauts-de- Seine) indique que "les difficultés
dues au ralentissement économique de 2002 se sont poursuivies
en 2003, l’année 2004 n’ayant pas été
plus favorable". "Les entreprises clientes privilégient
l’emploi de leur propre personnel et réintègrent
l’activité sur leur site, poursuit-il. Certaines ont
tendance à la délocalisation de leur production dans
les pays à faibles coûts de main-d’oeuvre, pays
de l’est de l’Europe et Asie."
Au centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie), le rapport
annuel ajoute à la délocalisation " la concurrence
sévère, la révision des prix de vente à
la baisse, la régression des volumes à traiter".
Une dizaine de postes ont été supprimés. A
Château-Thierry (Aisne), "la conjoncture actuelle se
fait énormément ressentir au sein du centre pénitentiaire",
écrit la direction. Malgré les démarches engagées
auprès des entreprises du secteur, un seul contact a été
noué. L’employeur n’a offert que peu de travail,
faute de commandes.
"Ce manque de plus en plus criant de travail en atelier, qui
est un élément essentiel de la vie en détention,
a pour conséquence d’augmenter le taux d’indigence",
souligne l’administration. Entre 2003 et 2004, la rémunération
versée a chuté d’un tiers. Chaque détenu
touchait en moyenne 4 euros par jour il y a cinq ans, contre 1,6
euro aujourd’hui
A Mont-de-Marsan (Landes), le constat est encore plus sévère
: en 2001, une confiserie a offert du travail pendant dix mois en
occupant quatre détenus à la confection d’emballages.
Mais depuis, "aucun travail pénitentiaire n’a
été proposé vu l’absence d’ateliers
et l’exiguïté des locaux".
Au groupement privé Idex et Cie, qui assure une partie de
la gestion de six établissements pénitentiaires, on
dresse un constat d’échec : "Nous ne sommes pas
en mesure de répondre au cahier des charges, qui nous demande
de fournir une activité rémunérée à
12 % des détenus en maison d’arrêt et à
20 % en centre de détention", reconnaît Bernard
Senut.
La sociologue Anne-Marie Marchetti décrit un véritable
cercle vicieux. "Le travail se raréfiant, on a plutôt
tendance à y mettre ceux qui ont une certaine instruction
: le pauvre, le lent, le dépendant ou le malade n’arrivent
pas à se débrouiller, dit-elle. Du coup, ils sont
ceux qui ont le plus besoin de recourir au trafic en détention,
ce qui provoque des incidents disciplinaires et allonge leur peine."
La prison devient de plus en plus "un mode de gestion de la
pauvreté", ajoute Jean Caël, du Secours catholique,
qui donne un exemple : sur les deux dernières années,
dans la région pénitentiaire de Strasbourg, les demandes
d’aide faites à l’association caritative ont
augmenté d’un tiers, le montant distribué de
50 %.
En 2002, dans un rapport, le sénateur Paul Loridant avait
fait 62 propositions pour améliorer la situation. Une seule
a été suivie d’effets : l’administration
ne prélève plus sur la fiche de paie des détenus
les 45 euros affectés aux frais d’entretien. M. Loridant
avait conclu qu’il manquait 10 000 emplois en détention
et qu’il fallait 200 euros par mois pour vivre en prison.
Car tout s’y paie, de la télévision (40 euros
par mois) aux timbres pour correspondre avec son avocat ou sa famille.
"L’heure est à la rigidité et à
la sécurité", regrette aujourd’hui M. Loridant.
De nombreuses associations militent pour une égalité
des droits avec le monde extérieur. Mais, détenus
ou intervenants, beaucoup sont persuadés qu’un alignement
précipiterait la fin du travail en prison. "Le vrai
projet serait de développer la formation, affirme Liliane
Chenain, ancienne présidente de l’Association nationale
des visiteurs de prison. Quelle représentation la population
carcérale peut-elle se faire de la valeur du travail ? En
se résumant à l’ordre et à la discipline,
elle est complètement disqualifiée."
"Le système des ateliers est arrivé au bout
du bout, convient Philippe Pottier, président de l’Association
française de criminologie. Il faut explorer de nouvelles
solutions, fondées sur la formation."
La maison d’arrêt d’Angoulême teste ainsi
un système de bourse d’études cofinancées
par le service pénitentiaire d’insertion et de probation
et le Fonds d’action sociale (FAS). S’ils s’engagent
dans une formation de sept heures par semaine, les détenus
touchent 55 euros par mois. "C’est une façon de
dire : vous faites un effort, la société vous aide",
explique M. Pottier.
Pour Gabriel Mouesca, président de l’OIP, "la
prison doit devenir un lieu d’appropriation du savoir",
seul moyen de recouvrer la liberté.
En prison, le salaire minimum est divisé par deux
Le droit du travail ne s’applique pas en prison.
Contrat de travail. Il n’existe pas. Le détenu
dispose d’un « support d’engagement professionnel
», indiquant la durée du travail, la nature de l’emploi
et la rémunération, mais dénué de toute
valeur juridique.
Droits. Le détenu n’a droit ni aux congés
payés ni aux indemnités journalières pendant
un arrêt de travail en cas d’accident ou de maladie.
Le droit à la formation ne lui est pas reconnu.
La procédure de licenciement n’est pas applicable.
Les organisations représentatives du personnel sont inexistantes.
L’expression syndicale et le droit de grève sont proscrits.
Les détenus n’ont pas droit au RMI. Les sortants
de prison ne peuvent toucher les Assedic.
Cotisations sociales. Le détenu cotise à
la Sécurité sociale pour les assurances maladie, maternité,
veuvage et vieillesse.
La CSG et la CRDS sont également prélevées.
Le travail carcéral compte pour la retraite.
Salaire. Le salaire minimum horaire est de 3,27 euros
en maison d’arrêt et de 3,54 euros en centre de détention,
contre 7,61 euros hors prison. Au service général,
qui assure des tâches d’intendance, la rémunération
journalière varie de 6,50 à 11,05 euros.
En 2004, la rémunération moyenne mensuelle
était de 178 euros au service général, 348
euros en concession, 489 euros dans les ateliers du service de l’emploi
pénitentiaire.
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