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INTRODUCTION : « MALAISE » AU TRAVAIL...
Le rapport au travail a changé
Une évolution négative ?

Origine : excerpts.numilog.com/books/9782953343205.pdf

Depuis quelques années, chaque semaine ou presque apporte son lot de sondages sur le « moral » des cadres, repris aussi bien par la presse spécialisée, de Courrier Cadres à Enjeux-Les Échos, que par les quotidiens généralistes, de Libération au Figaro. Début 2008 par exemple, un article du Figaro économie titrait ainsi : « Malgré un marché du travail porteur, les cadres ont le moral en berne. » Il s'agit du résumé d'une étude réalisée par l'APEC (Association pour l'Emploi des Cadres). Elle fait état de deux éléments contradictoires. Le premier est « un amoindrissement du lien avec l'entreprise, un sentiment de vulnérabilité et un individualisme croissant... les cadres se perçoivent comme une ressource au service du profit, ils pensent être interchangeables sur le marché ». Le deuxième, selon le journaliste, est que : « ce pessimisme est toutefois contrebalancé par une motivation toujours forte ainsi que par un plaisir à aller travailler. »

Parallèlement, depuis la parution de l'ouvrage de Luc Boltanski, Les cadres, la formation d'un groupe social, publié aux éditions de Minuit, en 1982, les ouvrages sur le travail abondent. À l'exception de celui de Marie-France Hirigoyen sur le harcèlement moral, évoquant brièvement le travail, et de celui de Christophe Dejours, consacré à la souffrance au travail1, la plupart sont le fait de sociologues, d'André Gorz à Dominique Méda ou de Dominique Schnapper à Robert Castel. Rappelons que la parution de Le travail, une valeur en voie de disparition de Dominique Méda (Aubier, 1995) a suscité beaucoup d'articles puis la publication d'une réponse de Dominique Schnapper, intitulée Contre la fin du travail (Textuel, 1997).

La première, prenant acte de la persistance d'un chômage massif, s'attache à montrer que le travail, méprisé jusqu'au dix-huitième siècle car « noblesse oblige » et, comme le rappelle Lacan, reprenant Horace, « otium est cum dignitate », est une valeur récente. Elle est donc susceptible à ce titre de dis- paraître. La seconde, D. Schnapper, rétorque avec vigueur qu'il reste un des fondements du lien social dans nos sociétés occidentales. À les lire toutes deux cependant, il apparaît assurément que le travail est devenu, au minimum, un « problème de société » comme on dit.

Plus récemment, alors que la question a continué d'agiter les hommes politiques, autour du CPE puis durant la campagne électorale, où nous nous entendîmes proposer de « travailler plus pour gagner plus », économistes ou sociologues ont porté leur attention sur le travail, de manière nouvelle. Depuis 2004, quatre ouvrages ont ainsi reçu un certain écho dans la presse. Or ils ont en commun de présenter un panorama alarmant de la situation, à relier aux suicides récents au sein de grandes entreprises.

Jean-Pierre Durand, économiste, auteur de La chaîne invisible, flux tendu et servitude volontaire (Seuil, 2004), s'est penché sur ce qu'il appelle (p. 371) « l'énigme du travail salarié aujourd'hui », en faisant valoir le concept de « l'implication contrainte du salarié », « obligé de s'engager, de s'impliquer et d'adhérer à la culture et aux objectifs de l'entreprise ». Se référant à la servitude volontaire de La Boétie, il stigmatise ainsi la « clôture » (p. 374) « du soi au soi ».

Complémentaire est la critique de Vincent de Gaulejac, auteur de La société malade de la gestion : idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social (Seuil, 2004).

Le ton est donné dès l'introduction : « l'humain devient un capital qu'il convient de rendre productif » (p. 13). Il précise plus loin (p. 56) : « Le paradigme utilitariste transforme la société en machine à produire et l'homme en agent au service de la production. L'économie devient la finalité exclusive de la société, participant à la transformation de l'humain en "ressource". » Dans cet univers, selon lui, « l'insignifiance et la quantophrénie (maladie de la mesure) sont deux figures du pouvoir » (p. 73).

Au travail, par voie de conséquence, son constat rejoint celui de J.-P. Durand (p. 91) : « l'entreprise propose à l'homme managérial de satisfaire ses fantasmes de toute- puissance et ses désirs de réussite, contre une adhésion to- tale et une mobilisation psychique intense. »

En 2005, Philippe Askhenazy publiait à son tour Les désordres du travail, enquête sur le nouveau productivisme (Seuil). Son plaidoyer en faveur de l'urgence à « reposer le travail » (p. 10) souligne, comme en écho au texte de V. de Gaulejac, « l'intensification du travail » (p. 24).

Un autre sociologue, François Dupuy a lui aussi fait paraître, début 2005, un ouvrage plus spécialement consacré aux cadres : La fatigue des élites, le capitalisme et ses cadres (Seuil). Il tente, au-delà des constats, de mettre ce fameux « malaise » des cadres en perspective.

Il explique d'emblée (p. 9) : « en parcellisant le travail, la logique taylorienne avait résolu le problème de la dépendance et de l'exposition directe aux autres, à leurs demandes, à leurs exigences, à leurs impatiences. Il n'en va plus de même aujourd'hui, les « autres » sont bel et bien de retour : le client, cette idole du management moderne, est une contrainte permanente pour les organisations et leurs membres ; et les collègues avec lesquels il faut désormais « faire équipe » et « coopérer », une source inépuisable de stress et de pression. »

F. Dupuy souligne ensuite (p. 20) combien ces modifications affectent aujourd'hui « l'identité » des salariés, avant d'évoquer (p. 37) la « déprotection » et (p. 44) « les difficultés de la coopération ». De J.-P. Durand à F. Dupuy, les sociologues cités ici s'entendent au moins et sur l'existence du « malaise » et sur la « mobilisation psychique » afférente à celui-ci.

Enfin, il convient de citer deux ouvrages au titre éloquent, Le travail intenable (La Découverte, 2006) sous la direction de Laurence Théry, inspectrice du travail et chargée de la santé au sein de la CFDT, Quand les cadres se rebellent des sociologues David Courpasson et Jean-Claude Thoenig (Vuibert, 2008). Les constats y sont accablants pour l'ensemble des salariés, cadres ou non.

De leur côté, les cinéastes ne sont pas en reste. Il y eut d'abord Ressources humaines de Laurent Cantet montrant le conflit opposant un fils et son père à l'occasion d'une restructuration d'entreprise ; début 2006 a proposé à l'affiche Sauf le respect que je vous dois de Fabienne Godet, dévoilant comment des pratiques, motivées par l'accroissement de la rentabilité, peuvent conduire au suicide d'un collaborateur, manipulé puis licencié. Ensuite on a pu voir Tous étaient touchés mais tous n'en mourraient pas de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil, un film tourné à l'hôpital, consacré à la souffrance des salariés. Par ailleurs, à la télévision, comme au cinéma, se multiplient les documentaires sur la « souffrance au travail ».

Et pourtant ! le présent ouvrage part d'un premier constat : si les travailleurs sont « aliénés », au sens où l'entendait Marx, force est de reconnaître avec J.-P. Durand, que cette servitude est bien « volontaire » et que, pour beaucoup d'entre eux, selon l'expression consacrée, « ils en redemandent ! Ils aiment ça !!! ».

C'est bien ce que soulignait la journaliste du Figaro commentant les résultats de l'enquête de l'APEC. C'est aussi ce que leur a conseillé Nicolas Sarkozy à travers la formule : « travaillez plus pour gagner plus ».

En deuxième lieu, à écouter ceux qui travaillent comme ceux qui ne travaillent pas du reste, il apparaît tout aussi bruyamment que, comme la famille, le travail n'est plus ce qu'il était. C'est un fait. Cela ne signifie nullement que ce soit mieux ou pire chez L'Oréal aujourd'hui que chez Michelin au début du XXe siècle, comme pourrait parfois le laisser entendre l'ouvrage de V. de Gaulejac, que les salariés de ces entreprises souffrent plus ou moins au travail que les enseignants à l'université par exemple. Cela donne à penser toutefois que, pour le dire dans la langue des sociologues, le rapport au travail a changé, et pas seulement en mieux.

En outre, une question taraude beaucoup de salariés. Il s'agit de la reconnaissance le mot est dans toutes les bouches désormais.